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Jacques Borel (Préfacier, etc.)
EAN : 9782070301331
246 pages
Gallimard (27/09/1968)
4.17/5   60 notes
Résumé :
Publié la même année que Le Parti pris des choses de Francis Ponge, Terraqué travaille dans le même esprit, c’est-à-dire que Guillevic s’intéresse et interroge les choses les plus modestes. On se rapproche de la poésie " objective ", rêve de Rimbaud qui l’opposait à la " subjectivité ", à l’effusion des romantiques ou de Verlaine. C’est l’avènement de l’objet, déjà initié par les surréalistes belges, Nougé et Lecomte en poésie, Magritte en peinture,

"... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Parfois, il vaut mieux laisser parler les poètes eux-mêmes plutôt que d'essayer d'expliquer avec des mots maladroits pourquoi on les aime, pourquoi ils sont précieux, pourquoi on les porte au poignet comme des amulettes, pourquoi ils nous rendent si forts qu'on pourrait marcher sur la mer, pourquoi ils nous soufflent dans l'âme un grand vent breton tout salé, pourquoi ils restent plantés dans nos coeurs comme les vieux menhirs de Carnac dans la lande..
Ecoutons donc Guillevic, ce druide merveilleux:

"Ce que tu vois, ce que tu touches,
Ce qui t'arrive par l'oreille,
C'est le réel.

Ce que tu ne vois pas, mais que tu sens,
Cette angoisse du merle
Et tant de noces dans l'espace,
Ce que veulent les papillons,
Ce qu'éprouvait le menuisier,
C'est le réel.

Ce que tu ne vois pas et ne sens pas non plus,
Mais qui est confirmé par d'autres, plus savants,
L'infra-rouge, tous ces rayons qui percent l'air,
Les occultes géométries que l'on calcule,
L'univers de l'atome où la force prend forme,
C'est le réel.

Tout ce qui est réel
Mérite d'être vu.
Tout ce qui est réel
Mérite qu'on l'approche.

Tout ce qui est réel
Suit la ligne du beau."

Vous avez quelque chose à rajouter? Moi pas...
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La Feuille Volante n° 1392 – Septembre 2019.
terraqué - Guillevic - Gallimard.
C'est le premier recueil de poèmes qui a révélé Guillevic (1907-1997). Nous sommes en 1942 et parait, cette même année "Le Parti pris des choses " de Francis Ponge qui procède de la même inspiration. La poésie de Guillevic, qui ne signera toute sa vie littéraire que de son seul nom, comme un pseudonyme, s'intéresse aux choses les plus simples, les plus banales les plus quotidiennes. Ainsi parle-t-il de l'armoire, de la chaise, de la pomme, des rochers, de l'odeur de l'humus, de l'épaisseur des choses, mais des choses de pauvres comme il l'a été dans son enfance... Son titre évoque la terre et l'eau et renvoie à sa Bretagne natale où il est enraciné, où la mer et la lande s'unissent dans le souffle du vent, la bancheur de l'écume, la densité de la terre... Les mots qu'il emploie, la musique qu'on y entend évoquent cette communion. Dans l'art poétique de Guillevic, les mots simples font corps avec l'homme, lui sont indispensables, non seulement pour s'exprimer mais aussi pour exister un peu comme si grâce à eux il s'intégrait au monde, en combattait l'exclusion et, comme si, avec eux, il défiait la mort dans une sorte de voyage initiatique. Il est vraiment le poète à la fois secret et solitaire des paysages qu'il décrit, ce qui n'est pas sans constituer un contraste avec sa carrière au sein de l'administration fiscale. Cela peut paraître un paradoxe mais j'y vois personnellement l'avantage d'avoir été protégé des hasards de l'emploi en même temps que de vivre son écriture comme un refuge.
Jusque là, c'est à dire depuis les années 30, l'écriture était pour lui une activité solitaire qui lui faisait peut-être supporter cette vie qui était devant lui et qui ne l'avait, jusque là, pas beaucoup favorisé. Après cette attente, publier devient pour lui, comme pour tout auteur, un espoir de reconnaissance même si c'est la grande époque du surréalisme, et qu'il ne s'inscrit pas dans ce mouvement créatif. Il sera pourtant accepté par Eluard et critiqué par d'autres mais ne déviera pas de son parti pris poétique et, à partir de ce recueil, il sera reconnu comme un poète et marquera de son empreinte majeure le mouvement poétique du XX° siècle. Ce ne sont pas des poèmes classiques respectant les règles de la prosodie mais au contraire des pièces écrites comme au rythme de l'inspiration qui elle-même procède de la simple vision des choses, et des gens qui l'entourent.
Ce titre évoque aussi, phonétiquement, le mot "traqué" parce nous sommes sous l'Occupation et que sa compagne Colomba à qui sont dédiés quelques poèmes, doit fuir à cause de l'étoile jaune qu'elle porte.
J'aime les livres neufs ou anciens, les toucher, les effeuiller, les sentir. L'édition de ce recueil date de 1942 et c'est la date de publication du livre que je viens de lire. Je ne regrette pas ces temps de guerre que je n'ai, heureusement pas connus, mais à cette époque les brochures neuves n'étaient pas massicotées et pour les lire il fallait en couper les pages avec une lame. le support était plus brut que maintenant et au terme de cet exercice de découpage, chaque page laissait ainsi un peu d'elle-même sur la suivante, une sorte de barbe de papier, de cicatrice... Ce n'est pas grand chose, ça n'existe plus aujourd'hui, mais j'aime bien cette marque du temps!

