J'ai beaucoup aimé ce livre très bien lu par
Hugues Martel, le comédien se met bien dans la peau du juge et nous fait part avec conviction de ses mémoires. Il a une voix posée et très agréable, son ton est vivant et jamais monotone, ce qui aurait pu être le risque avec ce type de texte.
L'auteur y raconte quelques affaires retentissantes qu'il a eues à traiter et en particulier les obstacles rencontrés. Même de ce côté-ci du Doubs, j'ai entendu parler de ces affaires, de certaines plus que d'autres, certaines m'ont beaucoup intéressées lorsque la presse en parlait, en particulier l'affaire Boulin ou les financements de partis politiques. le livre s'ouvre justement sur l'affaire Boulin dont je n'avais jamais su comment elle avait fini, j'en étais restée au fait qu'il s'était fait assassiner d'une balle dans le dos, mais la lecture de ce document m'a appris qu'il s'est bien suicidé et surtout que ce n'était pas un modèle de moralité. Il n'est sûrement pas le premier politique à s'être enrichi grâce à ses fonctions, mais un des premiers à se faire prendre, pas de chance pour lui ! Il devait être entendu par le juge pour un achat de terrain suspect et a préféré éviter la confrontation. A ce moment van Ruymbeke est jeune et peu expérimenté, mais bien décidé à exercer son métier de manière intègre. Sa hiérarchie lui met un maximum de bâtons dans les roues et une mauvaise évaluation, ce qui ne le décourage pas.
Après la Bretagne, il sera affecté au Pole financier à Paris et traitera de grosses affaires impliquant des politiques ou des partis, Urba, Elf et bien d'autres. A la fin de sa carrière, il sera même poursuivi par le conseil supérieur de la magistrature sur l'ordre du garde des sceaux, puis complètement blanchi. Tout ceci parce qu'il est pris involontairement dans un règlement de comptes entre deux candidats potentiels à la présidentielle, le gagnant décidera par la suite de lui faire payer cet affront.
Tout au long du livre l'auteur explique sa démarche avec un langage simple et non un jargon incompréhensible, il dénonce les nombreuses pressions subies. Il aura le courage de ne pas y céder, mais tous ses collègues n'ont pas cette force. le ministère de la justice peut exercer de grandes pressions et empêcher certaines enquêtes, l'auteur plaide pour que la justice deviennent vraiment indépendante du pouvoir politique comme c'est le cas en Italie.
Il dénonce aussi la corruption, qui ne gangrène pas que l'Afrique, l'affaire Elf met en lumière ce phénomène en particulier. L'agent circulait dans des valises remplies de billets et arrosait autant les chefs d'Etat africains que la vie politique française, pour des montants juste incroyables. On considérait ces pratiques comme tellement normales qu'Elf pouvait déduire ces commissions de ses bénéfices avant impôts. Certains fraudeurs sont très rusés et un homme politique actuellement emprisonné avait un titre de propriété au porteur pour sa magnifique villa, une invention bien pratique !
L'auteur dénonce aussi les paradis fiscaux, ceux situés en Europe ont fait des progrès sous la pression internationale (Suisse, Luxembourg,Monaco) mais d'autres pays moins regardant ont pris le relais et les riches ou les criminels ne manquent toujours pas d'opportunité pour blanchir leur argent.
Van Ruymbeke parle à plusieurs reprises de la Suisse. Dans les années 1990, il y a eu l'appel de Genève lancés par une quinzaine de magistrats européens à l'initiative de
Bernard Bertossa, procureur général de Genève qui a été très actif dans les délits financiers. Mais comme les législations et la magistrature est affaire de canton dans notre pays, l'auteur souligne que certains d'entre eux. comme celui de Berne ne font vraiment aucun effort et font traîner les demandes autant que possible quand ils ne refusent tout simplement pas d'y répondre. On voit là aussi un effet de l'indépendance de la justice, à Genève le procureur général est un élu tandis que dans de nombreux autres cantons les magistrats sont nommés par le Conseil d'Etat (gouvernement local), et ceci en fonction de leur couleur politique, chaque parti a droit à tant de juges selon son poids électoral. Peut-on s'étonner qu'un juge nommer par un parti défende en priorité ou tel intérêt ?
J'ai beaucoup aimé ce livre qui donne des éclairages très intéressants sur plusieurs affaires très médiatisées, tout en nous partageant le vécu professionnel de son auteur. Un grand merci à Netgalley et Audiolib pour cette découverte passionnante.
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