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J'ai terriblement apprécié la lecture de Comédie d'Automne . La forme est tellement délicieuse que le fond est presque accessoire . Même sil la façon d'attendre la remise du prix Goncourt comme un suspense( alors que l'on connaît la réponse ) nous tient et nous intéresse . Tous les portraits , Albert , Bernard Rapp , la maman sont d'une justesse formidable .
Bref , un bon livre comme je n'en ne lis pas si souvent !
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Je croyais que ce livre irait du début à la fin, serait un récit linéaire de comment l'auteur avait eu le Goncourt, et de comment il s'en était remis. Quelle erreur.
Rouaud papillonne, évoque ses doutes, ses essais, ses premières rencontres avec son éditeur, ses années de kiosquier, puis revient à la genèse de son livre, puis s'attarde sur la réaction de sa mère, puis s'interroge sur sa place, puis nous raconte le néophyte qu'il a été au moment de la "comédie" du Goncourt puis son expérience des émissions littéraires, ses rencontres avec Doisneau...
À mon sens, le fil rouge de son récit n'est ni l'écrivain débutant qu'il fût jadis ni son éditeur ni le fameux prix, mais plutôt Albert, cet étrange aristocrate de gauche avec qui il entretint sept années durant une relation faite d'une distance respectueuse et d'un mutuel étonnement tant leurs mondes d'origine différaient. Leur dernière rencontre est sans doute tout autant symbolique du rapport que l'auteur entretient désormais avec le monde de l'édition actuel.
J'appréhendais l'amertume de qui a trop rêvé, mais le tout est décrit avec beaucoup d'humour et de détachement, une grande sincérité. On y retrouve surtout un homme profondément et définitivement amoureux des mots et de la littérature. Presque, il me donnait envie de lire Chateaubriand !
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Choisi mi- novembre 2023 / Périple 2 - Boulogne Billancourt

Lecture fort agréable achevée, il y a déjà
deux mois !... .Je retrouve mes notes mises de côté ...en attente ! le temps manque cruellement , et je me hâte de les retranscrire avant de les oublier ou les égarer !!

Ayant lu avec enthousiasme son récit personnel " Kiosque ", j'avais choisi spontanément son dernier opus, celui-ci étant la prolongation du précédent....
En sus de son métier de " kiosquier" sur lequel il revient, il s'attarde au début sur un de ses fidèles clients , aristocrate désargenté, érudit , bibliophile dicret, et stendhalien passionné et dernière qualité et pas des moindres, il fut le tout premier lecteur....de " notre kiosquier national" !
Un personnage attachant , complètement atypique, lecteur très assidu, pleinement habité par la Littérature, en qui, notre écrivain a la plus grande confiance , pour son amour de la culture tous
azimuts !

Parmi la galerie de personnages croisés, il y a les clients du " kiosque ", la mère de l'auteur, des plus réservées quant à la renommée littéraire de son fiston, ses rencontres avec Doisneau, photographe pour lequel il a la plus grande sympathie...les anecdotes sur les coulisses du monde de l'édition, la course aux prix littéraires, l'accueil divers de ses textes;parmi ceux-ci, il nous parle légitimement plus abondamment des " Champs d'honneur" , roman qui lui vaudra le prix Goncourt, en 1990, et changera sa vie...

J'allais omettre "Le Personnage "...qui l'accompagne et qu'il connait mieux que lui-même : Son Cher Chateaubriand !..

Récit plaisant qui nous offre le parcours d'un apprenti- écrivain gravissant toutes les marches pour parvenir à la consécration de son art !

Toutes les étapes et les efforts d'un homme qui ne pense qu'à une chose : Écrire et trouver un éditeur ....

Le titre donne aussi l'autre face de ce récit: une ironie certaine sur ce monde parisien de l'édition!!
le ton : " Comédie d'automne "...allusion assez évidente à la période des " Prix littéraires " , de la petite cuisine entre les éditeurs et les différents jurys!

"Pénible, la vente des journaux pouvait l'être, principalement les longs mois d'hiver où je désespérais de la venue des beaux jours.(...)