©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com
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terraqué: composé de terre et d'eau, dit Le Robert. Bien des vers opposent les deux éléments (dès le second poème, Faits-divers: L'eau glaciale et noire/Entre les grands rocs, p 20) et deux poèmes s'intitulent Carnac, ville d'océan et de menhirs, où le poète est né. Mais cette veine est accessoire et il ne faut pas chercher l'inspiration vers les principes au sens des présocratiques, et encore moins dans une nostalgie régionaliste. C'est une enfance terrifiée qui affleure dans Choses et Créanciers : idées de mort (Mais mourir, /Ce peut être une grande fatigue /Un soir, /Et un aveu. p 48), de naissance traumatique (Mère aux larmes brûlantes, l'homme fut chassé de vous /De vos tendres ténèbres, /De votre chambre des muqueuses. p 52), de sacrifices sanglants (le pigeon p 87, le chat p 92), de culpabilité (Quelque part en toi /où nul oeil ne voit /tu rumines ta plaie /comme du verre pilé. p 101). Puis survient une délivrance dans le bonheur de la nature (Eté, p 116) et la joie du corps (Et la fête est venue /Plus tard et de très loin /Avec ton corps, p 118). le chemin initiatique et douloureux est derrière le poète dans Exécutoire, dédié à Paul Eluard, où l'on retrouve de nombreux titres déjà présents dans terraqué mais dans une tonalité toute différente. le premier poème, Elégie, rappelle Des plaies qui cicatrisent avec beaucoup de mal/ Dans la nuit la plus claire (p 143), puis l'expression devient détachée, non émotive (« objective » dit le préfacier Jacques Borel). La mort reste présente mais le poète est témoin des faits de guerre (Massacres, Des restes) et non plus fasciné par l'angoisse ou le désir de mort. En matière de prosodie, les vers ont un rythme court et bien marqué et l'on voit souvent affleurer des alexandrins.
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En 1942 et 1947, deux recueils fondamentaux de poésie combattante, d'émancipation de l'homme face aux choses mauvaises qui rôdent dans la matière, par la force pensée du langage de l'émotion brute.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2021/04/10/note-de-lecture-terraque-suivi-de-executoire-guillevic/

1942. Guillevic (qui n'aura volontairement jamais utilisé son prénom, Eugène, pour signer sa littérature) a trente-cinq ans. Employé comme rédacteur principal au ministère des Finances depuis 1935, il vient d'être nommé au contrôle économique… et d'adhérer clandestinement au parti communiste. Ami déjà de longue date de Jean Follain, et désormais de Paul Éluard, auteur d'une première plaquette de poèmes en 1938, il hésite longuement, compte tenu des circonstances guerrières, à publier le travail désormais prêt, longtemps sous le titre provisoire d'« Argile », avant que ne s'impose, nous raconte Amaury Nauroy, l'étrange et tout à fait authentique « terraqué », soucieux de véhiculer à l'oreille le traqué qui caractérise la Résistance à l'Occupation allemande, mais d'induire aussi en puissance le double ancrage terrien et aqueux duquel le poète est déjà (ou encore) fort soucieux.

