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EAN : 9782807001947
436 pages
M.E.O Editions (31/03/2019)
5/5   7 notes
Résumé :
Dans leur modeste appartement parisien convoité par les promoteurs, Lena voit Aliocha se saouler chaque soir et compulser obsessionnellement ses documents familiaux. Ce naguère brillant informaticien, un des hommes les plus élégants de Sarajevo, est miné par son éternelle interrogation : son père, qu'il n a pas connu, a-t-il fait rouler les convois de la mort avant de disparaître en 1945 ? Réquisitionné? Complice de l'innommable?
À travers trois journaux int... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique
Les contrées des âmes errantes
C'est le titre irrésistible du dernier roman de Jasna Samic, publié aux éditions M.E.O en 2020 et que je vous avoue avoir dévoré. En fait, j'avais rencontré cette auteure il y a quelques années dans un salon du livre, alors qu'elle subissait les foudres des islamistes radicaux de Bosnie, elle qui est issue d'une famille d'intellectuels musulmans et l'une des rares spécialistes de la poésie soufie. Elle venait de publier le givre et la cendre après son Portrait de Balthazar, qui avait reçu le prix Gauchez-Philippot. Quant à moi, j'avais compris dès la lecture du premier de ces trois romans que j'avais affaire à une écrivaine authentique, passionnée, féministe et démocrate jusqu'aux limites extrêmes de l'humour et du désespoir.
Ce roman-ci, tout en renforçant cette intime conviction, me pousse à ajouter l'adjectif « romantique » aux quatre précédents. Car il est littéralement imprégné de tout ce qui fait le romantisme à mes yeux : les sentiments amoureux les plus vifs assortis de leurs déceptions et chagrins ; la passion pour la défense désespérée de la justice et de l'équité à travers les événements politiques les plus violents ; le goût pour la vérité quoi qu'il en coûte ; la rébellion devant la fourberie, la tartufferie et la corruption institutionnalisées, même au prix d'une réputation et davantage encore.

Ce grand roman nous promène du dernier quart du XIXe au premier quart de notre XXIe siècle et de Novossibirsk à Paris, en passant par Kazan, Odessa, Istamboul, Sarajevo – oh oui, Sarajevo ! – Vienne, Kirchberg, Berlin, Londres et même New York et Vancouver : ces contrées où passent et repassent, se fixent un temps, aiment et souffrent les âmes errantes de plusieurs femmes et d'un homme, qui sera le petit-fils de l'une, le fils de la deuxième et le grand amour de la troisième citée ci-après.

Mais parlons de Liza, tout d'abord, née à Omsk d'un père qui était l'ami intime de Tolstoï : toute jeune professeure de langue et de littérature russe, elle s'enfuit de son pays à la révolution et, au bout d'un long périple à pied, en train et en bateau, à travers des lieux de mort, de désastre ou de relatif bonheur, atteint Sarajevo, où elle s'installe enfin avec son mari, Žarko, originaire de Bosnie. Un extrait de son journal donne d'ailleurs le ton du roman : « Peut-être tout exilé a-t-il besoin de poursuivre son errance, se sent-il obligé de fuir à l'infini en quête d'un pays sans nom, refusant d'admettre qu'il s'agit de son propre pays… »
Le deuxième personnage féminin est Irina, dite Ira, la fille de Liza, qui épouse Rudolf, Autrichien par sa mère et Allemand des Sudètes par son père. Nous sommes alors en 1942, en pleine seconde guerre mondiale. Un des frères de Rudolf, qui est pro nazi, les pousse à rejoindre le grand Reich. Ils se retrouvent alors à Kirchberg, comme des migrants, dans « des cabanes indignes d'êtres humains… » et Rudolf est mobilisé tout de suite dans l'armée allemande. Irina est enceinte. Elle va mettre au monde un petit garçon, Wolfgang. Mais elle est très seule, car son mari a de brèves permissions et il finit par ne plus revenir du tout. le petit a à peine eu le temps de le connaître, mais il ne l'oubliera jamais. À l'arrivée des troupes soviétiques, sa connaissance du russe les sauve, elle et son fils. Les soldats russes les prennent sous leur protection et les voilà bientôt dans un Berlin en ruines, puis à Prague et ensuite à Vienne, Ljubljana et Sarajevo, où elle retrouve ses parents. Son fils est rebaptisé Alexeï : ce sera Aliocha pour les intimes. Rudolf semble avoir complètement disparu et Ira épouse un ancien partisan anti Oustachi, anti nazi, Vladimir, devenu officier dans l'armée de Tito. Tout cela nous est raconté par une narratrice qui se donne le nom de Lena Barunić, mais qui ressemble mot pour mot et trait pour trait à l'auteure, Jasna Samic.