Quant au faible prestige de la profession, inutile de m'enfoncer davantage, j'étais parfaitement au courant.

"(...)Mais ça m'était égal à présent que mon manuscrit était accepté par l'éditeur. Je pouvais bien vendre des journaux à vie.J'avais désormais le seul passeport qui m'intéressait à présenter à mes semblables.On ,et quelqu'un dont le jugement valait de l'or, m'avait reconnu écrivain. Je figurais dans le même catalogue que Beckett et les auteurs du Nouveau Roman (...)"

Parmi les nombreux portraits, le plus fourni concerne de façon fort compréhensible,son tout premier éditeur, Jérôme Lindon, grand patron des éditions de Minuit.Portrait des plus contrastés, ombres et lumières mêlées suggérant fort bien la complexité de cette très importante figure de l'Édition française...La reconnaissance de Jean Rouaud subsiste bien envers lui, tout en ayant aussi un regard critique et lucide sur les contradictions et " idées bien arrêtées" de
"son découvreur"...

J'achève ce billet par un très extrait parlant fort bien de l'Écriture et de ses tourments :

"Mais la vérité, c'est que dans le choix binaire qu'offre la naissance, je partageais avec notre mère d'être un solitaire.L'esprit de camaraderie, vital pour l'enfant unique qu'était notre père, m'était étranger. Un avantage, parfois.Cette posture qui consiste à se débrouiller seul, sans jamais rien demander, convient parfaitement à l'écriture. L'écriture se condamne d'elle-même si elle appelle à l'aide.Le surgissement de phrases inédites sur un terreau de solitude, c'est sa récompense et son châtiment, sa vanité et sa prétention, son humilité et sa grandeur (..)"





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L'auteur a obtenu le Prix Goncourt en 1990 pour "les champs d'honneur". Je l'ai lu en son temps, comme tout le monde à l'époque et aimé.

Je n'avais pas eu l'occasion de le relire avant "Kiosque" (merci Keisha) qui m'avait plu également ; l'auteur y racontait les années passées comme vendeur de journaux dans le 15e arrondissement de Paris.

"Comédie d'automne" est présenté comme une sorte de suite. Nous retrouvons en effet la narration fragmentée, les digressions, les époques mélangées, les états d'âme du kiosquier.

Mais c'est surtout l'histoire de ce prix Goncourt inattendu, il n'était même pas dans les premières sélections. L'auteur raconte avec une certaine ironie sa rencontre avec le prestigieux patron des Editions de Minuit, sa décision de sortir "les champs d'honneur" dont il ne devrait pas vendre plus de 300 exemplaires.

Sans connaissance du milieu médiatico-littéraire, le jeune auteur mettra des années à comprendre ce qui s'est passé à ce moment-là et les raisons, peu glorieuses, qui l'on amené à avoir le Goncourt.

La description de ses premiers pas dans ce monde littéraire est savoureuse, notamment la circonspection des medias devant cet inconnu qui va brusquement troubler le jeu. Un marchand de journaux ! autant dire un plouc.

Nous passons des réactions de la famille de l'auteur à celle des habitués du kiosque qui commentent les évènements au fur et à mesure, des medias qui commencent à rôder dans le coin.

L'auteur, tranquille, reste relativement serein. Si son livre ne marche pas, et bien il reviendra vendre des journaux. Si personne n'est nommé, c'est assez facile de reconnaître les protagonistes du prix de cette année là et de saisir les manoeuvres destinées à éliminer le favori.

Certains passages m'ont touchée, comme par exemple les premiers contacts de l'auteur avec le regretté Bernard Rapp et son élégance naturelle.

Si j'ai aimé retrouver la vie autour du kiosque, avec notamment Albert, et le chemin d'écriture de l'auteur, j'ai fini par me lasser de cette comédie dans le petit monde germanopratin des prix. Ce n'est pas reluisant et je ne suis pas sûre que ce soit vraiment mieux aujourd'hui.

