![]() |
Grâce à toi, je connais le pardon. Grâce à toi, je connais l'amour. À jamais, Ton lapin C'est une déclaration d'amour à sa mère, la prêtresse guerrière viking qui arpentait à longues enjambées nerveuses Manhattan du nord au sud et d'est en ouest, d'un cours de danse à une audition, d'une répétition à un spectacle, pour elle comme pour son enfant jetée dans le grand bain toute petite. C'est une déclaration de haine au visiteur qui transformait cette mère en banshee hurlante et violente, son regard en un puits noir empli d'une sinistre brutalité. iO Tillett Wright, au prénom dessiné par son père, raconte comme on boxe son parcours, sa mise au monde, sa prise de conscience, sa libération avec les arrachements qu'elle implique, à coups d'uppercuts, de crochets, de feintes, de KO redoutables. Le jeu de jambes est léger, il n'empêche pas les chutes, l'asphyxie d'un direct à l'estomac, bloquée dans les cordes. Ne pas baisser sa garde. Rester mobile. Aux aguets. Se relever, une fois, dix fois, cent fois. Le premier round a un accent presque légendaire, une naissance homérique entre l'appartement de la 3e rue et Bowery, et l'hôpital où Asoka, formidable sage-femme aux cinq mille naissances, finit par emmener la mère épuisée et le père hagard. Les premières années sont vives comme une samba, mais le rythme se fissure sous les coups droits d'une réalité qui impose rapidement sa dureté, la rugosité du gant accrochant la peau du visage. Et même si iO considère comme naturel son environnement et le mode de vie qu'elle a avec sa mère, la confrontation avec les autres se charge de lui opposer des normes auxquelles elle n'adhère pas mais aussi une tranquillité à laquelle elle aspire. Une feinte, une autre, relever les gants devant la figure, rentrer la tête dans les épaules, sautiller d'une jambe sur l'autre. Sa mère l'amazone lui apprend le combat, la survie, la lutte. Nulle trace de complaisance dans la discipline qu'elle leur impose à toutes deux. Pas même le droit de manger du sucre, ce poison si doux au palais de l'enfant. La découverte de soi et l'affirmation de soi ne se font pas sans KO terribles, prises de conscience et ruptures nécessaires, face à cette combattante du quotidien qui se perd petit à petit dans l'alcool et les amphétamines. iO manque jeter l'éponge lorsque l'adversaire tape trop dur, dévoile son vrai visage, coup droit, coup du gauche, mais elle serre la mâchoire sur son protège-dents, remonte ses gants, reprend toujours sa danse légère autour de lui, quel que soit le nom qu'on peut lui donner, alcool, haschich, cocaïne, héroïne… Addictions qui lui confisquent sa mère, son père et tant d'autres, la poussent à grandir plus vite qu'elle le veuille ou non. À cette lutte se mêle le questionnement sur son identité sexuelle. iO décide qu'il sera un garçon à six ans, et le restera jusqu'à la fin de son adolescence avec toutes les difficultés pratiques que cela suppose. Lorsqu'elle décide de redevenir une fille, ce n'est pas par KO, c'est dans la logique de l'acceptation totale de son être, qui prendra encore des années. Elle gagne le combat, iO, mais c'est un combat de de vingt-trois ans aux rounds multiples dont on ne sort pas indemne. J'ai été bouleversée par l'urgence de cette voix qui lutte pour se connaître, se faire entendre, comprendre, accepter. Il n'est pas indispensable d'avoir une expérience similaire pour en reconnaître les accents, entendre l'écho de nos blessures d'enfants et de nos guerres adolescentes. Un sacré combat. + Lire la suite |