Et c'est ainsi que le mot surgit, portant désormais aussi bien les paysages toujours fouillés, entre terre et mer, que signale par deux fois le titre de « Carnac » donné à un poème particulier (le recueil subtil dédié au pays d'origine, sans esprit de clocher, attendra 1961), que les contraintes déjà intériorisées d'un véritable état de siège, psychologique et humain. Mobilisant du chêne, de la faïence, des bouteilles vides, de la pierre, de la viande, du sang, des briques, de l'humus, des meubles, des couverts, de la tourbe, de la sueur ou du goëmon, Guillevic développe patiemment toute une matérialité (très éloignée pourtant de celle du « Parti pris des choses » de Francis Ponge, publié la même année), d'où jaillissent, explosent même, au moment idoine, les morts, les bruits, les hésitations, les pensées, les peurs, les sourires, les délivrances, les tortures, les visions, les réveils, les irritations, les vengeances, les remords, ou les poursuites, toutes les composantes imaginées et revues d'une humanité qui grouille et qui fouille.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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Guillevic est l'un des plus importants poètes bretons mais aussi français du XXème siècle. il est à l'égal de René Char ou de Francis Ponge. Les deux recueils terraqué (le plus célèbre) et Exécutoire parlent dans un langage dense et énergique des éléments, de la nature, de la Bretagne, des détails de la vie quotidienne mais aussi de la brutalité du monde et de la mort. Son plus célèbre poème, "Charnier" conclue Exécutoire : « Passez entre les fleurs et regardez : / Au bout du pré c'est le charnier. / Pas plus de cent mais bien en tas, / Ventre d'insecte un peu géant / Avec des pieds à travers tout... »
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critiques presse (1)
LeFigaro
27 février 2023
Bien que matérialiste, Guillevic est un poète du Vivant et du Sacré. Lire Terraqué, c'est (re)découvrir la beauté du réel lorsque les masques tombent pour laisser place à la brutalité des éléments, c'est accéder aux paysages bretons, appréhender la pesanteur d'un dolmen et des alignements de menhirs, ressentir les embruns iodés sur son visage, s'enflammer de la danse des vagues à la surface de l'océan.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Citations et extraits (54) Voir plus Ajouter une citation
LES ROCS

I

Ils ne le sauront pas les rocs,
Qu’on parle d’eux.

Et toujours ils n’auront pour tenir
Que grandeur.

Et que l’oubli de la marée,
Des soleils rouges.

II

Ils n’ont pas le besoin du rire
Ou de l’ivresse.

Ils ne font pas brûler
Du souffre dans le noir.

Car jamais
Ils n’ont craint la mort.

De la peur
Ils ont fait un hôte.

Et leur folie
Est clairvoyante.

III

Et puis la joie

De savoir la menace
Et de durer.

Pendant que sur les bords,
De la pierre les quitte

Que la vague et le vent grattaient
Pendant leur sieste.

IV

Ils n’ont pas porter leur face
Comme un supplice.

Ils n’ont pas à porter leur face
Où tout se lit.

V

La danse est en eux,
La flamme est en eux,
Quand bon leur semble.

Ce n’est pas un spectacle devant eux,
C’est en eux.

C’est la danse de leur intime
Et lucide folie.

C’est la flamme en eux
Du noyau de braise.
...
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FAIT-DIVERS


Fallait-il donc faire tant de bruit
Autour d'une chaise ?

— Elle n'est pas du crime.

C'est du vieux bois
Qui se repose,
Qui oublie l'arbre —
Et sa rancune
Est sans pouvoir.

Elle ne veut plus rien,
Elle ne doit plus rien,
Elle a son propre tourbillon,
Elle se suffit.

p.19
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LES ROCS

VI

Ils n’ont pas voulu être le temple
Où se complaire.

Mais la menace est toujours là
Dans le dehors.

Et la joie
Leur vient d’eux seuls,

Que la mer soit grise
Ou pourrie de bleue.

VII

Ils sentent le dehors,
Ils savent le dehors.