C'est le 6e et dernier opus du cycle poétique de l'auteur.
Lien : http://legoutdeslivres.haute..
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Le cycle se termine pour l'écrivain avec le prix Goncourt. de l'apprenti écrivain à la consécration, s'écoule nombre d'années avec les interrogations, les doutes permanents sur la légitimité, le talent et le destin possible de celui qui écrit. Dans chacun des ouvrages de Jean Rouaud, l'on retrouve la multiplicité de situations, à chacune d'entre elles se rattachent des ressentis décrits, décryptés avec moult détails, d'une grande finesse. L'apparente placidité de l'homme enregistre le moindre pli d'une robe, l'anfractuosité d'un mur disjoint, le geste anodin dans la construction d'un meuble. Dans le ressort qui meut la volonté d'un homme, il trouve enfoui un traumatisme ou une éducation d'un autre temps. La modestie, ou plus exactement l'humilité sous-tend l'entièreté de la démarche intellectuelle. L'humour distancié, moquerie légère envers un prochain ou réflexion acerbe sur la médiocrité de notre temps le protègent d'une duperie dont nous sommes très souvent les victimes consentantes.
Il fait ce qu'il peut semble-t-il dire à chaque page, s'excuse d'être là, puis se ravise, par curiosité plus que par intérêt, et respecte, suit le mouvement, s'étonne tout en ne laissant pas sa part au chat.
Il doute encore à la fin, mais oui, ce n'est pas l'autre, le bouffi de vanité qui aura le prix, dont il tait le nom, par élégance. Les acteurs de cette pantomime sont absents, rappelés dans un monde meilleur, soulignant au passage, 33 ans plus tard, que la mémoire est sélective et ne laisse que peu de place à la raie nature des êtres.
Un plaisir de lecture assurément.
Un autre titre de Jean Rouaud en lecture, "L'invention de l'auteur", sur la genèse enfouie, archéologie d'une vocation et d'un travail d'écriture, dont il faut reprendre la lecture tant sont riches les digressions venant se greffer sur le corpus d'un texte déjà brillant et fort précis.
Même constat pour le livre d'aujourd'hui, en plus léger.
Merci
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Dans ce texte où Jean Rouaud relate essentiellement les moments qui ont précédé et suivi sa remise du prix Goncourt pour son roman "les champs d'honneur" il évoque aussi par petites touches l'histoire de sa famille et fait le portrait tout en nuances d'un ami ambigu qu'il a vu pendant des années alors qu'il était vendeur de journaux en kiosque. C'est le premier livre de Jean Rouaud que je lis, cela m'a donné de lire les champs d'honneur pour jouir de nouveau de son style très soyeux et raffiné sans exclure parfois une touche d'humour.
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En dehors du plaisir de retrouver un de mes chouchous (j'assume mes goûts), ajoutons celui de découvrir le récit de la parution des Champs d'honneur, suivie après quelques péripéties de l'attribution du Goncourt 1990. Comédie d'automne, la bien nommée, et je n'allais pas rater l'actualité concomitante.

C'est avec Kiosque (2019) que j'ai découvert l'auteur (ensuite j'ai englouti quasiment tout comme on le ferait d'un pot de caramel beurre salé), et dans ce nouvel opus l'on retrouve notre homme kiosquier dans le 19ème arrondissement, son manuscrit accouché à la Flaubert remis aux bons soins des éditions de Minuit.

Quelques portraits traversent le livre, un certain Albert acheteur du Monde, bien sûr l'éditeur de Minuit et ses conseils parfois étonnants, et qui n'avait pas poussé Rouaud en premier à cette rentrée là, et puis Doisneau, avec lequel un Rouaud pétri d'admiration semble avoir développé une belle amitié.

Sans oublier quelques rappels incontournables sur sa famille, on ne se refait pas.

Donc les Champs d'honneur paraissent, les lecteurs, beaucoup de lecteurs aiment, les journalistes s'y intéressent, les voilà en mission dans ce 19ème arrondissement pour rencontrer ce vendeur de journaux (il sait rendre la monnaie, bien sûr, mais sait-il lire? et puis cette histoire d'humbles ploucs, franchement!).

