Un messager en complet et chapeau gris s'avança vers la haute demeure de briques située en périphérie de Montréal, sans se douter qu'une paire d'yeux exercés l'observait depuis la fenêtre d'une chambre. En quelques secondes à peine, on l'avait mesuré, pesé, et jaugé.
- Un mètre soixante-sept, murmura Modo. Soixante-trois kilos cinq-cent. Vingt-cinq, vingt-sept ans au plus.
Seul dans la pièce, il avait repris ses habitudes de jeunesse et s'était remis à parler tout seul :
- Léger boitillement, un problème de hanche, peut-être des suites d'une poliomyélite.
Après des années passées dans l'espionnage, évaluer cet homme était d'une simplicité enfantine. Il lui aurait été plus facile encore de bondir du premier étage et de se débarrasser du coursier d'un coup bien placé, ou par une prise d'étranglement. De quoi le rendre aussi gris que son costume.
Grâce à ses petits exercices de surveillance, Modo trompait la monotonie de ses journées. Les semaines s'étaient écoulées sans qu'on lui confie la moindre tâche et ses aptitudes n'étaient plus mises à l'épreuve ni par Tharpa, son maître d'armes, ni par son mentor, M. Socrate. Ils continuaient pourtant d'entraîner Octavia, sa collègue et amie. Il l'entendait chaque jour souffler comme un bœuf dans la cour, entre deux sessions d'arts martiaux, ou déclamer à tue-tête durant les cours d'élocution dispensés par Mme Finchley. Mais Modo était devenu persona non grata pour l'Organisation perpétuelle : un agent renié et oublié.
Je vais moisir ici, se lamentait-il.