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EAN : 9791032405659
352 pages
404 Editions (25/05/2022)
3.63/5   65 notes
Résumé :
Une malédiction au cœur du plus sombre des bayous...
On raconte que c'est arrivé un soir sans Lune, au village de Coq-Fondu, dans l'endroit le plus reculé du bayou. Qu'une jeune fille a été maudite pour les crimes de sa mère, la pirate la plus redoutée des mers, qu'elle n'a jamais connue. Où qu'elle aille, les esprits iront aussi, la traquant sans merci.

On raconte encore que pour briser cette malédiction, elle devra dire adieu à tout ce qu'ell... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (34) Voir plus Ajouter une critique
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Incontournable Août 2022


Version courte: Récit fantastique, quelque part entre le bayou poisseux de la Nouvelle-Orléans du 17e siècle et la mer des Caraïbes, entre magie africaine et folklore maritime, nous suivons Toma, jeune fille de 14 ans, restée bien protégée dans un patelin du bayou, jusqu'au jour où elle est maudite par la mère de jumeaux assassinés par une Capitaine Pirate d'une cruauté implacable. Sa mère. Obligée de fuir de sinistres entités, elle part en quête de rédemption et d'identité, par la même occasion. Un récit envoutant, entre vivants et morts, dans une Nature enveloppante et une histoire savamment ficelée, où justice, piraterie, amitié et épanouissement s'amalgament. Et où souffle un furieux vent de liberté.


Version exhaustive (Parce que les bons romans méritent qu'on s'y attarde):


Pour ma centième critique de cette année, et mon premier roman de la maison 404, il me fait assez plaisir de découvrir cette histoire où la piraterie, la Nouvelle-Orléans et tout une bande de personnages hétéroclites s'amalgament, dans un univers fantastique où la magie yoruba ( dite "vaudoue") et les légendes maritimes prennent vie. Ce n'est pas seulement l'histoire d'une enfant maudite, mais également d'une enfant qui doit apprendre à devenir une femme.


Coq-Fondu, petit patelin perdu aux fonds d'un bayou louisianais, abrite un petit univers de gens bien particuliers. Parmi eux, Toma, 14 ans, pour ainsi dire "l'enfant du village", dont tout le monde a soin, plus ou moins. La jeune fille découvre un jour une aînée mourante, qui a cheminé jusqu'au village à la recherche de ses jumeaux. Atterrée à l'idée que l'aïeule ait fait une si longue route pour chercher ses garçons qu'elle sait déjà morts, l'adolescente propose de les chercher, quand sa mère, une capitaine pirate, viendra la chercher. Hélas, la mère de Toma est aussi la responsable de la mort des jumeaux et quand celle-ci l'apprend, elle utilise une forme de magie afin de maudire l'enfant de la Capitaine meurtrière. Catastrophée par le cercle peuplé de symboles qui a été créé sur le sol de sa maison avec de la farine, Toma sollicite l'aide de Roi-Crododile, qui a une certaine connaissance en magie yoruba ( que les français appellent "vaudou"). Si les gribouillages semblent inexactes et le message incohérent, il n'en reste pas moins que l'adolescente vit des symptômes de malédiction liée au monde des défunts. Avec le support de la "prêtresse" Roi-Crocodile et d'un jeune homme qui cultive aussi bien le déni que la colère, Boone, Toma doit retrouver les jumeaux pour échapper à la malédiction qui pèse sur elle.


Comme c'est souvent le cas avec les romans intéressants, il y a plusieurs choses que je souhaite relever. Déjà, l'élément qui m,a le plus étonné est sans conteste la beauté de la plume. Comparaisons habiles, descriptions précises, personnifications, l'inerte comme le vivant pulse sous nos doigts, on pourrait presque sentir la soupe organique des marais de la Louisianne, tout comme le puissant parfum de l'Océan. Vraiment, les descriptions étaient magnifiques et rend bien hommage à la Nature, plus puissante que tout.


Puisque nous sommes dans le volet des décors, je constate qu'à plusieurs reprises, je me suis sentie dans l'un des films des Pirates des Caraïbes, de Disney, avec cette ville de bateaux raboutés qui rappelle la "Baie des Naufragés" du troisième Opus de la franchise, ainsi que le bateau fantôme, qui fait écho au Hollandais Volant de Davy Jones. Ce n'est sans doute pas anodin, ceci-dit, car les bateaux fantômes font parti des légendes maritimes. Je note aussi qu'à l'instar des décors de Pirates des Caraïbes, les décors sont "sales", grugés par le sel et le sable, un brin putride. Ce n'étais pas l'époque la plus salubre, disons, et c'est également là qu'on constate que les constructions humaines sont bien fragiles et éphémères quand elle subisse les éléments naturels. Bref, le roman navigue dans des décors souvent peu ragoutants, où la Nature est omniprésente, et où l'atmosphère change à de nombreuses reprises. Certains passages évoquaient les romans d'épouvante, sinistres et mystérieux, alors que d'autre respiraient l'aventure et la découverte.


