Ah, Olive, comme je suis contente de te retrouver. Treize ans sans donner de tes nouvelles, c'est long! Malgré ton fichu caractère, tu m'as manqué.
le temps a effectivement passé, tu es au seuil de la vieillesse, puis vraiment âgée, et, franche et directe comme tu l'es toujours, tu n'édulcores pas les ravages de l'âge, ah, ça, non! Physique qui décline, angoisse de la mort, solitude... Mais tu aimes toujours autant contempler la mer, dans ta petite ville du Maine, et profiter du soleil. T'intéresser aussi aux autres, car si certains détestent ton côté abrupt, d'autres ont compris que tu pouvais être empathique et généreuse.
Ton humour un peu désespéré est encore là, tes contradictions également. Ton deuxième mariage t'a surprise , moi aussi! Et comme dans le premier tome, celle qui t'a créée nous fait découvrir tous ces personnages qui gravitent autour de toi, de près ou de loin. Quelle finesse psychologique, et quelles émotions éprouvées, face au destin de chacun!
Olive, j'ai aimé particulièrement ces moments que tu as passés avec une de tes anciennes élèves, atteinte d'un cancer. Tout le monde la fuyait, par peur. Toi, tu es venue lui parler, sans apitoiement, sincèrement. Et vous avez observé toutes deux avec émerveillement la belle clarté de février.
Et alors que tu te sentais si seule, dans cette maison de retraite, tu as rencontré Isabelle, devenue ton amie. Chaleur du coeur au bout d'une vie...
Adieu, Olive. Tu écris, à la fin:" Je n'ai pas la moindre idée de qui j'ai été ". Une chose est sûre, tu es unique et précieuse.
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Dans la suite d’Olive Kitteridge, prix Pulitzer 2009, l’héroïne atrabilaire, désormais septuagénaire, fait l’apprentissage de la tendresse. Superbe.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Un samedi de juin, en début d’après-midi, Jack Kennison mit ses lunettes de soleil, prit place dans sa voiture de sport après avoir baissé la capote, passa la ceinture de sécurité sur son épaule et son ventre proéminent, puis mit le cap sur Portland – à près d’une heure de route – pour acheter un gallon de whisky sans risquer de tomber sur Olive Kitteridge à la supérette de Crosby, dans le Maine. Ou sur cette autre femme qu’il avait croisée à deux reprises dans le magasin, lui, sa bouteille de whisky à la main, elle, monologuant sur la météo. La météo ! Cette femme – son nom lui échappait – était veuve, elle aussi.
Pendant qu’il roulait, une sensation proche du calme monta en lui. Une fois arrivé à Portland, il se gara et marcha vers le fleuve. L’été avait éclos. S’il faisait encore frais en cette mi-juin, le ciel était bleu et les mouettes volaient au-dessus des docks. Il y avait du monde sur les quais, beaucoup de jeunes gens avec des poussettes et des enfants, et tous paraissaient se parler. Ce détail l’impressionna. Comme cela leur semblait naturel d’être ensemble, de se parler ! Personne ne lui adressait le moindre regard, et il prit conscience d’une chose qu’il avait déjà remarquée, mais différemment cette fois : il n’était qu’un vieil homme bedonnant, peu susceptible d’attirer l’attention. C’était presque libérateur. Pendant de nombreuses années, il avait été grand, plutôt bel homme, sans embonpoint, et il attirait les regards quand il flânait sur le campus de Harvard. Pendant toutes ces années, il avait vu les étudiants l’observer avec déférence, et les femmes aussi le regardaient. Aux réunions du département, il intimidait ses collègues. Certains le lui avaient avoué, et il sentait qu’ils disaient vrai, car c’était l’effet qu’il recherchait. Et voilà qu’il se promenait le long d’un quai bordé de résidences en construction, se demandant s’il ne ferait pas mieux de venir s’installer ici pour vivre entouré d’eau – et de gens. Il sortit son portable de sa poche, le consulta, puis le rangea. Il avait envie de parler à sa fille.
Olive avait encore sa voiture, mais ce jour là, elle avait décidé de prendre le van, car son ami Edith, qui habitait à Maple Tree depuis quelques années, lui avait récemment conseillé de sympathiser avec les autres résidents. « Oui, bah… Qu'ils commencent par sympathiser avec moi », avait-elle répondu.
Mais c'était plus fort qu'elle, comme si le mur de pierre édifié entre teux au cours de leur longue vie ensemble - un mur de pierre qui les séparait, mais qui offrait aussi des anfractuosités inattendues, tapissées de mousse tiède, baignées de soleil à chaque éclat de rire complice - avait atteint une hauteur infranchissable, et que, au lieu d'accueillir des fleurs, ses interstices étaient gelés par une pluie verglaçante.
Elle aurait plutôt écrit sur la lumière de février. Comme elle métamorphosait l’apparence du monde. Les gens se plaignaient de février : trop froid, trop neigeux et trop souvent humide, mouillé ; les gens avaient hâte que le printemps arrive. Mais, aux yeux de Cindy, la lumière de ce mois avait toujours été comme un secret, et elle restait un secret jusqu’à ce jour. En février, les jours rallongeaient vraiment et on pouvait l’observer, si on y prêtait attention. On parvenait à voir, à la fin de la journée, le monde s’entrouvrir et un supplément de lumière se frayer un chemin parmi les arbres dépouillés, comme une promesse. Cette lumière était une promesse, et quelle lumière ! Allongée sur le lit, Cindy la voyait, à présent, l’ultime lumière, cet or qui révélait le monde.
- Vous savez quoi, Bernie ? J'ai beaucoup réfléchi à tout ça. Beaucoup. Et voici la conclusion à laquelle je suis arrivée - je veux dire, juste pour moi. C'est une phrase qui m'a traversé l'esprit. Je crois que notre mission... peut être même notre devoir, c'est...
Sa voix se fit soudain plus calme, adulte.
- ... de porter le fardeau du mystère avec toute la grâce dont on est capable.
Payot - Marque Page - Elizabeth Strout - Olive, enfin