Plus qu'une expérience l'Oregon fait figure d'épreuve pour ce couple de citadins de la côte Est formé par Scanlon et Naomi. Au milieu de la nature sauvage, des forêts humides, parmi les habitants de la bourgade de Douglas autant désespérés qu'idéalistes animés par la colère ou une vision magnifique, on découvre un jeune couple fragile qui tente d'oublier ses craintes et des défaites pour le mari ou de se libérer de l'étreinte de la culpabilité et du désarroi pour l'épouse… Y parviendront-ils ? Si oui, à quel prix ?
En engageant Scanlon et Naomi sur des chemins de traverse dénués de sens, en les confrontant au danger, à leurs peurs et leurs faiblesses, l'auteur dessine un roman sombre mais aussi éblouissant dans cet Oregon rebelle.
Car, au-delà des mots qui donnent vie aux parfums obsédants, aux sensations fugitives ou étouffées, au réel avec une simplicité captivante, c'est le récit d'une plongée vertigineuse dans l'inconnu qui aspire les intentions du couple et affecte les dogmes de ceux qui marchent dans leurs sillons. Dans ce terreau de mouvements antimondialistes, sécessionnistes, écologistes, de systèmes d'entraide alternatifs, ou encore anarchistes, Scanlon et Naomi qui les repoussent autant qu'ils les attirent voient le mur de leurs convictions intimes se fissurer à leur contact. Traditionnellement regardés comme idéalistes, ces mouvements politiques n'agissent cependant pas moins comme des miroirs, reflétant l'hébétude et l'aveuglement du couple engoncé dans des arrangements tacites qui les éloignent l'un de l'autre… peut être ces mouvements favoriseront-ils un éveil salutaire, un épanouissement bénéfique voire de manière paradoxale la fin des illusions.
La trame littéraire est brillante laissant l'écriture nous faire absorber les émotions de ces êtres en souffrance face aux conflits, la tension entre leur radicalisme de toute nature et les compromis, les trahisons. On assiste à une descente lente et minutieuse dans les contorsions de l'âme. Pas d'insouciance, ni de légèreté, le ton est grave et l'atmosphère lourde. La pesanteur nait autant de l'intrigue que de l'étrange suavité qui auréole le texte. Dans ce décor brumeux de forêt de pins, exhalent des effluves végétaux corsés, une énergie animale, une sensualité bestiale et primitive.
Digne de la tradition américaine,
Keith Scribner signe un roman psychologique soigné où l'inflexibilité, le conflit, la violence et la fureur côtoient les sentiments de vulnérabilité et de chaleur maternelle. La frontière des certitudes du lecteur se brouille, fluctue, vacille même si subrepticement le récit est porté par un courant irréversible qui bouleverse la conscience autant politique qu'affective des personnages.