La dimension magique aussi avait quelque chose de fascinant. Déjà, il faut savoir que "Yoruba", qui est évoqué dans le roman comme une sorte de croyance, en est effectivement une. Elle regroupe les croyances et pratiques originelles du peuple yoruba, fondées sur le culte des orishas ( Divinités de l'Ouest africain). Les Yorubas sont également une ethnie, particulièrement visée par la traite des esclaves, à cette époque où se déroule l'histoire. On peut supposer assez justement que Roi-Crocodile est d'origine africaine, comme ses parents, et elle évoque d'ailleurs avoir réussi à s'échapper. Elle pratique donc une partie de son héritage culturel religieux. Il est si rare d'en entendre parler, du moins pas à travers le prisme occidental du "vaudou". Donc, avec les descriptions précises et le traitement respectueux aidant, nous découvrons un pan de la culture africaine ( surtout celle de l'Ouest) très intéressante et versée sur la présence de nos aïeux et des membres de la famille comme messagers. Ça n'a rien de diabolique et de fanatique, comme j'ai pu parfois le constater dans certains romans d'auteurs américains. Quand on quitte le sol pour l'océan, on passe également aux mythes et légendes des mers, comme les krakens ou les Feux de Elme ( un phénomène physique dont on croyait autrefois qu'il s'agissait de revenants ou de feux follets), ou encore les bateaux fantômes. Que ce soit le yoruba ou le mythe maritime, les deux sont liés au monde des morts. La connexion entre les deux est d'ailleurs bien trouvée. Je constate, en outre, que rien de catholique n'y est abordé, ça fait changement! C'est donc assurément un roman fantastique, avec quelques formes de magie folklorique.


Un autre élément qui m'aura impressionné est le traitement des personnages. Nous sommes en présence de pirates et autres gens peu éduqués, certes, mais ces âmes humbles et parfois même assez près de la bêtise, sont étonnamment souvent très humaines. Comme l'a mentionné la Capitaine Laflamme, nombre de pirates étaient des hommes ( et des femmes) avides de liberté ou fuyant l'asservissement. Mais comme c'est souvent le cas dans nos sociétés, nous sommes plus souvent au fait des conneries de la minorité tapageuse que de la réalité de la majorité tranquille. C'est que les ignominies des pirates sanguinaires qui ont parcouru les caraïbes et les autres mers du monde ont de quoi faire frémir et c'est volontiers de ces histoires dont sont friands les gens. Cela-dit, loin de cette catégorie, les boucaniers de l'équipage du Ménestrel sont plutôt une bande d'humains malmenés par la vie, plus ou moins moraux, mais pas cruels non plus. Certains des plus intelligents sont même de sacrés philosophes, qui n'ont pas apprit la vie par les mots, mais par l'expérience. Je pense au personnage d'Acab, l'aubergiste, empathique et bienveillant. Je pense à Sandy, perfectionniste, droit et juste. Il y a également la Capitaine Laflamme, une force de la Nature, d'une honnêteté tranchante, mais sans mesquinerie, en quête de liberté et elle-même jusqu'au bout. Marteau, le cuistot aussi, a eu quelques paroles pertinentes. Je remarque que ces hommes et ces femmes ont tous eu, chacun à leur manière, une influence positive et/ou constructive sur le personnage principal, Toma. Après tout, ne dit-on pas qu'il faut un village pour élever un enfant"? Ici c'est deux fois plutôt qu'une: un village et un équipage de pirates.


Toma, notre protagoniste, va vous sembler naïve et empotée, et avec raisons. N'oubliez pas qu'elle a vécu dans un minuscule village en pleins marécage, avec une pelletée d'individus amochés par la vie pour la protéger. Ça n'a donc rien de très illogique ou d'insensé. Au contraire, il faudra qu'elle s'émancipe et grandisse, situation périlleuse oblige. Toma a toujours juste 14 ans, n,a pas d'éducation, ou si peu. Elle est impressionnable, souffre aussi d'une forme de carence affective et semble avoir peu expérimenter la peur. Ce n'est pas seulement la malédiction qu'il lui faudra fuir, mais également son identité à construire. Pour la majeur partie de sa vie, son avenir reposait sur une certitude: Celle que sa mère pirate la retrouverait. Cependant, rien n'est moins sur, puisque sa mère semble être une femme extrêmement mauvaise. On en apprendra sur ses origines et ce qu'on en apprend change complètement la donne et même la vision qu'on aura eu d'un personnage.


Roi-Crocodile ( quel nom original!) était en quelque sorte le pilier du trio. Elle a des connaissances et a du vécu. C,est une jeune femme stoïque et pragmatique, qui a une logique parfois froide, mais un bon fond. Jeune africaine à l'enfance et à la famille volée, elle est encouragée par ses ancêtres à aider la jeune maudite, mais son attitude dénote qu'elle l'aurait sans doute aidée de toute manière. Roi-Crocodile est le personnage sur qui repose les solutions et semble la plus à même de concevoir les plans. C'est également une personne au grand courage, mais pas au courage imbécile.


Boone ( dont j'ai passé la moitié du roman à appeler "Bones") a 26 ans, une dégaine de grand flan mou trop bronzé et il parle à un palétuvier, avec qui il entretient un monologue assez unidirectionnel. C'est le genre de personnage qui a conçu une carapace de tank autours de lui, mais à savoir de quoi il se protège, là est la question. Boone semble avoir à coeur le bien-être de Toma, mais sa maladresse émotionnelle et ses nombreuses défenses mentales le rende parfois distant. C'est dans l'action que son réel souci pour la jeune fille se manifeste. On le comprendra plus tard, Boone a eu une sale vie lui aussi, avant de finir à Coq-Fondu.


