Un grand millésime ce
Teulé !
Il nous narre la vie de
Baudelaire dans un langage vert qu'il sait manier, saupoudré d'une irrévérencieuse élégance. C'est jubilatoire. J'aurais aimé avoir cette biographie à l'âge où le système scolaire nous faisait apprendre
L'albatros avec « un par coeur décortiqué chirurgicalement au scalpel de la métrique scolaire » ce qui, entre-nous soit dit, nous enlevait tout ressenti et toute envie d'aller plus loin dans ce recueil des « Fleurs du mal » dont le titre augurait certains délices.
Le livre s'ouvre sur un tableau des plus dévastateurs, celui d'un homme totalement délabré, rongé par la syphilis, ce qui exacerbe encore plus ce caractère difficile pour ne pas dire infecte. Immédiatement le lecteur se dit qu'il ne sait rien de ce poète qu'il croyait flamboyant.
Le petit Charles est un enfant capricieux et nombriliste, amoureux de sa mère qu'il veut pour lui seul. La vie fait que son père meurt. Il y aura remariage avec un beau-père « à poigne ». Cette autorité ne servira pas à dresser l'indomptable. le petit Charles devenu jeune homme restera immature, centré sur lui, développera son génie sur le terreau nourri à la muflerie, à l'insolence, aux mensonges, au mépris, à la malhonnêteté et aux addictions.
Sa pédanterie donne de lui l'image d'un benêt facile à berner.
« D'un pas souple, lent, presque rythmique, il rejoint la boutique de l'antiquaire en bas de chez lui et en pousse la porte qui s'ébruite d'un son de clochettes suspendues. Soudain, ainsi que fendue par un coup de sabre, la bouche d'Arondel s'ouvre d'une oreille à l'autre comme chez les batraciens s'apprêtant à avaler un insecte. le vieux commerçant au visage entouré d'une longue barbe argentée et ondulée, fluviale, joue d'un encensoir auquel
Baudelaire ne croit guère… »
Dispendieux avec l'héritage reçu de son père, il sera mis sous tutelle à 23 ans.
Cela ne freinera en rien ses dépenses, il « déménagera à la ficelle » toute sa vie.
Il laissera derrière lui de nombreuses ardoises et quémandera auprès de sa mère, qui le verra en cachette de son mari.
Ce n'est pas sa rencontre avec Jeanne Duval qui changera la donne.
« Rue de la femme-sans-Tête mais pas sans cul,
Baudelaire regarde celui de Jeanne. Il a les couleurs de mystères avec l'air de revenir de loin. Il incarne le voyage. »
Jean Teulé sait magnifiquement faire revivre cette époque et Paris.
Le lecteur connait l'envers du décor, des salons, surtout celui d'Appolonie Sabatier, bistrots où se réunissent
Charles Asselineau l'indéfectible ami de
Baudelaire, Gustave, Courbet,
Gustave Flaubert,
Eugène Delacroix, Nadar,
Théophile Gautier,
Edouard Manet et
Alphonse de Lamartine, les frères Goncourt entre autres.
Et notre génie
Baudelaire quand il ne monopolise pas l'attention est toujours en décalage d'humeur et tire souvent une tête de six pieds de long.
Grâce à Asselineau il trouvera un éditeur pour ces fleurs du mal, 100
poèmes promet-il.
L'édition se fera dans la douleur pour ceux qui oeuvrent à la correction et la mise en page etc.
« Pour la première fois de ma vie, je suis presque content. Sans compter que j'y mens comme un arracheur de dents, ces Fleurs du Mal sont presque bien et elles resteront comme témoignage de mon dégoût et de ma haine de toutes choses. »
Et pour l'habillage notre poète a un avis bien à lui.
« Un tel livre sur l'âme humaine mériterait bien qu'on l'habille d'un costume humain. Cette couverture en peau de gaupe(salope) connaîtrait aussi un certain engouement. Cela lui donnerait un petit cachet supplémentaire. »
Lui qui aimait tant se contempler dans son miroir vénitien qu'il transportera partout aura-t-il vu « les signes spectaculaires de son vieillissement précoce ? »
Baudelaire qui a fait chanter, tourbillonner les mots finira avec ce seul mot en bouche Crénom !
Après Oh !
Verlaine et Rainbow pour
Rimbaud, Crénom,
Baudelaire nous donne furieusement envie de lire et relire ces
poèmes.
S'il y a un pari un peu fou à faire revivre ces poètes
Jean Teulé le réussit car il les étreint de son admiration, de sa tendresse et de son grain de folie personnel.
Jean Teulé fidèle à son éditeur l'a suivi dans cette nouvelle maison devenue Mialet et Barrault, et ce livre a une bien jolie tournure puisqu'il nous offre des illustrations bien choisies et quelques
poèmes dans leur contexte. Tout un
bonheur pour les lecteurs.
©Chantal Lafon