Cinq ans après «
De la Neva à la Seine », publié en 2017 lors du centenaire de la révolution russe, romançant l'épopée de Viktoria, une aristocrate fuyant Saint Pétersbourg pour Paris, résistante durant l'occupation, morte pour la France, parait «
Dernier tango russe », qui pourrait être titré « De la Neva au Rio de la Plata », puisqu'il raconte le destin de Dimitri le frère de Viktoria, exilé en Argentine.
Dimitri Poliakof et sa fiancée Ekaterina, sont pris dans la tourmente de la première guerre mondiale et de la chute du régime tsariste.
Ekaterina séduite par les soviets quitte Dimitri pour un communiste français entré au service des léninistes ; quand Staline instaure sa dictature, ils fuient vers la France et s'y installent en 1932, quelques semaines avant qu'un migrant russe assassine le président de la république
Paul Doumer … Eugène et Catherine Berthelot tirent alors un trait sur leurs utopies révolutionnaires, entament une nouvelle vie en traversant les aléas de l'histoire (occupation ; mai 68 ; etc.).
Dimitri, via Odessa et la Grèce, arrive à Marseille, gagne Bordeaux et atteint Buenos Aires en 1923. L'Argentine est vaste et accueille les migrants sans aucune restriction : juifs russes au début du siècle, russes blancs dans les années 20, juifs allemands dans les années 30, nazis dans les années 40 …
Dimitri découvre le tango, épouse une espagnole, développe une ferme proche de la frontière avec l'Uruguay, est employé dans une banque puis élu dans sa région d'adoption et chargé de la politique sociale. Repéré par le couple Péron, il contribue aux ambitieux programmes d'Eva (dont un plan alimentaire en faveur de la France, l'Espagne et l'Italie en 1947 ; un an avant le Plan américain Marshall), un rôle qui lui vaut de nombreux ennemis et le condamne quand les militaires instaurent en Argentine et dans les pays voisins un régime de terreur qui emprisonne les opposants, arrache les nouveaux nés à leurs mères et offre des vols sans retour aux « disparus ».
Elena, l'enseignante héroïne «
De la Neva à la Seine », est mutée à la rentrée 2009 au lycée
Jean Mermoz de Buenos Aires, et y arrive avec quelques bribes d'informations sur Dimitri. Elle enquête dans la paroisse orthodoxe de la capitale, dans les services d'immigration, découvre en Uruguay deux ghettos russes, l'un fondé par une communauté juive ayant fuit les pogroms russes du début de XX, l'autre par des traditionalistes orthodoxes. Non sans peine elle reconstitue la tragédie qui a emporté Dimitri et les siens. Non sans risque, car les tortionnaires font tout pour cacher leurs crimes …
Carole Sorreau dévoile les réseaux qui s'opposent à la junte militaire et exfiltrent les militants menacés : filières israélites, filières russes, associations d'avocats contribuent à la résistance et payent un lourd tribut. Lycéens et enseignants du Lycée
Jean Mermoz ou religieuses, les français « disparaissent » également et ce livre leur rend l'hommage qu'ils méritent.
Un siècle, deux continents, trois générations, c'est un vaste tableau que peint la romancière en basant son récit sur une solide documentation historique, des voyages d'étude et des témoignages recueillis auprès des survivants.
Un récit articulé autour de trois personnages Dimitri, Ekaterina, Elena et de leurs familles, entourés d'amitiés et de complicités qui les aident à renverser les obstacles pour bâtir un monde plus humain et plus juste.
Cinq étoiles sans hésitation !
PS : sur les françaises assassinées en décembre 1977 : « se taire serait lâche ».
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