Une chose m'a posé un problème tout au long de la lecture de ce roman (par ailleurs écrit de façon très fluide) c'est le principe concernant le personnage de Charlotte, personnage doublement imaginaire puisque héroïne du roman inventé par Sylvie, elle-même héroïne principale du roman de
Claire Vigarello.
La seule raison d'être de Charlotte consiste à se venger des hommes grâce à ce pouvoir d'attraction hors du commun qu'elle a auprès d'eux.
Elle se plait à les attirer, les exciter, puis les jeter sans le moindre ménagement avant qu'ils aient pu satisfaire leur désir.
La raison ? Dans sa jeunesse, lorsqu'elle était en surpoids, certains représentant de la gent masculine ont maltraités, harcelés, ou pire, complètement ignorés, la jeune fille timide qu'elle était.
Depuis elle a perdu tous ses kilos mais pas un gramme de sa rancoeur.
C'est là l'essentiel de ce que
Claire Vigarello nous livre sur le contenu du best-seller de Sylvie « La rose bleue ».
Même si elle ne nous en fait pas la visite guidée on en sait tout de même suffisamment pour conclure une chose simple : le roman de Sylvie est avant tout un livre de vengeance et non une « bluette érotique » comme le défini la narratrice.
La principale façon qu'a Charlotte de s'accomplir sexuellement consiste à s'en prendre à des hommes qui l'ont autrefois abusée.
Et à moins de légitimer ces pratiques sexuelles violentes dont ses partenaires font à leur tour les frais, il faut bien admettre que ce qui anime Charlotte ne peut porter d'autres noms que celui de perversion sexuelle. En effet la sexualité ne peut pas être un lieu de vengeance.
C'est apparemment un point mineur mais qui provoquera une difficulté dramaturgique majeure par la suite.
Car il ne peut pas être indifférent qu'un personnage ayant une sexualité si particulière sorte de la tête d'une auteure - Sylvie - sans que cela ne dise jamais rien de primordial sur elle. Comment la perversion sexuelle de Charlotte pourrait-elle ne pas prendre naissance en Sylvie ?
C'est une donnée cruciale qui ne sera pas du tout traité dans le roman qui persiste contre vents et marées à nous la décrire comme la naïveté et l'innocence personnifiées, incapable de faire le moindre mal à une mouche, ni même d'en avoir seulement l'idée.
A sa suite, tous les autres personnages de cette histoire sont contaminés par ce problème originel.
De l'éditeur (79 ans) qui clame à qui veut l'entendre (ou pas) que Charlotte le fait "bander », jusqu'à une collègue de bureau, représentative de la foule anonyme composant le fan-club de Sylvie, racontant par le menu comment sa sexualité de couple a pris un nouvel essor depuis sa lecture.
Mais aucun ne semble gêné par ce qu'il peut y avoir de pervers dans la sexualité de leur héroïne favorite. Pourtant c'est un thème intéressant une fois posé, et il est dommageable de ne pas en profiter : diverses réactions des personnages auraient pourtant pu donner davantage de réalité et de vérité. Tandis que dans le traitement ici proposé, le lien semble comme coupé entre eux et l'objet de leur passion.
Personne dans le roman n'est spécialement déplaisant ou susceptible de faire du mal à autrui, mais tous, tour à tour et tous en coeur, valorisent de fait une perversion qui dit pourtant très bien son nom sans que jamais son auteure ne pense à en tirer les conséquences qui s'imposent pour les personnages.
Pour cette raison, et même si l'écriture est généralement très fluide et si les péripéties ne manquent pas d'inventivité et de souffle, il résulte à la lecture de «
Où naissent les héroïnes » une certaine sensation de stagnation oppressante.
La crédibilité, l'intérêt des situations, l'humour et la justesse des dialogues ne se déploient pas comme ils le pourraient et une fois le livre refermé, la sensation dominante est de ne pas avoir été véritablement touché par ses personnages mais seulement occupé par eux.
Malgré le talent de
Claire Vigarello qui a le mérite de se sentir en permanence concernée par ce qu'elle raconte, on sent continuellement un hiatus, un malentendu qui crée un équilibre instable entre ce qui nous est annoncé et ce qui nous est effectivement proposé.