LE FIGARO DU 16 AOUT 2023
Auteur d'une oeuvre riche, faite de
poèmes, de récits et d'essais, il était le père du concept de « géopoétique », terme forgé à la fin des années 1980, lequel se proposait, à travers l'écriture, « de rétablir et d'enrichir le rapport Homme-Terre depuis longtemps rompu ».
Né à Glasgow en 1936, ce fils de cheminot syndicaliste se passionne très jeune pour la lecture (Conrad,
Kipling, Hugo,
Whitman, et plus tard Breton et
Nietzsche) et accumule les petits boulots tout en commençant une vie d'errance à travers l'Europe, notamment près de Munich, où il vit dans une cabane, avec déjà le désir d'être un « beachcomber », un « écumeur de rivages ».
Au début des années 1960, il s'installe avec sa femme et fidèle traductrice, MarieClaude, dans une vieille ferme en Ardèche, alors qu'il est toujours en quête d'une « sorte d'alchimie mentale » qui nourrira son nomadisme intellectuel. Il en tirera les
Lettres de Gourgounel. En 1964, paraît
En toute candeur, où il affirme : « le monde m'est une provocation. Contre lui, j'affirme mon propre monde, qui est le monde réel. La poésie est affirmation de la réalité. Ni plus, ni moins. » On le retrouve plus tard entre Pau et Paris, où il enseigne, tout en s'intéressant au bouddhisme, au taoïsme et à la poésie japonaise classique.
De ses nombreux voyages, celui qu'on a appelé le « nihiliste gai » a rapporté de nombreux ouvrages, notamment le méditatif Visage du vent d'Est, sous-titré Errances asiatiques, paru en 1980,
L'Archipel du songe, sur les Caraïbes, ou le Rocher du diamant, sur la Martinique, et
le Rôdeur des confins. C'est d'
ailleurs la publication de son récit canadien,
La Route bleue, prix Médicis étranger en 1983, quatre ans après avoir obtenu la nationalité française, qui le fit connaître du grand public. Cette même année, il est nommé titulaire de la chaire de poétique du XXe siècle à la Sorbonne, poste qu'il occupera jusqu'en 1996. Toujours en 1983, il s'installe avec son épouse en Bretagne, dans le Trégor, près de Trébeurden, à quelques encablures de la côte de Granit rose, dans une ancienne maison de paysan pêcheur qu'il baptise « Gwenved », soit le « territoire blanc », qui deviendra son coin de paradis, son « champ d'énergie ». Elle sera au centre de sa Maison des marées, publié en 2005 (Albin Michel). C'est là également que
Kenneth White écrira
Une stratégie paradoxale. Essai de résistance culturelle, où l'on peut lire : « Ma prédilection va à un monde pré ou post-humaniste où tout ce qui vit en moi est au contact de ce qui est puissant et vivant dans l'univers – des forces, une vie bien plus que personnelle. »
Parallèlement, cet universitaire tenté par le large publiera de nombreuses études, portant sur
Victor Segalen,
Antonin Artaud,
Henri Michaux, Emil
Cioran, Thoreau, le bouddhiste
Gary Snyder et dernier survivant de la Beat Generation,
Ezra Pound,
Dylan Thomas,
Basho, Hokusai,
Van Gogh, et même
Richard Texier.
Sa retraite d'ermite breton lui inspirera sur le tard
Mémorial de la terre océane (Mercure de France), son dernier recueil paru (dans une édition bilingue), où il reste attentif à « ce qui résonne/ Quand la mer/ Avec ses longueurs d'onde lyriques/ Et sa rude rumeur blanche/ Remonte avec force/ Ponctuée/ Par une multitude de cris excités ».
En 2007, la collection de poche « Poésie/Gallimard » lui avait consacré une importante anthologie, Un monde ouvert, reprenant l'essentiel de sa production poétique. Nous l'avions rencontré chez lui, sur les hauteurs de Trébeurden, à l'automne 2021, au moment où il publiait, soucieux de sa postérité, sa volumineuse autobiographie,
Entre deux mondes. Il nous avait confié : « J'aime l'expression d'entre deux, qui me définit bien : entre
l'Écosse et la France, entre matériel et existentiel, passé et présent, Orient et Occident, entre contemplatif et expressif. »
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