Quiconque s'est promené sur les hauteurs de San Miniato, a compris qu'il n'y a pas de meilleur point de vue pour apprécier Florence et son architecture. Commencer par une vue générale d'où émerge la vision du Dôme, c'est bien ainsi que débute le parcours thématique proposé par
Richard Turner pour approcher la Renaissance dans cette ville. A défaut du voyage, son livre est une très belle et enrichissante synthèse par le texte et l'iconographie (qui s'ouvre sur deux oeuvres de Giotto) pour découvrir ou revoir Florence dans la majesté de tous ses arts (architecture religieuse et palatiale privée, sculpture, peinture, objets d'art). Une synthèse dont les étapes principales sont rigoureusement décryptées dans le contexte contemporain politique et socio-économique qui a suscité leur épanouissement au Quattrocento, amenant l'oeil "moderne" du lecteur à se déprendre de points de vues inexorablement anachroniques.
Il faut imaginer qu'avant 1300, les luttes intestines claniques entre guelfes et gibelins avaient hérissé la ville de quelques deux cents tours défensives dont la plupart ont disparu, et que celles qui subsistent à San Gimignano, à quelques encablures, suffisent à évoquer aujourd'hui ; que les tensions politiques s'apaisant ensuite, le développement du commerce et de l'industrie (textile) a pu sans nul doute être à l'origine de l'essor de la construction et de l'envolée artistique dont la grâce touchera bientôt la ville, faisant d'ailleurs toujours sa réputation. Mais il faut penser aussi que les raisons économiques ne sont pas les seules à rendre compte du renouveau qui frappa tant ses contemporains ; Florence connaîtra bien d'autres crises politiques et d'autres désastres par la suite (inondations de 1333 qui emportent les vestiges de la ville romaine, la grande peste de 1348 décime la population) sans que cela n'entame son dynamisme.
A l'ombre du Dôme, la cathédrale, une activité prodigieuse, économique et commerciale autant qu'artistique mais faite aussi de rivalités, mobilise l'ensemble de la cité. Ce moment florentin dont les mémoires enthousiastes nous sont parvenues, est relaté dans sa vitalité exceptionnelle dès les premiers chapitres et illustré par des exemples précis de commandes. Mécènes et commanditaires privés ou religieux alliés à des hommes de l'ars (le mot d'artiste est plus tardif) soudés dans des corporations nombreuses et puissantes, participent de ce mouvement novateur que l'on a pris l'habitude d'englober sous le terme de Renaissance, concept esquissé par
Jules Michelet et illustré puissamment par
Jacob Burckhardt dans un livre publié en 1860, «
La Civilisation de la Renaissance en Italie ». S'il y a bien une ville européenne entre toutes, célébrée pour les arts à la Renaissance, c'est elle Florence. Venise aussi évidemment, qui fait l'objet d'un autre volume dans la même collection.
Sont examinées dans ce livre les années 1300-1500, deux siècles de transformations d'une ville saturée de christianisme qui, voulant rompre d'une certaine manière avec le passé immédiat ou peut-être cherchant à l'adapter, se réapproprie paradoxalement une Antiquité beaucoup plus lointaine. La pensée grecque et romaine resurgit et se fraye un passage à travers les valeurs chrétiennes omniprésentes, grâce aux écrits des humanistes florentins puisant aux sources anciennes, Alberti, Bruni, Palmieri, Salutati, mais aussi ceux de
Dante (
La Divine Comédie 1315),
Pétrarque et Bocacce, du côté de la littérature. le manuscrit de Vitruve est découvert en 1417, Ficin traduit
Platon vers 1460. Un va et vient entre les idées et les arts particulièrement bien documenté.
Mais Florence comme le précise
Richard Turner est également fière de sa tradition de liberté républicaine, unique dans la péninsule, et qu'elle entend défendre. Si les aristocrates sont tenus à l'écart du pouvoir un moment, les grandes familles enrichies par les affaires et la finance finiront cependant par imposer leur pouvoir ; c'est le cas des Médicis qui régneront pratiquement en souverains et dont l'ombre ne peut éviter de planer sur ces pages, de Cosimo, le "Pater Patriae", à Lorenzo " mort en 1492.
Des interrogations majeures suscitées par les projets architecturaux vont stimuler et donner un élan sans précédent à la création artistique : refonte de la Seigneurie, décision d'ériger un dôme sur la cathédrale (1366-1367) qui sera achevé en 1436, concours des portes du Baptistère (1402) remporté par Ghiberti et réalisées de 1425 à 1452, concomitance des premières expériences de perspectives de Brunelleschi avec les sculptures d'Orsanmichele (Donatello, Ghiberti), etc.
Tous les arts visuels sont affectés par une (r)évolution formelle où l'utilisation et le développement de la perspective semble s'inscrire comme moyen d'une nouvelle vision du monde avant d'être une intention esthétique consciente. Dix ans après la sculpture, la mutation artistique s'opère en peinture : fresques de Masaccio à la chapelle Brancacci (1425-1427), "La Bataille de san Romano" de Paolo Ucello (1440) ou encore "Le Cortège des mages" de Gozzoli (1459). Pages décisives écrites par Alberti (De Pictura), commentaires de Ghiberti ou ouvrages de Piero della Francesca, autre peintre toscan mais dont l'oeuvre majeure se trouve à Arezzo.
Au chapitre de "L'économie domestique" on peut s'étonner de retrouver le couvent San Marco où travailla Fran Angelico, le peintre moine, entre 1438 et 1452. Mais l'auteur explique que la maison familiale séculière trouve un pendant dans le monastère, maison habitée par une famille religieuse aux yeux des Florentins. La fin du Quatrocento est évoquée avec la peinture de Botticelli entre 1470 et 1480 et celle du Perugin alors que certains artistes quittent Florence pour aller travailler à la Chapelle Sixtine à Rome. L'invasion française de Charles VIII (1494) et la main mise de Savonarole sur la ville jette un voile quelque peu funeste sur une période finissante.
Léonard a déjà exposé ses pensées en peinture (1490) quand "Il gigante", David (1501-1504), est installé sur la place de la Seigneurie. Comme Léonard,
Michel-Ange, rompant avec l'attachement traditionnel à la corporation, a le même souci : ériger l'activité artistique au rang d'activité intellectuelle.
Une approche anglo-saxonne de l'histoire de l'art que j'ai beaucoup appréciée.