L'histoire et les personnages…
Les réunions familiales peuvent parfois être un calvaire, mais quand vous avez la famille de Philippe, on peut carrément parler d'enfer. Quoiqu'un petit tour au purgatoire serait une sinécure à côté…
Il faut dire que notre protagoniste est gâté avec, entre autres, une cousine complètement exubérante, Abeline, qui a fait fortune dans l'industrie de la tourte. Sa dernière excentricité ? Léguer une partie de son immense fortune au gagnant d'un jeu cruel et pervers où tous les coups sont permis. Seule interdiction pour que le « jeu » ne tourne pas au pugilat : la violence. J'aurais envie d'ajouter la violence physique, car la violence psychologique est, quant à elle, bien de la partie.
C'est simple, on dirait que la méchanceté est enracinée profondément dans la famille de Philippe qui semble être le seul à ne pas avoir hérité de cette tare familiale. L'outsider, un trader qui est le stéréotype même du golden boy aux dents longues, n'est pas en reste non plus. Sa devise pouvant se résumer à « Money, what else ?! », il n'est pas vraiment étonnant qu'il se montre prêt à tout pour relever le défi.
Avec de tels personnages, le jeu ne pouvait donc que satisfaire l'appétit de la cousine pour le divertissement extrême et de mauvais goût. Ainsi, les phrases qui blessent, les mesquineries et les coups bas pleuvent, chacun abattant ses cartes et dévoilant, petit à petit, toute l'étendue de sa perfidie. On finit même par se demander jusqu'où des esprits aussi dérangés sont prêts à aller par appât du gain voire pour le simple plaisir malsain d'écraser les autres. Bref, il ne fait définitivement pas bon faire partie de cette famille.
Si les plans de certains participants donnent des résultats qui ne pourront que faire rire les lecteurs et leur faire reconnaître une certaine ingéniosité, d'autres ne pourront que les laisser sans voix par leur cruauté. Les lecteurs sont donc pris dans un ascenseur émotionnel entre amusement et écoeurement.
Je dois dire que je n'ai pas su déterminer ce qui a éveillé en moi le plus de dégoût : les participants ou la cousine qui s'amuse comme une folle faisant fi des dégâts provoqués dans la vie de chacun. J'avoue que cette mamie possède quelques traits de caractère amusants, mais sa tendance à rire aux dépens des autres ne m'a pas permis d'éprouver une once de sympathie pour elle. J'ai d'ailleurs trouvé Philippe, notre narrateur, bien indulgent avec cette dernière.
Mais cela n'est pas si étonnant au regard de ce protagoniste qui serait plus fadasse que badass. C'est un peu le portrait type du raté dont la vie n'a été qu'une succession de désillusions. Écrivain en recherche de lecteurs et d'argent pour maintenir le niveau de vie de sa charmante ex-femme et de ses dévoués rejetons, il aurait plus que besoin d'empocher le pactole. Malheureusement pour lui, il semble assez mal placé dans la course étant plus prompt à encaisser les coups et les moqueries qu'à fomenter les plus vils complots.
Si au début, il me faisait beaucoup de peine, il a fini par quelque peu m'agacer à se laisser marcher sur les pieds sans réagir. J'avais vraiment envie de le secouer en lui disant « Non, mais réagis ! Arrête de te faire marcher sur les pieds ! Et surtout arrête de faire tout ce qu'on te dit sans broncher ! ». Oui, beaucoup de points d'exclamation, mais ça vous montre à quel point ce personnage m'a fait réagir derrière mon écran. Et ça, c'est un excellent point. J'adore m'enthousiasmer pour un personnage, m'énerver contre lui ou le prendre en pitié… En d'autres mots, j'aime ressentir des émotions comme si j'avais non pas un héros d'une fiction quelconque devant les yeux, mais un être de chair et d'os comme ce fut le cas ici.
Malgré son apparente mollesse, Philippe n'en demeure pas moins le plus raisonnable de cette maison de fous et se révèle, par son auto-dérision et son humour, certainement le plus attachant de toute l'histoire. Et puis, vous verrez qu'il a finalement de la ressource notre perdant assumé. D'ailleurs, sa manière de raconter ses échecs et ses faiblesses de caractère est tellement amusante que nous ne pouvons que rire non pas de lui, mais avec lui. Et puis, méfiez-vous de l'eau qui dort, les plus machiavéliques n'étant pas forcément ceux qui aboient le plus fort.
Quant aux autres personnages, d'aucuns pourraient leur reprocher un côté très stéréotypé, mais j'avoue que ce point ne m'a pas dérangée puisqu'il contribue de manière assez naturelle au côté somme toute assez burlesque de l'histoire. Tout est exagéré et grandiloquent ce qui ne fait que rendre le comique de situation encore plus probant.
