La cour de l'hiver mélange des éléments romanesques classiques (récit et dialogues au registre de langue courant) avec des échanges épistolaires au style beaucoup plus pompeux (inspiré des Liaisons dangereuses
De Laclos, point de départ du roman).
Le roman fait également appel à plusieurs genres, sans en reprendre totalement les codes. le premier tiers, c'est du contemporain classique. Mais on se doute bien que l'autrice nous réserve quelques surprises… Qui arrivent bien vite. Tiens, une apparition de SF ! Un peu d'horreur aussi, comme ça l'air de rien. Des métamorphoses, des giclées par-ci, des giclées par-là, des corbeaux flippants, quelques morceaux de chair… Presque quelque chose de très visuel, filmique. Et puis un aperçu de fantasy et de merveilleux avec l'entrée en Faerie. Mais un univers tellement blanc qu'il en est dangereusement noir. Dans le fond, on pourrait même lire ce roman comme un conte…
Alors, c'est désarçonnant. Parce que le rythme de lecture en est complètement perturbé, parce que chaque incursion dans un genre peut frustrer tant on a des attentes qui en sont liées et dont Morgane se moque royalement. J'aime bien quand les auteurices osent des choses, sortent des sentiers battus, proposent des textes à la croisée de plein de chemins. J'aime bien être déroutée, aussi, et me laisser alors guider par l'auteurice, à l'écoute du message plutôt que de la forme. Honnêtement, cela donne ici un roman assez lumineux, intéressant, singulier. Mais aussi assez inégal. Si je salue grandement ces choix pour le souffle de liberté qu'ils apportent au roman, je dois reconnaître malgré tout que je n'ai pas été totalement séduite.
Je connais l'amour de l'autrice pour la poésie un peu grandiloquente, pleine de panache et de souffle. On la retrouve dans les échanges épistolaires entre les deux protagonistes (des ados de 1ère). Et là, première déconvenue : ça ne marche pas du tout.
D'une part, ça ne colle pas avec l'âge des personnages. Je veux bien admettre qu'on apprécie les grands poètes à cet âge, mais là ça sonne faux. Personnellement, je ne suis pas du tout émerveillée par ce type de prose que je trouve artificielle à souhait. Les images déjà vues mille fois, les déclamations ampoulées, les phrases à rallonge, pleines d'images et de comparaisons à l'infini… Trop souvent j'ai eu l'impression d'une déclamation, et si c'est fait exprès (après tout, les aèdes étaient des orateurs), ça ne me séduit pas du tout. J'avoue avoir grimacé plusieurs fois et levé les yeux au ciel autant.
Mais au-delà de cette question de goût, le problème vient surtout du fait que la voix de l'autrice prend toute la place et noie celle des personnages qu'on n'entend pas du tout. C'est dommage, parce qu'il y a un déséquilibre qui m'a semblé évident entre les échanges épistolaires qui m'ont laissée de marbre (et que j'ai fini par survoler) et des scènes de la vie quotidienne certes banales mais beaucoup plus chargées d'émotion brute et authentique. Mais ces échanges épistolaires sont fondamentaux dans les relations entre les personnages et dans le regard qu'ils portent sur eux-mêmes. Je trouve dommage de les avoir autant enrobés de sauce et de coulis et de ganache et de crème.
Par ailleurs, les amateurices de littérature de genre pourraient éprouver quelques frustrations, notamment concernant la SF. C'est vrai que la SF n'est développée que sur quelques pages, et finalement ce bref instant n'apporte pas grand-chose. A part un décor en carton pâte et des situations très faciles (par exemple les méchants très riches capitalistes, ça manque un peu de nuance tout ça), ça n'est pas forcément très utile. L'autrice profite davantage de ce moment pour taper sur pas mal de choses actuelles et là encore c'est surtout sa voix qu'on entend. Evidemment c'est le cas de la plupart des textes, mais j'apprécie quand c'est plus subtil.
Dans le genre passage rapidement survolé, il y a surtout une scène que je regrette, c'est l'énorme ellipse qui est censée traduire un long isolement vécu par le personnage principal. C'est pour le personnage un moment très très long, iel plonge dans une dépression lente et collante, mais deux pages plus tard, pouf, c'est déjà fini. Si je me réjouis de ne pas avoir revécu, par procuration, de tels moments, je regrette néanmoins le choix de l'ellipse. Parce qu'elle amoindrit énormément l'impact de ce que vit le personnage, et aboutit à un final plus qu'expédié. J'ai rarement vu une situation finale aussi rapidement exécutée. C'est assez déconcertant. Hopla boum, rentrez chez vous, y'a plus rien à voir. Dans le genre frustrant on atteint des sommets.
Le gros point fort de
la cour de l'hiver réside dans les sujets qu'il traite.
Et je ne vais pas dire précisément ce dont il est question, parce que sinon, je vais divulgâcher tout le bouquin, et ce serait franchement dommage. Je vous laisserai donc découvrir cela.
Sachez cependant qu'il est question d'une quête d'identité et de métamorphose. le personnage principal se pose une question cruciale : « qui suis-je ? » Iel va prendre peu à peu conscience de son être au gré des échanges avec son amie Csilla. D'où l'importance comme je le disais des échanges épistolaires dans le roman. Mais les scènes les plus YA de ce roman sont finalement celles qui m'ont plu. Elles révèlent une fragilité, une peur féroce, des doutes immenses, une angoisse profonde. Et il ne suffit alors que de quelques mots, un dialogue de quelques phrases et un miroir pour offrir une scène particulièrement forte. L'autrice nous offre ainsi plus de sens et de force que dans ses envolées poétiques.
Elle parvient à aborder ces thématiques avec tact et subtilité, bienveillance et amour pour ses personnages. J'ai très peu lu de romans qui abordent le sujet; il faut dire qu'il y en a peu. Mais ici j'ai trouvé l'angle d'attaque, le ton et le regard particulièrement bien choisis.
Morgane Stankiewiez nous offre aussi une magnifique relation amicale entre les deux protagonistes, comme on n'en trouve aussi assez peu dans les bouquins. En cela,
La cour de l'hiver est une sorte de témoignage de ce que vivent les personnes dans une situation similaire. Et puis j'ai réalisé pas mal de choses avec ce roman. Je me suis mise à la place de ce personnage, et ai vécu ses questionnements, ses doutes, ses peurs.
La cour de l'hiver peut ainsi se lire comme une autofiction. Peut-être est-ce pour cela que l'on entend autant la voix de l'autrice, dans ce roman. Et pour cela aussi qu'elle traite si bien cette quête et cette métamorphose. Il y a tellement d'elle dans ces pages, de ce qu'elle a vécu. Pas un hasard qu'on se promène entre la Bretagne, l'Alsace et Paris, dans les pages de ce roman. On y lit les oeuvres préférées de l'autrice, on y écoute la musique qui la fait vibrer… C'est un peu une sorte de témoignage. Cela donne au roman une force supplémentaire, et il y a quelque chose de très émouvant dans cette relation intime qui se crée.
En somme,
La cour de l'hiver n'est peut-être pas le meilleur bouquin de l'autrice, mais sûrement est-il le plus crucial dans le cheminement et la métamorphose de l'autrice, sur le plan personnel mais aussi artistique. Et cela en fait une oeuvre particulièrement marquante, en plus d'être singulière…
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