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Le vent, le blizzard, la neige.
La houle, les vagues.
La nuit, les étoiles et la tristesse des anges.

Les éléments se déchaînent, et la poésie m'enchaîne.

Je me retrouve prisonnier du vent, du blizzard, d'une tristesse qui me colle à la peau comme de la neige mouillée et qui dissout lentement mes vieux os. Je m'engouffre dans une taverne, des bruyants ancêtres vikings qui versent et déversent des gobelets métalliques remplis de cervoise se réchauffent joyeusement, pas que la cervoise se serve chaude dans ce coin reculé de la Terre et du monde glacé.

Je m'installe au fond de la salle, mélange de pénombre et de vieille poussière que des siècles de lecteurs ou d'ivrognes ont fréquenté. Je reste silencieux, je lis juste une phrase, ce n'est pas de l'indifférence ce silence, c'est juste un de ces instants magiques, comme quand la lune bleue s'éveille au milieu d'une foule d'étoiles et d'embruns.

Je m'arrête sur cette phrase, comme on s'arrête sur un sourire ; sur ce mot, comme une magnifique femme ; sur ce chapitre, comme si plus rien ne comptait en dehors de ce silence fait d'amour et de poésie. Tout y est beau, sublime. A chaque nouvelle ligne, j'ai le sentiment d'assister à une nouvelle aurore boréale. Ou à regarder le beau sourire d'une belle femme pour le garder profondément et silencieusement ancré en moi.

Je lis une seconde phrase. J'ai envie de l'apprendre par coeur et de la ressortir à une jolie islandaise de passage, juste pour un sourire même éphémère. J'ai envie de la noter sur un carnet avec une couverture de cuir. J'ai envie de l'écrire sur un site internet qui recense toutes les meilleures citations de bouquins islandais et d'ailleurs. D'ailleurs, je grave cette phrase sur la table avec mon couteau de poche.

« Les flocons se déversent, la neige envahit l'espace entre ciel et terre, elle relie l'air et le sol, on ne voit plus entre les deux aucune différence, tout se confond et les deux hommes doivent s'attendre à rencontrer des anges en plein vol au sein de l'éternité. »

J'attends la troisième phrase avec impatience. Pourtant, je prends mon temps. C'est aussi ça l'amour pour un livre, l'amour pour une femme, prendre son temps, la regarder et sentir au plus profond de son âme son souffle, celui de la phrase qui commence et ne s'achèvera que dans les tréfonds d'un rêve.

La phrase suivante est un éloge au silence. Celui qui empêche de sortir un son, tant il fait froid dehors, tant tes émotions restent au chaud à l'intérieur. Tous ces mots sont des silences d'une pureté immaculée. Comme la neige qui tombe encore et encore. Et toujours. C'est le blizzard. Dehors, dedans.

En fait, je crois que j'ai envie de relire deux fois chaque phrase. J'ai envie de m'arrêter sur chaque mot, respirer chaque ponctuation. Trois fois.

En fait, je crois simplement que je n'ai rien lu de plus beau que cette tristesse des anges. Une tristesse solitaire sur un coeur gelé, la plus belle façon de s'abandonner à la poésie d'une terre glacée.
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La tristesse des anges, ou encore les larmes des anges, à savoir la neige, nous étreint, nous enveloppe jusqu'à nous étouffer dans ce deuxième tome de la trilogie islandaise de JK Stefansson. La neige et ses mille combinaisons. Depuis la neige légère, apaisante, caressante, virevoltante, le silence en suspens entre les flocons, jusqu'à celle, drue, charpie de flocons qui cingle le visage et érafle la cornée, empêche de respirer, reliant le ciel à la terre et transformant le monde en un tourbillon informe et blanc. Jusqu'à ne plus faire de différence entre la neige qui tombe du ciel et celle qui monte depuis la terre sous l'effet des bourrasques.
La voix qui raconte est une voix d'outretombe, celle des défunts aux yeux telles des gouttes de pluie, emplis de ciel, d'air limpide et de néant, qui nous exhortent de ne pas oublier de vivre sous peine de finir comme eux et d'errer. Pourtant que les conditions de vie sont rudes, quasi impossibles…Chutes de neige gommant le paysage, blizzard sur une lande battue par les vents où les directions se confondent, j'ai eu la sensation d'une réminiscence, celle de la Horde du contrevent, toute petite Horde ici de deux personnes, à la recherche de la source de l'hiver, droit vers la nord, à la source du vent.