Un roman théâtral qui abord différents thèmes…
Le roman a un côté très théâtral que ce soit à travers ses personnages, les situations, la mise en scène ou la révélation finale que l'on peut même qualifier de coup de théâtre ! J'ai été ainsi complètement bluffée par la fin ce qui est plutôt rare. Tout au long du roman, j'avais formulé plusieurs hypothèses quant au twist final mentionné dans la quatrième de couverture, mais je peux vous dire que j'étais très loin d'avoir trouvé le fin mot de l'histoire. Une fois la dernière page tournée, on a envie de relire le roman avec, cette fois, toutes les cartes en main de manière à détecter différents indices qui auraient pu nous mettre sur la piste.
Au-delà de l'histoire et de cette course à l'héritage, j'ai aimé les différents points soulevés par l'auteur avec humour : les difficultés des écrivains et le monde de l'édition, la spéculation à outrance et ses conséquences pour les petits poissons, l'intégrisme religieux, la télé-réalité avec ses émissions de télé-crochet, la puissance du marketing…
J'ai également beaucoup ri du gagatisme de Zoé et de son amie devant leurs chats. Faisant partie d'une association oeuvrant pour la protection des chats errants, je n'ai pu m'empêcher de reconnaître certains comportements des bénévoles. On va dire que lorsque l'on commence à aimer et s'occuper de ces boules de poils ronronnantes, il devient difficile de ne pas leur être taillable et corvéable à merci. En parlant de chat, je tiens à dire officiellement à l'auteur qu'il m'a complètement et durablement traumatisée. Je n'en dis pas plus, vous découvrirez de quoi je parle en lisant le roman.
Quelques points qui ne m'ont pas convaincue…
La perfection n'étant pas de ce monde, et encore moins dans celui de Philippe (le narrateur, pas l'auteur), le roman n'est pas exempt de deux ou trois petits défauts, à commencer par quelques longueurs et digressions (oui, c'est un peu l'hôpital qui se moque de la charité). Les digressions ne me gênent pas en général d'autant qu'ici, elles créent une certaine connivence entre le lecteur et l'auteur. Cependant, je leur ai trouvé un côté trop factuel comme si l'on se retrouvait devant un manuel scolaire.
J'ai aussi regretté un certain déséquilibre entre la première partie du livre où l'auteur pose le décor et nous présente les personnages, et le reste du roman. Les cinquante premières pages m'ont semblé ainsi beaucoup plus drôles et rythmées même si cela reste évidemment fort subjectif.
Mais le point qui m'a véritablement gênée, ce sont les répétitions destinées à nous faire comprendre que nous allions être estomaqués par la cousine, les différents candidats et leurs coups bas. Cela fait, il est vrai, terriblement monter la pression, mais cela en devient surtout très lourd. Insister autant sur ce point m'a donné l'impression que l'auteur n'était pas certain d'avoir réussi à faire passer son message. Et puis, en induisant chez le lecteur des attentes aussi fortes, il prend le risque de créer une certaine déception comme ce fut le cas pour moi. J'avais fini par m'attendre à du grandiose et ai donc été déçue de n'en trouver que lors de la révélation finale.
J'aimerais néanmoins terminer ma chronique sur le gros point fort de ce livre : la plume de l'auteur. Elle est fluide et plaisante à lire, mais c'est surtout le sens de la formule de
Philippe Saimbert qui fait mouche ! On ressent parfaitement le plaisir qu'il prend à manier les mots et à jouer avec ceux-ci. Et, en tant que lectrice, c'est un point auquel je ne peux qu'être sensible.
Pour conclure,
11 serpents remplit à merveille l'ambition de son auteur, vous offrir un agréable moment de lecture durant lequel vous oublierez vos petits et grands soucis pour vous concentrer sur ceux de ce pauvre Philippe. le côté burlesque de ce huis clos devrait combler les personnes en quête d'un ouvrage facile à lire qui mêle humour, jeux de mots et sens de l'à-propos, personnages hauts en couleur, stratégie et révélation finale bluffante.
Enfin, si vous avez envie de rire, aux côtés d'Abeline, de la méchanceté humaine et de ce que l'homme est prêt à faire au nom de l'argent, ce roman devrait vous plaire. Si au contraire, vous êtes plutôt un humaniste convaincu, je ne suis pas certaine que l'humour « méchant » et diabolique du livre ne vous convienne.
« On peut rire de tout, mais pas avec n'importe qui »
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