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EAN : 9791095604310
208 pages
Belleville éditions (08/10/2020)
3.67/5   9 notes
Résumé :
A bientôt trente ans, Shirine vit encore chez sa mère, un vrai despote qui a érigé un mur entre sa fille et le monde réel. La vieille femme, qui a conservé intacte la chambre de son fils disparu durant la guerre du Golfe vingt ans plus tôt, se réfugie religieusement dans son sanctuaire chaque matin. Shirine, elle, s'invente des univers imaginaires, nourris de films et de personnages fantastiques... qui s'effritent lorsqu'elle rencontre Farid, un jeune vendeur de DVD... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique
Un roman d'une Iranienne qui vit au Canada, lecture qui suit celle d'une japonaise qui vit également au Canada ( Aki Shimazaki). Japon et Iran, deux pays trés différents donc changement d'atmosphère mais aussi de prose. Ici rien n'est limpide. Sans lire la quatrième de couverture impossible de comprendre qui est qui et de quoi il en est question avant les 100 premières pages. Surtout que des deux narratrices qui s'alternent, l'une dialogue avec un enfant de son imagination, supposé sa mauvaise conscience ( un peu plus compliqué que cela....explication dans le texte).

Au total trois femmes ,
Shirine trentenaire qui vit encore avec sa mère, prof de Littérature au chômage, une cinéphile qui mélange Vie et cinéma,
Afsoun, la quarantaine, mal mariée, psychologue, maîtresse de conférence, animatrice d'émission populaire de télé, au passé la voisine de Shirine et l'amoureuse de son frère Koshrow disparu dans la guerre du Golfe,
Madame Avakh, la mère détruite psychologiquement, qui n'accepte pas la mort de son fils, Koshrow ,
Et Koshrow, en fantôme entre ces trois femmes qui vivent très mal sa disparition, un deuil de vingt-deux ans sans fin.....

Zahra Abdi mélange passé et présent, mort et vivant, y ajoutant des êtres imaginaires, des personnages de films, et autres, "un poème égaré qui a attaché sa ceinture" et attend pour partir, un noyer qui sombre dans la folie..... pour raconter l'épopée folle de Shirin et Afsoun à travers le deuil, sur fond d'une ville tentaculaire et chaotique, Téhéran , avec ses vieux quartiers, son traffic bordélique, ses marchés, ses contrôles de police ...et d'un pays l'Iran sur l'autel belliqueux duquel les trois femmes ont sacrifié chacune à sa façon un aspect fondamental de leur existence.
Chacune en a tiré son propre film, que nous projette Abdi sur l'écran des pages de son livre. C'est déroutant mais très intéressant aussi bien dans le fond que la forme avec une magnifique illustration de couverture par Asma Abassi. Beaucoup de références littéraires et cinématographiques enrichissent le texte non dénué d'humour, dont le rythme s'accélère au travers des pages. Ce livre de la rentrée littéraire 2020, le conseille sans hésiter pour qui aime la Littérature iranienne et sortir hors des sentiers battus.
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Ce livre raconte avec une poésie décalée la grande difficulté dans l'univers de Téhéran de s'exprimer et de s'épanouir, pour les femmes. J'avoue que j'ai mis un peu de temps à me familiariser avec l'écriture dans les toutes premières pages, car c'est un récit qui utilise des symbolismes. Une fois posés mes repères dans ce bouillonnement de mots, j'ai pu m'y familiariser.

Cette plume nerveuse, rapide et bousculée, évoque au travers du personnage de quelques femmes obsédées par le souvenir d'un absent, une parole qui s'enfuit dans le temps, dans l'oubli, perdue entre les mains d'une mère.

On est ici à Téhéran, dans une famille qui souffre de la disparition de Khosrow, frère de Shirine, parti à la guerre alors qu'il avait à peine 20 ans, en laissant sa famille dans le désarroi. Plusieurs années après son départ, la douleur de sa perte est toujours aussi vive pour sa mère qui garde la chambre de son fils intacte, un lieu qu'elle préserve pour un retour éventuel.
Shirine s'inquiète de l'attitude de sa mère. Elle aimerait rencontrer Afsoun, avec qui Khosrow avait entretenu un rapport amoureux alors qu'ils étaient adolescents. Ils s'envoyaient des lettres qu'ils posaient sur les branches du noyer du jardin situé entre leurs maisons voisines, des lettres subtilisées par la mère de Khosrow.

