Livre reçu grâce à l'opération Masse Critique.
C'est à Cadix que tout commence et tout finit. du moins pour l'épisode historique que se propose de retracer
Antoine Roquette, de 1812 à 1823, même si l'auteur, il faut bien le dire, s'autorise des digressions chronologiques heureuses qui permettent d'apporter un éclairage intéressant sur ces années de trouble.
A partir de 1808, en effet, l'Espagne est plongée dans une guerre atroce contre l'envahisseur français : Napoléon a placé son frère, Joseph, sur le trône d'Espagne et retient prisonnier à Valençay le roi légitime, Ferdinand VII. Par une constitution qui fera date en Espagne et en Europe (elle est reprise notamment à Naples et dans le Piémont), établie en 1812 à Cadix, les Cortès espagnoles bâtissent un régime constitutionnel (avec une chambre législative) qui rompt avec l'absolutisme auquel était habituée la branche espagnole des Bourbons. Ferdinand VII parvient à rétablir, cependant, l'absolutisme avant qu'en 1820, une nouvelle révolution ne consacre le pouvoir des Cortès. C'est le début du Triennat libéral qui se termine par l'intervention française de 1823. C'est par la prise du fort du Trocadero, à Cadix, que se termine cette guerre nouvelle et que Ferdinand VII peut revenir, alors, à son régime idéal.
Parmi la galerie de personnages qui agitent les pages et la période, quelques uns méritent une attention particulière. Ainsi Ferdinand VII, personnage odieux et double, conscient de la fragilité de sa situation entre 1812 et 1823, est bien heureux de l'intervention française. Son dilettantisme menace à plusieurs reprises de faire choir le fragile édifice politique espagnol. Il en va de même pour Gabriel-Julien Ouvrard, financier français aux moyens considérables et qui tenta de faire triompher ses vues politiques (par exemple : en acceptant de soutenir la Régence d'Urgell, repaire d'ultras royalistes, en contrepartie de la reconnaissance de celle-ci par la France) et qui finança l'expédition d'Espagne, palliant ainsi au manque de préparation - du moins financière - de la guerre. Troisième personnage, parmi d'autres illustres et intéressants, le duc d'Angoulême, neveu de
Louis XVIII et cousin de Ferdinand VII, érigé en chef de guerre redoutable. Homme simple malgré sa condition, il comprend vite que l'amnistie réclamée pour les constitutionnels - c'est-à-dire des libéraux - et accordée après le bombardement de Cadix, ne sera jamais appliquée et que l'Espagne continuera de s'enfoncer dans la crise.
Antoine Roquette ne dresse pas seulement le portrait de l'Espagne. Il trace en réalité les deux trajectoires de la France et de l'Espagne. La France, ruinée par les guerres napoléoniennes et discréditée diplomatiquement après le congrès de Vienne en 1815, parvient à se redresser économiquement et l'opération militaire qu'elle conduit en Espagne, reconnue salutaire par le concert des nations d'Europe (y compris l'Angleterre), lui redonne une place à la hauteur de son ambition. L'Espagne, elle, s'enfonce lentement dans la gabegie. Il est intéressant de noter qu'à 15 ans d'intervalle (1808-1823), les deux interventions françaises dans la péninsule ibérique sont perçues de façon radicalement différente par les Espagnols, rendant compte que la communication politique du ministère Villèle fut, là aussi, un succès.
L'étude que propose
Antoine Roquette est, comme l'annonce le sous-titre, "De Cadix au Trocadero", chronologique. Elle est également très factuelle et donne une vision complète des événements qui s'enchaînent. Peut-être le récit manque-t-il, parfois, de hauteur de vue, ce qui permettrait à qui n'est pas familier du contexte chronologique, géographique, social et économique, de mieux appréhender les événements. C'est, à tout le moins, une étude intéressante puisqu'elle porte sur l'un de nos voisins dont l'histoire contemporaine, agitée, n'a retrouvé son calme qu'à l'extrême fin du siècle dernier. Nul doute que les événements décrits par
Antoine Roquette sont la matrice des difficiles 19ème et 20ème siècles.