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EAN : 9782355261473
221 pages
Nouvelles Editions Lignes (15/09/2015)

Note moyenne : /5 (sur 0 notes)
Résumé :
L'intellectuel compulsif est un essai de micro-histoire contemporaine. Ivan Segré se saisit d'un fait symptomatique, réunit une documentation et en propose l'analyse méthodique : le 24 novembre 2003, "Arte" diffuse un documentaire israélo-palestinien, "Route 181", réalisé par les cinéastes Michel Khleifi et Eyal Sivan. Dès le 29 novembre, Alain Finkielkraut, plus tard suivi par d'autres, soutient qu'il s'agit d'un film antisémite et, pire, d'un
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L'art du saut de carpe, du punch du kangourou, de la discrétion de la gazelle et l'innocence de la colombe

Lire « Argument », ouverture précieuse de l'ouvrage, ici publiée avec l'aimable autorisation des Editions Lignes (sur le blog : "entre les lignes entre les mots")
« L'antisémitisme était une forme singulière du racisme, le nouvel antisémitisme est une forme singulière de l'antiracisme ».

Réfléchir au poids des mots, aux sens implicites et explicites, laisser ouverte les fenêtres aux éclairages à venir de l'auteur.

Ivan Segré parle de « l'intellectuel compulsif », cet homme médiatiquement mis en avant, dont les « acrobaties » et la rhétorique semblent appréciées par des bien-pensant-e-s. Il interroge : « Qu'est-ce que la « fidélité à une collectivité particulière » ? S'il s'agit d'une affection particulière à un homme particulier, lié à une collectivité particulière, cela est respectable et finalement indifférent. S'il s'agit, en revanche, d'un mot d'ordre politique, alors c'est le symptôme d'un renoncement. C'est en effet renoncer à inscrire dans l'histoire une forme politique de l'universel », et comme il le fera tout au long du livre, il reformule pour rendre visible ou lisible les sens possiblement cachés.

L'auteur parle aussi « de la norme d'une existence collective », d'égalité qu'il oppose à « l'hospitalité » conditionnée ou non. Et pour bien en préciser le sens, il ajoute : « la loi est ce qui régule la relation inégalitaire, par principe, entre un maître des lieux et son hôte. L'hospitalité sous condition, telle est donc la loi de la classe dominante, comme elle est la loi de la nation ethnique »

Ironique et déjà malicieux, Ivan Segré évoque le nationalisme compulsif, l'hirsute et le chevaleresque, la médiocrité prospère du bourgeois, le cynisme grandiloquent du maître des lieux. Il revient sur cet « nouvel antisémitisme » créé/dénoncé, entre autres, par un philosophe et un sociologue, et propose : « Suivons-le pas à pas dans sa lutte contre le nouvel antisémitisme. Nous verrons bien où il nous conduit. Tâchons seulement de nous arrêter au bord du précipice, à l'entrée du désert, là où l'homme rencontre son propre néant : Azazel1. Saura-t-il, lui, s'arrêter à temps ? »

Ivan Ségré est philosophe et talmudiste. Il va donc suivre au mot le mot, phrase à phrase, explorer le(s) sens des argumentaires et des constructions de l'intellectuel compulsif et de ses allié-e-s.

J'invite donc, comme je l'ai fait moi-même avec délectation, la lectrice et le lecteur à entrer dans les textes, les décryptages, les exégèses. Et se laisser aller, sourire aux lèvres, mais l'esprit en révolte, à ces leçons pleines de malices et d'humour. J'emprunte subjectivement des routes de traverse, sans discuter ici du terme « ethnie »…

L'identification d'êtres humains comme « autres », des pas « comme soi », l'imaginaire de la nation « ethnique, raciale, religieuse », le langage, la « candeur » l'innocence et son prix…

Ivan Segré se positionne : « La liberté d'expression n'existe que quand on l'applique aux propos qu'on réprouve ». Sur ce socle, il examine, entre autres, un « comique » et sa farce antisémite devenue fond de commerce, un « historien » négationniste, une écrivaine « qui ne plaisante pas ». Ces pages ne sont pas des digressions, elles permettent de contextualiser « la fidélité particulière à une collectivité particulière », le rejet de l'obscénité que serait une société multi-ethnique, le négationnisme opportuniste, « nier le crime, c'est rendre de nouveau honorable la chose qui l'a engendré : la politique de la nation ethnique », l'être victime par héritage, le point de vue nazi, le passage de l'artiste au dandy, le mépris de « classe », la « fidélité affective à la politique de la nation ethnique »…

Au centre de l'analyse, la réception d'un film « Route 181 » réalisé par Michel Kheifi et Eyal Sivan, une oeuvre israélo-palestinienne. L'intellectuel compulsif, des allié-e-s de toutes sortes, une professeure de cinéma, le caractériseront comme « un film antisémite », un « appel au meurtre des Juifs ». Ivan Segré s'attache à donc regarder, lire et discuter de ce qu'il en est, des attendus d'une procédure judiciaire, des faits historiques et de leurs utilisations, du fond politique.