Les nombreuses références cinématographiques nous baladent dans le monde du 7ème art, car Shirine aime s'évader dans l'imaginaire. Une caméra tourne sans cesse dans sa tête et elle puise dans un répertoire impressionnant afin de mettre en scène le quotidien. Pour les cinéphiles, ils pourront égrener tout un tas de films divers que l'on pourrait connaître, comme par exemple, « La Chambre du fils », de Moretti, assez emblématique ici, ou d'autres encore, faisant partie du répertoire persan.

Je remercie Babelio et les éditions Belleville pour ce livre reçu lors du masse critique.
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Étonnant récit, qui vient bousculer les représentations que nous pouvons avoir de ce qu'est l'Iran aujourd'hui dans le quotidien des femmes qui y vivent, et le livre démontre s'il en était besoin, que l'imaginaire se rit des interdits et des contraintes, et qu'il peut avec des mots les contourner à défaut de les réduire en miettes.
le roman s'articule autour de deux figures de femmes : Shirine 30 ans, Afsoun, une petite quarantaine. Elles ont en commun d'avoir été voisines vingt ans plus tôt, dans le vieux quartier de Daryan Now à Téhéran. Un noyer surmontant un mur séparait leurs deux maisons. Shirine habite toujours là, avec sa mère, dans ces deux étages rescapés des destructions progressives qui ont fait émerger des immeubles et abattu les arbres (le noyer est toujours là mais ses jours sont comptés). Les deux femmes ne se connaissent plus, elles ont pourtant en commun le souvenir de celui qui fut un frère pour l'une, un amour pour l'autre, mort vingt et un an plus tôt dans la guerre du golfe. Chacune vit son souvenir à sa manière, elles partagent néanmoins l'une et l'autre, la douleur lancinante de la perte, et ce manque pour l'auteur est prétexte à faire émerger dans les rêves et les regrets de ses personnages, les projections d'un monde différent, d'une société iranienne plus ouverte, plus libre, où la sincérité d'un amour vrai pourrait prendre forme. le poids lourd des conventions qui bâillonnent et qui blessent est bien présent dans le roman : il prend les traits de la mère de Shirine, une vieille femme qui s'enferme dans la chambre du fils mort, en relisant les lettres d'amour qu'il a écrites à Afsoun et qu'elle a volé à son insu. Afsoun n'est pas en reste, elle a aussi son tortionnaire en la personne de son mari, froid et distant, hanté par sa carrière et son élection à la présidence de l'Université. A travers ces deux personnages, transparaît une société figée et corrompue dont il n'est pas facile de s'abstraire.
Les deux femmes vont pourtant s'y efforcer et Shirine prend l'avantage dans cette quête parce qu'elle croit fermement aux vies parallèles qui lui montrent le chemin, celles des films qu'elle connait par coeur, qu'elle a vu et revu et qui lui font transformer en séquence filmés les temps les plus tendus de son quotidien. Dans cette quête d'images rêvées, un jeune garçon l'accompagne, toujours présent, complice, il est sa voix cachée, qui l'encourage et la pousse quand les décisions sont difficiles à prendre :« Cours Shirine, cours… » quand l'angoisse prend le dessus. Il arrive toutefois qu'il se taise et que l'angoisse trouve malgré tout sa route, la submerge et l'envahit à la façon visqueuse et gluante d'une limace dont la complainte alors l'envahit. La métaphore est puissante et donne son titre au roman, elle montre assez bien que les rêves ont leur limite et qu'il ne faut compter que sur soi-même pour avancer. Et le roman fait avancer les deux femmes, ouvrant ainsi le champ des possibles dans une société fermée où foisonnent toutefois les fissures par lesquelles une certaine liberté peut prendre forme : sous les traits d'un vendeur de DVD à la sauvette ou sur l'écran bleu de l'ordinateur…
Ce premier roman paru en 2014 au Canada où vit son auteure, parait aujourd'hui en traduction française et c'est une belle découverte, malgré la difficulté parfois de saisir dans la symbolique de l'écriture ce que l'écran de la traduction a pu transformer. J'ai pris plaisir à le lire, j'ai entrevu une réalité qui m'était inconnue et vers laquelle je ne me serais peut-être pas portée spontanément.
Je remercie chaleureusement Babelio et Belleville Éditions pour m'avoir adressé ce livre en sélection d'une récente masse critique.
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Le 8 octobre dernier est sorti ce tout nouveau roman de Belleville éditions, premier roman de son auteure iranienne, Zahra Abdi. C'est mon premier roman de littérature persane, j'ai commencé sa lecture avec impatience et joie. Une des spécificités de la maison c'est de faire appel à des illustrateurs très souvent de la même origine que l'auteur, l'artiste, Asma Abbasi a fait du beau travail, cette alliance de couleurs froides me plait énormément, son style apporte une touche de nouveauté et de fraîcheur, même si cette couverture reste assez insolite. Voilà qui fait une des forces des livres qu'édite Belleville éditions.


