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EAN : 9782490834129
128 pages
Panseur (12/01/2023)
4.25/5   14 notes
Résumé :
Il arrive que les plus grandes tragédies se jouent sur un bout de rue maquillé à la craie...

Des ruelles poussiéreuses de Ouagadougou aux pelouses des terrains de football européens, il n’y a qu’un pas, celui de l’espoir.
Mais l’espoir peut rapporter gros à celui qui sait y faire : il suffit d’un peu de magie pour enfermer dans le creux de ses mains une armée de gamins qui rêvent d’étoiles brodées d’or.
Par dizaines, le Sorcier Blanc les... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
L'angoisse du gardien de but…

Dans ce court et percutant roman, Mathieu Vivion raconte le quotidien d'un mendiant de Ouagadougou bien décidé à sortir de la misère grâce au football. Un rêve un peu fou dans un pays miné par la guerre civile.

Au Burkina-Faso, un jeune garçon assiste à un match de foot dans une rue de Ouagadougou. Lui qui erre dans les rues, constamment violenté, voit dans ce jeu l'occasion d'un répit. Mais encore faut-il se faire accepter par le groupe principalement constitué d'étrangers. Pour ce faire, il choisit le défi face à l'Espagnol qui semble être le leader du groupe: «Je veux que tu choisisses un côté et que tu frappes de toutes tes forces. Si je l'arrête, je joue. Si tu marques, je m'en vais. Et je te regarderai tirer dans le but vide si c'est ce que tu appelles football.» Malgré la force du coup de pied, il réussit à détourner la balle. Désormais il fait partie de l'équipe.
Les jours, puis les semaines qui suivent sont pour lui l'occasion de parfaire son jeu et de cultiver son amitié avec l'Espagnol. Ils rêvent de voir leur talent reconnu, leur chemin se parer de roses. Eux qui ont tant souffert. Qui frappaient pour oublier qu'ils étaient frappés.
Sur les bords du terrain improvisé, un détecteur de talents les repère. Ce sorcier blanc veut leur offrir une chance de poursuivre leur carrière dans de meilleures conditions. Il veut aussi faire de l'argent et pour ça, tous les moyens sont bons. Pour le Burkinabé sans papiers – et même sans prénom –, la chance de réussir est infime. Car les places sont chères et il n'y aura que peu d'élus. Mais la seule chose qui continue à le tenir debout, à le faire vivre, c'est l'espoir.
Et il lui faut sacrément en avoir dans un pays où la pauvreté se dispute avec la guerre civile, où les armes automatiques parlent pour une broutille, un regard mal placé. Alors les «cris de joie laissent place à des gémissements de douleur. (…) Aucun témoin pour les entendre. La guerre laisse ceux de la rue mourir dans la rue. Elle les exécute sommairement comme des arbres qu'on abat sans remords. La sève gicle. le sang coule. Et le sol absorbe tout. Il absorbe tout jusqu'à ce que poussent d'autres arbres qui dissimuleront d'autres corps qui nourriront à leur tour la terre maudite.»
On l'aura compris, Mathieu Vivion ne raconte pas une nouvelle histoire de footballeur devenu star planétaire. Il dresse plutôt un réquisitoire amer face à ce business comme un autre qui souvent s'affranchit des règles et fait payer aux jeunes talents le prix des espoirs qu'ils suscitent. La belle épopée vire alors au drame et les «agents de joueurs» n'ont plus rien à envier aux passeurs de migrants. Un premier roman-choc qui explore les côtés sombres d'un trafic qui n'est sans doute pas prêt d'être endigué. Une FIFA digne de ce nom s'emparerait d'un tel dossier, mais elle préfère les millions du Qatar…

Lien : https://collectiondelivres.w..
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Le Burkinabé erre dans Ouagadougou.

« Il frappait lui aussi.
Il frappait les murs des maisons qu'il ne possédait pas.
Il frappait les vitres en évitant d'y croiser son reflet.
Il frappait le sol pour le couvrir de son sang, et ceux allongés dessus pour que s'y mêle le leur, croyant qu'un peu de leur richesse volée le rendrait noble.
Il frappait par choix, comme si c'était commun, puisque mendier n'en était pas un.
Il mendiait. »

Il frappe et il est frappé. Son visage est plein de cicatrices. Sa vie n'a pas de sens.