Lena est l'amante, puis l'épouse, l'ex-épouse et des années plus tard à nouveau l'épouse d'Aliocha. C'est une intellectuelle de haut vol, fille d'une famille d'universitaires issus de l'aristocratie locale, qui n'adhère au parti communiste yougoslave que pour obtenir le droit d'aller faire un doctorat à Paris. Bonne musicienne et passionnée par la philosophie soufie, elle est curieuse de tout ce qui concerne la Culture et parle plusieurs langues. Aliocha, lui, est un brillant ingénieur et un séducteur invétéré. Tous deux vont vivre les bouleversements de leur vie intime en même temps que la fin du régime de Tito et la guerre de Bosnie. Pendant des années, la belle Lena sera sans cesse en porte-à-faux avec les pouvoirs en place, quels qu'ils soient. À l'issue de la guerre, elle perdra son gagne-pain de journaliste à Paris et son poste à l'université de Sarajevo : « Si à Paris on m'a traitée d'islamiste, certains à Sarajevo m'accusent à présent d'être islamophobe… » Rien n'est facile nulle part pour un esprit intègre : même si elle est d'origine musulmane – souvenir familial de l'Empire ottoman – en fait, elle n'accepte pas la mainmise des fondamentalistes religieux sur les choses et les gens de son pays où elle se fait rejeter et même agresser physiquement. Comme pour l'auteure, une fatwa est suspendue au-dessus de sa tête. Mais les années passant, désormais, c'est surtout le désespoir d'Aliocha qui l'inquiète : depuis toujours, celui-ci est harcelé par la pensée que son père, Rudolf, a pu être un nazi. En effet, il est évident qu'étant officier du Reich, basé à Lublin de 1943 à 45 et responsable dans les chemins de fer, celui-ci ne pouvait ignorer le camp de concentration tout proche et les sinistres convois. Quel rôle exact a-t-il joué ? C'est l'objet de l'enquête que va mener Lena en espérant éclairer Aliocha qu'envers et contre tout elle ne parvient jamais à abandonner.

Pratellum
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Des Contrées des âmes errantes ! Je repense avec plaisir à ces pages lues cet été, je repense à ceux que l'on y croise, à ceux que l'on y cherche, à ce père disparu, et je m'étonne. Je dois plonger dans d'autres mondes, d'autres sensibilités que la mienne : un monde où une famille a laissé quelques traces, même si elles sont ténues, même si les signes en sont peu lisibles. Il y a des lettres, il y a l'écriture. Moi, je viens d'un monde où l'écriture n'existe pas, où il n'y a pas de traces. Même les noms de famille, chez nous, ne sont pas les bons. Ma mère ne porte pas le nom de son père, pas plus que mon père, né sous X, ne porte de patronyme. Tout et tous, très vite, se perdent dans l'ombre, dans l'anonymat, dans le doute même sur les véritables géniteurs.
Cette quête, cette histoire, excitent donc ma curiosité. Ce sont des exils, des ailleurs, des vides – cela, je comprends, intuitivement. Nos deux extrémités se rejoignent. L'écriture, à la fois trace et chemin, peut rencontrer l'existence des personnages, l'évolution de leurs liens, les soubresauts de leurs peuples. Et de nouveau je m'arrête, fasciné. Jamais les quelques membres épars de ma famille n'ont eu de liens, ni entre eux, ni avec ce qu'on appelle la grande histoire. Ils sont passés au travers de tout, sans conscience, sans autre histoire que celle de leurs efforts quotidiens pour « avoir de quoi » et grappiller quelques échelons sur l'échelle de la richesse. On peut trouver cela affreux, ces gens qui ne font que travailler, qui fabriquent ou vendent des marchandises, et dont toute l'intelligence, le soir à l'arrière de la boutique ou sur la table de la cuisine, vise à compter. En un sens, certains vivent comme cela depuis la plus haute Antiquité. La seule écriture est celle qui figure sur les quelques sous qu'on a gagnés. Avec l'écriture, les personnages de ce récit sont déjà des « âmes » : à mes yeux ils ont déjà la maîtrise du feu, jusqu'à la narratrice-enquêtrice qui, elle, est la grande maîtresse de tout cela. J'ai tout d'abord eu du mal à regarder des créatures si brillantes sans être renvoyé à mon obscurité.
