Les éditions du Portrait ont eu la bonne idée de rassembler dans un petit opuscule deux longs articles de
Gloria Steinem, « Après le
Black power, la libération des femmes » d'abord, « Comment j'ai commencé à écrire » ensuite. S'ils semblent n'avoir rien à voir l'un avec l'autre, ces deux textes sont en fait reliés par la thématique qui les sous-tend : l'émancipation de la femme.
Dans « Après le
black power, la libération des femmes », qui a valu à
Gloria Steinem son statut d'intellectuelle féministe, publié en 1969, l'autrice présente le nécessaire affranchissement par les femmes de toute valeur traditionnelle (et donc patriarcale). Un mouvement féministe en ce sens est d'ailleurs en marche mais, comme cela a été le cas avec le mouvement
Black power et sa radicalité par rapport à la lutte menée par
Martin Luther King, il apparaît indispensable d'aller plus loin qu'un simple discours intégrationniste (du type « La lutte pour la libération des femmes doit faire partie de notre combat plus global pour la liberté », credo du groupe politique qui a dans un premier temps accueilli les femmes féministes) en se démarquant par une exigence plus forte (soit non plus une simple déconstruction du patriarcat, mais sa destruction totale), et en unissant les différents groupes féministes radicaux alors trop peu organisés. L'union doit donc faire la force, en rassemblant de manière solidaire les femmes de toutes couleurs et de tout milieux sociaux, sans considérer qu'une différence de peau ou de moyens financiers est une question « sociologique », mais représente au contraire une manière différente d'oppresser les femmes et se révèle être par conséquent un point de convergence des luttes. Cet article est également l'occasion pour
Gloria Steinem d'alerter sur la mécanique de l'avancée des droits : si celle-ci est bien réelle, elle va également souvent de pair avec de nombreuses régressions (les femmes ont eu accès au travail, pour mieux se rendre compte qu'elles sont moins payées que les hommes, avec des avantages syndicaux qui, s'ils sont censés s'appliquer à tous, privilégient au final les hommes).
Dans « Comment j'ai commencé à écrire », antérieur à « Après le
Black power… » (il date de 1965) mais placé judicieusement en seconde position en ce qu'il évoque un cas particulier,
Gloria Steinem évoque son parcours professionnel et comment elle a réussi à vivre de sa plume ; mais plus précisément, que si ce métier l'a choisie (elle évoque son amour inné de la lecture depuis toujours et son amour pour l'écriture), elle l'a choisi pour la liberté qu'il lui offrait : liberté d'être sa propre patronne, de choisir ses sujets, etc. S'il est très intéressant et remarquablement rédigé, j'avoue l'avoir trouvé plus anecdotique, et moins fort qu'« Après le
Black power » (forcément).
À la lecture de cet ouvrage, il est troublant de constater à quel point certains aspects de la démonstration de
Gloria Steinem restent actuels, le débat du féminisme d'aujourd'hui se posant encore dans des termes assez similaires (le match féminisme intégrationniste versus féminisme radical se jouant toujours ; mais on pourrait selon moi la transposer aux divisions qui animent les différents mouvements entre féminisme universaliste versus féminisme intersectionnel que l'on associe volontiers au « wokisme »).
Merci aux éditions du Portrait et à Babélio pour cet ouvrage reçu dans le cadre de la Masse critique « Non-fiction : faites chauffer vos neurones » !