Je sors du cinéma avec le petit. Nous avons vu Sherlock Junior. C'est un
Buster Keaton de 1924. L'homme assis devant avait l'âge du film. le petit était perdu dans ce monde très différent. L'homme avait une rare occasion de retrouver le sien. Vertige et solitude.
Il y a ce joli volume sur l'étagère. Reliure rouge à coins, années 20 (les précédentes), papier vergé, traduction hors d'âge de Belin de Ballu. En l'ouvrant je cherche la connexion avec le territoire des écarts, ce continent passé, celui de Lucien, né en Syrie, d'expression grecque, écrivain autour de la Méditerranée du Siècle siècle.
le puit est profond. Je craque une allumette. Il me semble distinguer le fond. Mais c'est loin. L'odeur est suave. La descente est agréable, hypnotique. Mais le fond est à jamais hors de portée.
Par bien des aspects Lucien nous est proche. Un membre de la famille? (catégorie
Diderot) Depuis près de 2000 ans il raille les charlatans, les fausses valeurs, crève les baudruches, propose des
philosophes à vendre. Ses Histoires véritables (Histoires vraies,
Histoire véritable, Voyages extraordinaires, etc.) sont un délicieux voyage vintage au pays des bobards. Miam. En quelque sorte Lucien est le premier auteur de science-fiction.
Mais ma tendresse va plutôt à ce petit volume ci, lascif, amolli. Heurs et malheurs, espoirs et déceptions des courtisanes anatoliennes. Difficile à justifier aujourd'hui. Tant pis, c'est vraiment bien loin, vraiment. Un vent parfumé souffle. Mélitte et Bacchis préparent un pain, du souffre et tout ce qui est nécessaire à un enchantement. Charinus se détournera de Simmique.
Ce monde est à jamais hors de portée, mais l'apercevoir de loin est une chance qui mérite d'être goûtée.