Et pourtant, nous éprouvons de l'empathie pour ces âmes qui errent car, en réalité, le monde est si violent qu'il délite l'écriture. Bien plus que le temps, c'est la bêtise humaine, sa stupidité politique notamment, qui ronge et brise les liens de l'écriture, lesquels fondent la possibilité de toute relation : connaissance et récit. En lisant Les contrées des âmes errantes, le lecteur se rend compte que nous sommes dangereusement réduits à vivre dans des sociétés où l'écriture et la signification sont menacées d'extinction. On sait bien au profit de quoi, du reste : le calcul, toujours lui, l'intelligence comptable dont les spéculateurs immobiliers comme la grosse « dondon » du roman sont ici les parangons. Ils menacent de tout détruire, et de nous délier.
Le roman Les contrées des âmes errantes se distingue de la production habituelle par sa lucidité. Mais aussi, et c'est son honneur et sa noblesse, il retire l'écriture à l'industrie et à la marchandisation, contrairement à trop d'auteurs qui l'y soumettent, par lassitude ou naïveté plus que par cynisme à mon avis. C'est en cela que l'écriture de Jasna Samic demeure une poésie critique salutaire.
Vous savez donc, chère Jasna, ne pas avilir l'écriture, et je suis sûr que c'est une source d'espoir pour de nombreux autres lecteurs. Maintenant, je voudrais savoir si cette résistance de l'écriture, chez vous, relève d'une nostalgie qui pourrait être une forme de désuétude. Ces âmes errantes seraient enfermées dans un passé qui phagocyterait le présent, l'empêchant d'émerger. Je suppose que la nostalgie accompagne toujours un peu l'exilé, qui a des racines. Or, parfois, ne pourrait-il pas arriver que cet attachement contraigne trop la tête en arrière (ou vers le haut !) ? Je n'ai pas forcément la réponse à cette question, je sens que vous relire sera nécessaire. Quel est, justement, le rôle de ce fils, lui qui semble le premier destinataire de cette enquête ? C'est lui, sans doute, qui fécondera cette intense circulation des âmes, lui qui lui inventera une forme présente, lui, enfin, qui actualisera le virtuel. J'entrevois qu'il doit y avoir une dialectique de la nostalgie, qui tourne au bout du compte en transmission, et que ce mouvement s'est perdu dans la culture libertaire française. Une voie présente serait donc de reconférer à l'écriture sa simple mission de communication. Par un biais inattendu pour moi, vous vous mouvez, Jasna Samic, aussi dans l'intuition littéraire que les temps communiquent, se relient, passent l'un dans l'autre ; l'ordre chronologique est de la foutaise, une saloperie née des structures d'oppression sociale, liée notamment à l'organisation du travail. le temps n'est pas une flèche : il y a une topologie du temps qui y autorise la navigation, l'errance – mot parfaitement exact, vous avez raison.
Vous le voyez, chère Avesta, je laisse les jugements techniques aux savants professeurs. Je prends votre livre avec plus de philosophie. Hé bien, de ce point de vue là, Les Contrées des âmes errantes voient juste et loin.
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Je viens de lire « Les contrées des âmes errantes ».
Je ne dirai pas, chère Jasna, que ma vie est turbulente comme celle de tes personnages, loin de là, mais elle ne me laisse pas tellement de temps libre et c'est le confinement obligatoire dû à Corona qui m'a permis de me poser et de lire l'histoire de tes personnages. Je t'envoie ces quelques lignes sur ce que j'en ai retenu :
Lisa hospitalisée pour fracture du col de fémur dans un hôpital de Sarajevo ne peut pas être opérée, son coeur faible ne le permet pas. Allongée sur son lit d'hôpital, elle rêvoit son passé. du côté de son père, Lisa vient d'une grande famille de notables russes. Sa mère était finlandaise. Toute l'enfance de Lisa a été baignée de culture « où la musique et la littérature tenaient une place prépondérante ». Elle-même écrivait des poèmes et tenait son journal intime. Lisa adorait Lev Nikolayevich Tolstoy, ami de son grand-père, puis de son père qui leur rendait visite régulièrement. Cette idylle familiale est brutalement balayée par la révolution Russe et l'avènement de Lénine en faisant pour certains de fervents défenseurs de l'ordre nouveau et en poussant les autres vers « Les contrées des âmes errantes ».