Ce texte se décompose en différents chapitres et est porté par la voix de deux femmes qui expriment, par alternance, leur intériorité, leur flux de conscience, comme dirait Virginia Woolf. D'abord Shirine, presque trente ans, vit chez sa mère, cadette de la famille, comme si elle en avait dix de moins. Puis, Afsoun psychothérapeute, professeure, poétesse à ses heures perdues, mariée. Elles ne se fréquentent absolument pas pourtant toutes deux ont bien des choses en commun, dont Khosrow, le frère aîné de la première, amour de jeunesse de la seconde. Pour revenir au coeur du roman, entre Shirine et Afsoun, il y a une troisième femme, celle qui ne parle pas, celle qui a perdu sa voix le jour où elle a perdu son fils, semble-t-il. Vous l'aurez compris, je fais allusion à la mère de Shirine, celle qui lie les deux femmes. Mais pas seulement. Toutes les deux sont à leur manière rattachées à l'univers des mots, l'une par ses poèmes, l'autre par ses cours de littérature., et toutes les deux semblent embuées dans une sorte d'incapacité à avancer, peut-être encore trop lestées à ce passé encombrant par le biais du souvenir de Khosrow. le poids de sa douloureuse absence marque paradoxalement sa présence notamment à travers la chambre vide du soldat disparu, érigée en sanctuaire, mais qui finit par étouffer la famille tandis que chez Afsoun c'est cette incapacité non seulement à réciter ses poèmes mais surtout à procréer qui l'asphyxie peu à peu.




La douleur est encore à vif, méticuleusement et obsessivement entretenue par des reliques sacrées, par les souvenirs ressassés qui paralysent les trois femmes et les empêchent de se projeter. La première se complait dans le monde fictif numérisé des DVDs qu'elle accumule, l'autre dans un mariage factice ou il n'y a de place que pour son mari président de l'université, doté d'un égo aussi gonflé que de l'ancien dictateur irakien. Ce que Shirine appelle La complainte de la limace, ce doux chant de la douleur, est encore lancinant chez elle et chez sa mère à jamais endeuillée et cette belle-soeur d'un temps éteint. Chacune porte le deuil à sa façon, elles l'entretiennent, et la mère a fait de la chambre de son fils un lieu saint. À travers ce pèlerinage qu'elle s'impose tous les jours, c'est ce deuil qu'elle ne cesse de prolonger, d'année en année, inlassablement, et Shirine le subit à travers cette oraison funèbre qui vient lui chatouiller l'oreille.


Ce roman joue sur la multiplicité de l'être: et l'image la plus flagrante semble être celle de Shirine, dont l'alter ego prend forme et vie dans la personne d'un jeune garçon désigné sous le nom de pesarak en persan. Shirine, la soeur, la fille voilée avec la mère, dévoilée sur facebook, l'amie. Afsoun, peut-être celle qui a la personnalité la plus disparate, défragmentée entre les différentes visions de ceux qui l'entourent. La personnalité de l'absent Khosrow est encore plus dissociée, entre les trois femmes, et c'est peut-être pour cela que sa mère s'attache à tout ce qui peut matérialiser ce qu'il était.