Ce qui n'amène à traiter d'un thème qui semble partout dans le roman: la parentalité indigne. Nombre de personnages sont des adultes sans enfance, ou des enfants jamais parvenu à l'âge adulte psychologiquement. Des enfants malmenés, rejetés, esseulés. Des survivants. Des gens qui ont soif de liberté parce que c,est à peu près la seule chose qui valent la peine d'endurer un mode de vie chaotique et dangereux comme la piraterie. En même temps, ces personnes semblent tous se comprendre dans cette solitude et ont donc des valeurs beaucoup plus humbles, loin des artifices et de la hiérarchie sociale. Il y avait quelque chose de touchant dans cette bande de pirates, pour cette raison. Leur capacité à vivre au quotidien, à apprécier les bons repas et à travailler leur sens de la camaraderie. Attention, je ne dis pas que les pirates sont des agneaux, mais dans le roman, clairement, il étaient plus des brutes sympathiques que cruels, intéressés et cupides. J'apprécie toujours les envers de médaille, parce que le monde est en nuances, non en blanc et noir. Bref: il y a avait cette idée des adultes qui ne méritaient pas d'être des parents. Une vérité qui fait mal, mais une vérité néanmoins. Il y a une réelle différence entre être un parent et être un géniteur. Toma s'en rendra compte bien assez tôt.


Dans un autre ordre d'idée, je constate que le roman est très féministe, en ce sens où la parité et l'égalité homme-femme est très équilibré. Je dirais même que les femmes occupent souvent des rôles de meneuses et de bonnes têtes, alors que les hommes sont souvent sensibles, versés dans des métiers ( aubergiste, traducteur, cuisinier) et tendres. Ce que nous découvrons sur les habiletés parentales de la Capitaine Écarlate s'oppose durement à la tendance paternelle de Boone. La finesse d'esprit et la tempérament solide de Roi-Crocodile et du Capitaine Laflamme côtoient la tendresse protectrice d'Acab et le désir de civilité respectueuse de Sandy. Je trouve tous ces personnages complémentaires les uns par rapport aux autres et je me surprend à trouver leur unité attendrissante. Ce n'est pas du tout ce que le contexte et le sujet auraient pu laisser croire au début. Et quand on voit au contraire la cruauté de certaines de leur histoire, on veut bien croire Marteau quand il dit que la vie est parfois brutale, tout en étant magique.
Petit sous-point: J'ai toujours trouvé que les protagonistes garçons avaient des quêtes identitaires, alors que les protagonistes filles se contentait de tomber amoureuses ( du mauvais gars, très souvent). Ici, le thème de l'amour n'est pas lié au couple hétéro classique, il est plutôt d'ordre amical et collectif, presque de l'ordre de la famille de substitution. Aussi, Toma est bien un personnage féminin qui vit une quête de soi, même si le but premier est de contrer la malédiction qui l'afflige. Elle va en sortir plus mure, plus sure d'elle, avec une acuité nouvelle sur le sens de la vie et le sens des liens entres personnes. En cela, c'est rafraichissant.


Le scénario est bien structuré, le récit bien ficelé et certaines formules, comme celle du prologue, donne beaucoup de saveur et d'additivité. Parfois, le rythme devient calme, ce qui permet de se transporter dans la tête des personnages et d'apprécier le ballet de leurs pensées. Madame Niogret semble aussi à l'aide avec les descriptions naturelles que les schéma psychologiques. On le reconnait aux introspections des personnages et à la complexité des schèmes de pensées.


Enfin, il existe dans ce roman un thème que j'affectionne, la Justice. Ça n'a pas à être forcément celle des Hommes, mais il est doux de songer que les plus odieuses personnes de notre monde puisse être punis pour avoir inutilement fait souffrir autrui pour assouvir leurs égoïstes besoins. Et certains personnages en présence ont soif d'une forme de justice. La Malédiction elle-même repose sur ce désir.


C'est donc assez étonné de constater que dans ce monde salissant et dangereux nous puissions avoir des personnages philosophes, des croisement de magie et des vérités universelles. Il existe dans cette histoire un degré de profondeur que peuvent savourer les lecteurs en même temps qu'une formidable aventure dans un rare décor entre le bayou louisianais et la mer turquoise des Caraïbes. Une histoire d'enfances volés, d'ancêtres fantômes intrigants, de vies reliées, de soif de justice, de liberté maritime et de quête de soi.


Pour un lectorat du second cycle secondaire, 15 ans+.


PS. Je me suis demandée ce que pouvait signifier "Bayuk". le plus plausible est "Bayuk" signifiant "bayou" en français cajun ( les francophones de la Louisiane). En fouillant un peu, j'ai trouvé ceci: "Bayuk" est un nom de famille qui a plusieurs référents. En Ukrainien, ce serait un surnom dérivé du mot "Bayati", signifiant "Raconter [ des histoires étonnantes] ou "Briser un sort". Une alternative suggère que "Bajuk" dénote une "petite personne pauvre ou insignifiante" et une forme d'origine italienne dénote plutôt un "petit coin perdu". Une version d'origine turc, du mot "Bayik", signifie "Honnête". Dans tous les cas, ça colle! Chapeau à l'autrice d'avoir trouver un mot qui signifie cinq choses en même temps.[Source: Ancestry]
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Après un détour par la littérature blanche avec le Syndrome du Varan aux éditions Seuil, voici que Justine Niogret revient dans le monde de l'imaginaire avec une nouvelle parution jeunesse aux éditions 404 : Bayuk.
Derrière la tête de crocodile de la couverture se cache l'histoire croisée de trois jeunes gens en quête d'eux-mêmes à l'époque de la flibusterie et des trésors enfouis.