L'abri est alors la seule planche de salut pour la survie et nous rend philosophe : « de cette tempête si immense qu'elle emplit l'existence et menace les vies ; il suffit d'une porte, une fine planche de bois, pour s'en isoler, l'exclure. N'y aurait-il pas là quelque chose à apprendre à propos de l'homme quand il est confronté à ses sombres turbulences ? ».

Oui, il fait froid, très froid dans ce livre et alors qu'il est bon de boire une grande quantité de skyr délayé dans du lait, mélangé parfois à des flocons d'avoine, de manger du mouton fumé, de s'enfiler de grosses tranches de pain nappées d'épaisses couches de beurre et de pâté, des flatkökur (galette de farine sans levure), de la bouillie chaude, des têtes de morue réduites en compote, mélangées à de la farine et du lait, ou encore du macareux faisandé. Revigorant et croyez-moi il le faut. Et surtout, surtout d'engloutir du café à grandes lampées. J'avais déjà remarqué dans le premier tome (Entre ciel et terre) l'amour qu'éprouve l'auteur pour le breuvage noir mais là, il s'agit d'une véritable ode pour cette boisson sacrée et quasi sacralisée, pour cette boisson aussi chaude que le paradis et aussi noire que l'enfer. Ce noir breuvage dont le fumet hante encore les défunts et soutient les vieillards, dont l'odeur transforme les cabines les plus glaciales en lieu habitable, fragrance se propageant tel un cri de joie. « Si le royaume des Cieux existe, alors il y pousse sans doute des grains de café » note JK Stefansson et je crois que je n'ai jamais autant bu de tasses de café en lisant un livre.

Nous retrouvons et nous attachons davantage au « gamin » présent maintenant depuis trois semaines auprès de Geirþrúður, d'Helga et du vieux capitaine aveugle Kolbeinn. Les deux femmes ont accueilli ce garçon maigre, peu viril (comparé en tout cas à la plupart des hommes islandais) lunaire et amoureux des mots, sans famille et en deuil de son meilleur ami, avec pour objectif de l'instruire, notamment de lui apprendre l'anglais, de lui faire découvrir les grandes oeuvres littéraires comme celle de Shakespeare.
Mais avant il doit accompagner Jens, postier, pour une tournée lointaine et dangereuse, l'autre postier étant malade. le postier a une fonction très importante sur cette île du bout du monde, il est le fil qui la relie au monde pendant les hivers interminables, durant lesquels les habitants n'ont pour compagnie que les « étoiles, l'obscurité qui les sépare et la pâleur de la lune ». C'est un métier dangereux qui impose de parcourir de vastes espaces pour collecter les nouvelles de la capitale Reykjavik acompagnées de toutes celles qu'il a collectées en chemin : « un tel est mort, tel autre a eu un enfant hors mariage, Gröndal a été retrouvé ivre sur la plage, saison instable et changeante dans la province du Suðurland, le sud du pays, une baleine de trente aulnes s'est échouée sur le versant est du Hornafjörður, etc… ».

Nous avons beau être au moins d'avril, fin avril même, le printemps semble ne pas vouloir venir, Il leur faut traverser deux fjords dans des conditions météorologiques extrêmes, le périple va s'avérer être cauchemardesque, la ligne entre la vie et la mort est alors mince. Jens le taiseux et le gamin poète semblent condamnés à se tenir à la pointe d'un couteau durant ce périple. Ce gamin, si doux et bon, qui déclament des vers pendant l'adversité car « la poésie ne nous rend pas humbles ou timides, mais sincères, c'est là son essence et son importance » face à Jens qui déteste la compagnie des autres et encore plus la poésie estimant que la lutte pour la vie fait mauvais ménage avec la rêverie et la poésie. le gamin saura se rapprocher de Jens, il sait instinctivement que « celui qui ne franchit pas la distance qui mène vers l'autre voit ses jours s'emplir d'un son creux ».

Comme dans le premier tome, nous retrouvons une poésie d'une beauté à couper le souffle, notamment lorsqu'elle met à l'honneur la beauté des femmes et l'amour. Que de descriptions fabuleuses des épaules de Ragnheiður, des épaules « tissées dans le clair de lune », des épaules blanches et lisses, tels des icebergs raclés par les vents. Nous retrouvons également l'amour et le rôle des livres et de la poésie, monde à l'arrière du monde, l'amour des mots, seule chose que le temps n'ait pas le pouvoir de piétiner. « Certains mots forment des gangues au creux du temps, et à l'intérieur se trouve peut-être le souvenir de toi ».

