Début du XIXe siècle.
L'Estonie s'étend alors sur la moitié nord de son territoire actuel ; la Livonie, au sud, dépendant de la Russie, est placée sous l'autorité du tsar Alexandre 1er, dont le baron Thimoteus von Bock est un proche. Un drôle de baron en vérité, qui prône des idées inspirées de la philosophie des Lumières. Qui affranchit, à la mort de son père, les deux-cents âmes dont il est devenu "propriétaire". Qui épouse une fille de serf -la belle Eeva- après les avoir, elle et son frère Jakob, confié aux bons soins d'un pasteur qui leur inculque une solide culture générale et la connaissance de plusieurs langues étrangères.
C'est d'ailleurs par l'intermédiaire de Jakob et de son journal que nous découvrons la tragique histoire de Thimoteus von Bock.
Au moment où débute ce journal, ce dernier sort de prison, après y avoir passé presque dix ans. le tsar Alexandre, pourtant son ami, l'y avait fait interner en invoquant sa folie. Son fils et successeur Nicolas 1er l'en libère, paradoxalement sous le même prétexte, mais assigne le baron à résidence dans son domaine de Võisiku, où ont vécu Eeva et Jakob durant son absence.
Le récit alterne entre les événements qui succèdent au retour de Timo et ceux qui l'ont précédé, le narrateur revenant sur les prémisses de son incarcération et sur les longues années pendant lesquels ils ont dû, sa soeur et lui, poursuivre leur existence en ignorant où était interné leur mari et beau-frère. Il évoque notamment la découverte d'un manuscrit dans lequel Timo expose ses théories transgressives sur la société de son époque, et sa critique virulente de la politique du tsar, considéré comme injuste et rétrograde, et dans lequel il détaille un projet de constitution qu'il a proposé, ainsi que le devine Jakob, à Alexandre 1er.
Cet homme effacé, qui paraît même fade au regard du couple que forme sa soeur et son époux, porte d'abord sur les velléités égalitaires de Timo le regard un peu condescendant de celui qui, étant d'extraction populaire, se montre sceptique quant à la capacité des nobles à se mettre au niveau des pauvres, et considère par ailleurs ces beaux discours comme romanesques et peu réalistes. Il est également pris d'une sorte d'effroi : son beau-frère doit en effet être fou pour avoir, dans son souci de totale honnêteté et de totale franchise, avoir osé exposer ces idées au tsar !
Sa relation à sa soeur est elle aussi empreinte d'une sorte de distance. Il avoue ne pas l'aimer mais la respecte, et sans doute est-il un peu jaloux, ainsi qu'il l'admet, de sa fierté, de cette liberté de parole et de cette intégrité qu'elle revendique, refusant, à l'image de son mari, tout compromis. Elle est allée jusqu'à repousser, lors de l'arrestation de Timo, la sollicitude impériale... Une attitude qui à la fois force son admiration et son inquiétude. Car Jakob est un pragmatique et un prudent, presque un conformiste. Mais il est loin d'être idiot, et peu à peu, on sent s'infléchir son jugement vis-à-vis de Timo, qui, on le sent bien, malgré ses "bizarreries", le fascine et le touche. Car il reconnaît les accents de justice et de vérité dans ce qu'il considère comme le "délire" de son beau-frère, partagé entre admiration et incompréhension face à l'intégrité sans faille de cet homme. D'ailleurs, en dépit du recul qu'il prend vis-à-vis des opinions du couple von Bock, il lui restera toujours fidèle.
"(...) celles de ses idées qui confirment le plus manifestement sa folie sont les preuves les plus évidentes de sa lucidité et de son impitoyable honnêteté."
"
Le fou du tzar" est un récit fascinant de plusieurs points de vue. Son évocation du combat entre tyrannie et liberté en est un, tout comme le contexte historique sur lequel il nous éclaire. Mais je crois que ce que je retiendrai surtout de ce texte, c'est l'habileté avec laquelle
Jaan Kross parvient à faire émerger, d'un narrateur a priori inconsistant dont le rôle semble se limiter à mettre en valeur un tiers, le portrait d'un individu que l'on finit par trouver admirable.
Lien :
https://bookin-ingannmic.blo..