Irina est la fille de Lisa et de Zarko, un bosnien. Lisa rencontre Zarko en Russie où, sous le régime austro-hongrois, en vigueur à cette époque en Bosnie, Zarko est enrôlé dans l'armée de la Russie tzariste. Toute la famille se trouve à Sarajevo lorsqu'éclate la Deuxième guerre mondiale.
Aliocha est le fils d'Irina. Son père, Rudolf est d'origine autrichienne. Sa famille est installée à Sarajevo comme tant d'autres familles sous le régime austro-hongrois. Aliocha est né en Autriche où Irina a suivi la famille de Rudolf que le gendre Eugen a persuadée de fuir dans leur pays natal et surtout dans le pays d'Hitler où leur avenir serait meilleur.
Lena, la narratrice, est épouse d'Aliocha. Bien qu'ils se soient rencontrés dans les années 70, les années de paix, « d'unité et de fraternité » instaurées par le régime communiste, leur vie commune a, elle-aussi, été très mouvementée. Ils ont vécu ensemble, se sont mariés, se sont séparés, divorcé, se sont remis ensemble et de nouveau mariés. Lena, elle aussi, vient d'une grande famille, de l'aristocratie locale du côté de sa mère, et son grand-père paternel était un haut fonctionnaire du régime austro-hongrois. Quant à ses arrières grands-parents, c'était aussi une famille aisée, de grands propriétaires terriens et de commerçants. Les parents de Lena étaient tous deux de grands intellectuels, le père professeur et violoniste renommé, la mère professeure également. Lena a grandi dans cette atmosphère des arts, de culture et d'ouverture d'esprit.
C'est dans ce décor d'événements historiques, si tragiques pour des millions de gens, que Jasna nous raconte avec le brio d'une écrivaine chevronnée, les périples des sagas familiales de ses personnages sans que l'on sache quelle est la part biographique du livre et celle inventée. le point culminant de l'histoire est la disparition du père d'Aliocha. Enrôlé, lui aussi, dès son arrivée en Autriche, dans l'armée d'Hitler, Rudolf a bien rendu quelques visites à sa famille, a tenu dans ses bras son fils, il y a des photos qui le prouvent, puis un jour il n'est plus revenu. Pourtant, quelques indices porteraient à croire qu'il n'est pas mort. Aujourd'hui, Aliocha dans leur appartement parisien, est en train de sombrer, son père lui a manqué toute sa vie. Et surtout, comment continuer à supporter de ne pas savoir quel rôle a-t-il joué pendant la guerre, une photo le montre en costume d'officier de la Wehrmacht. Lena pense qu'elle seule peut le découvrir. Elle se met à parcourir l'Europe, l'Orient et va même en Amérique ! Y arrivera-t-elle ?
Le roman porte en bosnien le titre « Deveti val », en français « La neuvième vague » (le titre de la plus célèbre toile du peintre russe , Ivan Aïvazovski). Jasna va-t-elle nous écrire « La Dixième vague » ?
Poétesse et écrivaine reconnue, Jasna partage sa vie entre Paris et Sarajevo, sa ville natale où elle se rend régulièrement. Son esprit de rebelle, d'athée et d'indépendante se heurte sans cesse à cet ordre ou plutôt désordre nouveau issu de la guerre des Balkans des années 90. Ainsi elle est devenue la cible des milieux religieux ultraconservateurs qui ne se gênent pas de la menacer de mort.
Dragana Teklic
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Le dernier roman de Jasna Samic, « Les Contrées des âmes errantes » (M.E.O., 2019) est un ouvrage si captivant qu'il nous tient du début jusqu'à la fin. Nous errons, nous aussi, avec ces « âmes errantes » que nous rencontrons, elles nous transportent d'un bout du monde à l'autre, d'une époque à l'autre ; elles sont si complexes, mais aussi si attachantes que nous en devenons non seulement leur compagnon, mais, d'une certaine manière, leur captif.