Shirine joue de son prénom, le sucré, sa langue est comme une recette dont elle rassemble les ingrédients à travers l'art cinématographique mais aussi la littérature.et la musique

C'est un roman d'un pays fortement encore ancré, par certains cotés, dans le traditionalisme et conservatisme. Voilà qu'il faut ruser pour avoir accès aux oeuvres non censurées – petit hic lorsque Shirine évoque qu'un film a été modifié et épuré de sorte à faire passer la petite amie d'un garçon pour sa soeur-, entre une mère qui refuse de voir sa fille dévoilée, évolué au sein de cette nouvelle société iranienne et une modernité qui s'efforce de percer et faire sa place, chaque jour de plus en plus. Cela passe finalement par l'affirmation du rôle de la femme, qui même s'il a beaucoup évolué et progressé, a du mal à s'affranchir des préjugés sexistes encore bien présents. Comment ne pas tiquer quand Afsoun, bien involontairement, écoute les jugements sans concession de ses étudiants, sur sa voix, son image, sur ce soi-disant rôle privilégié d'épouse du directeur du département d'histoire plutôt que sur la qualité de son enseignement et ses qualités de psychologue et de poétesse.

Les amours et amitiés ne sont pas aisés à Teheran et même si internet et Facebook facilitent les contacts, une frontière invisible mais bien réelle les sépare encore. le carcan des préjugés rétrogrades accable encore les femmes qui doivent se conformer à des critères masculins, à obéir et se taire. Roman de rebellions, d'une révolution féminine qui prend forme doucement. Je me suis lentement laissée guidée par la voix des deux femmes, Shirine et Afsoune, grâce à la médiation indispensable du traducteur Christophe Balaÿ, à travers ce passé indélébile qui est une véritable chape de plomb non seulement pour elles mais aussi pour la mère. C'est un roman qui a su trouver son rythme à travers ce duo de femmes qui à elles seules le renouveau de la société iranienne. Les femmes sont là, elles conduisent, elles enseignent, elles soignent, elles écrivent même et tombent amoureuse. Il faut compter avec elles désormais n'en déplaise aux esprits obscurantistes.

