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sur 209 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Il n'était pas un opposant politique, ni un propriétaire terrien, encore moins un intellectuel contestataire. Pourtant, comme des millions d'autres, Alexeï Féodossiévitch Vangengheim a été victime de la Terreur stalinienne, déporté en 1934 aux Solovski.
Comment un noble acquis à l'idéal communiste, qui a renoncé à ses privilèges pour soutenir le prolétariat révolutionnaire avec un enthousiasme indéfectible s'est retrouvé condamné pour sabotage et déporté dans un camp de la mort ?
A l'appui de maigres archives, Olivier Rolin évoque, sans s'appesantir, les motivations qui ont fondé la condamnation d'un scientifique qui voulait seulement se consacrer à l'étude du climat pour soutenir l'agriculture et l'ouverture des voies maritimes du nord. Peu d'éléments décisifs viennent éclairer cette interrogation mais en même temps quelle réponse rationnelle donner lorsque la folie paranoïaque à la tête de l'État s'est achevée avec l'exécution des bourreaux et autres exécutants de la politique de Staline ?
L'auteur soulève bien quelques indices comme
Mais le portrait exhumé laisse un sentiment d'abomination, confirmant s'il en est encore nécessaire la cruauté du régime qui assassinait sans discernement, crucifiant toute une classe d'intellectuels à l'heure où émergeait un fort élan pour les idées novatrices. Si Olivier Rolin nous gratifie d'un texte mélancolique et désordonné alimenté par de nombreuses réflexions personnelles, c'est pour souligner les désillusions de la plus grande révolution du XXe pour un auteur russophile qui semble n'avoir pas totalement renoncé à l'utopie. Ou du moins qui a reçu en héritage «le désespoir né de la mort» de cette utopie.

On peut facilement imaginer que ce type de récit pourrait sauver de l'oubli une infinie quantité d'anonymes ensevelis dans les charniers de Sibérie. Et Rolin a su exploiter et donner au tragique le visage lisse d'un innocent sacrifié bien qu'il n'ait étrangement jamais remis en cause sa foi envers l'idéal soviétique. Mais le météorologue tire sa force et son émotion des dessins et correspondances adressés à la fille du scientifique, suscitant la minuscule pulsation d'amour dans cette vie broyée par une machine implacable.
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En 2010, l'auteur est invité à l'université d'Arkhangelsk, dans le nord-ouest de la Russie.

Il en profite pour visiter un monastère sur les îles Solov-ki.
Il apprend, qu'en ces lieux, se trouvait le premier goulag .Il abritait une grande bibliothéque de 30 000 volumes, en partie constituée par les dons des détenus eux -mêmes, notamment un album composé de dessins et croquis que Vangengheim a envoyés à sa fille de quatre ans..point de départ du livre.....Le-meteorologue Alexeï Féodossiévitch Vangengheim, Ukrainien, tourne le dos à ses origines nobles pour épouser la cause communiste et met son savoir scientifique au service de son pays avec l'espoir "de construire le socialisme".

Au cours d'un simulacre de procés, il est accusé et désigné comme "saboteur" contre révolutionnaire. Arrêté en 1934 et condamné à dix ans de camp de rééducation par le travail il enverra des dessins , des herbiers, des devinettes à Eléonora, sa très jeune fille .......
L'auteur restitue avec beaucoup de minutie la détention de ce scientifique.
Olivier Rolin s'est beaucoup documenté, a beaucoup lu, ponctue son récit de références littéraires, de procés -verbaux ou d'extraits des lettres du détenu destinées à sa femme, le tout écrit dans un style à la fois dense, intense et fluide..
Certaines scènes sont difficiles, d'autres d'une grande beauté.
Le personnage de Vangengheim apparaît touchant, homme visionnaire mais ordinaire à la fois, sans véritable charisme, qui garde la foi dans un système qui l'a anéanti......
Combien de milliers de vies brisées, arrêtées, éliminées pendant cette épuration abominable ?
Combien de milliers de victimes disparues dans un silence impressionnant ?
Comment un régime pouvait broyer toute personne qui n'adhérait pas à son idéologie ou pire, toute personne dénoncée même à tort ?
Grâce à l'auteur, Scientifiques, Poétes, Artistes, tous condamnés à l'oubli ressuscitent !
Un ouvrage difficile, certes mais indispensable, intéressant, enquête, biographie, documentaire à la fois , un dépaysement total dans ces solitudes glacées, un formidable et bel hommage à ces millions de personnes, de toutes classes sociales victimes du régime Stalinien.
Un récit qu'il faut Lire !