Peut-être parfois l’auront-ils béni
De les limiter :

La toute-puissance
N’est pas leur faible.

VIII

Parfois dans leur nuit
C’est un grondement
Qui longtemps résonne.

Et leur grain se noie
Dans un vaste effroi :

Ils ne savaient plus
Qu’ils avaient une voix.

IX

Il arrive qu’un bloc
Se détache et tombe,

Tombe à perdre haleine
Dans la mer liquide.

Ils n’étaient donc bien
Que des blocs de pierre,

Un lieu de la danse
Que la danse épuise

X

Mais le pire est toujours
D’être en dehors de soi
Quand la folie
N’est plus lucide.

D’être le souvenir d’un roc et l’étendue
Vers le dehors et vers le vague.
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Un autre temps parfois vient se donner en nous
Le volume ou le poids

Et nous voici pareils
A la pomme acceptant

De s'enfoncer dans l'air, chargée du bleu des jours
Et de la peur qui fait les nuits,

Ou pareils à la mare
Dessous les nénuphars et les nuages
Quand l'eau se pèse au poids de son heureux silence.

On ne possède rien, jamais,
Qu'un peu de temps.
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RITES

à Colomba.

Qu'il fasse clair
Ou qu'il fasse nuit
Sur les prairies,

Un jour il faudra
Prendre avec les mains
De l'eau d'un fossé.

Pour qu'en tombe une goutte
Au hasard du vent,
Sur un mur perdu
Entre bois et prés.

— Parce que c'est la pierre,
Parce que c'est l'eau,
Parce que c'est nous.

*

Mordre les glands
Par n'importe quel temps,
Même s'ils pourrissent.

Mettre le doigt contre l'écorce
Et puis la main.

Appliquer les deux joues
Sur la bête qu'on dépouille

Et s'asseoir près du calme
Effrayant des étangs.

*

Vivre c'est pour apprendre
A bien poser la tête
Sur un ventre de femme.

Et pour savoir tenir
Dans la paume entr'ouverte
Un galet qui traînait
Sur les sentiers du sol.

*

Il n'en fallut pas plus

Que toucher de la joue et contempler de près
La mousse au pied de l'arbre et quelques glands jaunis,
Pour se défaire du désespoir, des corridors,

Pour pardonner même aux pervenches
Leur beau miracle.

*

Manque d'autre fête et de répondant

Parmi toutes les choses
Qu'éclaire et que voit
Le soleil couchant,

C'est un geste encore qui sera tenté,
Qu'un bâton lancé les deux yeux fermés
Dans le pommier noir où sont les oiseaux
Venus pour chanter.

— Avec le désir
De pouvoir tenir et porter longtemps

Le corps doux de plumes
Où silence est fait

De l'oiseau léger qui n'a pas voulu
Venir de lui-même apporter la fête.

*

Les mêmes doigts de l'homme aux yeux marqués de perte
Serrent, bien plus longtemps qu'il n'en faut pour si peu,
Le cou miraculeux du pigeon qui venait
Pour manger près de là sur un mur qui s'écaille.

— Jusqu'à ne plus sentir
Que le dur des vertèbres

Et ne plus rien savoir
Que la tendresse.
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Vidéo de Eugène Guillevic
VICTOR POUCHET - LA GRANDE AVENTURE - 18 questions sur la vie et la poésie
« le fil c'est peut-être une histoire très simple : tragi-comédie en cinq actes et deux personnages. L'un régulièrement menace de partir. L'autre se contente d'écrire des poèmes, dans l'espoir absurde de l'en empêcher. » Dans le roman-poème La Grande aventure, Victor Pouchet déroule une histoire à la fois bouleversante et légère en vers : une rencontre, des micro-aventures qui prennent des proportions de l'univers, des angoisses cosmiques, chansons tristes et verres de vin. Cette conférence-performance est l'occasion de traverser le livre et l'aventure de son écriture à travers une série de questionnements poétiques (ou presque) qui concerneront entre autres choses l'hypnose, Georges Perros, les récits épiques, Eugène Guillevic, les imprimantes laser avec option wifi, le doute et les chips au vinaigre.
À lire – Victor Pouchet, La grande aventure, Grasset, 2021.
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