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EAN : 9791097594787
416 pages
Serge Safran éditeur (13/01/2023)
4.12/5   29 notes
Résumé :
Shiv travaille à Londres pour une firme de recyclage de déchets. Sa hiérarchie l’envoie à Bombay en Inde, son pays natal, pour une mission d’envergure.
Près du bidonville de Grandapur, Shiv retrouve le bungalow qui abrite sa mère adoptive Shantiji et sa famille. Ainsi que son meilleur ami, Lénine, homosexuel en lutte et frère de Laleh, son grand amour dont il a dû se séparer et qui le hante encore. Shiv découvre un pays sous tension et assiste à des affronte... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (19) Voir plus Ajouter une critique
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Pour ceux qui sont restés au pays, Shiv est un Indian-Brit. Son retour en Inde nécessite qu'il fasse ses preuves. Hors il débarque à Bombay avec pour mission de monter un projet de récupération d'énergie à partir des immenses déchetteries à ciel ouvert où survivent des millions de déracinés qui ont quitté la campagne contre leur gré pour s'entasser dans les bidonvilles.

Shiv est loin de s'attendre à ce qu'il va découvrir : la complexité de l'organisation mafieuse, la corruption, l'implication des politiciens dans le maintien d'une organisation extrêmement protégée et la difficulté d'ignorer ce contre-pouvoir.

C'est aussi un constat sans appel des conséquences délétères de nos modes de vie des décennies récentes, la pollution à la dioxine, et aux métaux lourds, à des taux qui dépassent l'entendement.

Le pays vit de plus sous la menace permanente d'actions terroristes en lien avec la haine farouche qui oppose les communautés hindoues et musulmanes.

Mais Shiv est un coeur pur, doublé d'un amoureux transi, malgré les obstacles quasi-infranchissables qui se dressent entre lui et la jeune femme qu'il a quitté il y a plusieurs années quand il a émigré en Angleterre. de révélations en coup de théâtre, mènera t-il à bien sa mission ?


Dans ce premier roman fort bien écrit, Marie Saglio nous révèle un aspect de ce contient peu traité dans la littérature, si bien ancré dans le contexte géopolitique contemporain. Une lecture instructive et nécessaire.

400 pages Serge Safran 13 janvier 2023
Lien : https://kittylamouette.blogs..
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De retour en Inde

Spécialiste de l'Inde, Marie Saglio passe au roman pour raconter Bombay en imaginant le retour au pays natal de Shiv expatrié à Londres depuis sept ans. Il est chargé du projet d'assainissement de la plus grande décharge de la ville et ne va tarder à saisir la complexité de sa tâche.

Après avoir passé sept ans à Londres et gravi les échelons dans une entreprise de la City, Shiv a l'opportunité de rentrer à Bombay. Raja Singh, son rival sur ce projet, ayant démissionné, on lui confie ce très gros contrat portant sur le traitement des déchets. Car Bombay est devenue «l'épicentre du problème des ordures». Au fil des ans, et avec le développement économique, la montagne de déchets de Gandapur est devenue gigantesque. «Avec vingt millions d'habitants, chacun produisant près d'un demi-kilo d'ordures par jour — un taux de génération largement supérieur au taux d'urbanisation —, le désastre est bien avancé.»
Une fois le constat dressé, il faut se coltiner à la réalité, c'est-à-dire aux milliers de personnes qui vivent de cette montagne. Autour des Banghi, «le nom de caste pour désigner les fouille-la-merde», il y des éboueurs, des extracteurs, des ferrailleurs, des recycleurs et des triqueurs, qui tous revendiquent un savoir-faire et un territoire. Alors Shiv marche sur des oeufs, il sait que «respecter la hiérarchie indienne, c'est ne supporter aucune confusion.»
Après avoir traversé une ville en constante mutation, de plus en plus peuplée et polluée, il arrive devant la montagne d'immondices et à la joie de retrouver Lénine, un camarade chargé du recensement. Avec lui, il va parcourir ce dédale et se faire expliquer la hiérarchie instaurée ici, des petites mains aux deux chefs mafieux qui régentent tous les trafics.
Il sait qu'il devra composer avec eux s'il veut réussir.
Mais pour l'heure, il doit s'attaquer à une autre montagne, l'administration. «Shiv ne compte pas sur la municipalité. La ville est embrouillée dans les tractations ancestrales entre ses lobbies, ses industriels, ses négociants, les Bhora, les Khoja, les Gujaratis, les Marwari, les Parsis, et leurs intermédiaires, agents, émissaires, les intérêts des uns, la filouterie des autres. En revanche il compte sur l'État, mieux, il espère de l'État une vision.» Après d'âpres tractations, il finit par obtenir le mandat et les fonds. Ce qui ne fait pas plaisir à tout le monde, en particulier aux intégristes religieux qui voient une menace dans ce chantier qui finit par démarrer. Secoué par un lynchage, Shiv est prêt à tout arrêter, d'autant qu'il comprend que Laleh, son amour de jeunesse, est devenue un rêve inaccessible.
Marie Saglio n'ignore rien de ce subtil système où tous se surveillent, où personne n'est responsable et où chacun cherche à profiter. Après avoir étudié et publié plusieurs ouvrages et études sur le sujet – notamment Intouchable Bombay – sous son nom complet, Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky, elle passe avec bonheur au roman. Ce qui lui permet de nous livrer cette ambitieuse épopée, lui permettant de nous offrir un panorama complet des maux qui gangrènent la société. Pris entre son envie de développer le pays et le poids des traditions, Shiv incarne parfaitement cette aspiration à réformer, mais aussi la montagne des obstacles à surmonter. Un travail colossal !