Pour conclure ce ressenti et avant d'aborder le troisième tome de cette trilogie glaciale et magnifique, voici l'image poétique qui m'aura le plus marquée dans ce livre, cette image de la Terre vue de l'espace, juste sublime : « le jour se lève avec lenteur. Les étoiles comme la lune disparaissent et bientôt la clarté, l'eau bleutée du ciel, vient tout inonder, cette délicieuse lumière qui nous aide à nous orienter à travers le monde. Pourtant, elle ne porte pas si loin, cette clarté, elle part de la surface de la terre et n'éclaire que quelques dizaines de kilomètres dans l'air où les ténèbres de l'univers prennent ensuite le relais. Sans doute en va-t-il de même pour la vie, ce lac bleuté à l'arrière duquel l'océan de la mort nous attend. »
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Voilà trois semaines que le Gamin est installé dans le confort douillet de la maison de Kolbeinn et Helga. Il aide à la buvette, va faire les courses et le, soir, il fait la lecture pour le vieux capitaine aveugle. Mais il n'en a pas encore fini avec le froid et la neige. Jens, le postier, doit livrer le courrier dans les fjords du Nord, ''là où l'Islande prend fin pour laisser place à l'éternel hiver''. Une partie de la route se fait par voie de mer et Jens n'a pas le pied marin. Il lui faut un compagnon qui sache mener une barque et ce sera la mission du gamin. le géant taiseux et le freluquet amoureux des mots partent donc aux confins du pays, dans la solitude des grands espaces blancs...

Roman du froid et de la neige, cette ''tristesse des anges'' qui brouille le paysage, dissimule les crevasses mortelles, transit les hommes jusqu'à la moelle, peut tuer aussi sûrement qu'une arme, ce deuxième tome de la trilogie de Jon Kalman Stefanson est tout aussi poétique que le premier. On y retrouve le Gamin, toujours en deuil de son ami Bàrður, toujours réticent à profiter de sa nouvelle vie quand tous ses proches ne sont plus de ce monde. Pourtant, la chaleur, la poésie, les livres, l'éveil des sens grâce à la belle Ragnheiður, font désormais partie de son quotidien si différent de la rude vie de pêcheur qu'il a laissée derrière lui. Quand il doit à nouveau se frotter à l'hostilité des éléments, il le fait en pleine conscience, certain de pouvoir traverser le pire grâce au pouvoir des mots qui emplissent sa tête et son âme. le chemin est semé d'embûches et le Gamin s'interroge sur le sens de la vie dans cette contrée si peu faite pour l'homme. Pourtant, dans cet éternel hiver qui laisse si peu de place à la lumière, une lueur d'espoir persiste. Des hommes et des femmes y vivent, y élèvent des enfants, y rêvent de printemps. Porté par les poèmes qu'il se récite sans fin, stimulé par la chaleur humaine qui existe sous la glace, le Gamin suit sa route pour relier les humains par des lettres, des journaux, des traces du monde.
Hommage aux mots, à la littérature et aux traditions littéraires islandaises, La tristesse des anges glace le sang autant qu'elle réjouit le coeur. Il y a de la poésie, de la beauté, de la neige, du froid et aussi tellement d'humanité dans ces pages que l'on peine à quitter ces terres islandaises, surtout que le doute persiste sur le sort du Gamin et de Jens que la tempête malmène plus que de raison. de la grande littérature !
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Je croyais avoir fait connaissance avec la rudesse sauvage et énigmatique de l'Islande, à travers les enquêtes d'Erlendur.

Je me trompais. Ce fut le choc .

Je suis entrée dans un avril de glace, avec Jens, le postier, littéralement collé à son cheval par le gel. Et j'ai découvert un univers hors du temps, au coeur d'une nature souvent hostile. J'ai avancé en sa compagnie jusqu'à la maison-réconfort d'Helga, une buvette-hôtel ou les voyageurs fourbus font une halte.

J'y ai découvert des personnages rendus mutiques par l'environnement , repliés sur eux-mêmes, sur leur cécité terrible quand on est passionné de livres, comme Kolbeinn.