Pour des raisons de cuisine interne dans le comité Goncourt, le roman est ajouté tardivement à la liste des sélectionnés, alors que jusqu'ici l'auteur se contentait du bonheur d'avoir été édité (et lu, quand même), ça bouillonne, le Favori est écarté et ta-dam, le Goncourt 1990 est attribué à. Les médias se bougent.

La plume ironique de l'auteur fait merveille pour narrer tous ces épisodes et bien évidemment on se demande si la comédie d'automne ne revient pas fréquemment?
Lien : https://enlisantenvoyageant...
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Le lundi 19 novembre 1990 l'Académie Goncourt attribuait son prix annuel à un auteur inconnu, pour un roman au titre qui intriguait, « Les Champs d'honneur. » le nouveau venu s'appelait Jean Rouaud. de lui on savait seulement qu'il tenait un kiosque à journaux dans le 19ème arrondissement de Paris
Mais l'histoire avait commencé un peu plus tôt, même si le néophyte de trente-sept ans n'était apparu que sur la liste ultime des sélectionnés, la fameuse « short liste. » Sa « Comédie d'automne » nous propose aujourd'hui un passionnant retour sur ces semaines qui virent le plus prestigieux jury littéraire de France opérer une spectaculaire volte-face. Elle nous offre accessoirement un édifiant aperçu de la cuisine éditoriale. Et surtout nous ouvre la porte de l'atelier dans lequel fut élaboré ce livre qui revenait de si singulière façon, y compris par le rire jaune, sur la Grande guerre, ses massacres et le cheminement au fil du temps de ses ondes dévastatrices. Ce vingt-deuxième livre de Jean Rouaud vient en effet clore le cycle en six volume de « La Vie poétique », entamé en 2011 avec « Comment gagner sa vie honnêtement. » L'écrivain y restitue non sans ironie son parcours dans cette seconde moitié du XXème siècle, qui vit les territoires traditionnels de la littérature se rapetisser au profit des sciences humaines, et l'auteur être déclaré mort au bénéfice du texte et de sa productivité interne, « le structuralisme ayant fait tomber un couperet entre l'auteur et son oeuvre. » Lui-même en passa par là, dans de premières tentatives d'écriture qui devaient grandement à cet air du temps. Alors qu'il avait sous les yeux une matière aux potentialités autrement conséquentes : un demi-siècle d'histoire d'une famille de la Loire inférieure, nommée plus tard Loire atlantique, déjà le politiquement correct, qui dans sa banalité contenait toutes les autres histoires. Il s'agissait de sa propre famille de petits commerçants dans le bourg de Campbon.
En épigraphe à « Comédie d'automne » Jean Rouaud a placé une citation De Chateaubriand, l'une de ses grandes références : « A la joie que j'ai toujours éprouvée en sortant d'un château, il est évident que je n'étais pas fait pour y entrer. » D'emblée la tonalité du livre et sa portée sont données. L'inconnu de l'automne 1990 entré par surprise dans le monde littéraire n'en fera jamais vraiment partie, du moins dans ses complicités et connivences, ses réflexes de caste et la morgue qu'il ne dédaigne pas d'afficher. Pour le microcosme et ses porte-paroles il fut longtemps cette figure exotique de kiosquier évoquant la vie de sa province avec des accents passéistes. N'alla-t-on pas chez certains jusqu'à soupçonner là-derrière des relents d'idéologie pétainiste ? de cela on ne peut certainement pas accuser celui que Jean Rouaud désigne comme « l'Editeur », Jérôme Lindon, dont il dresse un portrait en même temps respectueux et lucide. N'oubliant évidemment pas que, pour les directeur des éditions de Minuit, en cette rentrée de septembre 1990, « Les Champs d'honneur », dont il avait dans les années précédentes imposé une totale réécriture à Jean Rouaud (une « somme de montages, de charcutages », sans compter le narrateur à la première personne du pluriel), ne représentaient qu'un « second choix » dans la pourtant maigre production automnale de sa maison. Il avait annoncé à son nouvel auteur tabler sur quelques petites centaines de ventes. Soit tout de même autant que Claude Simon avant son prix Nobel. Bref, chez Minuit on postulait à une seule distinction, celle de la rareté et de l'excellence. La maison n'avait évidemment pas jugé utile de faire parvenir au Goncourt (« la plus formidable rotative inventée par le monde de l'édition »), ce livre un peu compliqué d'un débutant : Jérôme Lindon lui-même n'avait-il pas peiné à reconstituer l'arbre généalogique de ces provinciaux, dont les éléments se trouvaient disséminés un peu partout dans le livre ?
