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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
« Les émotions sont toujours authentiques, leur cause peut ne pas l'être ».

Olga Tokarczuk est une auteure enchanteresse, une conteuse envoutante, qui a coutume de nous amener, toujours de jolie façon, à la frontière, poreuse, entre rêve et réalité. Elle a pris ici le bizarre, l'étrange, l'insolite et s'est amusée à le découper au scalpel en dix lamelles, selon différentes formes, différentes épaisseurs, différents degrés de transparence. Elle nous a concocté de sa plume ensorcelante ainsi dix histoires dont la chute infuse longtemps en nous, bien après leur lecture, tel un poison étrange mais délicieux.
Je dois d'ailleurs vous faire une petite confidence : après avoir lu les deux premières nouvelles le soir assez tard, je me suis réveillée en sursaut le lendemain en étant persuadée que quelqu'un se tenait en plein milieu de la chambre et m'observait…c'était effrayant et je suis persuadée que ce cauchemar éveillé est consécutif à cette lecture, en lien avec le premier texte notamment qui évoque l'histoire d'un cauchemar récurrent dont la chute m'a fait forte impression et m'a fait penser aux histoires d'Edgar Allan Poe
C'est dire comme les nouvelles ont un réel pouvoir, l'air de rien, avec peu de mots, de transmettre beaucoup. Lorsqu'elles sont réussies, comme c'est le cas ici, une vraie profondeur donnant lieu à de multiples interprétations en émerge de troublante façon…vous vous surprenez à repenser à ces nouvelles et à comprendre des choses qui n'étaient pas apparues en première lecture. Elles vous habitent, vous hantent, vous en relisez certaines…rarement des nouvelles auront eu cette effet sur moi qui suis plutôt hermétique à ce format.

Conte fantastique, récit d'un réalisme décalé, mais aussi science-fiction, chacune des nouvelles a sa singularité avec quelques thématiques récurrentes : le rapport de l'homme à la nature, à la technologie, le rôle de la religion pour soumettre les hommes, l'emprise du temps et la mort sont des thématiques très présentes.

L'acmé de la relation entre l'Homme et la faune et la flore se trouve dans deux nouvelles : le récit intitulé Les enfants verts, conte se déroulant au 17ème siècle, dans lequel l'auteure invente des personnages imaginaires, des enfants sylvestres et sauvages, tellement en symbiose avec la nature qu'ils en ont pris certains apparats : cheveux sentant la mousse des bois mélangés à des lichens, peau végétale aux tâches vertes. Et celle intitulée le transfugium relatant le départ volontaire d'une femme vers le monde sauvage (et à quel prix…). Ces deux nouvelles sont fascinantes, la première en prenant l'aspect d'un conte et la seconde en développant une ambiance étrange et oppressante dont on ne comprend la signification qu'à la toute fin…Ce sont sont mes préférées. Les deux portent en elles des germes d'espoir jaillissant dans notre rapport revisité avec la nature, si tant est que cela soit encore possible. Elles permettent de prendre conscience de l'importance de l'interaction entre les humains et leur environnement.

« le monde sauvage. Sans êtres humains. Nous ne pouvons pas le voir car nous sommes des humains. Nous avons choisi de nous en distancier et, désormais, pour y revenir, nous devons changer. On ne peut pas voir ce dont on est exclu. Nous sommes prisonniers de nous-mêmes. C'est un paradoxe. Une perspective de recherche intéressante, mais également une erreur fatale de l'évolution : l'homme ne voit jamais que lui-même ».

Le rapport au temps et la présence subtile de la mort, ou plutôt des morts, se retrouvent dans de multiples nouvelles d'un réalisme décalé dégageant une ambiance particulière, nostalgique, très mélancolique, parfois désuète : dans celle, fascinante, des bocaux dans laquelle nous nous demandons si une mère ne s'est pas vengée de façon posthume de son fils qui n'a eu aucun respect pour elle de son vivant ; ou encore dans celle des coutures dans laquelle un homme, après la mort de sa femme, découvre que le monde a changé de façon absurde : les chaussettes ont toutes une couture partant de la pointe du pied au talon, les timbres sont ronds…La nouvelle intitulée le coeur nous montre l'histoire d'un couple de retraités à la vie toujours rythmée de la même manière mais dont la routine va rencontrer des accros lorsque le mari va se faire greffer un coeur et ressentir des sensations très étranges et se poser des questions existentielles.