Et puis le" gamin" s'est présenté à moi, en mal d'affection, éloigné qu'il est d'Andrea, sa mère, dont il attend les lettres avec impatience. Un gamin attachant, habité par les rêves, le désir qui s'éveille dans son corps adolescent, les espoirs juvéniles et les révoltes aussi.

Et surtout j'ai pénétré à pas feutrés, floconneux, dans l'univers de l'auteur, plus encore poète que romancier ( je n'ai pas suivi l'ordre de cette trilogie, c'est le premier que je lis) . Presque chaque phrase est un bijou. A travers la beauté envoûtante de ses descriptions, j'ai senti sur mon visage les épées de la neige, faussement enveloppante et veloutée, en fait mortuaire et coupante.

J'ai alors parcouru des kilomètres et des kilomètres vers les Fjords du Nord, pour une tournée à haut risque. J'ai trouvé le parcours un peu long mais je me suis accrochée, hypnotisée par le vertige des phrases, le vent et les tourbillons de neige.

L'arrivée a été terrible, angoissante, mais ô combien sublime dans sa désolation.
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"La tristesse des anges" fait suite à "Entre ciel et terre". Nous retrouvons le Gamin là où nous l'avions laissé, auprès de Geirþrúður, de Helga et du capitaine Kolbeinn. Voilà trois semaines qu'il est hébergé à l'auberge contre quelques menus services. Alors que le printemps se fait attendre, Jens le Postier arrive enfin, en plein milieu d'une tempête de neige. À peine remis de son périple (et à peine réchauffé), il doit repartir vers le Nord. Parce qu'il est un habitué de la mer, le Gamin est désigné pour l'accompagner. C'est une longue épopée qui les attend, dans laquelle ils devront faire face au vent violent, à la neige ténébreuse, au froid, à la fatigue, à la faim, à la soif...

C'est un véritable plaisir que d'avoir retrouvé la jolie plume de Jón Kalman Stefánsson : une plume tout en poésie, envoûtante, quelque peu lancinante, un peu hors du temps. Elle nous entraîne dans de grands espaces enneigés, nous isole, nous coupe du monde, au même titre que les protagonistes. Nous voyons du blanc partout, nous controns les vents violents, nous avons extrêmement froid, faim, soif. Nous luttons contre cet environnement hostile, non plus pour mener à bien notre mission, mais tout simplement pour rester en vie. Tout est extrêmement bien dépeint : la tempête incessante, les montagnes, le ressac de la Mer Glaciale que l'on entend au loin, les silences entre les flocons de neige, le blanc qui englobe tout à perte de vue. C'est à la fois beau et terrifiant, d'autant qu'on s'y croit réellement.

Le duo que forment le Gamin et Jens est lui aussi adroitement brossé. C'est d'abord timidement que nous assistons à la relation qui s'installe entre eux. Tout les oppose : leur âge, leur condition physique, leur personnalité. Pendant que le Gamin se demande encore s'il a le droit de vivre alors que tous ceux qu'il aime sont morts, pendant qu'il se pose beaucoup de questions et qu'il en pose beaucoup autour de lui, Jens quant à lui a besoin du silence pour avancer, réfléchir, marcher, vivre. Tous deux devront s'habituer à l'autre, au silence de l'un, au besoin de parler de l'autre. Leurs relations seront ponctuées tour à tour de colère, de mutisme autant que de confidence, de soutien autant que de renoncement. Mais le lien se crée, tout doucement, et s'il est fragile au début, on le voit se fortifier au fil de leur avancée. Cette relation complexe nous permet de les apprivoiser, de nous attacher à l'un comme à l'autre.

Mais je n'ai pu apprécier tout ça dans son entièreté. Comme avec "Entre ciel et terre", bien qu'en pire ici, mon plus gros problème se situe au niveau de la mise en forme, et plus précisément de l'absence de typographie dans les dialogues. Ils sont ici mélangés au reste de la narration, et sont bien plus nombreux que dans le tome précédent. Il arrive quelquefois qu'ils soient annoncés comme dans une pièce de théâtre (avec le nom du personnage indiqué avant la réplique), notamment lors de longues conversations impliquant plusieurs protagonistes, mais c'est assez rare. le plus souvent, les personnages se donnent la réplique dans un même paragraphe, on passe sans cesse d'une phrase à l'autre en changeant à chaque fois de personnages, et ce n'est pas toujours évident. Parfois même, on a deux personnages qui se répondent dans une seule même phrase... C'est brouillon, totalement désordonné, et c'est aussi très fatiguant. Je ne comprendrais jamais en quoi c'est si compliqué d'utiliser des guillemets et des tirets...