« C'était le soir et c'était le matin, c'était même toutes les minutes d'un après-midi quelconque et sans fin. C'était la route qu'il empruntait et qui, sans la moindre surprise, ne le mènerait nulle part. »

Soudain une lueur d'espoir, un Espagnol, un Italien, un Français, un Allemand et un Anglais jouent au foot.

Le Burkinabé devient ami avec l'Espagnol. Ils travaillent ensemble dans un café. Roi Georges les repère et les introduit auprès du Sorcier Blanc, ce prétendu faiseur de miracles.

Le Burkinabé se voit déjà avec son étoile d'or sur son maillot, à dribbler en Europe.

Sauf que l'Espagnol tombe d'inanition. le Sorcier Blanc voudrait que le jeu continue comme si de rien.

« le jeu s'était arrêté. Et la semelle de la chaussure du Sorcier Blanc se fit entendre, acharnée, rageuse. Il s'avança vers le corps sans souffle de l'Espagnol.
- Au suivant ! »

Le Burkinabé va oser tenir tête au Sorcier Blanc.

Que va-t-il se passer ? Je vous laisse découvrir la suite…

Une écriture d'une beauté et d'une force à vous couper le souffle, un conte cruel inspiré de sordides légendes modernes, le Sorcier Blanc ne va pas vous laisser indemne.
C'est une allégorie pour dénoncer des procédés scandaleux dans les hautes sphères du foot. Ni le Burkinabé, ni le Sorcier Blanc n'ont d'identité. La symbolique de ce livre est riche et complexe. J'avoue avoir relu plusieurs fois certains passages. Je ne vais pas m'étendre là-dessus parce que je laisse à chacun le plaisir et la liberté d'interprétation, surtout qu'il me manque plusieurs clés…
C'est un récit coup de poing. A plusieurs reprises, le narrateur qu'on suppose blanc européen, intervient pour exprimer son impuissance et son sentiment de culpabilité.

« J'avais laissé le blanc triompher. J'aurais voulu croire que je pouvais être capable d'autre chose, pousser un cri, battre mon camp et retourner le monde ! Mais je ne l'ai pas fait. Je ne l'ai pas fait et j'en mesure toute l'importance. » p. 79

Le Sorcier Blanc est conçu pour une lecture orale en musique. J'ai écouté sur internet la remarquable prestation de Mathieu Vivion accompagné à la guitare par Francesco Beucci.

Je tiens à remercier chaleureusement Babelio et les Éditions du Panseur pour ce merveilleux cadeau. J'ai eu la chance inouïe d'avoir été sélectionnée pour le Sorcier Blanc lors de la masse critique d'automne 2023.
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« Les gens qui ne disent jamais rien, on croit juste qu'ils veulent comprendre, mais souvent, tu ne sais pas, je me taisais pour donner l'exemple. 
« Juste la fin du monde » Jean-Luc Lagarce. Éditions Les solitaires intempestifs.