La nouvelle La montagne de tous les saints est surprenante : pendant toute sa lecture, je ne savais pas où voulait en venir l'auteure jusqu'à la chute éclairant d'une belle lumière l'ensemble. Nous y voyons une scientifique âgée et malade, mondialement connue pour la mise au point d'un test psychologique, le Test des Tendances Évolutives, permettant de prédire le futur, qui est ici amenée à l'appliquer sur des enfants adoptés, à la demande d'un Institut suisse. Nous découvrons à la toute fin la véritable raison de l'étude menée. Personnellement, je n'ai rien vu venir…C'est là encore le signe d'une nouvelle réussie !

« La prieure me racontait tout cela en me montrant les divers recoins du couvent. Je la suivais, sensible à l'odeur dégagée par son habit – il sentait ces armoires où de petits sachets de lavande sont accrochés depuis des années. Dans un agréable sentiment de sécurité, j'étais prête à la laisser me convaincre de passer ici le temps qu'il me restait à vivre, au lieu de poser des électrodes sur les têtes des gosses. Il me semblait que, autour d'elle, l'air vibrait comme si elle était nimbée d'une auréole de chaleur ».

Enfin, mentionnons quelques nouvelles plus futuristes : La visite qui met en valeur la vie en « famille » de quatre femmes strictement identiques -nous devinons qu'elles sont clonées - qui peuvent être débranchées une fois leur mission accomplie au sein du collectif, collectif appelé un egoton, et qui sont étrangement perturbées par la visite d'un voisin venant en duo...Ou encore le calendrier des fêtes humaines où nous découvrons une ère future post-plastique dans laquelle l'âge de fer est revenu. Dans les deux cas c'est un futur glaçant, sombre et très inquiétant.

La plume d'Olga Tokarczuk est un ravissement et enveloppe de beauté délicate les multiples réflexions auxquelles mènent ces différentes nouvelles.

« le soleil s'incline vers le couchant et elle voir alors un spectacle inouï : les frondaisons de la forêt du nord, inondées d'une lumière orange, semblent de gigantesques candélabres se reflétant dans l'eau. La nuit arrive. Elle voit la pénombre sourdre des racines des arbres, des pierres du sous-bois, émerger des profondeurs du lac. Les formes aiguisent soudain leurs arêtes, comme si les choses voulaient prendre encore une fois conscience de leur propre existence avant de s'évanouir dans les ténèbres. Les bougies des arbres s'éteignent et, d'on ne sait où, arrive un air froid qui annonce la nuit ».


L'auteure polonaise, Prix Nobel de littérature, nous offre avec ce recueil un bouquet d'histoires où le bizarroïde est décliné de diverses façons, mélancolie et noirceur imprégnant chaque pétale d'une senteur bien particulière et d'une beauté étrange, veloutée, permise grâce à une plume renversante de beauté…

« Sous nos pas, le parquet grinçait, nos mains frôlaient les courbures lisses des rampes et des poignées de porte qui, au fil des siècles, étaient devenues le complément du creux de la main ».





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Elle se dit obsessionnelle, écologiste et féministe, végétarienne et de gauche. Elle est d'une grande culture et affectionne les voyages. Justement il s'agit bien dans ces Histoires bizarroïdes de voyages, entre réalité et imagination, dans l'univers très particulier du prix Nobel de littérature Olga Tokarczuk.

