Finir ou pas ?
OU
La vie est vraiment trop courte...
J.D.Salinger a du être la
Françoise Sagan des Etats-Unis ? Quand il écrit ce livre, en 1951, les adolescents sont censés être en apprentissage de l'âge adulte. C'est ainsi qu'ils seront, plus tard, les dignes émules de leurs nobles parents, se montrant à la hauteur des hautes espérances qui reposent sur leurs épaules chétives, frêles dépositaires de la civilisation occidentale pré-'68. Ainsi soit-il.
Salinger ou - mais oui, osons le dire ! - J.D. nous montre Holden, un adolescent de seize ans qui n'en a rien à fiche, de la civilisation occidentale et des responsabilités y afférentes. L'enfance et l'âge adulte semblent également éloignés. Alors il explore le domaine adulte, en buvant des cocktails, fumant des américaines, et essayant de se faire des petites amies. Même, si l'occasion se présente, en faisant de l'oeil aux femmes adultes. Je vous rassure, nous sommes en 1951, et la crainte de la censure ne permet pas de dépasser ce stade oculaire. L'intendance suit, car dans ce milieu très aisé de la Nouvelle Angleterre, la grand'mère, surtout, pourvoit royalement aux finances de l'héritier mâle. Quand l'exploration tourne court, il se réfugie dans l'enfance. Allers-retours incessants.
Vous comprendrez que tous ces voyages imaginaires ne laissent à notre ami que peu de loisir pour les choses académiques, même si Père souhaiterait qu'il se dirige, plus tard, vers Yale ou Princeton. En fait, il vient juste de se faire éconduire de son quatrième collège. C'est fâcheux. Alors, plutôt que d'attendre encore quatre jours que le trimestre finisse, il fait sa valise et, après avoir salué du majeur l' ensemble du dortoir, s'accorde quelques vacances à New York. de quoi se reposer avant d'aller affronter, à nouveau, les foudres maternelles...
J.D. alterne un style très châtié qui sonne éminemment faux, utilisé par l'adolescent pour s'adresser à ses enseignants et aux autres adultes, et le vernaculaire typé des dortoirs de collège. C'est précisément ce contraste entre le prétendu et le vécu qui indigne Holden. Sallinger a fait un excellent travail, dans le sens où il a bien rendu compte des incertitudes, des refus, des illusions et du courage un peu fou que l'on a à seize ans. Il le fait en nous immergeant dans les pensées de Holden, et ce pendant des dizaines de pages, longs épisodes entrecoupés de scènes cocasses.
Je crois que c'est un livre qui a eu quelque chose à dire en son temps. Il a sans doute été un des manifestes d'une génération. Mais, c'était il y a bien longtemps... qu'a t-il encore à dire aujourd'hui ?
Quand j'entre dans un roman, j'entre, sans m'en rendre compte, dans la peau d'un des personnages. C'est ainsi que je vis le texte à travers ses yeux. Comme vivre une pièce de théatre depuis la scène, sans être vu ni des acteurs ni des spectateurs. Une lecture empathique, donc. Ceci n'est possible que si l'univers romanesque et mon vécu ont des points communs. Et, bien sur, j'ai moi aussi eu seize ans. En début de lecture, pendant quelques minutes, j'ai ressenti à nouveau cette impression de désorientation, de solitude, de nausée. de chute libre. C'était extrêmement désagréable. L'impression a beaucoup diminué après, mais je n'ai quand même pas l'intention de passer 230 pages dans la tête d'un adolescent.
C'est pourquoi ceci est un des très rares livres que je n'ai pas terminé. J'ai tenu cent pages. Puis je me suis dit, comme le ferait Holden : la vie est vraiment trop courte pour se faire chier. Allons voir ailleurs.
Alors, quelle note donner ? Si je repositionne ce livre dans son contexte, c'est probablement un roman qui a constitué un témoignage important. Quatre étoiles. Si j'écoute mon sentiment : deux, et encore. Comment arbitrer ? Ce n'est pas parce quelque chose a rempli sa fonction, et maintenant n'en a plus, que cette chose n'a plus de valeur. Et ce n'est pas parce que je n'ai pas aimé avoir seize ans que ce livre est mauvais. Soyons honnêtes. Bon, 3 1/2.