Lien : https://collectiondelivres.w..
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 Je crois à la vérité de cette histoire parce qu'elle est impossible à inventer.
Je crois à sa vérité qui est à la limite de l'invraisemblable et sans compromis avec l'acceptable. »
Erri de Luca

« Il n'y a pas de retour possible. Pas en Inde. En Inde le retour s'appelle renaissance. »

« Hari vit dans les poubelles. Ses yeux semblent être devenus fous à force de chercher, comme un gobe-mouche, sa pitance dans les ordures. »
S'il est un roman bénéfique, crucial, immensément révélateur, puissamment écrit, « Bombay » est celui-ci.
Écrit par Marie Saglio, anthropologue, spécialiste de l'Inde et de l'exclusion sociale, des bidonvilles d'Inde et du Brésil…. « Bombay » est une mise en abîme de l'Inde moderne .
C'est un outil de savoir où l'on pressent les protagonistes dans l'orée d'une contemporanéité époustouflante. Un roman entre rive documentaire, sociologique, finement politique. Une histoire engagée, sociétale, l'Inde dans tous ses diktats et ses habitus .
Nous suivons des yeux Shiv (l'un des deux Indiens du groupe) qui travaille à Londres dans une entreprise de recyclage des déchets : W.A.R.R.I.O.R (Waste Recycle Re-use Industrial Organisation). Il lui est proposé de travailler durant six mois sur Gandapur, la plus grande décharge de la ville. Un projet en partenariat avec Bombay. Lui, l'expatrié comment va-t-il vivre cette expérience, lui, Indien et pris en tenaille entre les enjeux de son entreprise et ce qu'on attend de lui ?
Construire une centrale capable d'alimenter en énergie une grande zone, celle du nord-est qui développe ses villes. Économie circulaire, quid de l'écologie.
Détruire des bidonvilles, raser à plat les invisibles qui gravitent sur les décharges. Vendre des détritus pour des miettes de pain. Shiv s'envole pour l'Inde. Dans ses bagages, la consigne implacable de faire évoluer les décharges. Changer la donne. On ressent un homme averti aux causes environnementales. Conscient des périls de son pays l'Inde ployée « dans cette vaste brocante qui s'étale le long de la voie ferrée, grand corps en remous traversé par la frénésie du marchandage, les objets disparaissent plus vite qu'ils n'arrivent. »
Shiv s'imprègne de sa terre natale. Il ressent de plein fouet les souffrances des basses castes.
« Tout en bas de l'échelle, il y a toujours le plus bas du plus bas, les chiffonniers, les hommes de la décharge. Ils traitent les déchets des déchets et ce qu'il en reste. »
Recycleurs, l'effervescence de la survie, fourmilière qui gravite dans les déchets. le dos courbé, les pieds blessés, Shiv observe, prend note, veut changer la donne. Les affrontements entre les hindous et les musulmans, la chasse à l'homme, les religiosités aux abois. Les couleurs qui se meurent dans le Gange. Les fléaux des pollutions, l'eau boueuse sur les lèvres des enfants
La trame perfectionniste rassemble l'épars. Nous sommes dans un récit géopolitique intense, visionnaire et implacable . « Le monde du bidonville est tenu par des contrats invisibles. Tu vois le recyclage, ça permet de blanchir pas mal de choses. Tu as aussi appris que rien n'arrête un père de famille. Que des hommes organisés peuvent empêcher un barrage. Qu'un village mobilisé est une mine de vie. Ton Gandapur est un grand village avec des familles. Il est tenace. »
W.A.R.R.I.O.R, le pot de fer contre le pot de terre. Qui croire ? Que révèle un mastodonte financier aux allures faussement philanthropiques ?
« Ou tout simplement des hommes, au jour le jour, dans le Carpe Diem de la survie. Et des marchés. »
Bombay rebaptisée Mumbai en 1992. Ville tarentule, où d'aucuns risquent de sombrer. Où l'espoir n'a d'enjeu que la survie. « Fais ce que tu as à faire sans peur. ». Shiv vit son pays. Pressent sa présence sur cette terre natale comme les battements mêmes de son coeur. Il devine ses combats, ses engagements, l'urgence des projets. Bâtir sa propre humanité dans une ville-monde, macrocosme fabuleux, fragile et salvateur.
Ce livre est une épopée extraordinaire et apprenante. Un voyage dans l'Inde réelle. Ce roman d'utilité publique, réaliste et intense est construit d'une main de maître, à l'instar d'une conférence à ciel ouvert. Une immersion dans l'Inde dont on ressent toute la ferveur, l'amplitude, les émois et les hôtes de ce pays empreints de ténacité. C'est une histoire plausible, fascinante et lumineuse. Un parchemin existentiel, la littérature imminente. Riche, surdoué, plaisant, « Bombay » est une chance éditoriale, le piédestal de cette rentrée littéraire de janvier. Publié par les majeures Éditions Serge Safran éditeur.