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Au final, Alexei Féodossiévitch Vangengheim, l'ukrainien oublié de tous, a laissé pour toutes traces, les belles planches éducatives envoyées à sa fille durant sa captivité sur les Iles Solovki, en 1934.
On les retrouve avec une vive émotion à la fin du livre, et enfin le météorologue, victime du stalinisme, n'est plus un inconnu pour le lecteur bouleversé mais un homme attachant, un scientifique appliqué qui avait mis toute son énergie au service du socialisme en créant le premier service de météorologie soviétique au service de tous les secteurs économiques.
C'est au cours du tournage d'un documentaire, « Solovki - La bibliothèque disparue », qu'Olivier Rolin a découvert par hasard les planches dessinées avec amour par Alexei Féodossiévitch Vangengheim pour sa fille âgée de quatre ans lorsqu'il fut envoyé en captivé au goulag sur simple dénonciation comme « saboteur ».
Après une enquête minutieuse, Olivier Rolin fait le portrait de cet homme qui n'était ni un grand scientifique, ni un héros romantique mais un révolutionnaire convaincu, broyé par la folie stalinienne, et à travers lui, il rend hommage aux millions de victimes, emprisonnées et tuées dans un silence assourdissant.
A aucun moment il ne tente d'enjoliver les choses montrant la fidélité sans faille d'Alexei Féodossiévitch Vangengheim à Staline, comme le démontre ses nombreux courriers et surtout le dernier petit portrait en mosaïque de Staline envoyé à sa fille la veille de sa mort. Fidélité sincère à un idéal ou profil bas pour ne pas créer d'ennuis à ses proches et sauver sa peau, on ne le saura jamais…
Le style est fluide, Olivier Rolin ouvre de nombreuses parenthèses. Sa fascination pour la Russie, sa démarche documentaire, son regard très personnel sur les évènements, sa manière de s'emparer d'un destin particulier pour lui donner un rayonnement universel et porter sa réflexion, rappelle beaucoup la démarche littéraire d'Emmanuel Carrère même si de nombreux points les différencient. Et sa fascination pour les grands espaces glacées est restituée avec force, le dépaysement est total, assez effrayant.
Dans la dernière partie du récit Olivier Rolin analyse avec lucidité la grande claque donnée à une utopie : « L'histoire du météorologue, celle de tous les innocents exécutés au fond d'une fosse, sont une part de notre histoire dans la mesure où ce qui est massacré avec eux c'est une espérance »
Un récit indispensable…
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Il n'est pas vain d'écrire sur ces régimes qui ont effacé d'un coup d'éponge la vie de centaines de milliers d'êtres humains. Il n'est pas vain de lire ces témoignages ou ces récits pour ne pas tomber dans la tentation de l'oubli ou l'indifférence. Pour ces raisons, il est bon de prendre le temps de lire le Météorologue d'Oliver Rolin, récit d'un homme ordinaire pris dans l'engrenage de la terreur stalinienne et qui jusqu'au bout ou presque fut convaincu d'avoir été victime d'une erreur. Olivier Rolin, séduit par les dessins envoyés par Alexeï Féodossiévitch Vangengheim à sa fille Eléonora, enquête sur cet homme mystérieusement disparu en 1937 après deux ans d'internement au camp des îles Solovki. Sa femme n'apprendra son décès qu'en 1956 mais sans connaître les circonstances et le lieu de sa mort. A travers ce récit, l'auteur rend hommage aux milliers de victimes à jamais disparues dans les vastes étendues de la Sibérie.
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Adorno a déclaré qu'"Après Auschwitz, écrire de la poésie est barbare", ce à quoi a répondu le facétieux écrivain hongrois Imre Kertesz : "je nuancerais, toujours en termes généraux, en disant qu'après Auschwitz, on ne peut plus écrire de poésie que sur Auschwitz". Me vient alors cette question : après Vassili Grossman et Varlam Chalamov, peut-on encore écrire sur les goulags et la Grande Terreur ? Evidemment oui, et cela, Olivier Rolin l'a bien compris, lui qui est passionné par la Russie depuis les années 80 (je me remémore avec plaisir son livre de 1987 sobrement intitulé En Russie - inspiré du récit publié plus de cent ans auparavant par le Marquis de Custine -, livre où Rolin donnait une poétique description de l'empire soviétique avant qu'il ne s'effondre quelques années plus tard).