Dix nouvelles pour voguer (il est beaucoup question d'eau) entre deux mondes dont le centre serait le rapport de la nature à l'homme —« Toute dévastation fait que la nature reprend ce que l'homme lui avait confisqué, non sans chercher par ailleurs à s'emparer avec audace des êtres humains pour les ramener à leur état originel. » — la défense de la condition animale ; le transhumanisme ; les interrogations sur Dieu, la vieillesse, la mort et le désir d'immortalité...

Bien que souvent obscur, un splendide tableau écrit dans un langage riche et pur, où magnétique et poétique Olga Tokarczuk, avec une manière bien à elle d'aborder les nouvelles réalités de l'humanité, nous atteint au plus profond sans qu'on sache vraiment pourquoi. Ou peut-être si. Parce qu'avec Olga Tokarczuk : « En voyageant vers les profondeurs, on avance vers l'incommensurable et l'idéal. »
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Il parait que, dans notre pays, les lecteurs ne sont pas, pour la plupart, amateurs de nouvelles : c'est ce que m'avait dit la libraire, alors que je lui achetais un recueil de nouvelles américaines, à l'époque il y a quelques années, tout en souriant devant ma joie d'avoir choisi ce type de récits-là, justement.
Et bien, en lisant ce livre, je me suis dit et répété que c'était bien dommage qu'à la différence des pays anglo-saxons par exemple, nous en lisions peu parce que là, du coup, on se prive d'un fabuleux moment de lecture multiplié par dix, le nombre de nouvelles que comptent ces pages !


Olga Tokarczuk est une conteuse, de la plus belle plume, une autrice enchanteresse qui nous prend par la main et nous emmène dans autant d'univers que de récits ici présents. Certaines nouvelles (et je commencerai par évoquer celles-ci car ce sont mes préférées) parlent de la nature, ou plutôt de l'interaction entre notre "pauvre" monde humain - ne parlons même pas d'humanité, et celui de la faune et de la flore. Olga Tokarczuk invente soit des personnages imaginaires qui vivent en symbiose avec la forêt ou les arbres et qui ont tant à nous apprendre ou des personnages humains tellement détruits d'être coupés de cette nature qu'ils choisissent un jour, d'en faire définitivement partie, quitte à...mais non, je ne vais pas tout raconter, à vous de découvrir, son imagination est là, bienfaisante en ces temps actuels.
D'autres nouvelles parlent d'un temps futur, après que les sociétés que nous connaissons aujourd'hui, se seront effondrées, parce que l'homme n'aura pas compris à temps, l'importance de maintenir en équilibre l'écosystème, dans lequel, il évolue. Les temps d'après sont sinistres, sans espoir, sans avenir, sans possibilité de revenir à une vie insouciante. Ne resterait que la possibilité de s'enfermer dans toutes sortes de superstitions, religions, toutes sortes de doctrines qui laisseraient croire à l'homme, que la vénération pourrait conduire à une éventuelle rédemption...

Dans tous les textes, l'homme ne sait pas préserver ce qu'il a : son trésor de vie, sa relation avec ce qui l'entoure, ses rapports aux autres : il y a comme une folie qui le guide sans qu'il ne sache vers où. Et certaines sont la réalité quotidienne de ce monde sans humanité, où juste l'intolérance et l'individualisme règnent, celui qui est différent disparaîtra et les régimes totalitaires foisonneront parce que la sécurité deviendra synonyme d'uniformité. Ce qui fait que certaines nouvelles ne sont pas si éloignées d'une réalité qui fait l'actualité de notre présent et cela en est terrifiant.


C'est un recueil ébranlant, une lecture âpre, qui vrille le coeur, mais aussi une lecture qui parle d'espoir, parfois, parce que si nous voulions bien juste prendre conscience de toutes les interactions qui fourmillent entre l'Homme et son environnement, nous pourrions peut-être faire en sorte de nous diriger vers un monde plus tolérant, plus harmonieux dans lequel le retour vers les principes fondamentaux de l'existence serait gage d'un avenir plus doux pour tous, Homme, Bête et Végétal pour ne citer qu'eux.