Un très beau roman tout de même, grâce à sa belle et périlleuse intrigue, grâce à la magnifique plume de l'auteur (et de son traducteur), et dans lequel la (non)fin ne peut que me motiver à ouvrir rapidement "Le coeur de l'homme", dernier tome de la trilogie.
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« …il neige, la couleur blanche nous vient du ciel, la tristesse des anges, mais les anges, qu'est-ce donc qui les afflige ? »
Et nous, qu'est-ce qui nous afflige ?

Le gamin, qui vient d'entrer dans un univers chaleureux de lettres et de poésies, encore peu habitué à ce confort, va devoir partir en voyage. Il accompagne le postier Jens, un géant bourru et avare de mots. Un périple qui les emmène là où l'Islande prend fin pour laisser place à l'éternel hiver .

Dans ce désert glacé, les hommes s'accrochent à la vie depuis mille ans. Où mieux que dans cet endroit peut-on trouver les raisons que l'homme a de continuer à vivre, malgré les tempêtes de neige, de vent, le froid, la mer glaciale avaleuse d'hommes, un hiver sans fin, entrecoupé d'un bref été ?

Et pourtant, ce pays est si beau quand l'herbe verdit.

Le gamin et le postier semblent n'avoir rien en commun. le gamin a besoin de mots et de poésies pour le réconforter ; le postier trouve son refuge dans le silence ; il lui procure la paix.
Errant dans ce blanc immense, ballotés par les vents, seuls au monde, ils vont affronter leurs démons intérieurs, lutter pour leur survie, lutter pour trouver une raison de rester en vie.

Ils trouvent refuge dans des fermes isolées, chez de pauvres gens. La vie est pourtant là, tapie au fond de ces coeurs, malgré le froid, la faim et la solitude. Personne ou presque ne vient troubler leur tranquillité dans ce bout du monde. Ils sont libres et apprécient pleinement les instants de joie qui s'offrent à eux. Une idée simple de la vie.

Sur ce chemin, où la mort rôde, prête à engloutir toute vie qui s'égare, qui cède au réconfort du sommeil, pour ne plus souffrir, ne plus se tourmenter, les deux hommes avancent et cherchent des réponses. Est-on sur terre seulement pour mourir ? Ont-ils droit au bonheur ? Sont-ils capables d'être heureux et de rendre heureux ?

Pour le gamin, les réponses sont dans les livres, les poésies sont des trésors. Celui qui possède tant de livres, ne peut être qu'heureux. Il doute et il continue d'avancer : « celui qui doute va quelque part ». Pourtant certains hommes se perdent parmi tous ces mots et ces lectures ne comblent pas leurs solitudes, au contraire, elles rendent les mots inutiles, car personne n'est là pour les entendre, pour leur donner vie.

Le postier qui se tait, rend le silence dangereux, ses pensées le tourmentent. Les mots pourraient l'apaiser et rendre son monde meilleur.

Ils vont cheminer l'un vers l'autre, sur cette route glissante et glaciale, faite de peurs, de doutes, de tristesse, de regrets, d'espoirs. Mettre des mots sur les tourments, trouver un sens à la vie, s'autoriser à vivre, laisser une chance au bonheur, ouvrir son coeur, ne plus avoir peur, se faire confiance et faire confiance à l'autre, voici aussi ce que représente leur voyage dans ce désert glacé. Il ne s'agit pas seulement de faire parvenir le courrier au bout du monde, mais aussi de trouver une issue par laquelle la vie pourra se faufiler, les atteindre, les sortir de leurs ténèbres. Comme s'il fallait pénétrer les ténèbres pour trouver enfin la lumière.

