Encore des lettres de 1914-18 ?
Oui, mais... quelles belles correspondances intimes !
Clémentine Vidal-Naquet nous offre un florilège de neuf correspondances croisées ; non seulement nous avons les lettres envoyées du front vers l'arrière, mais aussi, fait rare, les lettres de la femme ou de la fiancée adressées au mari ou au "promis" sur le front.
Travail de chercheuse, travail d'historienne et trésor pour nous autres, plus d'un siècle plus tard, que de rentrer dans l'intimité conjugale soumise à l'absence et à l'angoisse de la mort.
Je ne retiens que trois couples pour vous inviter à lire ce livre qui devrait désormais faire référence :
1- Henri et Sophie. Lui : soldat, elle : civile très rapidement piégée dans le territoire occupé. Les fiancés sont séparés par la ligne de front : les lettres de Sophie ne parviennent plus à Henri. Ce cernier, de septembre 1914 à janvier 1919, écrit inlassablement à sa belle, sans jamais avoir de réponse et en apprenant même en mars 1917 que ses lettres précédentes ne sont pas parvenues à Sophie. Malgré cela, Henri continue d'écrire mais le dialogue amoureux tourne alors au monologue tragique. Poignant.
2- Abel et Hélène. En juin 1914 Abel est sous-secrétaire d'État ; il a épousé Hélène sept mois auparavant. Non mobilisable (car membre du Gouvernement), il démissionne et rejoint son régiment d'infanterie. Il sera tué le 15 septembre 1918. Dans cette correspondance vous mesurerez l'engagement républicain de Jules, son mépris des bureaucrates et ses critiques des décisions militaires, son souci d'informer et d'impliquer les parlementaires et vous découvrirez l'audace d'Hélène, son soutien indéfectible au député-soldat. C'est Hélène qui retranscrira pour leurs filles les lettres d'Abel. Dans sa dédicace elle leur écrit en se référant à l'Idéal (avec un "i" majuscule) : "Lui seul fait la vie belle et la mort légère".
3- Maurice et Yvonne sont mariés depuis deux ans et ont un fils. Ils ont été séparés pendant leurs fiançailles et avaient alors, pendant trois mois, fait connaissance l'un de l'autre presque uniquement par correspondance. C'est pourquoi Yvonne considère la guerre comme une occasion de "Nouvelles fiançailles", entendez par là un soutien réciproque, un échange approfondi de leurs sentiments et un renforcement du lien qui les unit. Familiers de la lecture et de l'écriture, catholiques convaincus et engagés, ils se livrent en totalité l'un à l'autre avec la pudeur qui convient mais sans parvenir à nous masquer le feu ardent de leur amour et de leur désir. Dès septembre 1915, Maurice, capitaine, est tué au combat après avoir "regardé la mort bien en face". Cette correspondance contient également le témoignage bouleversant et pathétique d'Yvonne, daté d'avril 1922, quand elle a dû assister à l'exhumation de la dépouille de Maurice.
J'ai toujours pensé que la littérature seule pouvait nous faire comprendre la guerre "de l'intérieur" et que les livres d'histoire, les articles de journaux ne pouvaient, eux, nous la décrire que de l'extérieur. Si les correspondances présentées par
Clémentine Vidal-Naquet renforcent ma conviction, c'est qu'elles ont été écrites sans arrière-pensée, n'étaient pas destinées à être publiées, et, de ce fait, nous immergent dans l'authenticité des émotions vécues en temps de guerre.