C'était ignorer un mouvement qui avait pris naissance au début du mois de juillet, lorsque Claude Prévost, le titulaire du feuilleton littéraire de « L'Humanité », avait signalé à André Stil, ancien du quotidien communiste, écrivain et lui-même juré Goncourt, la formidable nouveauté d'éclairage et l'originalité d'écriture de ces 156 pages. Une appréciation confirmée par un libraire de Perpignan ami de l'un et de l'autre. Quand plus tard il était devenu clair que Philippe Labro, le grandissime favori publié chez Gallimard, en prenant partout la pose du lauréat futur renvoyait au jury une image désastreuse de son indépendance, Hervé Bazin, le président de l'Académie, s'était opportunément souvenu, pour sauver la face, du livre cité par André Stil quelques semaines auparavant. La mécanique était lancée. Jean Rouaud donne à lire le récit détaillé, d'une ironie souriante mais mordante, de ces journées qui, si elles n'ébranlèrent pas le monde, mirent sens dessus dessous le microcosme. Un régal de lecture.
Tandis que l'on s'agitait dans le salon Goncourt de Drouant, la vraie vie continuait rue de Flandres, certes un peu troublée par l'émergence subite du kiosquier sur le devant de la scène. du côté de la famille, et plus particulièrement de la mère, dont « Les champs d'honneur » racontaient le parcours digne et discret, l'accueil fut à la hauteur de cette posture de repli. La gloire littéraire ne comptait pas parmi les valeurs de celle-ci. le fils relate avec infiniment de tact cette retenue teintée de tendresse. En 1998, quelque temps après sa disparition (il m'était impossible d'écrire sous son regard »), il faisait paraître « Pour vos cadeaux », en manière d'hommage à celle « qui traversait trois livres sur ses petits talons, ne laissant dans son sillage qu'un parfum de dame en noir. » Aujourd'hui Jean Rouaud redit de superbe façon sa dette à « l'humble trésor » familial, dont il se fit en quelque sorte le pillard. Ce qui reste, une fois achevée la comédie d'automne.
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Avec sa Comédie d'automne, Jean Rouaud nous offre un vrai roman de la vraie vie. Au début on redoute le règlement de compte sur le mode du peuple contre les élites. Mais avec son art de la digression, l'auteur ne nous raconte pas une histoire, il nous en raconte mille, pulvérisant ainsi le risque de se focaliser sur une cible. En démontant l'horlogerie d'un pouvoir - celui de la littérature - et en mettant à nu les ressorts des puissants, il nous révèle ce que sont les pouvoirs et les puissants, c'est-à-dire finalement des petits humains comme nous, mais armés d'une capacité de nuisance. Il structure le roman en donnant vie à un personnage-clé qui, avec une présence rare, ouvre et clos le récit. Mais il en fait vivre beaucoup d'autres, des connus, anonymes ou non, des inconnus attachants saisis dans leurs lumières et dans leurs ombres, avec un sens de la nuance et un amour humain souvent bouleversant. Comme dans les Champs d'honneur, la mélancolie de l'auteur se pare d'un regard ironique sur tout ce que nous sommes, et sur lui-même. On rit beaucoup, mais toujours avec tendresse. On se laisse porter par une écriture que je trouve pour ma part somptueuse, qui vous met dans la gêne quand vous prenez la plume, comme je le fais à l'instant, un peu honteux d'oser vêtir la toge du juge pour prononcer une sentence sur la qualité d'un livre écrit par lui, la sentence fût-elle élogieuse ! J'ai quitté cette histoire avec regret ; elle m'a touché profond, et il m‘a fallu quelques heures pour reprendre le cours normal de mes pensées.
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Comédie d'automne est un récit qui s'inscrit dans la suite logique de son précédent ouvrage Kiosque, paru en 2019 chez Grasset, dans lequel il racontait sa vie, son métier de Kiosquier, au 101, rue de Flandre, à Paris, dans le 19e arrondissement. Cette fois encore, il revient sur sa vie d'avant, sur ses rencontres, ses relations avec les habitués mais il évoque surtout, comment il a fini par quitter son emploi pour entrer de plain-pied dans le monde de la littérature.