Pirates du Bayou
Dans Bayuk, on rencontre trois personnages : Roi-Crocodile d'abord, une prêtresse vaudou orpheline au passé énigmatique (et qui le restera en grande partie), Boone, un jeune homme torturé qui aime lire le courrier des autres et qui parle à un palétuvier, et Toma, une jeune fille attendant le retour d'une mère pirate dont elle ne sait en vérité pas grand chose.
De ces trois chemins, Justine Niogret va faire une histoire en y ajoutant une quête surnaturelle avec l'arrivée d'une vieille femme qui recherche désespérément la dépouille de ses garçons. Avant de rendre son dernier souffle, celle-ci jette maladroitement un sort à Toma qui apprend dans le même temps que les jumeaux étaient à bord du Mermaid's Plague, le navire de sa mère, une pirate de légende nommée L'Écarlate.
Commence une course contre la montre pour sauver Toma des esprits vengeurs et lever la malédiction qui pèse sur ses épaules.
Pour cela, elle va devoir quitter le village d'excentriques et de rebuts qu'est Coq Fondu pour explorer le bayou avant d'embarquer sur l'océan afin de confronter sa mère.
Immédiatement, on est emporté par le pouvoir de conteuse de Justine Niogret qui sait agencer ses histoires, les imbriquer et les lier avec une facilité presque déconcertante. Surtout, on se délecte de cette ambiance de bayou, entre vaudou et piraterie, qui convoque les légendes et superstitions de l'époque. Lancé à tout allure, le récit va pourtant souffrir de quelques problèmes de rythme, la française étirant parfois artificiellement son intrigue (le faux-mystère de la carte localisant l'épave) avant de faire une ellipse commode pour précipiter l'histoire (et la redécouverte soudaine du capitaine Écarlate). Fort heureusement, cela ne gâche pas les personnages qu'elle met sur pied, entre les rôles principaux aux histoires complexes et torturées jusqu'aux second couteaux haut en couleur dont une simili-Jack Sparrow prête à se jeter dans la gueule d'un Kraken et un scribe-traducteur qui ne s'en laisse pas compter. Mais, outre son versant aventuresque assumé et revendiqué, de quoi parle, au fond, Bayuk ?

Ces histoires qui nous hantent
C'est dans le passé des personnages principaux que l'on trouve ce qui intéresse véritablement Justine Niogret, à savoir les traumatismes qui nous forgent, les sentiments secrets qui nous viennent de l'enfance et nous hantent tels des spectres évanescents. Si l'on pourrait citer Boone et son passé entre regrets et rédemption, c'est surtout Toma qui fera l'essentiel de ce message. Fille d'une mère-pirate impitoyable qui ne l'a jamais aimé, adoptée par un homme devenu père-mère de substitution et qui l'a sauvé sans dire un mot, élevée par tout un village de marginaux pour combler l'affection et le manque, Toma est une âme blessée qui va devoir affronter la réalité de ses origines, devoir confronter le plus grand croquemitaine de son histoire : sa mère. Bayuk est un récit où l'on apprend à regarder le passé, aussi moche soit-il, et à s'en servir pour en tirer des leçons, pour avancer et grandir. C'est non seulement un livre où l'on croise des fantômes et des monstres, des esprits de fumée et des egunguns, mais c'est surtout un livre où l'on affronte les démons bien réels ressurgit de sa propre enfance.
Et qui a-t-il de plus signifiants dans l'enfance que le parent ?
En forme de jugement mais aussi d'acceptation, Bayuk permet à ses personnages de se libérer du poids de leur secret intime, de nous dévoiler leurs actes passés ou le vide qui les bouffe…et d'avancer !
Justine Niogret excelle dans ce genre d'exercice, elle l'avait déjà magistralement prouvé dans Mordred ou Chien du Heaume et Bayuk ne fait pas exception. C'est certainement cela, bien davantage qu'un parcours bizarrement rythmé et une malédiction un peu simpliste, qui achève de recommander vivement ce récit aux (jeunes) lecteurs !

Roman d'aventures haut en couleur qui ravira les amateurs de vaudou et de piraterie, Bayuk fouille dans l'âme de ses personnages pour y déceler les traumatismes de l'enfance et les blessures mal cicatrisées.
Le roman de Justine Niogret nous apprend à nous servir de nos pires épreuves passées pour en faire une force nouvelle et forger l'adulte que nous serons en définitive.
Lien : https://justaword.fr/bayuk-e..
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Toma est une jeune orpheline qui habite dans le village de Coq-Fondu, au plein coeur du Bayou. Elle tente un jour de secourir un vieille dame, un peu délirante, qui voudrait retrouver ses deux fils, qui sont morts des années auparavant, tués par une pirate implacable, la Capitaine Écarlate, qui n'est autre que la mère de Toma. Découvrant cela, la vieille dame va maudire la jeune fille qui va devoir fuir le Bayou et abandonner tout ce qu'elle connaît pour se défaire de cette malédiction.

Dans sa quête, elle sera accompagnée de Boone, un homme du village, solitaire et un peu bizarre, ainsi que de Roi-Crocodile, une jeune prêtresse vaudou. Cette aventure les emmènera en dehors du Bayou, à travers les mers, accompagnés par des pirates et poursuivis par les esprits.

Ce roman a été une belle découverte et une bonne lecture mais ce n'est pas un coup de coeur et je dirais même qu'il m'a manqué quelque chose.

