Affaires de style

Cet ouvrage semi-pédagogique sur l'art de la stylométrie se révèle dans l'ensemble semi-satisfaisant. En se voulant pratique, centré sur des cas pratiques avérés, c'est le parti pris annoncé du livre, il en perd parfois sa pédagogie et son côté technique, nécessaires pour bien comprendre le sujet.

Le livre, globalement chronologique, débute par la contre-analyse stylométrique sur le livre le plus vendu de l'histoire : la Bible. Félicitations à lui au passage, on savait qu'il irait loin, mais là, Marc Lévy dépasse nos attentes les plus folles. Quoi ?! Autant de livres vendus et ce n'est pas un Marc Lévy ? (n'est pas d'Actors Studios qui veut...). Affaires de style enchaîne ensuite les enquêtes sur Shakespeare, Molière, Colette, Elena Ferrante, puis sur les affaires criminelles ou autres mystères de l'écriture.

Certaines enquêtes, à mon goût, font décroître le livre en intensité parce qu'on en retire au final peu d'éléments de contexte, d'analyse et/ou de technique. Beaucoup sont tout de même intéressantes et servent d'ailleurs la promo du livre : Qanon, César ou l'aède Homère. Un gros plus pour l'enquête sur l'Unabomber, qui se révèle pour moi la plus palpitante. Pour le coup, on apprend le déroulé de l'enquête, les différentes orientations prises et la conclusion de l'affaire.

Néanmoins, je vois trois limites à l'exercice.

On a souvent l'impression de survoler le contenu technique, les fondamentaux de la stylométrie sont dans l'excipit. Il m'a manqué une vraie dimension "techniques de travail" sur quelques fiches.

Parfois, l'éparpillement est bon, si productif, ce qui n'est pas toujours le cas pour ce livre. le rythme du texte se retrouve parfois haché, sans que cela ne profite à l'ensemble. Je n'ai, par exemple, pas trouvé les passages sur les troubadours et trouvères, ou sur Kurt Cobain particulièrement intéressants.

Se pose aussi la question éthique de la pratique, question que n'élude pas l'ouvrage à travers l'étude du cas Ferrante. Dans le cas d'une autrice ou d'un auteur ayant souhaité demeurer anonyme, est-ce qu'il n'est pas totalement contraire à l'éthique de rompre cet anonymat ? L'ouvrage parvient à justifier de manière assez crédible pourquoi selon les auteurs la stylométrie peut être légitime dans certains cas et pas dans d'autres.

Malgré le souffle novateur que cet ouvrage de vulgarisation apporte sur la stylométrie, je lui ai trouvé quelques défauts rédhibitoires (mais pas incorrigibles !).

Merci à Babelio et les éditions le Robert pour ce Masse Critique !

P.S : un petit point sur le livre en tant qu'objet. À voir si le livre que j'ai reçu était un exemplaire défectueux, mais il est littéralement parti en lambeaux. Les feuilles sont parties par paquet, et au final, on peut presque dire que le livre est vraiment découpé par chapitre (amis des bons mots, bien le bonjour).

Voici un livre vers lequel je ne serais jamais allée de mon propre chef, mais que j'ai reçu par la Masse Critique de Babelio. Et j'en suis absolument ravie.

J'ignorais totalement qu'il est possible d'identifier de façon quasi certaine l'auteur d'un texte anonyme (et ce, quel qu'en soit l'objet) en comparant le texte en question avec les écrits signés du suspect, par l'usage qui est fait des mots-outils (pronoms, conjonctions, prépositions...) Cet usage constitue notre "empreinte rédactionnelle", inconsciente et quasi impossible à contrefaire.

Ceci constitue, évidemment, un outil utile pour démasquer certains criminels. Mais les auteurs se posent aussi la question de l'usage dévoyé qu'en feront certainement les dictatures pour identifier les opposants à travers leurs écrits... et même des tentatives qui ont été faites pour démasquer Elena Ferrante qui, quelle que soit sa véritable identité, n'a commis aucun méfait et ne mérite pas de voir son existence traquée à la façon d'un criminel.

Chaque cas qu'ils ont décortiqué est ici exposé à la façon d'une courte enquête policière, ce qui fait de cet essai une lecture intéressante et très agréable, ce qui ne gâche rien.

Merci donc, Babelio...

La friande d'enquêtes criminelles que je suis connaissais la stylométrie pour son usage dans l'affaire de l'Unabomber et celle de Grégory.

Florian Cafiero et Jean-Baptiste Camps nous proposent un tour d'horizon de l'usage que l'on peut faire de la stylométrie, de ses points forts mais aussi de ses points faibles.

J'ai été sensible à la franchise des auteurs qui ne manquent jamais de souligner les écueils ou la dangerosité d'une telle pratique — à cet égard l'exemple d'Elena Ferrante est particulièrement éclairant.
De même que leur légèreté face aux détracteurs d'une telle pratique que certains ne manqueront pas de juger ridicule ou vaine.

Pourtant c'est une pure réalité, la stylométrie est par définition un domaine linguistique qui use de statistique pour décrire les propriétés d'un texte, qui aide à déterminer s'il a été écrit par un ou plusieurs auteurs, si le ou les auteurs appartiennent à un lieu géographique particulier, etc.
En se servant notamment de mots-outils (c'est-à-dire tout ce qui est prépositions, déterminants, pronoms et conjonctions) les experts peuvent déterminer si William Shakespeare a écrit les oeuvres qu'on lui attribuent, si Molière est l'auteur de ses chefs-d'oeuvres ou s'il s'agit en réalité d'un des grands tragédiens du siècle, Corneille.

La clarté permise par la construction des chapitres permet au lecteur d'aller à l'essentiel et de saisir des éléments qui peuvent sembler complexe à un lecteur novice — je pense à l'aspect scientifique du domaine avec la création d'intelligences artificielles pour pister des variations textuelles par exemple.

À lire pour celles et ceux qui sont intéressés par les débats sur la paternité de certaines oeuvres littéraires ou pour son usage dans le domaine judiciaire.