Avons-nous encore le courage d'y croire, aujourd'hui quand nous regardons le Monde ? Il nous reste les livres et des écrivains comme cette Dame pour nous laisser penser qu'on peut encore changer les choses; mais alors il faut faire vite...




Un immense merci à Babélio et aux éditions Noir sur Blanc, pour cette magnifique découverte !
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Dans ces histoires, parfois très brèves, la voix de l'auteure n'est jamais dénuée de tendresse, elle se fait parfois poétique, surtout lorsqu'il s'agit d'évoquer la nature. Certaines nouvelles ont des accents d'A.E. Poe, d'autres se rapprochent plus de la science-fiction comme « La visite » où la famille est constituée de plusieurs clones de soi-même. Dans « Les enfants verts » qui se passe en 1656 dans une région reculée de Pologne où les superstitions sont légion, elle nous convie à un retour dans le passé et derrière ce conte philosophique, on découvre l'importance de la nature et des origines chez l'auteure.
On est effrayé, charmé ou amusé par ces histoires qui explorent l'humain dans un monde irrationnel, ou surnaturel. On côtoie aussi l'absurde avec ce vieil homme dans « Les coutures » qui découvre que les chaussettes ont toutes une couture, ce qui semble aller de soi pour les gens qui l'entourent alors que lui, il ne se retrouve plus dans ce monde où il perd ses repères. La fin de vie avec l'euthanasie et la possibilité d'une autre vie sont évoquées dans « le Transfugium » et on le retrouve aussi dans « La montagne de tous les saints » avec ce mysticisme qui accompagne le commerce des reliques des saints martyrs romains.

Dans ces huit nouvelles, on passe d'un monde à l'autre avec cette facilité d'entrer chaque fois dans une histoire très différente où toute frontière entre réel et fantastique s'efface. Et ça fonctionne à merveille tant les talents de conteuse d'Olga Tokarczuk, et son écriture pleine d'empathie, nous emportent vers des contrées lointaines et des mondes inconnus.
Un bon moment de lecture et un recueil que je relirai sûrement

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Immense coup de coeur pour cette auteur nobelisée que je découvre à travers ces nouvelles, dont je pressens et espère qu'elles sont une porte d'entrée représentative de son oeuvre sur laquelle je vais probablement me jeter rapidement.

D'une langue pourtant simple mais plantureuse et que je ne sais pourquoi je ressens comme bienveillante, chacun des mondes que renferment ces nouvelles sont d'une richesse et d'une profondeur incroyables, et toutes poussent à la réflexion sur notre monde et la perception que l'on en a, sur notre avenir commun sans oublier la dimension environnementale qui traverse tous ces univers.
Cela tient pour partie à la puissance des images symboliques convoquées par l'auteur, ici l'obsession d'une couture sur une chaussette, un loup sur une barge s'enfonçant dans la nuit sous les yeux de sa famille humaine, là un monastère où des nonnes apaisées trient religieusement leurs déchets dans une sorte de cérémonie du thé païenne, là encore un corps meurtri, hors d'âge, massé avec dévotion dans un rituel dont dépend le monde... à chaque page, une évocation sidérante, magnifique, en appui de mots quasi magiques.

L'auteure nous rassure d'abord dans un premier texte très court, "Le passager", dans lequel il est dit que ce qui nous fait peur n'est pas ce que l"on voit mais ce qui nous regarde, méditez-moi ça.
Puis elle nous ouvre les yeux sur les confins du monde, dans ce dernier cercle lointain où les enfants verts sont pendus dans les arbres en offrande à la vie.
De l'étrange encore, dans "Les coutures" un homme vieillissant perd le fil du monde qui va trop vite, ou quand les quatre femmes de "La visite" expriment à quatre voix leur singularité, avant de se débrancher.