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Merci à Lecteurs.com et aux éditions Serge Safran de m'avoir permis la lecture de ce magnifique roman .Shiv vit à Londres et travaille pour une société qui recycle les déchets et doit faire une étude pour assainir une montagne de déchets en périphérie de Bombay où s'est implanté un bidonville vivant du recyclage des déchets sous le joug de truands notoires .C'est l'occasion pour lui de retrouver ses amis et peut-être son amour de jeunesse .Un magnifique roman où l'on retrouve cette Inde qui me fascinera encore longtemps .
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Il est à remarquer que M.Saglio titre son livre Bombay et non Mumbai ainsi appelée depuis 1996. Shiv, indien parti en Angleterre revient dans sa ville Bombay, alors qu'il est ingénieur et envoyé par son entreprise afin d'évaluer les travaux à effectuer pour éradiquer la plus grande décharge d'ordures du monde située là. Elle permet à des milliers d'Indiens de survivre en fouillant jour et nuit ces montagnes d'immondices.
Après une absence d'une dizaine d'années il a du mal à reconnaître sa ville où maintenant les gratte-ciel poussent partout où un carré de terre se libère, il va se confronter à la mafia,, à la corruption à tous les niveaux, à cette guerre civile qui mijote depuis si longtemps entre les « vigilants », hindouistes radicaux et les musulmans.
Et puis en fil rouge une histoire d'amour contrariée, les castes existent toujours.
Cette fourmilière humaine ne dort jamais, et l'auteur excelle dans le rendu de cette effervescence éreintante. J'ai vraiment apprécié ce roman sans prétention littéraire mais si vivant, je me suis retrouvée là bas il y a des années avec la même émotion.
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critiques presse (1)
LeMonde
14 février 2023
Bombay est porté de bout en bout par le désir impérieux de partager une connaissance à proprement parler sensible de la mégapole indienne, épicentre de la mondialisation.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (13) Voir plus Ajouter une citation
Un chantier est un chantier. Et en Inde c’est dix fois un chantier. Une fois obtenu le permis, signées les autorisations, multipliées les réunions, il faut attendre le matériel. Pas une livraison sans au minimum une dizaine de tampons. Jusqu'à quinze parfois. Il faut lutter toute la journée. Surtout, au pays de la récupération et du recyclage, il faut s'attendre à des imprévus, parfois à des détournements. Subtil système où tous se surveillent, personne n'est responsable et chacun cherche à profiter.
Étrangement, les résultats des analyses des échantillons du sol de la zone pilote ne sont toujours pas arrivés. Pourtant, Shiv s’est adressé aux filières les plus sûres. Il renvoie des prélèvements.
En attendant, il lance le chantier dans un grand jour de puja et d'offrandes. La zone abritera les bâtiments de tri et de recyclage, il faut procéder méthodiquement. Dès qu'il pourra, il entamera la construction de l’usine d’incinération. Les grues de chantier, gigantesques insectes à mandibules, leurs cabines de conduite triangulaires comme la tête d’une mouche, attendent, prêtes à s'animer. p. 268
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(Les premières pages du livre)
PROLOGUE
Il n'y a pas de retour possible. Pas en Inde. En Inde le retour s'appelle renaissance. Et pour renaître il faut d’abord mourir. Et Shiv n’est pas mort; Shiv ne veut pas mourir.
