Les mots de Mai 68

​"Ils pourront couper toutes les fleurs, ils n'empêcheront pas la venue du printemps."

Des phrases comme celles-là m'ont incité à collectionner les slogans de mai 68, même s'ils sont loin d'être tous aussi poétiques. C'était il y a plus de 15 ans. Un peu par jeu, j'ai exposé ma collection, bêtement classée par ordre alphabétique, sur http://users.skynet.be/ddz/mai68. Au fil du temps, à ma grande surprise, cette page est devenue une sorte de référence, m'amenant une poignée de contacts parfois riches d'émotions.

Le cinquantième anniversaire de mai 68 m'a (un peu) poussé hors de ma (grande) paresse pour aller dépoussiérer cette page que j'avais délaissée et y ajouter quelques informations (je n'ai pas encore fini, non).

C'est ainsi que j'ai eu la curiosité de lire "Les mots de mai 68", paru en 2007. Il s'agit du résultat d'une interessante étude menée à partir de 1968 par l'équipe de Maurice Tournier, ancien directeur du Laboratoire de lexicométrie politique de l'ENS de Saint-Cloud. Cette étude a donné naissance à un premier livre en 1975. Si je devine bien ce qui est évoqué dans l'avant-propos des "Mots de mai 1968", ce livre se limitait à une analyse des tracts. L'étude a continué par la suite, prenant en compte les slogans, mais aussi des "discours d'Etat".

"Les mots de mai 68" est structuré en sections qui pour la majorité tiennent sur une page. Chaque section concerne un mot ou plusieurs mots apparentés. On y trouve une variété d'informations dont, bien entendu, des informations lexicologiques. Par exemple, on apprend que "enseignant" avait le plus souvent une connotation positive, alors que celle de "professeur" était négative. Michel Tournier fait également remarquer que dans les tracts et les slogans, "nous" apparaissait plus souvent que "je", alors que la proposition s'inversait dans les discours d'État. On reçoit aussi des informations de contexte qui permettent de décrypter des slogans comme "L'ortografe est une mandarine" ou de saisir les allusions de slogans tels que "Nous sommes un groupuscule", scandé par des centaines de milliers de personnes lors de la manifestation du 13 mai. Et puis des anecdotes comme celles des ouvriers de l'usine Berliet, qui avaient mélangé les lettres de l'enseigne de leur usine pour former le mot "liberté". Enfin, d'autres remarques font saisir des finesses de langage: par exemple, Michel Tournier indique que, dans "Le pouvoir est dans la rue", "rue" désigne un lieu mais il rappelle l'usage ancien de "la rue" pour désigner le peuple manifestant ou insurrectionnel.

À côté de ces considérations lexicologiques sur les mots eux-mêmes, l'ouvrage comporte une petite mine d'informations sur ce qu'ils désignent. On trouve ainsi des informations sur certains événements de mai 68, sur les groupements et les personnalités politiques, etc.
Bref, je me suis régalé et j'ai glané quelques slogans et informations à ajouter à mon site (je reste toutefois sur ma faim, si je peux dire, en ne sachant toujours pas ce qui a inspiré "Mangez vos professeurs"). Si le sujet vous intéresse, je vous recommande vivement ce petit livre. Mais si le sujet ne vous intéresse pas, cette suite d'articles aussi décousus que les entrées d'un dictionnaire risque sans doute de vous ennuyer.

Pour information, je vois que ce livre fait partie d'une collection qui comporte aussi des livres sur les mots de la Rome antique, de la religion, de la Renaissance, de l'Islam, de l'histoire des femmes, de 39-45, et j'en passe.