À la fin des années 2000, Olivier Rolin se rend sur les îles Solovki, tristement connues pour leur goulag, il en ressortira un film documentaire pour ARTE (La bibliothèque perdue des Solovki - très bien d'ailleurs), un livre de photos, et ce livre sur l'un des détenus, un homme dont, comme le dit l'auteur, le "domaine, c'était les nuages". le Météorologue est donc un récit-biographique, celui d'Alexéï Féodossévitch Vangengheim, victime de la Grande Terreur stalinienne (1937-1938). Rolin en tire un portrait magnifique (les dessins qu'envoyait Vangengheim à sa fille, reproduits en fin d'ouvrage) et triste (dans presque chaque lettre il dit à quel point il ne perd pas confiance dans le parti), et rejoint Patrick Deville et Emmanuel Carrère dans le genre bio-fiction très réaliste, menée comme une enquête policière, quoique savamment romancée, parfois même poétisée. C'est beau, même si ça reste tragique. Un livre d'importance, sans aucun doute, parmi les meilleurs sortis cette année sur ce sujet, avec La Limite de l'Oubli de Sergeï Lebedev.
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Livre intéressant, fort et dramatique, qui est plus une enquête de journaliste qu'un roman. Sa forme n'est d'ailleurs pas très littéraire. Les dernières pages qui reproduisent les dessins que le météorologue destinait à sa fille sont très émouvantes. Les seuls reproches que je ferai c'est qu'il y a un peu trop de noms propres dans le texte, ainsi que des répétitions.
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Un destin tragique parmi tant d'autres qui a interpellé Olivier Rolin lors de son voyage dans les Iles Solovki lorsqu'il a découvert parmi des documents retrouvés de détenus des goulags, les dessins que cet homme envoyait à sa petite fille en 1934 ...

Alexei Féodossiévitch Vangengheim est né en Ukraine dans une famille de petite noblesse ukrainienne , il adhère au mouvement révolutionnaire et devient météorologue , créant le premier service national de météorologie soviétique .

Histoire assez édifiante à plusieurs points de vue .

Homme cultivé, faisant partie de l'élite , Alexei est arrêté pour activités anti-communistes sur dénonciations mensongères et est envoyé dans le goulag "modèle"des iles Soloski

La description des conditions de vie de ces prisonniers est édifiante de cruauté .

Cette période annonçant la grande terreur stalinienne est en grande partie occultée de la mémoire générale alors que le nombre de victimes est hallucinant.

A. se revendique, dans ses nombreux courriers, toujours communiste mais on peut se demander dans quelle mesure cette affirmation n'avait surtout pas comme but de protéger sa famille ...

Sa femme et sa fille sont laissées d'ailleurs dans l'ignorance totale de son sort.