Devant lui, les immeubles de brique s’effacent dans fog londonien. Le crachin piquant attise sa morosité. Shiv a du mal à réfléchir. De sa fenêtre, son regard se perd sur les reflets de la chaussée huileuse. Ici la pluie est triste et froide, il ne l'aime pas. Il doit fermer les yeux et écouter les clapotis sir le zinc pour faire venir l’autre image, apaisante. Il se laisse envelopper par le souvenir de la pluie en Inde, celle qu'il attendait des mois durant, cette pluie chaude qui venait purifier et rassurer. Pendant toutes ses années d’expatriation, c’est la seule chose à laquelle Shiv n’a pu s’habituer. Il tente de se concentrer sur la proposition mais il n'y parvient pas.
L'Inde: voilà soudain qu'on lui parle d'y retourner pour une mission professionnelle. Shiv devrait se sentir enthousiaste. Or il est tout le contraire: circonspect. Pourtant cette mission est pour lui, cela ne fait aucun doute, C’est que, là où ses collègues de bureau voient de la logique, «cette mission est pour toi Shiv», il sent d’autres forces, qu’il peine à nommer. Quand sa hiérarchie a cherché le candidat pour travailler à l’assainissement de la grande décharge de Bombay, elle a pensé à lui: choix raisonné. Lui s’est senti désigné: prédestiné. Il a donc obtempéré, mais avec une indéfinissable crainte, comme on plie devant le sacré.
Il se demande ce qu’il va retrouver à Bombay. Lorsque l’appréhension monte, il se surprend à répéter les mots des sages: «Accomplis ce pour quoi tu es fait». Soit, il va jouer le jeu de sa propre bataille. Shiv sait bien pourquoi il est parti. Il est parti pour ne pas revenir. Toutes ces années à espérer celle qui ne viendra jamais, Laleh la ravissante, Laleh de ses désirs, Laleh l’interdite. Il est parti pour chercher autre chose. Mais que cherche-t-il au juste? Shiv était donc parti. Dans un autre monde, bicolore, rouge et noir. Loin de l’Inde et de toutes les couleurs de l'âme. Loin de l’Inde qui virait désormais au safran avec la montée des hindouistes. Loin de Laleh. Loin de leur ville à tous les deux, Bombay. Il lui fallait sortir de son histoire. Déchirer la page de Laleh.
Il revient pour une belle cause, se persuade-t-il: nettoyer le plus grand dépôt d’ordures de l’Inde,
Et eux, et les autres, en Inde, qui retrouveront-ils? Que penseront-ils? Pas ses parents, il n’en a plus vraiment, mais ceux de la grande famille indienne, la famille des ancrages et des loyautés? Vont-ils se demander qui revient lorsqu'ils le verront arriver? Oh ! non, l'Inde absorbe tout si facilement.
Elle sait si bien digérer l'incident et l'incorporer dans sa grande histoire de renaissances.
Ce temps à Londres lui a certainement fait du bien. Shiv a fière allure avec ses quelques années de plus. Bel homme, visage régulier traversé par les premières rides du sourire, le regard doux aussi chaud que la voix. Ni calvitie naissante, ni embonpoint — il fréquente la gym et multiplie les séances de squash avec ardeur, pour prévenir. La trentaine largement passée, c’est déjà un homme mûr, mais il a encore sa carrière devant lui et il la veut réussie, alors il «s’entretient» comme on dit ici, dans ce pays aux conventions faciles, un peu plaquées: culture de breloque. L'inverse de l’Inde, où les conventions ne sont pas des parures, elles sont des obligations, on les observe sinon la machine se dérègle et rien ne va plus.
