J'ai passé un bon moment à la lecture de ce thriller. Au vu de la multitude de réactions enthousiastes , je m'attendais peut être à encore davantage de folie et de machiavélisme de la part de l'auteur , mais ça reste un livre bien tordu quand même.
J'en ressors moins cultivé cependant que la majeure partie du temps avec un thriller de
Franck Thilliez. Certes , j'en sais désormais davantage sur les incubes , les succubes , et surtout la narcolepsie , mal dont souffre l'héroïne Abigaël. Elle peut en effet s'endormir n'importe où n'importe quand ,
rêver sans toujours distinguer le réel de l'onirique , être atteinte de paralysie temporaire et pour couronner le tout , son traitement médical affecte sa mémoire. A mon sens , ces symptômes en deviennent davantage le prétexte de la rédaction d'une histoire originale , en ce sens que le lecteur ignorera bien souvent lui aussi si ce que décrit Abigaël se déroule réellement.
Tant pour disséminer ses indices sans trop en dire tout de suite que pour déstructurer le récit à l'image du chaos susceptible de régner dans l'esprit de son personnage ,
Franck Thilliez a choisi de ne pas raconter son histoire chronologiquement ( ni en abusant des flash - back ). Globalement , le récit suit deux lignes temporelles distinctes. La première commencera le 5 décembre 2014 , en alternance avec un récit beaucoup plus court dans le temps ( 10 jours ) débutant le 15 juin 2015 , jusqu'à le rejoindre avant le dernier quart du roman et de conclure magistralement sans plus dériver dans le temps. Ainsi , si l'on suit toujours Abigaël , nous avons parfois de l'avance sur elle en sachant ce qu'il adviendra dans quelques jours ou mois alors qu'à d'autres moments Abigaël en ait davantage et que le lecteur ne peut que s'interroger sur la nature des évènements ayant pu l'entraîner jusque là.
Raconter l'histoire ainsi permet en outre de créer davantage de suspense ( les cliffhangers en fin de chapitre sont nombreux et le pages se tournent d'autant plus automatiquement ) et à la façon du roman
le vide de
Patrick Senécal ( justement salué par
Franck Thilliez lors de sa sortie francophone chez Fleuve Noir ) offre au lecteur le choix de relire s'il le souhaite le roman sous un autre angle en respectant cette fois la chronologie des évènements.
Ce nouvel ordre des chapitres est proposé sur le site internet officiel de
Rêver à l'aide d'un mot de passe disponible dans le roman. Pour l'activer , n'oubliez pas de mettre les tirets entre chaque série de chiffres. Cette interaction intéressante permettant au lecteur de devenir acteur offre également un questionnaire sur le sommeil ( sujet phare du livre ) ainsi qu'un accès au chapitre manquant de la page 407. Je vous déconseille cependant de le lire entre les chapitres 56 et 58 comme la logique pourrait le vouloir pour un chapitre 57. C'est ce que j'ai fait pour respecter la structure chronologique de l'auteur et c'est aussi ce qui a permis un peu trop tôt à mon goût à mes premiers doutes de devenir des certitudes.
Si une partie des révélations finales peut se deviner , je salue cependant les lecteurs qui auront réussi à reconstruire l'ensemble de l'intrigue ( ou des intrigues pour être plus précis ) avant les dernières pages.
J'ai eu la curiosité de regarder si le prénom Abigaël avait été choisi intentionnellement et je ne crois pas que ce soit le cas , en tout cas pas pour des raisons étymologiques. En effet , on associe à ce prénom la combativité , la joie et la lucidité. Or , l'héroïne a recours à des solutions drastiques pour distinguer la réalité des rêves , et c'est plutôt une profonde et bien compréhensible tristesse qui l'envahit dès le début du roman avec la mort de deux de ses proches. Seule la combativité la caractériserait plutôt bien puisqu'Abigaël est vraiment prête à tout pour avoir les réponses à ses multiples interrogations , après un passage à vide bien naturel au vu des circonstances.
Du même auteur ce livre m'a surtout fait penser à
L'anneau de Moebius ( pour sa construction et la façon dont une partie de l'histoire converge vers un point déjà connu du lecteur ) ou encore à
La mémoire fantôme , pour sa thématique cette fois. Il est en effet beaucoup question également dans
Rêver de devoir se rappeler des évènements ou d'oublier des pans entiers de son existence.
En discutant avec
David-James Kennedy , l'auteur de
Ressacs , au salon du polar de Dainville , ce dernier me faisait remarquer qu'une des particularités de
Franck Thilliez c'était que chaque lecteur avait son roman préféré et que toute la bibliographie de l'auteur pouvait y passer.
Rêver sera donc peut être le votre. Je lui préfère
L'anneau de Moebius ou
Gataca mais il n'en reste pas moins que de par la qualité de sa construction , de ses dialogues , de son intrigue et de ses personnages
Rêver devrait probablement ravir les amateurs de thriller et assurément les amateurs de
Thilliez.