Scipio Slataper a mis toute sa vie dans ce livre unique, flamboyant, panique, qui ne ressemble à aucun autre.
Toute sa vie ...si brève.
Malgré le titre français donné à "Il mio Carso", ces "Années de jeunesse" sont les seules que le jeune poète aura pu raconter: fougueux patriote, il se porte volontaire sur le front du karst et y meurt presque aussitôt, en 1915.
Il avait vingt-sept ans. Il était triestin, blond, grand, beau, fantasque, marcheur infatigable, pauvre, et doué.
Giani Stuparich en le présentant à ses amis dira simplement: c'est Scipio, comme s'il était une évidence poétique à lui tout seul!
Il n'hésitait pas à sauter nu au milieu des dauphins pour les empêcher de dévorer, dans les filets , les sardines des petits pêcheurs de Chioggia! Il dévalait en courant les pentes arides de son karst natal au risque de se rompre le cou. Il faisait les 400 coups, enfant, avec son amoureuse, la belle Vila, petite paysanne délurée, sa voisine. Il mesura la terrible indifférence du monde et de Dieu quand Anna, son amie, décida de mourir, lui confiant le soin de travailler et de laisser une oeuvre derrière lui.
Son livre est un chant presque plus qu'un récit. J'ai dû me faire violence pour choisir des citations destinées à vous mettre l'eau à la bouche tant couper dans un tel texte me paraissait sacrilège !
Tout est superbe: la langue -pour n'en rien perdre, j'ai lu en V.F. dans une excellente traduction de Thieŕry Loisel-, les sensations - celles du goût et de l'odorat, si rares en littérature- sont d'un jeune animal, fortes, sauvages, toujours justes! Je ne parle pas de la nature : ce triestin qui dans sa courte vie vécut dans tant de villes " étrangères" à la sienne, est un paysan, un montagnard, un rural, beaucoup plus qu'un citadin comme Magris, Saba ou Stuparich. Il aime sa mer Adriatique, sa montagne, ses collines, ses forêts. Avec passion, délectation, violence.
Et marcher -voire courir- de jour, de nuit, par tous les temps, est une façon de retrouver sa force, comme toucher la terre l'était pour Antée.
On lit ce long poème, ce récit autobiographique pudique, inspiré et fragmenté, comme on écoute de la musique ou comme on prend la route, ou la mer.
En se laissant porter, transporter emporter.. .