2381. Les hommes, désormais au nombre de 75 milliards, ont trouvé la solution au surpeuplement qui menaçait la pérennité de leur monde. Ils vivent entassés par centaines de milliers dans des tours de 3000 mètres de haut qu'ils ne quittent jamais, ces "monades", ainsi qu'on les appelle, étant auto-suffisantes, avec leurs écoles, leurs lieux de trava
il, et leur propre approvisionnement en énergie, fournie par les déjections de ses habitants.
Pour assurer la viabilité de ce système vertical, la notion d'intimité et le sens de la propriété ont été bannis, et afin d'éviter les frustrations forcément engendrées par la promiscuité, le sexe est devenu "libre". Aussi, bien que vivant toujours en couple, les individus entretiennent des relations sexuelles avec les partenaires de leur choix. Ainsi, à la nuit tombée, nombreux sont ceux qui errent dans les couloirs de la monade pour aller rejoindre celui ou celle choisi(e) pour cette fois, dans un lit conjugal qu'ils se partagent alors à trois... Avec quelques restrictions tout de même : les étages supérieurs évitent de se mélanger avec les niveaux inférieurs, la verticalité des tours matérialisant par ailleurs une hiérarchie sociale rigide et cloisonnée.
Continuer à se multiplier est devenu la principale activité humaine, la valeur des êtres se mesurant à l'importance de leur progéniture.
Il semble régner au sein de la société dépeinte par
Robert Silverberg une harmonie et une sérénité laissant supposer que l'homme aurait enfin atteint une certaine forme d'utopie... mais la neutralité émotionnelle que suppose ce système laisse perplexe. L'individu serait-il parvenu à niveler ses émotions, à oublier ses passions, sa jalousie, sa hargne ? Même le langage a perdu ses couleurs, ses sous-entendus, ses connotations... on "défonce" dorénavant le "con" de sa partenaire sans la transgression ou la grossièreté que cela suppose, et simplement pour assouvir un besoin organique.
Ceux -rares- qui s'écartent du chemin, ou remettent en cause le bien-fondé du fonctionnement de ce nouvel éden, sont jetés, sans jugement ni fanfare, dans une fosse où ils contribueront à alimenter la monade en énergie...
L'auteur s'attarde sur quelques-uns des habitants de la monade 116 (presque 900 000 habitants), qui expriment d'une manière ou d'une autre leur inadaptation au système. Sigmund, très jeune, surdoué, promis au plus haut niveau, marié à la magnifique Mamelon, commence à se poser des questions sur le sens de son ascension. Micaël rêve de découvrir le monde extérieur. Auréa est quant à elle terrorisée à l'idée d'être obligée de changer de monade, parce qu'elle ne parvient pas à enfanter...
Mais -et c'est l'un des aspects le plus intéressant de ce récit- il montre aussi la facette positive de cette société qui ne connait ni guerre, ni insécurité, ni famine, où règne une sorte de totalitarisme qui n'a pas besoin de leader, étant volontairement admis par l'ensemble de la population.
Il laisse ains
i le lecteur juge de la légitimité morale de ce système où ne règne aucune réelle liberté, cette dernière étant incompatible avec son bon fonctionnement, mais qui dans l'ensemble fonctionne, justement... On pense bien sûr au "Meilleur des mondes" d'
Aldous Huxley, mais plus qu'une critique des totalitarismes il m'a semblé ici que l'auteur invitait à une réflexion sur l'équilibre à trouver entre sacrifices des libertés individuelles et survie de l'espèce.
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