Sacha a la vision d'un foisonnement qui rampe, s'agrippe, enserre, étouffe et tue dans d'irrépressibles étreintes. Comme si ces plantes plongeaient leurs racines dans la putréfaction du vice pour se hisser encore plus haut dans une quête agressive de la lumière. Éden, Éden, Éden. L'enseigne en néons clignote. Comme la palpitation d'un cœur. Comme une respiration. 'image du Jardin originel s'impose à Sacha. Non pas comme on le dépeint dans les Écritures, mais tel qu'il a dû être : une forêt vierge, la matrice du monde. Un cycle perpétuel de fécondations, d'éclosions, de pourrissement. Un fouillis de lianes pleines de sève, de feuilles grasses, d'écorces humides; un air chaud et fiévreux, saturé d'odeurs; des eaux stagnantes, croupissantes. Partout des plantes juteuses ployant sous leur propre poids. Et au milieu de tout ça, de cette copulation de la vienet la mort, d'insectes carnivores aux formes étranges et aux couleurs vives, l'image d'une fille pâle. Une fille pâle qui danse.
Au fond, je sais qu'on ne dira rien. Ça fait si longtemps qu'on ne me dit plus rien.
Même mes plus vieux amis, ceux avec qui j'ai grandi, n'osent plus me contredire quand jemparle de notre enfance, de combien Leningrad était belle avec les bateaux devant lesquels on rêvait, les fumées dans le ciel pur, le frimas sur les chapkas, les aubes glaciales, la neige dans des caisses aux coins des rues, le printemps comme une promesse fragile, le dégel, la Neva et ses aux limoneuses, les nuits blanches, les promenades aux iles dans la clarté suspendue, les quais bordés de palais, la flèche d'or de Pierre-et-Paul. Ils hochent sérieusement la tête, et font semblant, eux aussi, d'avoir oublié les autobus bondés, les queues, les coupures d'eau.
Je suis resté longtemps sous l'effet du départ de Rebecca. Leningrad qui ne résonnait plus du bruit de ses pas me semblait vide tout à coup. Je devins triste. Une tristesse que les lettres de ma sœur traversaient d'éclats douloureux. J'aurais pu me tuer, mais le suicide est une idée de vivants. Il faut être optimiste pour croire aux solutions, si radicales soient-elles. Il y a un moment où la solitude, au-delà de toute tristesse, donne une telle impression de dureté minérale qu'on renonce à la combattre. On abdique, on devient insensible. T'étais seul, je ne ressentais plus rien, j'étais prêt à devenir riche. Ce n'est pas tant le pouvoir qui isole que l'isolement qui conduit au pouvoir.
Je devins triste. Une tristesse que les lettres de ma sœur traversaient d'éclats douloureux. J'aurais pu me tuer, mais le suicide est une idée de vivants. Il faut être optimiste pour croire aux solutions, si radicales soient-elles. Il y a un moment où la solitude, au-delà de toute tristesse, donne une telle impression de dureté minérale qu'on renonce à la combattre. On abdique, on devient insensible. T'étais seul, je ne ressentais plus rien, j'étais prêt à devenir riche. Ce n'est pas tant le pouvoir qui isole que l'isolement qui conduit au pouvoir.
Il y a un sortilège de la pénombre, des lumières basses et de la musique qui assourdit, un charme qui intoxique, qui peu à peu fait perdre au monde extérieur sa consistance et sa réalité. C'est ce charme qui a retenu Ulysse si longtemps isolé après de Calypso, ce charme si complexe fait d'ingrédients multiples, l'oubli, le rêve, le sexe, un charme qui n'a pas de nom, mais que par commodité on peut appeler la Nuit.
La Nuit abolit le temps, car en perdant leur consistance les heures passent sans qu' on s'en aperçoive.
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Payot - Marque Page - Guillaume de Sardes - le dédain