Place des fêtes, c'est un long réquisitoire contre… contre quoi? Eh bien, tout et rien. La vie en France pour un fils d'immigrants africains? Non, pas vraiment. Enfin, peut-être un peu. Contre l'idéal du retour au pays d'origine? Et encore. C'est la diatribe d'un type qui se raconte, qui s'exprime. Qui parle avec ses tripes. En effet, il en a beaucoup à dire et tout sort comme ça vient, à grands coups de « putain ». C'est que ce mot est partout. D'ailleurs, on le retrouve en tête de chacun des quelques septante chapitres qui composent son bouquin. Mais aussi dans le corps du texte, le ponctuant.
Depuis tantôt, j'écris « il » et « son bouquin ». de qui s'agit-il? Difficile à dire, l'identité du narrateur demeure un mystère. Est-ce l'auteur
Sami Tchak lui-même? Peut-être. Dans tous les cas, il nous titille à ce sujet. « Je vous ai déjà dit mon nom? Très bien. Quel vilain nom! » (p. 11). Fils d'immigrants togolais, dans tous les cas.
Ainsi, il commence son histoire avec sa « putain » de vie en France. Sa famille, le clan au complet avec les cousins et cousines, leur situation, le racisme, les Blancs, etc. Bref, le genre de propos qu'on a déjà lu chez Mabanckou, Monénembo et tant d'autres, les grossièretés en plus. Ceci dit, ce langage cru et vulgaire qui ne m'interpelle pas en temps normal, eh bien, ici, dans
Place des fêtes, non seulement il ne me dérangeait pas mais je le trouvais étrangement approprié. Mieux, il donnait un rythme à la lecture. Ça et tous ces chapitres brefs (de deux à six pages environ, rarement plus).
Ceci dit, n'allez pas croire qu'il s'agit d'un réquisitoire contre la France et la pauvre condition des Noirs. Tout n'est pas mal. Et heureusement parce que, ça aurait été assez lourd. Je veux bien croire que la vie des immigrés n'est pas facile et qu'il est important de le faire savoir. Peut-être pas s'éterniser en longueur, toutefois. le narrateur aborde des sujets aussi variés que la banlieue, les promenades au bois, les ruptures, les relations avec les Arabes et les Juifs, etc. de plus, les siens ne font pas figure de martyrs : ils sont en partie responsable de leur sort (en particulier ses cousines), ils fuguent ou tombent enceinte, prennent des mauvaises décisions, empirent leur cas.
Aussi, la vie au Togo (ou dans d'autres pays d'Afrique) en prend un coup et n'est pas montré sous un jour meilleur. le narrateur est assez lucide pour s'en rendre compte. Il dénigre son père attaché à des traditions dépassées qui ne signifient rien aux yeux du narrateur qui a grandi en France. « Pauvre papa! Maintenant loin de l'Afrique, il prétend que l'Afrique, c'est le paradis, c'est l'éden et tout le charabia idiot […] » (p. 17). Ce père, il voudrait que ses enfants retournent au Togo, dans leur pays natal, celui de leurs ancêtres. Mais ce n'est plus leur pays : la France joue ce rôle maintenant. Ce n'est peut-être pas mieux, mais il est trop tard pour revenir en arrière. « Tu nous as largué dans cette impasse d'où nous n'avons pas les moyens de nous tirer même quand la gueule de l'agonie fonce sur nous un char en Tchétchénie. » (p. 21)
Cette comparaison est claire. Aussi, elle donne le ton. C'est un exemple parmi tant d autres de ce style si vif, si incisif et percutant qui a su capter mon attention et la garder pendant cette lecture. Je suis maintenant curieux du reste de l'oeuvre de
Tchak.