Olivier Rolin semble avoir une attirance particulière pour ces lieux de sinistre mémoire et cela peut mettre mal à l'aise car on sent parfois certaine ambiguïté chez lui.

En tout cas, pour moi, cela a été la confirmation de l'horreur de ce régime stalinien et de la précarité du statut social de chaque citoyen soviétique à cette époque.

Un petit livre fort.
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Qui se souvient d' Alexeï Féodossiévitch Vangengheim ?
Qui sait où se situent les îles Solovki ?
Qui sait le destin tragique de cet homme et de ces milliers d'autres ?
Qui les as vu ? Ni Gorki, ni Aragon. Pourtant certains s'en souviennent. Gens de lettres, gardiens de la mémoire des livres.Gens de paroles et d'histoire, chercheurs et combattants du mémorial.
Qui se souvient de ces femmes et de ces hommes qui furent trahis par Staline ?
Staline qui transforma la plus grande espérance révolutionnaire du 20 e siècle en une terreur de masse. Terreur qui cherche encore un nom. Purges, meurtres, déportations, exterminations. Les lieux existent, les noms avaient des visages , et les villages aussi.
Alexeï Féodossiévitch Vangengheim, météorologue. Ce qu'il a laissé ? Son herbier, des lettres , toutes ses leçons de mille et une choses, dessins devinettes et tendres petits poèmes, tous adressés à son enfant, sa fille Eléonora âgée de quatre ans lorsqu'il fut arrêté et déporté en 1934 au îles Solovki , archipel posé sur la mer blanche, dans la région d'Arkhangelsk, à l'extrême nord ouest de la russie. Un désert de glace immobilisé, pétrifié durant six mois de l'année. Un monastère qui donna ses premières lettres de noblesse à l'enfer du Goulag. Ils furent nombreux, très nombreux, un ensemble hétéroclite d'humains déversé sur ces îles, et ils furent peu, si peu à en revenir.
Eléonora fera de la mémoire de son père un livre, livre que l'auteur découvrira aux iles Solovki. Livre qui suscitera ce livre. Des livres comme des miroirs qui nous font signes sur la banquise, signes humains que Staline aurait voulu faire disparaître lui qui actionna si méthodiquement, si bureaucratiquement sa redoutable machine à effacer la mort.
Alexeï Féodossiévitch Vangengheim établit le cadastre des vents, mis en chantier le cadastre du soleil. Précurseur de l'énergie renouvelable, de la force motrice des vents, il avait compris que les vent du nord pouvait chauffer et éclairer. Il avait compris que «  le futur aller appartenir à l'énergie solaire. Il pensait au voyage vers la Lune. Il voulait penser l'habitat et les villes en fonction du climat, il pressentait la nécessaire intelligence d'un prochain urbanisme. Il était un aigle, et Staline l'avait cloué comme un corbeau blanc sur la banquise. « Où se prend à se demander ce qui se serait passé si la folie de Staline décapitant toutes les élites du pays, scientifiques, techniques, intellectuelles, artistiques, militaires, décimant la paysannerie et jusqu'à ce prolétariat au nom de quoi tout se faisait ,dont l'URSS était supposée être la patrie, n'avait pas substituer comme ressort de la vie soviétique, la terreur à l'enthousiasme. L'introuvable « socialisme » que « les héros » s'imaginaient construire, et ceux aussi comme Alexeï Féodossiévitch Vangengheim, qui n'étaient pas des héros, seulement d'honnêtes citoyens soviétiques aimant leur travail, pensant servir le peuple en le faisant avec compétences, peut-être aurait-il existé ? Peut-être se serait-il avéré un système infiniment préférable capitalisme ? Peut-être le monde entier à part quelques pays arriérés serait il devenu socialiste ? Allons ne rêvons pas ».
Alors c'est peut être cela dont parle aussi ce livre : du meurtre de l'espoir. C'est peut être pour cela qu'Olivier Rolin revient sans cesse vers ce pays. Ce pays mal aimant, mal aimé. Cet espace grand comme le monde, cette bibliothèque à ciel ouvert. Où toute foret devient continent, où lac devient mer, ou rêve devient idéal, ou utopie devient réalité, où terre devient dérive, où des pères deviennent des feuilles, où les filles deviennent des étoiles, un fleuve devient Amour, la folie d'un seul assassine un peuple, mais où les livres poursuivent toutes les histoires.
Étranges îles Solovki. Marquant le point d'un arbitraire planté sur un cercle polaire. Un magnétisme littéraire, l'espace d'une bibliothèque aujourd'hui disparue qui a fait se rencontrer des chemins d'hommes qui ailleurs n'auraient jamais pu se croiser.
Mort de toute son innocence, mort d'y avoir cru, mort de ne rien avoir vu. Un « comme tout le monde » qui crée cet effroyable effarement du nombre. « C'était un homme qui peut être ne se posait pas assez de questions- un homme en somme qui les valait tous et que valait n'importe qui, avec son honnêteté, sa fidélité, sa part de conformisme et de crédulité ».
« Ce n'était ni un génie scientifique ni un grand poète, c’était à certains égards un homme ordinaire, mais c'était un innocent »
« La figure innombrable d'un peuple concret, très concrètement martyrisé au nom de l'abstraction d'un peuple maître ».
« Nous nous alarmons aujourd'hui à bon droit des risques de voir de l'inhumain reparaître en Russie, mais nos alarmes seraient plus crédibles si nous avions prêté attention à ce qui dans l'histoire de ce pays fut humain, et cette humanité fut d'abord celle des victimes ».


