ISBN : 9782267030792
Merci aux Editions Christian Bourgeois qui, dans le cadre d'une "Opération Masse Critique" proposée par le site Babélio, nous ont gracieusement expédié un exemplaire de cet ouvrage.
Ni biographie véritable, ni biographie romancée, l'ouvrage de
Gilbert Vaudey tente tout d'abord de reconstituer logiquement l'incroyable et rapide conquête du Pérou par Francisco Pizarro, et ensuite de nous restituer, par delà les siècles et l'absence de textes indigènes (les Incas ignoraient l'écriture), l'énigmatique personnalité de celui qui fut le dernier Inca, le dernier Fils du Soleil : Atahuallpa, qui fut exécuté, pour des raisons hautement politiques, le 26 juillet 1533, par ceux-là mêmes à qui il venait de faire verser une rançon astronomique.
Gilbert Vaudey met un point d'honneur à s'en tenir aux faits. S'il imagine, s'il suppute parfois, c'est que nombre de choses nous apparaissent aujourd'hui incompréhensibles, même en tenant compte de ce qui fut un véritable "choc de civilisations." Au centre, le plus grand mystère demeure Atahuallpa, cet Empereur si puissant que nul de ses sujets, fût-ce les plus élevés à sa cour, n'avait le droit de le toucher ou de croiser son regard. Un souverain qu'on peut placer au-dessus de l'autocrate tel que le conçoit l'Occident, qui, au matin du 16 novembre 1533, répond à l'invitation que lui a adressée Pizarro de lui rendre visite à son camp, en emmenant avec lui une armée forte de milliers de guerriers. Des guerriers qui, bien entendu, ne possèdent que leurs lances et leurs arcs pour combattre alors que, face à eux, les Espagnols disposent déjà de bouches à feu.
Quelques jours plus tôt, lorsque les ambassadeurs de Pizarro se sont rendus auprès de l'Inca, ils n'ont pas, cela va de soi, traîné avec eux ces fameuses bouches à feu. Mais ils allaient à cheval, des animaux que le peuple inca n'avait jamais vus auparavant. (Ce sont en effet les Conquistadores qui introduisirent le cheval en Amérique du Sud.) L'Inca n'avait d'ailleurs laissé transparaître aucune peur devant les exercices auxquels
Hernando de Soto, le représentant officiel de Pizarro, se livrait sur son cheval. Excellent cavalier, il fait mine de foncer sur l'Inca et ne s'arrête que lorsque l'animal et l'homme se trouvent pratiquement nez à nez. Atahuallpa ne recule pas d'un pouce et il fera exécuter par la suite tous ceux, qui parmi les siens, auront montré leur peur de cet animal inconnu et étrange.
C'est donc dans des litières portées par de nombreux courtisans que l'Inca et sa suite viennent rendre sa visite de courtoisie à Pizarro. Celui-ci avait demandé à ce qu'il vînt sans gardes armés mais l'Inca a bien entendu refusé en arguant que cela ne se faisait pas dans la tradition de son pays. Et c'est là que se pose la première grande question sur Atahuallpa, lequel avait déjà montré ses talents de stratège et de chef d'Etat lorsqu'il avait dû affronter son demi-frère, Huascar, pour accéder au trône. Si l'Inca a pris la précaution de s'entourer de milliers de guerriers armés, c'est qu'il se défiait des Espagnols. Pourtant, arrivé en souverain, il ne faudra que cinq hommes, dont Pizarro, pour le faire prisonnier. Certes, certains guerriers et beaucoup de courtisans se sont précipités pour défendre Atahuallpa mais la majeure partie s'est ... enfuie, dans une totale déroute, et les Espagnols ont eu beau jeu de leur courir après et de les abattre.
Retenu en otage après la demande d'une énorme rançon - l'or, toujours cet or prodigieux que les Espagnols voient partout - l'Inca est, il faut le dire, traité honorablement par Pizarro. Peu à peu, Vaudey nous dessine la relation qui se met en place entre les deux hommes. Relation ambiguë puisque, en dépit de la curiosité sincère qu'ils éprouvent l'un envers l'autre (ne représentent-ils pas, l'un comme l'autre, une civilisation bien définie ?), voire du début de sympathie qui peut apparaître, tous deux n'en sont pas moins, en parallèle, des ennemis irréconciliables, l'un venant pour soumettre l'empire de l'autre à son propre souverain, Charles-Quint.