Mes deux nouvelles préférées, celles qui m'ont véritablement bouleversée, sont les deux dernières : "La montagne de Tous-les-Saints" où une religion renaît de ses os dans l'atmosphère paisible d'un monastère, et "Le calendrier des fêtes humaines", troublante allégorie d'un futur dans lequel le matériel ayant disparu, l'humanité a ramassé tous ses rites et ses espoirs dans un corps sans cesse ressuscité et sans cesse malmené.

Un bonheur de littérature, ultrapur et enrichissant, dont on comprend qu'il ait mérité un Nobel.
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Une auteure que je n'ai jamais lue, bien que je sache qu'elle a reçu le Prix Nobel de Littérature en 2018, et que c'est une femme engagée contre la Droite populiste au pouvoir en Pologne.

Mais il y a Babelio, source magique de tant de belles découvertes, surtout quand vous avez des ami.e.s de qualité. Et après vous finissez par avoir un peu scrupule de trouver superbes tous ces livres conseillés. Mais c'est normal, vous et vos ami.e.s avez sans doute des appétences, tournures d'esprit, qui se ressemblent.
Ici, c'est mon amie Isacom qui m'a conseillé de débuter la lecture de l'oeuvre d'Olga Tokarczuk par ce livre de nouvelles, et je n'ai pas été déçu.
Évidemment, je ne peux le comparer à d'autres livres de l'auteure, mais celui-ci m'a fait forte impression. Et cela dans le sens où ces histoires bizarroïdes se sont imprimées en moi, et que j'en suis en quelque sorte « habité » par elles depuis quelques jours, qu'elles me questionnent et que je les ressasse, et que j'ai un peu de mal à en sortir un commentaire qui puisse en traduire la beauté et la complexité. Car, en n'en pas douter, on a affaire, et c'est ce qu'on aime découvrir, à une littérature complètement originale, une façon de raconter « autrement », qui est la marque d'un ou d'une grand.e. écrivain.e.

Et pourtant, c'est une écriture simple et taillée comme un bijou, et une construction magnifique, avec, ce qui est la caractéristique d'une nouvelle bien faite, une fin qui surprend.
Bien sûr, il y a aussi la part de la qualité de la traductrice, qui arrive à rendre la fluidité du récit, même si celui-ci est plein de petits détails qui le pimentent souvent d'une note d'humour, d'ironie.

Les dix nouvelles sont d'une grande variété de longueur, et explorent l'étrangeté par différentes approches: le réalisme ambigu, décalé, le fantastique, la science-fiction.

Dans le premier domaine, il y a le passager, histoire d'un cauchemar récurrent, mais dont l'explication finale nous laisse dans la perplexité d'une dislocation du temps; Les bocaux, dont le lecteur se demande s'il s'agit, ou pas, d'une cruelle vengeance posthume d'une mère maltraitée par son fils; Les coutures où un homme , après le décès de sa femme, découvre que la réalité a changé, que les chaussettes ont des coutures, les timbres-poste sont ronds, etc….; le coeur, l'histoire, chargée d'ironie, d'un couple de retraités à la vie mécanique et adepte de voyages exotiques, dont le mari va connaître, après une greffe cardiaque d'étranges sensations; et enfin, celle qui m'a le plus impressionné, Une histoire vraie, un récit digne de Kafka, un engrenage fatidique de catastrophes, y compris quand notre malheureux héros fera preuve de compassion et de dévouement à l'égard d'une victime.

Dans les histoires au ton fantastique, celle intitulé Les enfants verts se situe au 17ème siècle.Un médecin du Roi de Pologne, nous raconte, avec le ton propre à l'époque, sa rencontre avec des enfants trouvés dans la forêt et au teint végétal, jusqu'à une fin si étrange que cet homme écrit cette conclusion extraordinaire, où j'ai ressenti, en arrière-plan le clin d'oeil amusé de l'auteure: « Je compte sur toi, lecteur, pour m'aider à comprendre ce qui y est arrivé et qu'il m'est difficile de saisir, tant les lisières du monde sont propres à nous marquer d'une impuissance mystérieuse ».