Quand on referme ce livre, on a qu'une idée en tête, poursuivre la lecture en se jetant sur le 3è tome : « le coeur de l'homme ». Jon Kalman Stefansson est un magicien des mots, il sait les faire vibrer, au son de la musique de la vie. Ils résonnent en nous, font écho à nos propres tourments, nos émotions, nous entrainent vers des contrées belles et sinistres à la fois, vers cette terre de glace, ces fjords, empreints de magie, où la nature dicte sa loi.
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Lors de la lecture d'« Entre ciel et terre », le premier volume de cette trilogie, j'ai éprouvé une telle quiétude, au coeur de la terre hostile d'Islande, habillée d'un manteau de neige et de glace une grande partie de l'année, que j'ai eu envie d'y retourner.
Dans le premier opus, nous quittions le gamin en quête d'une raison de vivre après la mort de son seul ami, Barbour.
« La tristesse des anges » nous plonge à nouveau dans un univers glacé.
On retrouve « le gamin », héros sans nom, échoué dans un hôtel sur la côte nord-ouest de l'île. Il continue à lire éperdument, amoureux des mots lorsqu'ils deviennent poèmes, comme son ami Barbour qui le paya de sa vie.

La relative sérénité que le gamin est parvenu tant bien que mal à atteindre va être rompue par l'arrivée de Jens, le postier.
A demi mort de froid, collé à son cheval par une couche de glace, le pauvre homme après avoir repris vie, doit poursuivre sa tournée, dont une partie se fait par voie maritime. C'est au gamin, marin aguerri que reviendra le privilège (ou le malheur) de l'accompagner.
Pour l'amateur de poésie qu'il est, le taciturne Jens n'est pas franchement le compagnon de route idéal.
Pendant de longues pages, La Tristesse des anges suit deux hommes qui marchent en tentant de résister à une nature déchaînée. Faire quelques mètres demande des heures. le vent transit, la neige aveugle, le froid assassine, mais ils doivent continuer coûte que coûte, résister à la fatigue, à l'envie de dormir qui pourrait être fatale.

Il ne se passe pas grand-chose dans ce livre, l'action est lente, la parole se fait rare, les confidences ne sont pas dans les habitudes des deux compagnons.
Elles n'en ont que plus de valeur, lorsque quelque chose de personnel échappe malgré tout à l'un d'eux.

Avec Jon Kalman Stefansson, le mot contemplatif prend tout son sens.
Que serait ce texte, pour nous français, sans le talent du traducteur que l'on a trop souvent tendance à oublier.
Ici, tout le mérite en revient à Eric Boury.


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Depuis le temps que j'attendais d'attaquer ce nouveau volume de Jon Kalman Stefansson, auteur de Entre Ciel et Terre, un véritable coup de coeur l'année dernière. Ce roman se terminait d'une façon où l'on n'attendait pas forcément une suite, il se suffisait à lui seul. J'ai donc été surprise quand La Tristesse des anges a été publiée et que je me suis aperçue que c'était la suite ! Et pour le coup, celui-ci se termine d'une manière qui ne laisse aucun doute : l'Islandais nous écrit une trilogie.

Sans le savoir à l'avance, je me suis plongée innocemment dans ce nouveau volume, un peu inquiète qu'il n'atteigne pas la puissance du premier. Dès la deuxième page, j'ai été rassurée : l'ambiance était là, le froid aussi, dont le printemps tardif n'arrive pas à débarrasser cette terre gelée qu'est l'Islande. Autant vous dire que j'ai eu froid à cette lecture. Dans le premier tome, c'était le froid de la mer et du blizzard, ici les personnages évoluent pratiquement tout le temps en plein coeur d'une tempête de neige.

La tristesse des anges, dans les légendes populaires, désigne la neige. Et ce symbole inonde le roman, accompagnant le travail de deuil du héros.

En effet, on retrouve le “gamin”, qui après la mort de son ami Barour, s'est réfugié dans un bar où il rend de menu services tout en s'instruisant. “La distance entre Barour et la vie augmente impitoyablement avec chaque journée qui s'écoule, chaque nuit, car le temps est parfois cet infâme salaud qui ne nous donne toute chose qu'afin de mieux venir nous la reprendre. “

La poésie et la littérature sont encore très présentes ici, à mon plus grand plaisir. “La lutte pour la vie fait mauvais ménage avec la rêverie, la poésie et la morue salée sont irréconciliables et nul ne saurait se nourrir de ses rêves.”

Et sa dangerosité est encore soulignée, comme si l'exemple de la mort de Barour, à cause d'un poème, ne suffisait pas comme leçon. “Il n'est pas toujours aisé de supporter la poésie, elle peut entraîner l'être humain dans des directions inattendues.”