Il y a des romans dans lesquels on rentre difficilement, pour lesquels il faut persévérer pour trouver une accroche, une prise fiable qui nous permette d'aller plus loin et celui-ci en fait parti. Mais peu à peu, je me suis laissée porter par le flux des deux voix de femmes torsadées. C'est un beau roman premier roman, plein de délicatesse et sensibilité, de références cinématographiques et littéraires qui témoignent d'une curiosité et d'une ouverture sur le monde. Je remercie encore Belleville éditions de m'avoir permis de découvrir la plume de Zahra Abdi.
Lien : https://tempsdelectureblog.w..
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"J'ai la sensation d'une limace froide et gluante qui enfonce ses cornes dans mon oreille. La complainte de la limace est un des sons les plus tristes que j'ai jamais entendus. C'est une plainte insistante qui se glisse lentement jusqu'au fond de l'âme. Cette viscosité ralentit la circulation du sang et lorsqu'elle atteint le coeur, c'est l'infarctus. Qu'on le veuille ou non, l'organe se paralyse."
C'est un peu l'état d'esprit de ces deux femmes que je suis tout au long du livre. Shirine et Afsoun furent voisines plusieurs années auparavant dans ce quartier en rénovation complète (entendez par là qu'il faut détruire les vieilles maisons avec jardin pour construire des immeubles). La mère de Shirine habite toujours sa maison où pousse un noyer mitoyen avec la maison voisine.
Cet arbre a été le témoin des amours entre Afsoun et Khosrow, le frère de Shirine, surtout des lettres que déposaient les deux amoureux sur le muret et que la mère du garçon subtilisait le plus souvent.
Khosrow n'est jamais revenu de la guerre et sa mère garde intacte la chambre du fils, s'y recueille et lit et relit les lettres volées chaque jour que dieu fait comme dans un mausolée. “Ma mère s'est assise sur le mur de Berlin ! Elle n'a pas permis que les lettres parviennent à destination. Et maintenant elle a fait tomber l'avion. Elle a envahi l'île de Khosrow. Elle a lu ses lettres des milliers de fois. Elle a pleuré. Était-ce le remords, la nostalgie, ou encore autre chose ? Cela ne me regarde pas. Maintenant que la coque du bateau est percé, il faut qu'à mon tour je lise ses lettres. Puisqu'elle refuse de parler, c'est à moi de recoller les morceaux et pars. Je suis contraint de lui attribuer dans le film un rôle négatif.”
C'est dans cette atmosphère que vit Shirine (sucré en persan), trente ans, sous la dépendance de sa mère. Ses études universitaires poussées ne sont pas garantes d'un emploi et elle est au chômage. Toutes les nuits, elle regarde des films sur son ordi. Des films censurés par le gouvernement iranien, présentement Fight Club. Sa vie se passe entre la recherche de DVD, auprès d'un vendeur à la sauvette et ses conversations avec « le jeune garçon », sa conscience, son alter ego masculin. La complainte de la limace est son état. Shirine, paralysée par cette gangue est totalement incapable de vivre normalement, chercher un boulot, surtout qu'avec « le jeune garçon » c'est encore plus difficile. Pourtant, la gangue se fendille lorsqu'elle entre dans le sanctuaire et prend les lettres pour les donner à Afsoun. «pourvu qu'Afsoun accepte de jouer son propre rôle, et de reprendre les morceaux d'elle-même qu'elle a abandonnés dans les plaintes de ma mère. »
L'autre femme, Afsoun, mariée, est une femme très active. A la fois maîtresse de conférence, poétesse, elle anime un programme télévisé. Pourtant, elle non plus n'est pas heureuse. Elle se doit d'assurer la carrière de son mari qui doit passer avant la sienne en ignorant les étudiantes qui passent par le bureau marital et sa propre carrière. Alors, elle fuit, se promène dans les rues, lorsque « la bactérie de la fugue est à nouveau active ».
Dans un passé pas si lointain, Shirine et Afsoun étaient voisines. Un vieux noyer séparait les deux maisons. C'était le lieu de rencontre entre Afsoun et Khosrow, ils s'aimaient comme deux adolescents qu'ils étaient et se déposaient des courriers que la mère du garçon s'empressait de subtiliser.
Toutes les trois, la mère, la soeur, l'amoureuse s'engluent autour de Khosrow, de son souvenir.
La mère qui visite le sanctuaire qu'est devenu la chambre de son fils tous les jours, la soeur qui s'enferme dans un monde de cinéma, Afsoun qui se rend compte qu'elle n'a pas oublié et qu'elle aime toujours Khosrow.
Il y a chez ces deux femmes ce besoin de liberté, de transgresser les règles religieuses. Shirine en regardant des DVD interdits, et Afsoun en étant une femme d'influence. Pourtant, elles ne sortent pas de leurs rôles féminins, l'une en étant soumise à sa mère et l'autre à son mari.
Poétesse reconnue, maîtresse de conférence et psychologue ayant son programme télévisé, cette jeune quarantenaire a gravi les échelons de la réussite sociale. Pourtant, elle évolue dans un quotidien anxiogène qui la pousse à fuir mentalement dans un premier temps, puis physiquement. Car en faisant le point sur ces dernières années, Afsoun. ne peut que se rendre à l'évidence : elle vit encore à travers les souvenirs de Khosrow, son premier et unique amour.
Beaucoup de tristesse et de colère dans ce livre. Une tristesse qui paralyse la vie tout comme les regrets qui parcourent Shirine et Afsoun… toujours ce mur auquel elles se heurtent. Peut-être la colère sera t-elle salvatrice. L'écriture de Zahra Abdi très vive, quelque fois ironique, d'autres fois tendre évite le regard nombriliste.
Comme toujours chez Belleville éditions, l'objet livre est de qualité. La couverture, une illustration d'Asma Abassi, est superbe ; Une belle allégorie du roman.

