Ce roman historique, fort bien documenté, retrace le destin du fils bâtard de
Karl Marx, qu'il ne reconnaîtra jamais, qui sera un secret d'état bien gardé et qu'Engels, pris de remords, finira par adopter.
J'avais été conquise par "
Ces rêves qu'on piétine", le premier roman de l'auteur, sur la glaçante Magda Goebbels;
Sébastien Spitzer ancrait le roman dans un contexte historique, en présentant des aspects méconnus de personnages historiques tout en développant un souffle romanesque puissant.
On retrouve ici la même recette, toujours aussi bien réussie, mais à laquelle j'ai un tout petit peu moins adhéré, peut-être à cause de la figure de
Karl Marx, assez méprisable lorsqu'on fait abstraction du personnage politique et de ses écrits qui ont marqué l'humanité et engendré un système qui a gouverné une grande partie du monde.
En effet, l'image de Marx et Engels est bien loin de l'image de révolutionnaires, purs et durs, à la foi politique chevillée au coeur que l'URSS a voulu diffuser. Marx est dépeint comme un dépravé, qui aime les jeux d'argent, l'argent (il a lorgné longtemps sur l'héritage de sa mère), les femmes, le boursicotage; il n'a jamais travaillé pour gagner sa pitance et celle de sa famille car il se laissait entretenir par Engels, qui payait le loyer, les dettes tout en ressentant une sorte de mépris pour lui.
Engels, quant à lui, était un très grand bourgeois, propriétaire d'usines où on tissait le coton; il rêvait du soulèvement du prolétariat tout en profitant d'une fortune considérable, en chassant le renard avec les nobles anglais; il fréquentait les bordels. Il est décrit comme un couard, un lâche qui couvre les turpitudes de Marx, sans se poser de questions morales, faisant disparaître Freddy, le fils bâtard que Marx a eu avec sa servante et en empêchant que le secret soit révélé.
Ces deux figures historiques sont présentées de façon ambivalente ce qui les rend plus humaines, puisque eux aussi ont des défauts.
Ce roman est aussi une fresque épique des débuts de la révolution industrielle en Angleterre vers 1860 (Londres et Manchester en particulier), de la vie londonienne dans les quartiers pauvres qui rappelle les descriptions de Dickens, la révolte des Irlandais contre la couronne britannique. C'est sur ce fond historique que l'auteur écrit un texte au souffle romanesque puissant, à la lecture très fluide et agréable, avec des personnages de fiction attachants, en particulier les femmes qui vont aimer et aider Freddy.
Un très agréable moment de lecture, malgré quelques longueurs, qui nous fait découvrir des faits historiques méconnus.
Ce roman avait été sélectionné pour le Goncourt et le Goncourt des lycéens 2019.