Deux nouvelles sont enfin dans un registre à la frontière entre le fantastique et la science fiction.
La visite qui illustre l'isolement autarcique dans un monde bien à elles de quatre femmes strictement identiques (qu'on imagine produites par clonage) et le danger terrifiant perçu par l'arrivée d'un voisin « unique ».
La formidable nouvelle La montagne de tous les saints nous fait suivre une scientifique âgée et malade, mondialement connue pour un test psychologique efficace, qui est amenée à l'appliquer dans une étude sur des enfants adoptés, à la demande d'un Institut suisse, pour découvrir à la fin la vraie et bien étrange raison de l'étude qu'elle a conduit.

Enfin, deux récits de science-fiction saisissants.
Le transfugium, Les quelques jours d'une famille rassemblée pour une sorte de cérémonie célébrant le départ d'une « femme » vers le monde sauvage, séparé en ces temps futurs du monde des humains. Ses parents, sa soeur, son fils verront partir cette femme changée en un autre être que je ne vous dévoilerai pas.
Le calendrier des fêtes humaines. Dans un futur « post- ère du plastique », c'est l'âge du fer qui est de retour. Et un homme déifié qui est maintenu dans une sorte de simulacre de vie depuis plusieurs centaines d'années, grâce notamment aux soins d'habiles masseurs, et qui cimente (ou dont on se sert) pour maintenir la paix, jusqu'à ce que….

Que de réflexions ces nouvelles m'ont inspiré.
Non seulement sur le transhumanisme, le clonage humain, toutes ces terribles potentialites de la science.
Non seulement sur le mensonge des religions inventées pour leurrer les humains et les soumettre.
Mais plus encore sur le lien de l'être humain avec la nature, lien distendu, perdu, alors qu'il est vital.
Et puis le fait que Homo sapiens n'est rien d'autre qu'un animal avec un gros cerveau.
Et plus encore que tout, que malgré notre savoir, notre science, il y a dans le monde tant de choses qui nous échappent, et qu'il faut l'accepter.
Et enfin que l'imaginaire, la fiction, sont peut-être le salut de l'être humain.

Mais tout cela, ce ne serait rien sans la façon incomparable de nous raconter, qui m'a vraiment marqué. Oui, Olga Tokarczuk, c'est quand même autre chose que…., je ne donnerai pas de noms, on ne sait jamais.