J'ai particulièrement apprécié les développement sur la diffamation, « l'antisémitisme juif », les juifs qui auraient « trahi », et la « difficile » question : « comment un Juif peut-il appeler au meurtre des Juifs sans être, plutôt qu'un Juif antisémite, un Juif suicidaire ? ».

Le fond de l'histoire, un plaidoyer politique pour un « Etat binational », la forme des moyens cinématographiques, l'imaginaire d'un Etat commun se retournant compulsivement en « guerre de tous contre tous », bref un crime contre l'« ethnie » et donc un « appel au meurtre »…

Pour moi, il s'agit bien d'un refus explicite, ici et là-bas, d'un Etat démocratique des citoyen-ne-s. L'auteur insiste, dans une lecture au sens ironiquement pluriel « La démocratie bourgeoise , le moins imparfait des régimes politiques, c'est la domination de la majorité (ethnique) sur des minorités (ethniques) ». Je propose une « traduction », en regard à des problématique abordées dans d'autres notes, donnant : la démocratie c'est la domination d'une communauté se considérant comme majoritaire, auto-nommée universelle et donc invisibilisée, sur des communautés visibles, les ouvrier-e-s, les femmes, les non blanc-he-s, les non chrétien-ne-s, les non hétérosexuel-le-s, etc.

En lecteur/spectateur attentif, l'auteur dévoile les fabrications insolites de lectures compulsives, l'histoire réelle derrière l'histoire fantasmatique, les quotidiens des civil-e-s palestinien-ne-s et des soldat-e-s israélien-ne-s, la « déchirure, de la cicatrice encore douloureuse, encore ouverte », les mémoires de l'expulsion et des maisons et villages rasés. En lecteur/philosophe Ivan Segré revient sur Kafka et son « Devant la loi » : « Oui, l'éthique est en dehors de la loi : elle est une autre relation que celle qui s'établit entre le gardien de l'intérieur et l'homme de l'extérieur, une autre relation que celle du maître des lieux à son hôte ». En lecteur de communication et d'hypertextualité, il se souvient d'un tableau de Magritte « Ceci n'est pas une pipe ».

L'auteur parle de l'incommensurabilité des crimes, des représentations imaginaires, de l'unité inventée, et occultant « les formes concrètes de la domination et de servitude au sein d'une même ethnie », de l'idéologie inégalitaire de la politique de la nation ethnique…

Il confronte les lectures partielles et les regards myopes à l'exégèse. Il revient sur la construction d'un État-nation, l'expulsion de Palestinien-ne-s et la destruction de villages arabes en Palestine, les logiques nationalistes, l'autre logique « celle de la construction d'une politique d'émancipation commune ». Il parle éthique au cinéma, de perturbation de la « geste des héros fondateurs », de 1948, d'absence de vérité et de justice dans les logiques nationalistes, de « conte pour enfant », de « l'armature » du nationalisme ethnique juif, de débat historique et de discussion politique…

Des rails et le point de rencontre, le plagiat et l'hommage, le racisme et l'antiracisme, « le problème n'est pas entre Juifs et Arabes mais entre dominants et dominés », la transformation, par certain-e-s, de l'idée d'un Etat commun israélo-palestinien en « nouvel antisémitisme nazi », l'inversion fantasmée (mais ouvertement défendue) de la haine incluse dans « le camp métissé » et non dans celui de « la nation ethnique », l'affirmation de l'égalité de toutes et tous, sans considération « ethnique ou religieuse », le refus de « la hiérarchisation des degrés d'appartenance nationale »…

Il est agréable de savoir que certain-e-s ont le courage d'explorer pas à pas les échafaudages construits de l'inégalité et lorsqu'ils/elles le font, comme l'auteur, avec le talent méthodique et malicieux du talmudiste, cela se traduit par de précieuses analyses de la « réaction philosémite ».

« L'art du saut de carpe, du punch du kangourou, de la discrétion de la gazelle et l'innocence de la colombe. L'intellectuel translucide, en regard, est un animal laborieux »


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Qu’est-ce que la « fidélité à une collectivité particulière » ? S’il s’agit d’une affection particulière à un homme particulier, lié à une collectivité particulière, cela est respectable et finalement indifférent. S’il s’agit, en revanche, d’un mot d’ordre politique, alors c’est le symptôme d’un renoncement. C’est en effet renoncer à inscrire dans l’histoire une forme politique de l’universel
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la loi est ce qui régule la relation inégalitaire, par principe, entre un maître des lieux et son hôte. L’hospitalité sous condition, telle est donc la loi de la classe dominante, comme elle est la loi de la nation ethnique
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L’art du saut de carpe, du punch du kangourou, de la discrétion de la gazelle et l’innocence de la colombe. L’intellectuel translucide, en regard, est un animal laborieux
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Oui, l’éthique est en dehors de la loi : elle est une autre relation que celle qui s’établit entre le gardien de l’intérieur et l’homme de l’extérieur, une autre relation que celle du maître des lieux à son hôte
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L’antisémitisme était une forme singulière du racisme, le nouvel antisémitisme est une forme singulière de l’antiracisme
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