Écrire un paysage
extrait 4
Écrire un paysage ça n’est pas le photographier
Pas le peindre non plus, ni même le décrire
Écrire un paysage on ne sait pas trop
Ce que cela veut dire. Le ruisseau de Cougoulet
Qui s’en allait par les prés
Frais sorti de sa source fontaine
Si je l’écris en disant ces mots ? S’il me les donne ?
Juste à côté les groseilliers de l’enclos à Gustave.
Le bleu du ciel jusqu’à toucher tant de vert.
S’il y a du vent ? Et le nœud de vipères
Que le père a mis un coup de fusil dedans.
Écrire un paysage c’est peut-être l’entendre
Et savoir qu’on l’a vu, ou même
Savoir qu’on le voit, pourtant
On ne voit que de l’encre
On n’entend que des mots.
Et quand tu regardes ton poème…
Et quand tu regardes ton poème
Tu vois autant que tu les entends
Plutôt la forme et le bruit des mots.
Leur sens et les images qui les accompagnent
Sont du silence et le plus grand flou, même
Si tu fais semblant de saisir et de comprendre.
Tu pourrais par exemple dire :
Ah, le beau paysage de mots !
Mais sans odeur, et pas de gestes qu’on pourrait faire
Dedans.
Écrire un paysage
extrait 1
Depuis l’enfance et jusqu’à demain
On peut se demander
Quel paysage on a traversé
On se demande : on entend
Des noms de pays, le Maroc et l’Italie
La Vendée, les États-Unis
Des noms d’arbres qu’on a rencontrés
L’eucalyptus et l’olivier, l’orme et l’érable.
Écrire s’imagine raconter, dire et donner à voir
Feuillages et couleurs d’où on est passé.
Mais ce ne sont que formes d’encre et, comme découpés
Quelques mots pris au dictionnaire.
On va par le concret d’un poème
S’échouer dans l’abstraction du passé.
Tu as beau dire et t’inquiéter…
Tu as beau dire et t’inquiéter
Il y a toujours, au bord de tes yeux,
Un paysage à regarder, tu l’aimes
Ou pas, tu lui donnes un poème
Ou crois qu’il t’en donne un ;
Tu ne peux pas dire qu’il n’y a rien :
La colline est trop belle dans son printemps, trop beaux
Les érables vers le dix octobre
Dans la campagne de la Nouvelle-Angleterre.
Tu montres l’énigme que tu ne comprends pas :
Peut-être, ou peut-être pas.
Écrire un paysage
extrait 3
Le paysage disparaît dès qu’on le figure :
Tu regardes quelques grands arbres peints
Des pans de montagne, des carrés d’orge ou de froment
Et tu dis seulement
Ah, c’est un Corot, un Cézanne, un Breughel.
Formes et couleurs sont devenues surtout
Des manière de peindre et d’arranger les motifs :
L’œil s’en va dans un rêve du Lorrain, s’oublie
Dans un jardin de Matisse ou de Bioulès.
James SACRÉ – Surpris par la Poésie (France Culture, 2003)
L’émission « Surpris par la Poésie », par Frank Smith, enregistrée dans la Petite Salle du Centre Georges Pompidou, diffusée le 23 mai 2003 sur France Culture. Invités : François Boddaert et Bruno Di Rosa.