Qu'on se le dise, « Le Sorcier Blanc » est le génie littéraire. Un livre précieux dont il faudra prendre soin à jamais. Un roman dont la sonorité spéculative ne vous quittera jamais. Un récit virtuose du verbe, vertigineux, l'éclat de notre humanité tremblante de pluie. Un chef-d'oeuvre, cercle infini des mansuétudes.
« C'était le soir et c'était le matin, c'était même toutes les minutes d'un après-midi quelconque et sans fin… C'était surtout d'autres enfants qui jouaient, là, sur un bout de rue maquillée à la craie. »
Un terrain de foot, triangle d'un village, entre poussières et chaleur oppressante, l'arc-en-ciel cosmopolite. Ils jouent, défient leurs souffrances. Gosses aux jambes fines, la sueur, perles de ténacité sur les fronts vaillants. L'équipe soudée, tous pour un, un pour tous, l'exemplarité, corde à noeud et le coeur vaste de cet amour inné.
Ouagadougou, le rêve étoilé, atteindre la voie d'or, la finitude des frontières barbelées. Être reconnus et célébrés, tel est l'adage. Ces jeunes poulbots, affamés pour beaucoup (surtout le petit Espagnol qu'on aime de toutes nos forces ). Pauvres mais une sphère de jeu universelle. Endurants, persistants, la parole est donnée.
« Qui t'a fait ça ? Les cicatrices, partout, sur ton visage. Qui t'a fait ça ? -Les mauvais joueurs. »
Toutes les nationalités confondues sont de concorde. Enfants liés par l'anonymat. Réfugiés, oisillons tombés du nid, volontaires, atteindre le sésame, le passeport, le Graal d'un voyage sans retour. le cercle des mois tourne, pavlovien et perfectible. Jusqu'au jour d'ombre et de gouffre, où le Sorcier Blanc annonce son aura malsaine, son sourire de hyène, la blancheur sournoise et ses gourmettes qui brillent, reflet de métal sur un terrain emblématique. Il regarde ces gosses déambuler dans un jeu gorgé de sentiments et de solidarité. Il bouscule la rectitude du groupe. Il insiste dans son mépris de séparation destructrice. Violent, froid, sanguinaire, le symbole du mal. le Burkinabé, le soleil de ce grand livre, qui a perdu son prénom au fronton des désespérances. Pourtant, le village qui l'accueille semble sourire à son innocence, sa pureté, son désir de grandir en dribblant.
« Dire sa famille, clamer le clan et risquer tout à coup que ces mots se dissolvent aussitôt. Regretter un instant d'avoir assumé un sentiment d'amour, d'en avoir fait la préemption. »
Mais le Sorcier Blanc est advenu. Les deux frères, l'Espagnol, le Burkinabé, lianes siamoises, comprennent. le Sorcier Blanc, manichéen, va devenir la hache à couper l'enfance. Les fécondités de tendresse, les fureurs de ces garçons, leurs noblesses désarçonnées. L'effroi et la jouissance d'un Sorcier Blanc, métaphore de notre monde, dont les traits de caractère sont le racisme, les inégalités, les réfugiés, les égarés, radeau de Géricault sur les poussières d'un stade emblématique.
« Les gamins ont couru en tous sens, évitant tous les dangers. Ils s'étaient dispersés à la croisé des chemins qui menaient aux villages voisins…. La nuit semblait répondre à leur place. »
Ce livre est le piédestal de la littérature. On pleure et l'on berce ces enfants perdus dans les limbes des mépris. On étreint la trame engagée, intense et triste, poétique, sublime et si lumineuse . C'est un murmure, un bruit sourd, un cri dans la nuit chaude d'Ougadougou. L'empathie stupéfiante de Mathieu Vivion qui sait conjuguer le mot fraternité. La magnanimité (une des plus belles qualités humaines) reconnue entre les lignes qui sait le chemin de la vérité et de l'urgence des dires. Ici tout est plausible. Ce serait comme une fable Manifeste. le microcosme politique et social de notre monde. La beauté douloureuse d'un texte de renom. Un séisme mental, une incantation. Comme l'exprime si bien Mathieu Vivion, un humaniste , une belle personne, un auteur d'une grande humilité : «  S'il tombe, ce sera pour mieux retourner le monde. » Publié par les majeures Éditions du Panseur.
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En Afrique, les "sorciers blancs" sont ces entraîneurs de foot étrangers, souvent français, venus faire leur marché dans les rues et dans les clubs à la recherche d'une future « pépite » du foot européen. Accueillis comme de véritables faiseurs de miracles sportifs par des gosses qui rêvent de faire carrière, ce sont les missionnaires de notre époque.
Pour accéder à leur rêve de gloire, les gamins sont prêts à tout. Mathieu Vivion nous raconte l'histoire de celui qui dit non.

Un court roman qui fait l'éloge de la fraternité tout en explorant les côtés sombres d'un trafic légal. Dans une langue musicale qui donne envie de lire à haute voix, ce texte est un flux de mots où le verbe claque, où le raffinement de l'écriture se teinte soudain d'un côté brut. Un texte à scander, à lire en un souffle.
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Je ne pensais pas qu'un jour, un livre sur le football me plairait autant. le sorcier blanc parle de foot mais aussi des espoirs déçus, des rêves plus grands que soi et des révoltes nécessaires.

Les sorciers blancs sont des figures presque mythiques qui rôdent dans les pays africains pour recruter de jeunes footballeurs prometteurs et entraîner des équipes selon les modes de jeu européens. Ces entraîneurs blancs, souvent français, font miroiter des avenirs radieux à des enfants avides de gloire. Missionnaires modernes, ils insufflent leurs connaissances quasiment magiques à des jeunes hommes pleins de rêves.