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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
Mais le docteur Sarabi n’est pas une femme. Il ignore çe qu’est de tenir d'un bras son enfant et de l’autre le fer à repasser.De pleurer d’un œil et de l’autre regarder un film. D’écouter d’une oreille une conversation téléphonique et la télévision de l’autre. Il ne sait pas que la femme qui est capable de pleurer à l'intérieur tout en éclatant de rire, en t’offrant un plat de riz et en parlant comme un moulin, ne vient pas de la planète Mars....Le docteur Sarabi n’est pas une femme.Il écrit des articles superbes sur les femmes mais il ignore de quel amalgame elles sont faites. Même Freud s’est trompé à leur sujet. Jung a bien découvert cette énigme de l’anima animus. Mais tu sais très bien que l’animus ne comprend pas ce qu’est l’anima.
p.98
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La jeune femme récite son poème. Une longue complainte au sujet des hommes. Son texte suivant évoque une femme dont le visage est bleui par les coups reçus. Elle est comparée à une corbeille de violettes fanées abandonnée au bord du trottoir. La jeune poétesse porte un voile blanc nacré ; tandis qu’elle récite, elle joue avec les épingles bleues qui le retiennent. De loin, on peut distinguer ses ongles incroyablement longs. Je ne peux m’empêcher de penser à ce que deviendrait un congrès de poésie féminine si les hommes ne leur en donnaient pas le motif et l’inspiration !
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Je m’enroule dans mon drap. J’enfouis mon oreille sous mon bras. Par la fenêtre entrouverte pénètre une odeur de thon. Quel est l’imbécile qui mange du thon à minuit? Impossible de passer outre. A minuit les sons se font plus obsédants. J’ai la sensation d’une limace froide et gluante qui enfonce ses cornes dans mon oreille. La complainte de la limace est un des sons les plus tristes que j’ai jamais entendus. C’est une plainte insistante qui se glisse lentement jusqu’au fond de l’âme. Cette viscosité ralentit la circulation du sang et lorsqu’elle atteint le cœur, c’est l’infarctus. Qu’on le veuille ou non, l’organe se paralyse. Je me souviens de cette camarade de lycée. Quatre jours avant le bac, son cœur n’avait pas supporté d’aller jusqu’au bout des épreuves.

Je me redresse et m’assieds dans mon lit. Je me frappe de plusieurs coups de poing dans la poitrine. Juste pour rappeler à mon coeur de ne pas oublier de battre. De l’autre côté du lit, le jeune garçon est allongé par terre, le nez sur le sol et les jambes en l’air. C’est dans cette position qu’il dort quand il est fatigué. La complainte de la limace retentit à nouveau. Je regarde par la fenêtre. La lumière est allumée dans la cuisine de mon voisin d’en face. L’homme fait frire quelque chose à la poêle. Une lumière blanche clignote dans l’obscurité de leur salon. Ils sont sûrement en train de visionner un film. De la fumée s’échappe par la fenêtre de la cuisine. Il y a encore plus bête que moi, me dis-je. J’appuie sur le bouton de l’ordinateur avec mon gros orteil. Il ne s’allume pas. Je me souviens qu’avant d’aller au lit, j’ai débranché le câble pour éviter à mon orteil d’être tenté. Ce soir, j’ai décidé de me coucher tôt et de laisser tomber le film. Peut-être qu’en dormant, je n’entendrai plus la complainte de la limace et pourrai me reposer au moins une nuit sans que mon coeur subisse ce coup de rabot.
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Mais le docteur Sarabi n’est pas une femme. Il ignore ce que c’est que de tenir d’un bras son enfant et de l’autre le fer à repasser. De pleurer d’un œil et de l’autre regarder un film. D’écouter d’une oreille une conversation téléphonique et la télévision de l’autre. Il ne sait pas que la femme qui est capable de pleurer à l’intérieur tout en éclatant de rire, en t’offrant un plat de riz et en parlant comme un moulin, ne vient pas de la planète Mars.
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J’ouvre la porte dans le noir. La lumière du voisin est la seule qui pénètre péniblement par la fenêtre. Notre maison est comme une dent de lait branlante qui refuse de tomber.
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