L'énigme y est toujours présente, et concerne particulièrement Aliocha, l'un des principaux héros du livre, autour duquel tout se déroule.
Les événements englobent tout le siècle passé, de même qu'une partie du 19ème et le début du 21ème ; y sont présentes toutes les guerres du 20ème siècle, ses révolutions et agressions, comme ses crimes et ses idéologies, à commencer par celle de la « rouge » des Bolcheviques, en passant par celle des nazis, jusqu'au barbarisme balkanique et l'islamisme récents. Géographiquement, l'action s'étend presque à travers toute la Planète, depuis des villes russes, telles que Kazan et Novosibirsk, passant par les villes européennes, Paris, Istanbul, Vienne, Dubrovnik, Belgrade, jusqu'à New York et Vancouver en Amérique. Les villes et leur destin sont d'ailleurs aussi importants dans ce roman que ses personnages, on pourrait dire qu'elles deviennent de véritables héros. (Ce n'est pas par hasard que le roman s'intitule « Les contrées des âmes errantes ».) Quant aux personnages eux-mêmes, ce sont des gens qui se sont tous retrouvés à un moment donné à Sarajevo. Ils y sont arrivés de différentes régions du monde, les uns fuyant la Révolution, comme la Russe Liza Kazanskaya, d'autres abandonnant leur ville natale comme Grete Tchsziep, la Viennoise, à la recherche d'une vie meilleure. Mais de nouvelles guerres les ont ensuite de nouveau dispersés.

Le roman se compose en fait de trois romans. Dans le premier livre, les trois femmes, Liza, Irina et Grete parlent de leur vie, tandis que dans le deuxième et le troisième, la narratrice Lena se souvient de sa propre vie avec son compagnon, Aliocha, et de ses aventures et mésaventures de son enfance à aujourd'hui. Les quatre figures féminines, Liza, Grete, Irina, et Lena sont liées à un seul homme, Aliocha, et à travers lui, à son père, ingénieur bosnien d'origine autrichienne, disparu au cours de la Seconde Guerre mondiale. Ce père est omniprésent par son absence, et la trame du roman est liée à la quête du père perdu et la vérité à propos du rôle qu'il aurait pu jouer en tant qu'ingénieur des chemins de fer dans le IIIe Reich, chargé de faire rouler les trains de la mort.

« Les contrées des âmes errantes » est un livre sur l'errance, et par là on ne peut plus contemporain, mais aussi sur la souffrance. Il est aussi un hommage aux Russes de Bosnie, dont le destin n'a encore jamais été décrit, et aux Bosniens d'origine allemande ou autrichienne, qui ont été victimes de toutes parts, sans oublier les Juifs de Bosnie.
Pour conclure, disons que le roman est fondé sur des événements réels, tout en étant une fiction, dans tous les sens du mot. L'un des meilleurs que j'ai jamais lu.
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Les destins européens de ces quatre femmes, Liza, Irina, Grete et Lena, m'ont happée entièrement. Quelle chance de parcourir l'histoire européenne à travers les yeux et les âmes de ces femmes "anonymes". Il est rare et précieux de regarder les faits historiques - que nous connaissons pourtant par coeur - depuis une lorgnette à la fois si proche et si universelle. Les trois premiers journaux intimes nous plongent dans les douleurs, les questionnements, les anecdotes de femmes prises dans la marche du XXème siècle. Lena fait ensuite le pont avec le présent et nous rappelle que le chaos de l'Histoire, les haines et les errances du passé, fabriquent celles d'aujourd'hui.

Je n'ai pu m'empêcher de penser à quel point les hasards de l'ascendance nous définissent sans pour autant nous façonner entièrement. Les traumatismes, les absences, les disparitions, les exils, sont-ils transmis et encrés dans l'ADN ?