Astrid Shriqui Garain
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• Nom : Alexéï Féodossévitch Vangengheim.
• Profession : météorologue, directeur du service d'hydrologie et d'études climatiques unifié de l'URSS.
• Chefs d'accusation : conspiration, sabotage, appartenance à un réseau clandestin contre-révolutionnaire.

Ça, c'est la version officielle.
Celle qui figure dans les registres de l'Administration et qui a conduit à l'arrestation de Vangengheim (8 janvier 1934), à son exil puis à son exécution (3 novembre 1937). Celle que les serviteurs zélés du Parti ont validé, tamponné, archivé ... avant d'être à leur tour, pour la plupart d'entre eux, accusés de haute trahison et éliminés par d'autres artisans des Grandes Purges.
("La seule, mince, satisfaction que procure l'étude de ces temps sauvages, c'est de constater que presque toujours les fusilleurs finiront fusillés. Pas par une Justice populaire, ou internationale, ou divine, fusillés non par la Justice, mais par la tyrannie qu'ils ont servis jusqu'à l'abjection. [..] Cette autodestruction des bourreaux montre la folie de l'époque.")

La version superbement documentée d'Olivier Rolin qui fait l'objet du présent ouvrage est tout autre.
Fruit d'un impressionnant travail d'investigation, elle réhabilite complètement la figure du météorologue et avec lui celles des millions de victimes de la folie stalinienne, tout en ouvrant la réflexion sur ce qu'aurait pu devenir l'utopie communiste si elle n'avait pas si violemment basculé dans la plus atroce des barbaries.

Quelle lecture éprouvante !
Quel destin tragique que celui de ce scientifique austère et appliqué, entièrement acquis à l'idéal socialiste à la cause de la grande Russie !
Lui qui a si largement contribué à "l'édification d'un système capable de prendre quotidiennement le pouls de ce colosse et de dresser des prévisions", lui qui a tant fait pour "dompter les nuages, les vents, les pluies, les isobares, les glaces de la route maritime du Nord", lui qui par son expertise a "aidé le prolétariat révolutionnaire à maîtriser les forces de la Nature" et lui dont la foi dans le grand projet stalinien est absolue, il reste jusqu'à la fin convaincu que sa déportation résulte d'une terrible méprise... Depuis les îles Solovki, entre les murs d'un ancien monastère transformé en camp de travail (l'un des premiers, précurseur du Goulag), il continue inlassablement à envoyer des courriers au « Père des peuples » en qui reposent toutes ses certitudes.