Bombay, Londres. Villes des sirènes, villes des affaires, villes des bas-fonds. Plantées de pilastres géorgiens, grandies de brique et de fonte, manoirs néogothiques pour universités: Londres et Bombay ont les lubies britanniques en commun, et la puissance. Ports mondiaux, reliés intimement par la sève du commerce colonial, un héritage qui transparaît dans leur majesté d’empires déchus. Elles partagent le cri déchiré des mouettes comme des âmes perdues sur la mer. Shiv est transpercé, là-bas comme ici, chaque fois qu’il entend leur appel sauvage. Devant lui, les mouettes tournent dans le ciel gris.
Ces villes, tout les unit et tout les sépare.
Londres: la foule en ordre, travailleuse, ne fait que traverser la rue. Bombay: la foule en désordre s’y déploie, bruyante. Londres et ses folies contrôlées. Londres est originale et courtoise, griffée et décalée, vieillotte et moderne à la fois. Bombay aussi est victorienne. Son cœur aussi bat la nuit. Mais le jour, elle flambe, déborde, explose, toujours démesurée et incorrecte.
Reste la pluie, si différente. Et le temps. Londres est efficace et rapide. Bombay, elle, n’est excitée que de surface. Au fond sa folie est lente, historique. Ses conventions lourdes, installées. Peut-être est-ce cela que Shiv appréhende, il n'a pas envie de secouer la poussière du temps. Il a laissé derrière lui tant de choses. Et pourtant, cette mission est pour lui.
***
Station Notting Hill Gate: Shiv quitte la ligne jaune pour prendre l’orange vers la City. Il n'a même pas remarqué qu'il changeait tant son trajet est machinal. Rien à voir avec les trains de Bombay, une odyssée. À Londres, il a tout le loisir de regarder, de dévisager même, c’est un de ses passe-temps favoris. Regarder dans les yeux, sans craindre l’autorité du supérieur, promu demi-dieu en Inde.
Le métro est reparti. Devant lui une jeune femme, fine dans son joli tailleur, cheveux au carré qu'elle rejette en arrière par de petits coups de tête, vient de se casser un ongle en ouvrant son sac. Elle peste au téléphone, en français. À l'évidence, elle travaille comme lui à la City, il l'a déjà aperçue entre deux sandwichs chez Honest Burgers, il lui trouve une classe qui manque aux Anglaises. Il pense avec un peu de lassitude aux cheveux roux d’Alice et à son teint barbouillé: sa petite amie commence à l’ennuyer, il va falloir arrêter. « D'accord, mais en évitant les larmes et tout le pathos. Cerre fille est plus stylée qu’Alice. Les Françaises, le bon côté de cette ville... Enfin, les Frenchies et les Pakis, sinon Londres ne serait pas Londres. »
Un an plus tôt, l'élection du maire, Sadiq Khan, un Pakistanais d’extraction modeste, l’avait d’abord dérangé. Londres aux sikhs et aux Gujaratis d'accord, mais à un Paki... Shiv a toujours été surpris par le nombre de Pakistanais à Londres. Les Indiens ne pèsent pas lourd à côté: quelques migrations issues des anciennes colonies d'Afrique de l'Est, des îles. Il se sent loin de tout ça, lui qui est de la diaspora suréduquée, celle qui se vend cher sur les marchés internationaux. Décidément rien de commun avec ces musulmans illettrés, cette migration ouvrière qui a mal tourné, chômage explosif, femmes voilées à demi cloîtrées. Voilà Shiv pris dans ses contradictions, car finalement il n’est pas si mal ce maire qui prône respect et tolérance. L'intégration sociale, ce ne peut qu'être bon en ces temps d’islamophobie aiguë. Finalement Shiv admire ce Paki-Brit. Serait-il lui-même devenu un Indian-Brit? Probablement lorsqu'il mange son hamburger préféré. Mais, dans le fond, pas une seconde il ne se sent quelque chose en commun avec les Anglais.
