Je me souviens avoir été très déçu du dernier ouvrage que j'avais lu à cause essentiellement du style si catastrophique que j'en avais oublié l'histoire (je n'ose rappeler le titre) …eh bien ce qui est rassurant c'est que le contraire est aussi vrai, non pas qu'une histoire peut rattraper le style, mais qu'on peut se laisser emporter par un roman juste pour son écriture…
et rien d'autre…
Justement, c'est le titre d'un des romans qui emballe cette rentrée littéraire…
Et Rien d'Autre, du très rare
James Salter, qui en est à son 6ème roman en quasiment autant de décennies d'écriture.
L'histoire en elle-même n'a rien d'extraordinaire, il s'agit de la vie d'un homme qui s'engage dans la marine pendant la guerre de Corée et qui de retour au bercail devient éditeur. Il évolue dans un milieu assez mondain, est respecté dans son travail, mais connait une vie sentimentale plutôt balbutiante (mariage, divorce, passions éphémères…). Et se retrouve finalement souvent seul. Il observe, cherche les voies vers le bonheur quitte à donner l'impression de subir un peu sa vie. D'où une impression de flottement.
La 1ère subtilité de l'auteur, bien qu'il aborde cette biographie de manière chronologique, est de ne pas proposer un récit continu mais plutôt des instants choisis, qui personnellement m'ont fait penser à des toiles de peintres naturalistes comme Hopper où l'on s'attarde sur des détails d'une toile pour au final en saisir l'ensemble tout en laissant place à notre propre interprétation.
Et bien que la narration soit donc elliptique, se dégage de ce roman une très grande fluidité rendue par une écriture à la fois riche, foisonnante à l'image des nombreuses figures de style et simple, « économique », précise…Il faut lire les scènes d'amour qui sont d'une absolue concision, décrites en quelques lignes mais qui dégagent une sensualité incroyable.
le propos de Salter à travers les épisodes de la vie de son personnage, de ses désenchantements est le temps qui passe, l'évanescence des choses, les faits sont moins importants que les impressions laissées, ce qu'on retient, soi, d'un évènement… Par exemple, pendant la guerre de Corée, ce n'est pas la bataille d'Okinawa qu'il racontera mais le naufrage du croiseur de Bowman mettant donc en exergue davantage la résistance japonaise que l'héroïsme américain parce que c'est ce qui a marqué le personnage. L'épisode du décès de la mère de Bowman, Béatrice, est aussi tout un symbole. Celui-ci est en effet lapidaire et parait secondaire face au long récit de la détérioration de la mémoire de Béatrice. On sent là la préoccupation 1ère de l'auteur, les souvenirs, les impressions et non les faits tels qu'ils sont.
D'ailleurs, ce n'est pas un hasard s'il ne fait pas de la vie de Bowman une vie extraordinaire, faites de péripéties mais plutôt de tentatives de bonheurs ou même carrément d'échecs.
Un roman d'une grande élégance et d'une parfaite maitrise qui témoigne d'un auteur arrivé à maturité en projetant dans son personnage des morceaux de sa propre vie.