Et qu'il est douloureux de voir cet homme avancer en confiance vers la mort, de lire les lettres qu'il adresse à sa femme et à leur fille de quatre ans (lettres accompagnées de dessins, devinettes et herbiers joliment reproduits en fin d'ouvrage) sans comprendre ce qu'il fait là (et pour cause !) !
Quelle épreuve que d'assister à son combat contre l'évidence, son refus obstiné de remettre question la doctrine qui jusqu'alors réglait son existence ("Il ne peut pas croire, il s'efforce de ne pas pouvoir croire, il sent probablement qu'il commence à douter, sept mois ont passé déjà depuis son arrestation [...] mais il sait que s'il laisse le doute prendre une petite place dans son esprit, rien ne le soutiendra plus.")

Le lecteur, lui, sait.
Il sait que "sous Staline, tout citoyen de l'URSS était un coupable potentiel, il s'agissait seulement de découvrir de quoi".
Il sait les arrestations arbitraires, les exécutions sommaires, les charniers par centaines dont certains n'ont à ce jour pas encore été découverts.
Il sait que "le propre de la Grande Terreur est que nul n'en était épargné, si haut placé fût-il, si fidèle exécutant des basses oeuvres", il sait qu'"il n'est personne qui ne soit un mort en sursis".
Et s'il ne le sait pas, s'il avait oublié, cette redoutable enquête lui ouvrira les yeux en même temps qu'elle lui retournera les entrailles.

Alors bien sûr, derrière un sujet tellement écrasant, difficile de parler de la forme.
Contentons-nous donc de saluer la très belle plume de l'auteur, son écriture parfaitement maîtrisée et son style impeccable, en relevant quand même que l'abondance de détails, de noms propres et de références historiques peuvent parfois entraver quelque peu la lecture... Olivier Rolin nous avertit d'ailleurs. "Je ressens le besoin d'une mise au point que voici : les bourreaux étaient méticuleux, obsédés du secret mais paperassiers, expéditifs mais archivistes ; pour faire comprendre leur façon de procéder (verbe qui ici veut dire : tuer, et tuer en masse), il me semble qu'il faut être méticuleux aussi, paperassier jusqu'à un certain point. Indiquer les dates, les grades, les signatures au bas des actes, quand on les connaît. Au prix d'une certaine lourdeur peut-être."
Je confirme.

Il n'en demeure pas moins que ce texte est un document bouleversant.
L'auteur y témoigne d'un véritable d'un véritable amour pour la Russie ("pays peuplé par les fantômes de la plus grande espérance profane qui fut") et commémore "le massacre de cette espérance, la Révolution et la mort sinistre de la Révolution."
En consacrant son livre à Vangengheim, personnage aujourd'hui presque oublié, il ne cherche pas à en faire un héros exemplaire. Bien qu'il rende volontiers justice à ses compétences techniques et à son esprit visionnaire, il ne dresse pas pour autant le portrait d'un scientifique de génie, plutôt celui d'un citoyen soviétique quasi-quelconque, d'un homme consciencieux rêvant du meilleur pour la mère patrie mais broyé comme tant d'autres par une machinerie devenue incontrôlable.
En parlant du météorologue, Olivier Rolin s'interroge d'ailleurs : "Moi qui écris son histoire, quatre-vingts ans après, j'hésite à rapporter ce trait lamentable, mais pourquoi ? Je préférerais qu'il soit intraitable [...], je préférerais l'admirer, mais il n'est pas admirable et c'est peut-être ça qui est intéressant, c'est un type moyen, un communiste qui ne se pose pas de question, ou plutôt qui est obligé de commencer à s'en poser à présent, mais il a fallu qu'on lui fasse une violence extraordinaire pour qu'il en vienne là, timidement. C'est un innocent moyen. Dreyfus aussi était décevant, paraît-il, d'une autre façon. « Parce qu'il a été condamné injustement, disait de lui Bernard Lazare, on lui demande tout, il faudrait qu'il ait toutes les vertus. Il est innocent, c'est déjà beaucoup. »