J'ai beaucoup aimé l'ambiance, on ressent vraiment bien la pesanteur et la moiteur du Bayou. Les personnages sont bien décrits, intrigants, attachants. C'est un roman qui est bien écrit, la plume de l'autrice est plaisante à lire. Il y a de l'action, du rythme, de la magie, de l'amitié, des trahisons... bref il y a vraiment beaucoup d'éléments très positifs dans ce roman et pourtant je n'ai pas été happée par ma lecture.

Il y a peut-être une question de timing là-dessous, ce n'était peut-être pas la bonne lecture au bon moment. Je n'arrive pas trop à savoir ce qu'il m'a manqué car, clairement, les éléments d'un bon roman jeunesse / young adult semblent réunis ici. Il y a de l'aventure, de l'originalité, une pointe de mystère. C'est un roman que je vous conseille malgré tout car je pense vraiment qu'il peut vous plaire s'il fait partie de vos genres de prédilection.
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Bayuk nous emmène à Coq-Fendu sur les traces Toma. Maudite par une vieille femme venue mourir sous son toit, l'adolescente orpheline se retrouve embarquée à travers le bayou puis sur les mers avec Boone et Roi-Crocodile, ses alliés malgré eux. Leur aventure jonchée d'épreuves viendra ébranler les illusions de Toma et révéler de lourds secrets.
Choyée par le village qui l'a recueillie et vue grandir, Toma est une adolescente naïve quand débute le roman. Lorsqu'elle réalise qu'elle est victime d'une malédiction, c'est naturellement qu'elle se tourne vers Roi-Crocodile, qui vit à l'écart du village pour pratiquer le vodou. Si la jeune femme se montre d'abord encline à aider Toma, c'est avec beaucoup plus de réticence et sous la pression des esprits qui communiquent avec elle qu'elle accepte de partir avec elle. Boone, un jeune garçon à la mauvaise réputation et connu pour ses discussions interminables avec un palétuvier, se joint également au groupe, visiblement étouffé par un poids qui l'y oblige.
J'ai beaucoup aimé l'ambiance du roman. Les noms de villages du bayou, les allures de décors poisseux, les personnages douteux, le mystère des esprits qui poursuivent Toma et les descriptions de la pratique vodou de Roi-Crocodile m'ont plongée dans une atmosphère originale et très imagée avec laquelle je n'étais pas familière.
Le récit m'a également paru bien rythmé, la malédiction entraînant les protagonistes d'un lieu à l'autre sans temps mort. Malgré cette menace imminente, le ton reste souvent plein d'humour, ce qui rend la lecture d'autant plus agréable. J'ai trouvé beaucoup d'humour et de tendresse dans la construction des personnages aussi, et notamment dans l'équipage de la Flamme. Les pirates dandy m'ont semblé tous plus attachants que les autres.
On suit la plupart des événements depuis le point de vue de Toma, et j'ai trouvé intéressante la façon dont sont décomposées ses réflexions à plusieurs reprises. Quand la jeune fille doit prendre une décision, on suit en effet le fil de ses pensées avec beaucoup de précision, ce qui permet de mieux comprendre ses actions mais aussi d'avancer à son rythme. A ce titre, je trouve que Bayuk fonctionne comme un roman d'apprentissage. Toma est obligée de s'adapter, de réfléchir et d'agir. Parfois, elle commet des erreurs et parfois, il lui faut un moment pour comprendre quelles émotions la traversent et pourquoi. Cette façon d'accompagner ses pensées m'a paru riche parce qu'il me semble qu'elle permet de guider le ou la jeune lecteur-ice.
Ce qui m'a peut-être le plus plu dans ce roman, c'est la façon dont est abordée la question de la filiation. Élevée dans l'idée que sa mère, la capitaine Écarlate, viendrait la chercher, Toma est très vite confrontée à la dure réalité : la redoutable piratesse n'est pas aussi admirable qu'elle l'a imaginée. En plus des épreuves auxquelles elle fait face, l'adolescente doit ainsi accepter que sa génitrice n'est peut-être pas une bonne personne, et abandonner ses espoirs de réunion familiale. Boone et Roi-Crodolile sont aussi des déracinés. Si leurs parents ne sont pas intégrés au récit, ces deux-là sont également très abîmé-e-s par le fait d'avoir appris à vivre et à grandir seul-e. Les questions de l'amour parental et de la construction de soi à travers la place qu'on occupe dans une famille m'ont semblé centrales, et j'ai été très sensible à la façon dont l'autrice les aborde. Malgré les remous du récit, elle trouve le temps de poser des mots justes et tendres sur ces questions par la bouche de certains personnages. Ces considérations apportent un peu de paix au personnage de Toma, mais je crois qu'elles feront aussi beaucoup de bien aux (jeunes) lecteurs et lectrices. Toma s'entoure dans ce récit de jeunes gens et d'adultes prêts à l'aider, mais qui savent aussi lui dire quand c'est à elle de prendre son courage à deux mains. Même si elle doit accomplir le gros de ses épreuves seule, parce qu'elle doit bien grandir et prendre ses responsabilités, Toma sait qu'elle peut compter sur la bienveillance et la confiance de ceux et celles qui la soutiennent.
J'ai passé un agréable moment de lecture avec Bayuk. J'étais contente de découvrir un titre de Justine Niogret destiné à un jeune public, après avoir dévoré Chien du Heaume et Mordre le bouclier. J'étais déjà bluffée par la qualité de son écriture, mais je réalise encore plus sa maîtrise ici, où je trouve qu'elle fait un gros travail d'adaptation de son style pour le rendre accessible à un lectorat moins âgé. A ce titre, j'aurais tendance à trouver cette lecture adaptée pour un public de 12-13 ans, en gardant en tête que certains passages plus violents peuvent être délicats à lire (mais ils sont signalés par un astérisque en début de chapitre).
Merci à NetGalley et aux éditions 404 de m'avoir permis de découvrir ce roman !
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L'univers de "Bayuk" est assez étrange, il faudra s'accocher un peu mais l'affaire se montrera suffisamment intrigante, curieuse, pour donner envie d'en savoir plus.