Station Bank, il descend à Station Bank, il a presque failli rater l'arrêt.
Il se sermonne maintenant, tandis qu'il marche à travers les bureaux, démultipliés par milliers, monde sous verre du capital mondial. Il se souvient de la toute nouvelle City de Bombay, BKC (prononcez Bikéci), qui, quand il est parti sept ans plus tôt, avait à peine entamé son show, surgie d’un lambeau de terre en plein milieu de la mégapole. Nouvelle jungle, mais pas de bidonvilles celle-là, de béton. Il imagine ce qu'a dû devenir le centre indien de la finance internationale: probablement un décor de science-fiction.
Il se raisonne et se violente même: «Arrête de t'emballer. Tu t'y crois déjà. Pas sûr qu’il faille revenir à Bombay. Du sérieux! Réfléchis plutôt. La décharge de Gandapur, tu n'es jamais allé par-là, c’est un monde retors, un océan avec ses requins, rien à voir avec tes loups de la finance, ce n'est pas ton élément.»
Shiv est assailli de pensées, souvenirs, réminiscences, l'Inde s'invite à tous les coins de rue, clins d'œil enturbannés, enseignes shanti aum* et masala zone*. Il approche du bureau et de la réunion. C’est un jour important, le jour de la distribution des projets stratégiques. Il sait qu'il est dans la liste des finalistes pour le projet de Bombay. Mais rien n'est sûr. D'autant que son collègue de bureau, Raja Singh, avec quatre ans d'ancienneté de plus que lui et lui aussi Bombaïte, tiendrait sans doute mieux le poste. Mais Shiv partage avec lui un petit secret dont n'est pas encore informée sa hiérarchie. Et aujourd'hui sera décisif.
En marchant, Shiv a atteint la façade de béton blanc flanquée des imposantes lettres de carbone : WARRIOR Ltd. En petit italique, décrypte qui le veut: Waste Recycle & Re-use Industrial Organisation. Il a franchi le tourniquet, positionné sa carte aimantée devant l'ascenseur, ajusté sa cravate, et se laisse transporter au seizième étage, l'étage de la direction, avec ce léger haut-le-cœur dû à l'appareil qui monte trop vite, qui lui rappelle que sa destinée va se jouer à l'instant dans cette tour immaculée.
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La pierre noire suinte de petits torrents, comme les humeurs d'un corps minéral. Des myriades de cascades bondissantes dévalent les pentes .La végétation recouvre la roche de sa chevelure bouclée ,invasion touffue sur la pierre volcanique .L'anthracite des nuages fait ressortir l'émeraude de la forêt et le vert cru des cultures .En approchant des rizières, le vert se fait encore plus tendre ,et soudain , s'émaille de petites taches colorées ,femmes accroupies dans les champs pour le repiquage, sari relevé aux genoux .
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Ce n'est pas l'odeur de l'Inde , c'est celle de Bombay .Sensuelle et écœurante .De camphre et de vermine ,mixte comme des alliances indécentes entre un homme bien né et une fille des rues ,mélange des odeurs de cuisine et du lait des temples. Décidément, cette ville a toujours un pied dans la splendeur et l'autre dans la fange ,se dit-il.
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L'aurore nimbe le paysage .A nouveau la vision des deux villes heurte Shiv :d'un côté la caresse lumineuse de l'aube éveille patiemment les maisons et leurs hôtes repus .De l'autre les ombres immobiles qui jonchent la route , recroquevillées comme du bois mort : des spectres tenus éveillés par la faim .
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