Mais le plus étonnant, c'est que les membres du gouvernement qui entouraient l'Inca ne tentent rien pour sauver leur maître. Certes, ils font des pieds et des mains pour réunir la rançon - et ils y parviendront. de son côté, l'Inca, qui a été admis à vivre chez les Espagnols en compagnie de ses femmes (épouses sans doute, concubines, soeurs ? simples servantes ?) ne tente rien pour s'échapper.
Pour les assistants de l'Inca, on sait que l'autorité du Fils du Soleil reste telle que, même dans cette situation désespérée, ils n'ont pas le droit d'entreprendre quelque chose de leur propre chef. Quant à la passivité d'Atahuallpa, elle s'explique d'autant moins que cet homme de trente-trois ans environ n'a pas été sans comprendre que les Espagnols lui avaient tendu un traquenard : comment et pourquoi, dans ces conditions, continue-t-il à croire que, la rançon une fois versée, il recouvrera sa liberté ?
Les Aztèques, peuple guerrier par excellence, s'étaient battus et avaient tenté de défendre Tenochtitlan (que Cortez rebaptisera Mexico, nom qui vient d'ailleurs de l'autre nom des Aztèques : "Mexicas"). Eux non plus ne connaissaient pas la roue, pas plus que le cheval. Les peuples qui leur étaient soumis les détestaient en raison de la quantité de victimes qu'ils exigeaient pour leur sacrifices. Les peuples qui ne l'étaient pas les détestaient tout autant. Rien de pareil avec les Incas. Certes, les sacrifices humains étaient pratiqués et les momies des Incas morts devaient recevoir chaque jour leur quantité d'offrandes matérielles. le peuple entretenait en sorte non seulement l'Inca vivant mais ses ancêtres. Si la roue n'existait pas, des routes avaient été tracées et l'économie était stable. Atahuallpa avait réussi à s'affirmer comme le seul Inca possible face à Huascar. Pourtant, cette civilisation tout de même un peu moins obsédée par la guerre et le sang que celle des Aztèques, ne connaissait ni l'écriture ni ... le calendrier. Face aux trois calendriers mayas, cela fait plutôt pauvre. Ou alors, cela prouve d'autres points d'intérêt.
Mais lesquels ?
Gilbert Vaudey ne prétend pas résoudre tous ces mystères. Si les Espagnols (à l'exception de quelques esprits éclairés et curieux) se sont empressés de brûler un maximum des codex aztèques et mayas, ils semblent bien avoir été ici frustrés par le fait que l'absence de toute écriture, de tout livre leur interdisait de s'introduire dans la culture inca, fût-ce pour la faire disparaître.
En principe - et bien que le mode d'exécution ne plût guère à certains chefs espagnols, dont
Hernando de Soto - Atahuallpa devait être condamné au bûcher. le tout-puissant Clergé espagnol en avait décidé ainsi. Toutefois, Valverde proposa à l'Inca de le faire mourir par le garrot, ce qui laisserait son corps intact - un détail très, très important pour lui. Une condition était posée : qu'il se convertît à la foi chrétienne. Pizarro, de son côté, avait déjà promis de veiller sur les fils du condamné.
C'est donc par le garrot que périt Atahuallpa, le dernier des Incas souverains - ceux qui suivirent ne furent que des hommes de paille. Malgré les efforts de ceux qui, parmi les Espagnols, avaient été touchés par sa détresse et comprenaient que le maintien de sa dépouille mortelle lui était nécessaire dans la religion qu'il pratiquait et dont il était le représentant, avaient réussi à lui éviter le bûcher des hérétiques, Atahualpa, mort "converti", eut droit à des obsèques catholiques et fut non pas remis à sa famille mais inhumé.
Qu'importe puisque l'âme du Fils du Soleil avait rejoint son père. Selon la Tradition, une tradition encore bien vivante de nos jours au Pérou, les descendants de son peuple savent qu'un jour, le Soleil fera renaître, de la terre où il gît, son fils bien-aimé et martyr, Atahuallpa.
Un ouvrage sincère, passionnant, émouvant mais qui ne sombre jamais dans le pathos, un ouvrage écrit par un passionné de la civilisation inca et par la personnalité d'Atahuallpa.
Gilbert Vaudey réussit dans ce livre à nous faire partager sa passion et à nous inciter à nous interroger non seulement sur l'Inca et son peuple, cela va de soi, mais aussi sur la personnalité de Hernando de Soto, d'abord hostile à l'Inca et qui, sur la fin, s'indigne de sa condamnation et prend, en quelque sorte, sa défense. Bref, une réussite. La preuve : dès que je peux, je m'achète un ou plusieurs ouvrages valables, complémentaires et surtout impartiaux, sur l'ancien Pérou, les conquis comme les conquérants. ;o)