Comédie d'automne nous donne ainsi l'occasion de pénétrer dans les coulisses du milieu littéraire, de comprendre comment les grands éditeurs (Grasset, Seuil, Gallimard…) se sont (pour ainsi dire) partagés les prix entre eux durant tant d'années grâce à un jeu d'influences entre les membres de l'Académie Goncourt.

Et quant un auteur issu d'une petite maison d'éditions comme Minuit s'invite à la fête et, qui plus est, par le biais d'un illustre inconnu, il y a tout lieu de penser qu'il s'agit là d'une erreur. Car ni Jean Rouaud, ni, son éditeur Jérôme Lindon n'auraient imaginé recevoir une telle recompose pour un livre qui avait bénéficié, pour sa sortie, d'un premier tirage très modeste… Un Jérôme Lindon jamais cité dans le livre, tout comme la plupart des personnages publiques évoqués, hormis le regretté Bernard Rapp, qui a contribué à faire connaître Les champs d'honneur quand il a invité Jean Rouaud pour la première de son émission Caractères, qui avait la lourde tâche de remplacer Apostrophes de l'indéboulonnable Bernard Pivot.

Comme bon nombre d'écrivains débutants, Jean Rouaud n'avait pas d'autre ambition que celle d'être publié et de continuer sa petite vie de marchand de journaux, bien tranquille, lui le natif de la Loire-inférieure (comme aimait le préciser Lindon) et qui avait écrit avant tout pour rendre hommage à un père disparu et aux soldats tombés au champ d'honneur de la grande guerre. Et puis finalement, le hasard, la chance, et le talent ont fait le reste. Car, rappelons qu'en cette année 1990, le prix Goncourt était, parait-il, pour ainsi dire déjà acquis à Philippe Labro. Et une fois de plus, certains allaient dénoncer un prix qui récompensait toujours un auteur issu d'une maison bien représentée dans le jury du Goncourt… Sauf qu'Hervé Bazin, alors président du Jury en 1990, en a décidé autrement. Histoire de redorer le blason du Goncourt, il a décidé d'inviter dans la partie Les champs d'honneur. On connaît la suite…

C'est toujours un grand bonheur que de retrouver la prose de Jean Rouaud, de parcourir le récit de vie de cet homme modeste, racontant ses souvenirs, se replongeant dans la fin des années 80 et le tout début des années 90, au moment où débute la première guerre du Golfe, de l'écouter parler de ses liens d'amitié avec un client fidèle venant chaque après-midi acheter la première édition du Monde. Touchant aussi quand il parle de sa mère, de son rapport à ses origines, dressant, au fil des pages, un autoportrait sans complaisance duquel ressort une forme sincérité et de droiture évidente, lui qui a toujours voulu resté éloigné du petit monde germanopratin.

Comédie d'automne est aussi un livre rempli d'anecdotes charmantes, notamment celle qui concerne sa rencontre empreinte de timidité avec Robert Doisneau, le jour de la remise du prix Goncourt. Un Livre ponctué d'humour, d'intelligence et de subtilité, racontant le parcours d'un écrivain pour lequel aujourd'hui on évoquerait sans doute le terme de « transfuge de classe », et qui continue, 33 ans après son Goncourt, de nous régaler, de nous faire passer encore de très bons moments en compagnie de ses mots et de ses souvenirs.




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