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La page blanche qui suit du Tokarczuk, c'est encore du Tokarczuk.
D'abord, parce qu'on reste longtemps sous le charme de son écriture ; ensuite, parce qu'elle se pose, et nous pose, des questions auxquelles on va rester réfléchir. Olga Tokarczuk s'inquiète des menaces sur l'environnement, des dérives de la technologie et de la société en général.
Et elle le fait avec un tel art du romanesque, avec une langue si belle (traduite avec fluidité par Maryla Laurent) qu'on se dit : "Hébin elle l'a pas volé, son Nobel". (Une langue si belle, mmhh, "Oh, comme le jury Nobel s'est montré clairvoyant" voulais-je dire.)
Car, comme l'écrivait Hannah Arendt : "Aucune philosophie, aucune analyse, aucun aphorisme, aussi profonds qu'ils soient ne peuvent se comparer en intensité, en plénitude de sens, avec une histoire bien racontée."
Olga Tokarczuk plus que toute autre, semble avoir fait sienne cette phrase.
Les enfants verts est une véritable merveille de conte fantastique, l'érudition de Tokarczuk lui permettant de nous transporter dans le passé avec une superbe aisance (comme dans Les livres de Jakòb) pour nous délivrer cette fable écologique qui m'a profondément émue.
L'introduction du fantastique dans "Le calendrier des fêtes humaines" est une voie vers d'autres interrogations, aux tréfonds des âmes en quête de spiritualité.
D'autres nouvelles sont moins ambitieuses même si elles aussi magnifiquement écrites, et emplies de compassion pour les misères humaines : la terreur de l'enfant à la nuit tombée, la crainte du vieillard de ne plus rien comprendre au monde, l'amertume de la mère à voir sa progéniture infichue de quitter le foyer…
Ou la peur de la mort.
Et à chaque fois, l'autrice y glisse le petit détail glaçant, l'élément fantastique, la chute surprenante, qui disent tant de choses en si peu de mots.
Rien ne peut se comparer en intensité, en plénitude de sens, avec une histoire bien racontée par Olga Tokarczuk.
Challenge ABC 2022/2023
Challenge Nobel
LC thématique de novembre 2022 : "Videz vos PAL !"
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Ce corpus a des organes plus artificiels que naturels, aussi sont-ils bizarroïdes car les corps humains pourraient tout aussi bien être des corps d'androïdes à partir du moment où l'on greffe des organes, où l'on change de corps comme dans "Transfugium" ; comme dans "Le Calendrier des fêtes humaines" ; comme dans "La Montagne de Tous-les-Saints" mais Olga Tokarczuk change la donne car bien que que dans "Le Calendrier des fêtes humaines" le corps de naturel devienne artificiel, dans "Transfugium", le corps passe de naturel à naturel, en recourant à un processus artificiel. Les histoires les plus bizarroïdes sont les nouvelles transhumanistes où l'homme cherche à se transcender, à dépasser sa condition d'homme mais en cherchant à se transcender, ne régresse-t-il pas à un statut "inférieur" lui qui voudrait accéder à un statut "supérieur" ? Olga Tokarczuk nous pose les questions fondamentales, éthiques, que la science doit se poser, en faisant référence à des pratiques existentes dans notre société ou en imaginant dans le genre de la science-fiction ce que la technologie pourrait proposer aux êtres humains dans les temps futurs. Elle propose même le clonage dans "La Montagne de Tous-les-Saints" et s'illustre dans le genre novateur de la religion-science-fiction et démontre par la fiction que la science peut être une religion.

Ps : Petit coup de coeur également pour "les Enfants Verts" : je me demande si ces enfants supraterrestres ne seraient pas extraterrestres.
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Bizarroïdes ?
Olga Tokarczurk propose dans ce recueil 10 récits. de taille variable, de genres différents : conte, réaliste, fantastique, SF, dystopie, ses histoires présentent toutes une constante, le difficile rapport des êtres vivants entre eux avec très souvent la contrainte de ne pas manifester ou de gérer absolument ses sentiments, avec un doux pessimisme ambiant notamment quand il s'agit d'avenir. Etrangement la première présente une exception.

Alors, oui, elles sont toutes insolites, étranges, mystérieuses. Pourtant, l'ancrage de la 1ère m'a fait penser immédiatement à Maupassant : un voyageur dans un train raconte, la chute de la seconde m'a fait penser à un conte bien connu…
Après « Sur les ossements des morts » qui m'avait beaucoup séduit, j'ai cette fois encore aimé la plume de l'auteure dans cet autre exercice de la nouvelle. En quelques mots elle vous dresse le portrait d'un personnage, une atmosphère… En quelques mots, elle introduit un déséquilibre, un basculement dans la perception du lecteur. Et surtout, elle a le talent, très vite, de créer une attente qui sera comblée par une chute souvent bien surprenante.
J'ai été particulièrement touchée, frappée par « Les coutures » ; « le Transfugium », « La montage de Tous-Les-Saints » ; « le calendrier des fêtes humaines ».
Je vais poursuivre mes découvertes des récits de cette dame.
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Quelle belle découverte ! Des nouvelles à la fois teintée de fantastique et à la fois d'un réalisme glaçant évoquant des sujets comme l'écologie, l'indifférence, la société de consommation, la religion. le tout servi par une très belle plume tout à fait accessible.
J'ai adoré ma lecture. Chaque nouvelle explore une facette sombre de l'être humain. Une fois le livre refermé, on reste avec un goût amer dans la bouche, comme si on avait soudain pris conscience de quelque chose d'évanescent.
J'ai déjà hâte de découvrir d'autres oeuvres de cette dame.
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