L'histoire personnelle du couple Lena et Aliocha m'a beaucoup touchée. Leur amour est un fil conducteur de leurs vies, qui ne cesse de les réunir malgré leurs errances individuelles. La quête du passé, du père, de l'identité, entamée par Lena pour aider Aliocha, fait écho aux folies identitaires qui ont mené à des violences innommables et continuent de gangréner l'Europe. Ce parallèle entre quête personnelle et constat universel, identité individuelle et identité des peuples confère au récit toute sa profondeur. Sommes-nous réellement définis par nos ancêtres ? Et à la fois, peut-on se construire sans eux ? Aliocha ne parvient pas à oublier l'absence de son père et surtout l'absence de réponse. Mais ceux qui, au contraire, sont trop certains de leur ascendance, de la réponse à la question "à quel peuple appartiens-tu ?" ont commis et commettent encore les pires atrocités au nom de cette filiation soi-disant sacrée.
J'ai apprécié le ton sincère et cinglant des Livres II et III, sur Lena et Aliocha. L'enchainement des rencontres et des anecdotes, piochées à différents moments de la vie de la narratrice, peint un portrait intéressant et complet de l'intelligentsia européenne des années 70 à nos jours.
Quant au style narratif, la structure asymétrique procure une sensation d'errance dans le récit qui est agréable. La superposition des trois journaux au début, comme une base posée au récit, suivie de la vie de Lena qui incarne la continuité de ces histoires féminines, s'articulent de manière juste et pertinente. Je regrette simplement que les journaux de Liza, Irina et Grete ne soient pas plus fournis, j'aurais aimé connaître encore davantage les histoires de ces femmes, mais on ne réécrit pas l'histoire !
J'ai noté, par moment, quelques "maladresses" dans la syntaxe des phrases, au niveau de la construction. Quelques coquilles également, mais un style globalement presque parfait quand on sait que le français n'est pas la langue maternelle de l'auteur! C'est impressionnant.
Il y aurait bien d'autres choses à évoquer, mais je m'arrête ici.
Merci Jasna !
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Citations et extraits (1) Ajouter une citation
Heureux qui jouit agréablement du monde ! Plus heureux qui s’en moque et le fuit ! Einstein croyait que ledit monde ne serait pas détruit par les hommes qui commettent des atrocités, mais par ceux qui regardent ces atrocités sans rien faire. La beauté est une énigme, pense par ailleurs Dostoïevski, persuadé, lui, que le monde sera sauvé par elle.
Est-ce vrai ? J’ai atteint l’âge où l’on remet tout en question, où l’on ne fait plus que relativiser, à en attraper des vertiges. Que dire sur la laideur et la barbarie ? Sont-ce aussi des énigmes ? Et la méchanceté ? Elle a toujours éveillé en moi un obscur sentiment de confusion.
Aliocha travaille beaucoup et souffre beaucoup. Il m’est devenu insupportable de le voir se saouler chaque soir avec du vin bon marché mélangé à du coca et arrosé de bière. Il ressemble à n’importe quel lučki radnik, ainsi qu’on appelle un docker dans notre langue maternelle. Quand je l’ai rencontré il y a une éternité, il m’était apparu comme un héros sorti d’une pièce de Tchekhov ; la même élégance aristocratique russe, la même paresseuse noblesse. Il était l’un des jeunes hommes les plus chics et raffinés de Sarajevo. Il m’évoque aujourd’hui encore certains personnages de mon auteur adoré, comme surgi de Platonov, et pas seulement pour cette exclamation : « Boire ou ne pas boire, de toute façon on meurt ! Autant boire ! » Une phrase de Fitzgerald me vient aussi à l’esprit : « Quand je ne bois pas, je ne supporte pas le monde ; quand je bois, c’est lui qui ne me supporte pas ». Convenons que la vérité ne console que rarement.
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Video de Jasna Samic (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Jasna Samic
http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=49603&motExact=0&motcle=&mode=AND
TROIS HISTOIRES UN DESTIN
Jasna Samic
Théâtres
Quels sont ces ponts qui nous relient, ces abîmes qui nous séparent ? Un crime mène-t-il vers un autre crime ? Pourquoi se venge-t-on sur un innocent ? Ce ne sont que quelques questions que les trois pièces posent sur ces exilés dans les souvenirs, représentant aussi le thème des trois histoires, liées étroitement, par un événement : la guerre, et faisant allusion à une ville où la vie, l'amour, le malheur et la mort se rencontrent et se confondent encore de nos jours, devenant une et même chose.
Broché

ISBN : 978-2-343-07986-8 ? février 2016 ? 184 pages
Prix éditeur : 18 ? 17,10 ?
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