Nous nous poserons tout d'abord des questions simples, élémentaires sur cet univers.
Qui voudrait vivre ici ou y venir?
Là, où vivent les personnages de l'aventure, c'est le bayou, les marais à l'atmosphère humide et plein de moustiques.
Comme le dit le roman de l'auteure Justine Niogret, c'est un coin perdu, une cache, pour les personnes recherchées par la justice d'un pays, ceux qui veulent échapper à la potence.
Il y a pourtant dans ce trou vaseux de Louisiane un bourg appelé "Coq-Fondu", des gens, de braves gens, qui se sont posés là un jour et se sont habitués, aux conditions du lieu, les uns aux autres.
Nous ferons la connaissance de Toma, une adolescente de 14 ans, la seule enfant connue par les villageois, Boone, un pauvre bougre de 21 ans, un habitant va-nu-pied un peu bonhomme à qui il n'arrive jamais rien ( du moins le croit-on car la suite détrompera furieusement) et une prêtresse vaudou surnommée " Roi-Crocodile", qui devra retrousser ses manches pour la suite de l'aventure.
"Coq-Fondu" est un lieu où il ne passe personne sauf ce jour là.
Une vieille femme malade aura parcouru tout un voyage pour retrouver le corps de ses fils, embarqués un jour dans l'équipage d'une pirate (jugée par elle comme impitoyable) et persuadée de leur mort.
Où sont-ils?
Ces deux fils ne reposeront pas en paix tant qu'elle n'aura pas retrouvé leur corps quelque part, pense cette maman à l'esprit fatigué et torturé. Elle ne reposera pas en paix tant que cette question n'aura pas trouvé de réponse, pensera Toma qui l'aura trouvé sur son chemin à l'article de la mort.
Toma, elle, fière de la légende d'une mère qu'elle n'a jamais connu, saura qu'offrir son aide est la chose à faire, elle se vantera d'être la digne fille de sa mère avant que la vieille ne rende son dernier souffle, lui indiquant par un drôle de coup du sort qu'elle est la solution pour obtenir sa réponse.
À sa mort, la vieille jettera une malédiction approximative à la jeune fille: oeil pour oeil, dent pour dent.
Toma, qui attendait toute sa vie dans sa bicoque le retour éventuel de sa mère, devra la retrouver au plus vite pour ne plus être maudite et finir terrassée par des vomissements de sable et d'eau sâlée.

Le contexte est étrange car nous ne sommes sûr de rien.
Toma tombera malade et la connaissance de Roi-Crocodile de quelques rituels vaudou leur permettront de définir ce qui s'est pratiqué dans la maison de Toma et ce qui doit se réaliser pour la sauver.
La situation est ironique car il y avait peu de chance que la pirate revienne récupérer l'enfant un jour si elle l'avait abandonnée aux bons soins du village, même si Toma s'était faite d'elle toute seule une image fabuleuse et héroïque.
C'est ironique car c'est Toma qui aura offert l'hospitalité à la vieille malade et voici où nous en sommes car la personne à qui en veut la vieille femme est sans doute la mère de Toma. C'est peut-être l'appel du destin.
Ainsi le trio suivra une piste floue vers la pirate Ecarlate, prenant le risque de s'exposer à un monde hostile et inconnu pour des personnages qui n'auront connu que la pêche et le bayou toute leur vie.
Boone se proposera courageusement d'escorter Toma. Et Roi-Crocodile recevra une demande des esprits: elle doit être du voyage.

Les personnages ont du caractère mais ne sont pas très instruits et il ne se passe rien à Coq-Fondu, partager des nouvelles est un peu compliqué, cela devait présenter un challenge pour l'auteure d'animer l'aventure jusqu'à sortir des marais en barque.
Quand il ne se passe rien, les conversations sont moins animées. Il n'y aura que Boone qui se montrera affable, papotant avec les arbres par habitude pendant ses petites affaires pour passer le temps.

Les habitants ne sont pas seuls dans ses marais, il y a les maladies avec les moustiques, la famine ou les crocodiles.
Nous trouverons forcément le trio courageux en tentant de s'extirper du marais dans l'urgence.
La lumière et la propreté du monde d'ailleurs, donneront des signes d'agressivité ( le trio n'aura pas conscience d'être marginal).
Le bayou, c'est dangereux, cela sent mauvais mais ils y étaient chez eux.