Un jour l'un d'entre eux refuse de se plier au joug de l'homme blanc. Il choisit de dire non au risque de briser l'infime espoir de devenir champion.

Par une langue raffinée et rythmée, l'auteur expose le trafic légal dans lequel des enfants perdus se donnent tout entiers à leur gourou dans l'espoir d'atteindre leur rêve. Dociles face à celui qui sait, ils acceptent tout et deviennent des proies. C'est quand l'un d'entre eux ose défier l'ordre que les joueurs se mettent à faire réellement équipe. Face aux prédateurs, reste l'amitié. C'est par la fraternité, par ces liens qui se créent sans mots entre ceux qui subissent, que vient le courage de se relever et celui de défier l'ordre. Il y a de la misère mais aussi de la fougue dans ce roman. Entre conte et roman engagé, le sorcier blanc laisse la place au symbolique et à la magie.

Bonheur de lire un roman qui dénonce sans oublier de faire de la littérature, un texte qui porte un sujet fort sans renoncer à l'écriture.
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Citations et extraits (11) Voir plus Ajouter une citation
La guerre avait ôté son maillot couleur ciel, troqué contre cet uniforme boueux aux flocages absents et aux étoiles souillées. Elle avait mis dans ses mains l’arme qui lui avait permis de défaire l’existence. Elle avait mis face à lui celle qui enleva la sienne. Le Burkinabé regarda furtivement les doigts toujours serrés sur la gâchette. Il était pris par la crainte de trop s’attarder, de hurler un ami disparu; ces après-midis quelconques à regarder jouer une vie, et qui risquaient de s’éteindre lentement, les cris de joie laissant place à des gémissements de douleur. Personne. Aucun témoin pour les entendre. La guerre laisse ceux de la rue mourir dans la rue. Elle les exécute sommairement comme des arbres qu’on abat sans remords. La sève gicle. Le sang coule. Et le sol absorbe tout. Il absorbe tout jusqu’à ce que poussent d’autres arbres qui dissimuleront d’autres corps qui nourriront à leur tour la terre maudite. p. 87
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(Les premières pages du livre)
Il frappait lui aussi.
Il frappait les murs des maisons qu’il ne possédait pas.
Il frappait les vitres en évitant d'y croiser son reflet.
Il frappait le sol pour le couvrir de son sang, et ceux allongés dessus pour que s’y mêle le leur, croyant qu’un peu de leur richesse volée le rendrait noble.
Il frappait par choix, comme si c'était commun, puisque mendier n’en était pas un.
Il mendiait.
Il se rappelait tendre les doigts dans les rues de la grande ville, et ployer les genoux pour se faire plus petit. Il était persuadé qu’en relevant soudainement la tête, il marquerait les gens par sa taille et sa révolte, que c'était ce genre de surprise dont ils étaient friands. Qu'ils le récompenseraient d’avoir été tant épatés, et qu’une main, peut-être se sentant plus utile que la sienne tant crispée vers le ciel de Ouagadougou, le saisirait par le corps et l’arracherait des pavés.
Et pour cela, il était frappé.
Il était battu parce qu’il ne possédait rien.
Les autres frappaient ses yeux boursouflés, surpris qu’il puisse encore les ouvrir, et confus d’y trouver tout ce à quoi ils ne voulaient pas ressembler. Ils allongeaient simplement son corps sur le sol et se contentaient de l’assommer. Du sang inondait sa bouche à cet instant. Ce n'était pas le leur. Ils auraient été trop honteux de le mêler au sien, de lui faire goûter l’hérédité précieuse: ici, les pauvres et les riches ne prennent ô grand jamais le risque de donner naissance à un bâtard.
Puis ils l’achevaient en lui jetant une pièce sur la joue, froide sensation signant à la fois leur œuvre et la fin du massacre.
Ne restait que ses mains tremblantes. Inertes. Incapables. Que pouvait-il en faire? On lui avait dit, répété à outrance comme une malédiction qui s’acharne de corps en corps, qu'il n’en ferait rien. Qu'il n’y avait rien à espérer.
Il espérait.
Il croyait à des rêves insensés et en des façons folles de les réaliser. Le football tissait le lien étroit qui pouvait exister entre la pauvreté qu’il vivait et les acrobaties fines qu’il lui fallait effectuer afin de s’en dépêtrer.
*
