J'ai rencontré Luc Doyelle sur SimplementPro et il m'a mis L'Ennui du mort-vivant sous les yeux (entre les mains ?) pour lecture et avis et je le remercie pour sa confiance…
Après quelques échanges sur les réseaux sociaux littéraires que nous fréquentons tous les deux, j'ai compris que j'avais affaire à un drôle d'écrivain ou à un étrange personnage (ou aux deux en même temps) et décidé de jouer le jeu, même si je ne suis pas très douée en calembours et calembredaines... Pour info, je n'ai pas vu tout de suite le jeu de mots contenu dans le titre !
Dès les premiers chapitres, points de vue entrecroisés, narration binaire dont une à la première personne plus une voix off en italique, je sais que, quelle que soit l'issue, je ne vais pas m'ennuyer… Même si je risque de perdre un peu le fil car d'une part, c'est ma première (et peut-être dernière ?) immersion dans l'univers de Luc Doyelle et je suis un peu novice et d'autre part, l'humour de von Lucius, les maximes du prophète, les vomissements du vizir, les jeux de mots, les multiples références contournées et détournées, les mots inventés rendent l'écriture à tel point foisonnante et éparpillée que je dois m'accrocher pour ne pas lâcher ma liseuse.
Des filiations littéraires évidentes sautent aux yeux, Frédéric Dard et San Antonio en tête, mais pas que… de toute évidence, Luc Doyelle est tombé dans une marmite palimpseste et a tout absorbé : stylistique, humour, fausse désinvolture qui font passer la noirceur et le côté glauque du polar.
Honnêtement, je reviens souvent en arrière pour me rappeler où j'avais laissé le précédent récit, toujours sur une chute abrupte : manifestement, ma curiosité m'a entrainée très, très loin de ma zone de confort, si tant est que j'en aie une...
Deux choix s'offrent à moi : lire à petites doses ou plonger dedans ? le chapitre quatre fait la jonction entre les deux univers du livre et je me laisse embarquer, comme un petit scarabée (j'ai un faible pour la voix off qui s'adresse au petit scarabée…), riant souvent tout haut ou in petto.
Le style d'écriture de Luc Doyelle est assez inclassable… Certaines trouvailles sémantiques m'ont vraiment plu, d'autres moins et il y en a surement quelques-unes qui m'ont échappé ; l'auteur fait preuve de fantaisie et de logique en même temps en arrangeant à sa sauce les formules consacrées, en maquillant des mots ou des expressions de manière à leur donner un sens nouveau, qui devient évident (ou pas) à la lecture. Luc Doyelle joue avec le langage, manipule l'écriture, donne une marque de fabrique indélébile à son récit ; même ses notes de bas de page sont revisitées. La version numérique de son livre (celle en ma possession) est parfois même interactive et renvoie à des pages Internet. C'est original, drôle, ludique… et fatigant (pas au sens de lassant, mais au sens d'épuisant : la lecture ici devient un véritable sport !).
Pourtant il y a ce regard lucide et critique sur les travers et contradictions de notre société d'il y a à peine quelques mois ou quelques années, lors des démêlés érotico-juridico-etc. de DSK ou du quinquennat de François Hollande, le « président normal ». Sous des dehors loufoques affleurent une satire, une mise en perspective intéressante qui dénotent un regard aiguisé et des opinions fondées et justifiées.
Je déplore cependant quelques longueurs dans le récit et certaines péripéties répétitives qui me paraissent superfétatoires (et je ne parle pas que des tués en série, noeud thématique annoncé du roman). J'ai poursuivi ma lecture pour savoir tout de même le fin mot de cette histoire et le dénouement m'a laissée sur ma faim.
En conclusion, un avis mitigé… L'univers de Luc Doyelle ne me correspond pas vraiment, mais je vous invite à y jeter un oeil curieux et sans préjugés.
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C’est un monde nouveau qui s’ouvre à toi, petit scarabée. Une terre où l’inconnu est à toutes les portes. Tu es valeureux, intrépide, véloce. Tu puniras les profanateurs de ta main juste et noble. Je suis derrière toi, je suis devant toi. Je te vois. Je t’accompagne.