Voici donc un livre dur et plein d'érudition, qui soulève beaucoup de questions ("Qu'est-ce qui a fait basculer sa vie dans la longue épreuve de la déportation et de la séparation, puis dans l'épouvante de la fin ? A partir de quand, de quelle dénonciation calomnieuse, de quel incident passé inaperçu, de quelle plaisanterie imprudente se déclenche le processus inexorable qui aboutit à l'arrestation, puis à l'exécution ?") sans hélas apporter la moindre réponse ("Je ne le sais pas précisément" reconnaît l'auteur dans le dernier chapitre, "et personne, apparemment, ne le sait plus. Il n'était pas besoin de grand chose, à cette époque, pour se retrouver avec le canon d'un revolver sur la nuque".)
Parfois l'horreur ne s'explique pas.
C'est tout juste si elle peut s'écrire pour n'être jamais oubliée, et c'est bien là ce que je retiendrai de l'histoire du Météorologue, un "livre-mémorial" éprouvant mais ô combien nécessaire.
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Le météorologue, c'est l'histoire d'un homme broyé parmi des millions d'autres, par le régime Stalinien. Alexeï Féodossievitch Vangengheim né en 1881 devient, après avoir combattu dans les rangs de l'armée Russe pendant la guerre de 14/18, un éminent scientifique qui adhère totalement aux idées de la révolution de 1917. Passionné par les nuages, les vents, et l'espace, il crée le service d'hydro-météorologie de l'union soviétique, si utile pour l'aviation, pour la navigation dans les eaux gelées du grand-nord, et pour l'agriculture dans les grandes plaines russo-ukrainiennes. Sous Staline, dans les années 1930, commencent les purges du régime, et pour trouver un responsable aux récoltes agricoles désastreuses, qui entraîne la famine en Ukraine, il est accusé d'avoir comploté contre le régime, avec de mauvaises prévisions météorologique et d'être un espion à la solde de l'occident pour avoir organisé des rencontres avec des collègues occidentaux, . Pour le condamner, en janvier 1934 à 10 ans de goulag, on lui reproche de ne pas avoir fait référence, dans ses écrits et ses exposés, aux pères de la Nation: Lénine et le grand Staline. Il est emprisonné aux îles Solovki, en mer Blanche. Tout le temps de sa détention, il continue à être fidèle au communisme, convaincu que les dirigeants reconnaîtront son innocence, il adresse des lettres à Staline et aux dignitaires de la dictature, qui restent, bien sûr, sans réponses. Pour garder le contact avec les siens il entretient une correspondance assidue avec sa femme Varvara, envoie des dessins à sa fille (qui sont reproduit à la fin du livre). Dans le camp, il s'occupe de la bibliothèque, apprend des langues étrangères, fait des conférences pour ses co-détenus. Mais, dans les années 1937/38, c'est la " Grande Terreur " en URSS, et 3 ans après sont arrestation , il est exécuté sans raison, enterré dans une fosse commune dans les environs de Kem et Arkhangelsk, par des hommes qui seront eux-mêmes fusillés quelques années plus tard. C'est bouleversant. A travers le cas du " météorologue ", Olivier Rolin, passionné par l'histoire de la Russie, et de l'URSS, on se souvient de Bakou derniers jours et de Sibérie, revient sur les atrocités qui ont été perpétrées par le régime soviétique. D'une écriture très efficace, sans fioriture, il nous raconte l'enquête qu'il a menée en s'appuyant sur les travaux des membres russes du Mémorial qui luttent pour retrouver les traces de tous les disparus de cette période.
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