C'était le soir et c'était le matin, c'était même toutes les minutes d’un après-midi quelconque et sans fin. C'était la route qu’il empruntait et qui, sans la moindre surprise, ne le mènerait nulle part.
C'était surtout d’autres enfants qui jouaient, là, sur un bout de rue maquillé à la craie.
Ceux-là, il leur suffisait souvent d’un ballon crevé et d’un t-shirt troué posé sur une bouteille en plastique pour s’imaginer des forteresses imprenables. Et lui prenait alors l’habitude, le plaisir, le temps de voir les gamins s’animer en starlettes rapiécées d’un quartier trop avide de blasons à décorer.
Si quelques heures passées à observer le monde sont une richesse en soi, se disait-il, alors je suis riche de ce temps-là. Car, au fond, le trésor posé à même le sol, et qu’il avait l’impression de toucher du bout des yeux, était probablement celui-ci: à tant crier leur joie commune, ces gamins portaient, là, la voix de son innocence perdue.
Tous affichaient les tuniques populaires des clubs dont ils se voyaient être les idoles futures, autant d'étoiles sur leur maillot qu’ils croyaient brodées d’or et sur lesquelles se reflétaient le soleil puis la lune. Tant de noms célèbres floqués à même leur dos, parfois le leur, pour ceux espérant gagner l'admiration bruyante des riverains. Et ils y tenaient, cela se voyait à la façon qu'ils avaient d’essuyer la moindre poussière qui s’y apposait.
Tous reproduisaient ce qu'ils avaient aperçu au travers d'une télévision saturée, petit écran posté en haut de l’étagère brinquebalante du café le plus proche, mimant les joueurs jusque dans leurs stéréotypes les plus tenaces, Ils savaient cela par cœur.
L’Espagnol, technique, dribblait l'Italien truqueur, fulminant ses mimiques et les faux cris de douleur. Le Français, travailleur, faisait guerre à l'Allemand, et tous deux, à l'honneur, tâchaient de déterminer lequel serait le plus athlétique. Ils maudissaient l'Anglais et son rire moqueur, lui qui jonglait dans son coin, se pensant poétique, et qui n’accourait que lorsque l’action lui plaisait.
Tous n’avaient en réalité pour pays que la sensation du polyester rêche sur leurs peaux irritées, comme s’il valait mieux afficher la fierté de promouvoir l’ailleurs que celle d’être né ici. Et en martelant leur sol et leur terre du bout de leurs chaussures aux crampons aiguisés, peut-être lui faisaient-ils savoir qu’ils seraient prochainement tentés de la renier.
Il fallait alors voir l’unique Burkinabé, un peu timide aux premières heures à l’idée de croiser leur regard, pensant n’appartenir ni au matin ni bien au soir, ni même à aucun de ces coins de rue. Puis il fallait le voir hurler après les allers-retours, à la ville en secret, à la rue sans recours, malgré sa gueule cassée, suppliciée du centre jusqu'aux pourtours, malgré la peur typique à se lier d’amitié. Il fallait le voir encourager ces stars faisant vivre le quartier comme si lui-même ne venait pas d'ici. Comme si lui-même avait compris que cette terre pouvait être le berceau des génies de demain, et qu’il n’y avait pas besoin de s’en éloigner pour en admirer l’unicité.
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Il se rappelait tendre les doigts dans les rues de la grande ville, et ployer les genoux pour se faire plus petit. Il était persuadé qu’en relevant soudainement la tête, il marquerait les gens par sa taille et sa révolte, que c’était ce genre de surprise dont ils étaient friands, et qu’une main se sentant plus utile que la sienne tant crispée vers le ciel de Ouagadougou, le saisirait par le corps et l’arracherait des pavés.
Et pour cela, il était frappé.
Il était battu parce qu’il ne possédait rien. (p. 11-12)
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J’imagine qu’en frappant le ciel des mains, je pourrais l’arrêter puisque les étoiles ne peuvent pas tomber. (p.112)
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- Le foot, c’est la musique pour les sourds. C’est le flash guidant les aveugles. Personne ne veut vous entendre chanter vos exploits, mais tout le monde veut voir ceux que vous réaliserez demain. Et moi, les petits, je fais le son. Je fais le son et l’image. Je traduis. Je fais, je suis le messager. Le Roi vous parle. Vous pigez ? (p.35)
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