C'est peut-être le monde extérieur qui pourrait se montrer plus difficile à appréhender, se dira t-on peut-être.
Toma est une gamine qui aura eu l'habitude de n'en faire qu'à sa tête, choyée et protégée par le village. le voyage va se montrer périlleux et Toma va devoir apprendre à écouter la voix des aînés pour ne pas se faire "croquer" par le monde ou par la malédiction qui lui noie l'estomac.
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critiques presse (1)
Ricochet
08 novembre 2022
Original, drôle et tendre, Bayuk nous plonge dans un monde de sorcellerie et de piraterie pour nous faire vivre une aventure fantastique et trépidante.
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La vie… Comment te dire ça, Toma ? La vie est étonnante. Elle est violente, brutale, parfois, mais elle recèle une magie, un désir, une urgence. Je crois qu'on ne peut pas la garder sous la langue comme un mauvais médicament. Il faut y mordre, y planter les crocs jusqu'aux gencives et en déchirer sa part. Je crois que l'existence aime ça, justement, qu'on la pince et qu'on la brutalise, ça ne lui fait pas mal. En quelque sorte, ça la séduit, et elle se plie, elle se love, elle offre des présents qu'on n'aurait jamais osé imaginer. Elle est bien plus forte que nous, alors que lui importe ?
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Toma la vit.
Toma était une presque jeune fille, encore à la lisière de l’adolescence. Elle était petite, ses épaules étaient rondes, deux cupules de muscles et de tendons. Ses bras, forts. Sa peau, de la couleur de toutes ces peaux qui se sont mélangées sur le long chemin pour venir du vieux continent, d’un brun trop pâle pour être créole, d’un blanc trop mat pour être encore anglais. Ses cheveux, eux aussi, étaient d’une couleur qui n’avait plus de nom : un châtain presque brun, luisant, très lisse.
Toma aimait le bayou, ses animaux bourbeux, ses arbres dont les racines sortaient de l’eau comme pour se nourrir de soleil, ses ruisseaux se noyant dans des mares étendues jusqu’à perte de vue, les sillons qu’on y lisait, nés de la nage des poissons-chats ou des alligators, qu’ici on appelait parfois les « cocodris ». Toma redoutait et désirait le jour où sa mère reviendrait la chercher. La capitaine Écarlate, la cheffe pirate ! Elle arriverait un jour, et Toma devrait alors quitter la mangrove et partir sur des mers inconnues. Elle fendrait les flots en compagnie de sa fille, et lui apprendrait à diriger un bateau, un équipage, peut-être même à chercher et, surtout, à trouver des trésors ? La jeune fille était effrayée à l’idée de quitter le marais qu’elle avait toujours connu, mais impatiente d’enfin connaître sa mère. Elle rêvait parfois à des coffres emplis de pièces de huit, de joyaux, d’émeraudes et d’escarboucles. Cela la faisait rire, toujours. Toma n’avait pas d’argent, elle n’en avait jamais eu besoin, ici, au village. On payait en aidant les autres, en participant aux tâches de la communauté. Alors, que ferait Toma de toutes ces richesses, devant ces butins à venir ? Elle n’en avait aucune idée. Elle demanderait à la capitaine, sans doute. Une cheffe pirate devait savoir, après tout ! Peut-être que Toman s’achèterait une paire de lunettes, comme celle de Sainte Colombe… Elle avait toujours trouvé le fossoyeur particulièrement élégant.
Toma éternua violemment et entendit un mouvement dans les buissons. Elle essaya de distinguer quelque chose, mais n’y parvint pas. Ce qui avait bougé ne semblait pas vouloir bondir pour la mordre, alors Toma approcha, tendit la main pour écarter un épais pan de mousse espagnole qui pendait à un arbre. Quelqu’un, de l’autre côté, eut le même geste, et la jeune fille se trouva nez à nez avec une vieille femme. Cette dernière semblait épuisée, et Toma, qui avait vu bon nombre d’animaux malades, sut que cette petite grand-mère ne vivrait pas encore bien longtemps.
– Que faites-vous là, madame ? demanda-t-elle en voulant la rassurer ?
La vieille femme ne semblait pas avoir peur. Ni de Toma, qui n’aurait de toute façon pas terrorisé grand monde, avec ou sans lunettes, ni du bayou, qui était pourtant bien plus redoutable, ni même de la mort, dont chacun a sa propre opinion.
– Je cherche mes fils, répondit la grand-mère.
La jeune fille réfléchit un instant.
– Venez avec moi, madame. Je ne saurais pas vraiment vous aider, mais je vais vous conduire au village.
Ce fut Toma qui la vit, et c’est pour cela que cette histoire est celle de Toma. Enfin, pas que la sienne.
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Boone ne la vit pas.
Il était trop pris par sa lecture.
Boone était grand, mince. Sa peau aurait été très pâle, ailleurs, sous d’autres latitudes. Mais ici, le soleil cru lui avait offert une couleur de cuir fumé : celui qu’on imaginait aux gants des belles dames dansant dans des salons, sous des lustres de cristal. La chair du jeune homme, sous sa chemise, était protégée : parfois, il faisait un geste qui en écartait les pans, et, par cette échancrure, on voyait un éclair de rose de pâte d’amande, de chair de nourrisson. Boone fumait un petit cigare à l’odeur de poudre à canon, et la fumée de cette cigarette caressait ses jolis cheveux, passait entre ses mèches comme l’aurait fait une main tendre.
– Ah ! fit-il en repliant la lettre pour la remettre dans son enveloppe.
