Égaré devant les étals de livres de Noël, cherchant désespérément dans les rayons d'histoire de l'art un opuscule qui ne serait ni un texte rébarbatif sans illustration ni un album d'images sans texte, le chaland soupirera d'aise en feuilletant
Paul César Helleu. Écrit à plusieurs mains sous la direction de F. de Watrigant, l'ouvrage joint l'utile à l'agréable et peut certainement être glissé sous le sapin avec succès. Peintre de la Belle Époque, Helleu (1859-1927) fut un des artistes préférés de
Proust et inspira pour partie la figure du peintre Elstir dans la Recherche du temps perdu. Les textes des différents auteurs, simplement mais efficacement monographiques, retracent le parcours de ce Breton de naissance venu très jeune à Paris, qui se consacra dès ses débuts au portrait de la Parisienne élégante. Sa réputation dans le pastel et surtout dans la gravure à la pointe sèche n'était pas usurpée. Elle lui valut les commandes des familles les plus huppées, en Europe comme aux États-Unis. Mais à vrai dire, Helleu est à son meilleur en peintre “familial”, mettant en scène femme ou enfants dans des poses japonisantes, souvent inspirées de celles de Monet, qu'il admira toujours sans réserve. Émule de Whistler, de Sargent (dont il partagea l'atelier pendant un temps), il sut cependant forger un style inimitable, tout en griffures sinueuses, dont le lacis, moins rageur que celui de Boldini, laisse émerger des visages rêveurs, élégiaques, voire énigmatiques. Ses camaïeux de blanc cassé, de crème, d'argent et d'ivoire, relevés des chevelures rousses et flamboyantes de ses modèles, servent admirablement ses scènes intimistes, saisies dans des boudoirs haussmanniens raffinés ou en plein-air, sur les ponts des yachts qu'il aimait à piloter. Bien mis en page, ce volume au format plaisant reproduit de très nombreuses oeuvres en pleine page, qui réussissent à rendre compte de cette manière si particulière. Mais s'il permet de redécouvrir le portraitiste et le peintre de genre, il a encore le mérite de dévoiler un Helleu bien oublié : l'impressionniste des années 1870 et 1880, le dessinateur aux trois crayons, ou encore le décorateur du plafond de la gare de Grand Central de New York en 1912. Avant que le musée Bonnat de Bayonne, devenu récemment Bonnat-Helleu à la suite de la donation de la fille du peintre, ne rouvre enfin ses portes, ce livre est un avant-goût très séduisant de son art. D'une certaine manière, il fait aussi justice aux peintres du “Paris 1900”, auxquels le public a rendu hommage au musée du Petit Palais à Paris ces derniers mois. Naguère injustement méprisés, les peintres français perdus dans la tourmente de 1914-1918 reprennent vie : gageons qu'ils seront bientôt ceux du temps retrouvé de l'histoire de l'art.
Par
Christine Gouzi, critique parue dans L'Objet d'Art 507, décembre 2014