J'ai aimé cet hommage à la littérature, j'ai aimé la manière dont l'auteur souligne sa force, y revenant sans cesse, comme dans cette citation magnifique : “Les mots semblent être la seule chose que le temps n'ait pas le pouvoir de piétiner. Il traverse la vie et la change en mort, il traverse les maisons et les réduit en poussière, même les montagnes, ces majestueux amas rocheux finissent pas céder face à lui. Pourtant, il semble que certains mots parviennent à affronter son pouvoir destructeur, la chose est très étrange, certes, ils s'usent un peu, leur surface se patine mais ils résistent et conservent en eux des vies englouties, ils conservent le battement des coeurs disparus, l'écho de la voix d'un enfant, ils sont les gardiens des antiques baisers.”

Dans ce roman du froid, roman des mots, la traversée que vont faire le gamin et le postier, est extraordinaire. Car le courrier doit bien être distribué, même dans les coins les plus reculés. L'occasion d'un voyage qui permettra au gamin de compléter son deuil, et de chercher le sens de sa vie – ce qu'il fait souvent quelques minutes avant de mourir de froid et d'être sauvé in extremis par son compagnon …

Pas trace d'humour ici, mais juste la puissance d'une grande littérature, de mots qui nous balaie et qui, parce que l'auteur vit dans ce pays, disent avec justesse ce qu'était le quotidien (j'imagine qu'il prend place au début du XXe siècle) de ces hommes de l'extrême, au coeur de l'hiver. Un pays de pêcheurs où ces derniers ne savent pas nager et meurent parfois ridiculement; un pays où l'hiver interdit les enterrements et force à vivre avec le cadavre de l'être aimé pendant des mois; un pays où les communications sont coupées durant des semaines et où les nouvelles ne parviennent pas ; un pays où l'alcool est parfois le seul moyen de surmonter ou d'oublier un instant le froid ; un pays qui semble hors du temps.

C'est ce qu'a su traduire Jon Kalman Stefansson en quelques 400 pages. Et c'est ce qui me fait désirer plus que jamais de lire rapidement le dernier volet, publié en 2011 en Islande.

*

“Je ne peux pas travailler aujourd'hui pour cause de tristesse.” On n'ose jamais écrire ce genre de chose, on ne décrit pas les décharges électriques qui se produisent entre deux personnes, au lieu de cela on parle des prix, on s'attache à l'apparence, et non au souffle du sang, on ne se lance pas en quête de la vérité, des vers de poésie qui surprennent, des rouges baisers.”

Parfois les mots sont vains …
Lien : http://missbouquinaix.wordpr..
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Après les aventures décrites dans Entre ciel et terre, où le gamin était arrivé au village et a pu rendre le livre à Kolbeinn, vieil homme aveugle, il vit auprès de celui-ci et d'Helga. Il aide au café, fait les courses et le soir il leur fait la lecture. Il s'habitue à cette existence qui sera bouleversée le jour où Jens le postier arrivera au village. Jens doit livrer le courrier dans les dangereux fjords du Nord, le gamin va l'accompagner. Ils devront affronter le gel et les tempêtes de neige, c'est une âpre lutte, vont-ils y survivre ? le coeur de l'homme m'apportera la réponse ...
Dans ce second tome de la trilogie, Jón Kalman Stefánsson a encore réussi à m'envoûter par la force de son écriture et sa poésie.
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Islande, XIXe siècle, après « Entre ciel et terre » dans lequel un gamin affrontait la mer et la perte cruelle de son mentor, Jon Kalman Stefansson invite son lecteur à le suivre dans les landes désolées du Nord de l'Islande, figées dans un hiver glacial. le gamin (le même) s'est réchauffé le corps et le coeur dans un foyer accueillant mais il va repartir pour épauler Jens le postier, qui ne peut affronter seul les fjords dangereux dans sa tournée du Nord.
Arc-boutés contre le vent qui souffle en tempête, la neige qui s'abat sans discontinuer, le froid glacial qui les étreint, le gamin et Jens font face aux éléments, déterminés à livrer le courrier au péril de leur vie.
Dans la même veine que « Entre ciel et terre », l'auteur poursuit sa quête sur le sens de la vie, la stérilité d'une existence exempte d'amour et offre au lecteur ébloui des pages sublimes et glacées, pleines de poésie et de questionnement philosophique. C'est très beau.
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