Il lisait tranquillement le courrier du village. Aucune de ces missives ne lui était adressée, mais Boone s’en moquait. Il n’était pas maître-chanteur, ni même trop curieux. Si on lui avait posé la question, il aurait sans doute réfléchi, pris une bouffée de son cigare gros comme le petit doigt, et aurait expliqué qu’il aimait simplement savoir. Les lettres étaient en général ennuyeuses et sans grand intérêt : des histoires d’héritage, de papiers. C’était ainsi qu’on communiquait, dans le bayou : des boîtes disposées à l’orée des bourgs, et un système de poste, puisqu’il fallait bien lui donner un nom, lent, chaotique, mais qui arrivait assez souvent à bon port pour que personne ne songe à y changer quoi que ce soit. Les missives mettaient parfois des années à parvenir à ceux qui devaient les lire… et quelques jours de plus lorsque Boone les chipait. Le jeune homme remettait toujours les lettres à leur place. Leur état n’étonnait personne : après un voyage de plusieurs mois dans des sacs, des malles, des poches, qui se serait soucié de voir un sceau brisé, ou une enveloppe déchirée ?
Boone entendit quelque chose passer près de lui. Il aurait pu se retourner, se diriger vers le bruit, mais il songea qu’un tatou traînait sa carapace dans les buissons flanquant le sentier, et le jeune homme se moquait bien de tous les tatous du monde. Il ressassait ce qu’il avait lu, les détails de la vie des habitants, qui pourtant ne regardaient qu’eux-mêmes. Le frère de Coq le cherchait, la cousine de Barnabée lui apprenait que leur mère était décédée et qu’elles se partageraient sa pension. Antoine avait donné de ses nouvelles à son frère, qui vivait sur le vieux continent, et les deux s’écrivaient une ou deux fois l’an. Ces petits riens tissant un lien ténu nourrissaient Boone d’une façon qu’il n’aurait pas su expliquer, puisqu’il n’aurait pas voulu reconnaître que lui refusait de nouer de lien avec quiconque.
Son petit cigare craqua soudain. Une particule de poudre était restée entière, et avait claqué comme un minuscule pétard. Boone retira cette cigarette de sa bouche, l’étudia, méfiant, puis la remit en place en inspirant une grande bouffée et le cigare se tint coi.
Le tatou, qui n’en était pas un, ne faisait plus de bruit. Il avait dépassé Boone et se dirigeait vers le nord, là où le bayou se faisait plus profond.
Le jeune homme ne la vit pas, donc, et c’est pour cela que cette histoire n’est pas l’histoire de Boone. Enfin, pas tout à fait.
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Roi-Crocodile ne la vit pas.
Roi-Crocodile l’entendit, mais à peine. Un froissement agitant les mousses pendant aux arbres, un clapotis boueux dans les chemins sinueux de la mangrove.
La jeune femme, grande, carrée, se tenait debout sur le seuil de sa porte. Sa peau était du marron sombre que revêtent les troncs sous la pluie. Par sa porte ouverte, on voyait une table de bois et un morceau de chaise : presque rien. On aurait deviné un lit, puis rien d’autre, et on aurait eu raison.
Roi-Crocodile était penchée sur une grenouille : une créature grosse comme les deux poings, d’un jaune d’or, luisant comme une citrine. L’animal était mort, mais encore chaud : du moins, aussi chaud que peut l’être une grenouille morte. La jeune femme l’étudiait. Elle aurait pu la repousser du pied, la rejeter dans le marais, mais elle se pencha, prit le batracien dans ses mains en coupe, et regarda ses yeux encore lisses.
– Que veux-tu me dire ? demanda-t-elle. Qui t’envoie ?
La grenouille, même vivante, aurait été bien en peine de répondre. La voix de Roi-Crocodile était douce, compréhensive, mais là aussi, le batracien s’en moquait bien.
– Je vais te poser à côté des assens, ajouta-t-elle.
Elle avança dans ce qu’il fallait bien appeler son « jardin » : une étendue clapoteuse d’herbes feutrées, formant comme un tapis sur le sol détrempé du bayou. Dans ce terreau étaient plantées trois piques de bois, surmontées d’un petit plateau. Cela ressemblait aux cabanes à oiseaux qu’on installe pour qu’ils mangent sans être dévorés par les chats.
– Je te mets ici, expliqua-t-elle en regardant la grenouille droit dans les yeux. Si tu as quelque chose à me dire, il faut le faire maintenant.
Cette dernière gisait au sol, flasque. Roi-Crocodile regarda les assens.
– Si c’est vous qui l’avez envoyée, je ne comprends pas ce que vous voulez m’annoncer. Ce serait bien que vous parliez de façon plus claire, vous savez. Après tout, je ne suis pas magicienne.
Roi-Crocodile, attendant une réponse qui ne pouvait pas venir, ne prêta guère attention à ce qui se passait de l’autre côté de sa cabane.
Elle ne la vit pas, et c’est pour cela que cette histoire n’est pas celle de Roi-Crocodile. Enfin, pas tout à fait.
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Ces petits riens tissant un lien ténu nourrissaient Boone d'une façon qu'il n'aurait pas su expliquer, puisqu'il n'aurait pas voulu reconnaître que lui refusait de nouer de lien avec quiconque.
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Vidéo de Justine Niogret
Présentation de Quand on eut mangé le dernier chien de Justine Niogret par l'autrice. Parution 24 août 2023. Découverte en littérature ! Un roman tranchant comme une lame dans l'étendue glacée de l'Antarctique. Inspiré par l'expédition Aurora dirigée et rapportée par l'explorateur australien Douglas Mawson en 1911 pour explorer et cartographier les confins de l'Antarctique, ce roman sous tension est une plongée immersive aux côtés de ces aventuriers dans un environnement grandiose et mortel, le froid, le blizzard, la neige et la faim, l'épuisement et l'implacable hostilité de la nature. L'écriture organique, d'une précision sans fard, de cette autrice révélée et suivie en imaginaire, transfigure l'histoire réelle pour restituer, hors du temps, la violence et la dureté des éléments et écrire un inoubliable roman de femme sur le courage de survivre.
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