[…]
Ils sont fourbes, petit scarabée ! Ils s’éparpillent, te sèment, te baladent, mais subiront la sentence divine quand l’heure sera venue. Une proie après l’autre ! Ne faiblis pas.
[…]
Frotte, petit scarabée, purifie ce corps putride, mais n’oublie pas ta quête. Tu as bien œuvré, et il reste tant de chemin à parcourir. Bientôt, tu connaitras le repos.
[…]
Je sens le doute s’instiller en toi, petit scarabée. Tu courbes l’échine sous le poids de ta tâche. Il reste tant à accomplir. Rappelle-toi : tous ceux qui se dresseront devant toi subiront ta justice. Relève la tête et termine ce que tu as initié.
[…]
Tu t’es assoupi, petit scarabée ? Tu as accompli un pas décisif, mais il reste tant à faire. Tu tiens la relique bien serrée contre toi. Tu es sage. Je te délivre maintenant de ce fardeau bien trop lourd pour tes épaules frêles. Ta mission n’est pas terminée pour autant. Prends des forces et termine ce que tu dois.
Mes pensées s’effilochent doucement, se cotonnent, sombrent et se fixent sur un petit bourdonnement aigu, léger, qui s’amplifie dans la chambre, se rapproche… Putain, il ne manquait plus que ça…
Un moustique en plein mois de février ! Le seul de tout le pays à avoir survécu à l’hiver, ou alors né trop tôt, et il est justement chez moi !
Mais pourquoi tant de haine ?
Les yeux fermés, je trace sa trajectoire mentalement, prêt à l’action au moment que je jugerai opportun. L’animal est fourbe et n’attaquera pas de front, il zigue, il zague, fait semblant d’hésiter, se place en vol stationnaire, repart, revient, s’approche. Son hurlement devient alors insoutenable. Il prend un malin plaisir maintenant à me vriller l’oreille droite.
Paf ! Ouille !
Ça m’a coûté une oreille, mais je vais pouvoir dormir tranquille. Je l’ai eu, ce salopard !
Mon esprit s’embrume à nouveau…
Ni une, ni deux, Jief redevient professionnel et envoie ses hommes dans toutes les directions, puis appelle le central pour réclamer des renforts. Objectif : boucler le quartier et interroger la population. À une heure aussi matinale, il ne faut pas espérer de miracle, mais sait-on jamais ? Un cadavre faisant de la trottinette sur un chariot médical ne devrait pas passer inaperçu, que diable !
Pour ma part, je considère que je n’ai plus rien à foutre sur la scène du crime. Je me promets juste une chose : la prochaine fois que je découvre le corps de Kryptonite (c’est à dire avant la fin de la journée, tel que c’est parti), je le découpe en tranches, le pulvérise, l’atomise, le consume, bref, il disparaitra pour de bon.
Tout autour de moi, un troupeau d’excités tente de réduire ma bagnole en compression césaristique. Les motards et scootards essaient d’arracher mes rétroviseurs d’un mouvement sec du coude, en toute discrétion. Les automobilistes, quant à eux, visent différents points de ma carrosserie. Fort heureusement, je suis détenteur d’un permis obtenu en plein centre-ville de Kinshasa, un vendredi soir à dix-huit heures, avec mention « survivor » délivrée par un ex-instructeur du huitième RPIMA. Pour parler simplement, je suis capable de piloter un trente-huit tonnes d’une seule main au milieu d’un champ de Panzers tirant à feu nourri, tout en pointant un lance-roquette par la vitre côté conducteur, sur un air de la Traviata à cent cinq décibels dans les enceintes. Autant dire, donc, que ces guerriers de pacotille périphériques me font doucement marrer, d’autant plus que ma Renault 10 a vu le jour sous Pompidou 1er, et que je n’ose même pas envisager une séparation, l’Argus m’ayant bien précisé que je devrais verser une fortune à l’acheteur dans ce cas précis.
Je sens le doute s’instiller en toi, petit scarabée. Tu courbes l’échine sous le poids de ta tâche. Il reste tant à accomplir.
Rappelle-toi : tous ceux qui se dresseront devant toi subiront ta justice.
Relève la tête et termine ce que tu as initié.
interview de Luc Doyelle par Valérie Bettencourt, au salon Facebouquins