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Critiques de Mikhaïl Boulgakov (573)
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Le Maître et Marguerite

Ça vous dirait d'être conviés à un bal avec Staline ? Sans quoi, n'hésitez pas, Mikhaïl Boulgakov a un petit carton d'invitation à vous donner. Cela s'appelle le Maître Et Marguerite. C'est plaisant à lire, tonique, fantasque et dépaysant.



L'auteur, aux prises avec l'atrocité de la dictature stalinienne, persécuté dans sa propre vie, muselé professionnellement et intellectuellement a essayé, via ce roman, de faire passer en fraude un s.o.s., à glisser un message dans une bouteille... Car comment critiquer ce régime de barbarie et de dénonciation sans tomber sous le joug des autorités ?



C'est le tour de force qu'a réalisé Mikhaïl Boulgakov en imaginant une histoire fantastique, pleine de diables loufoques et de suppôts de Satan risibles mais où, à chaque coin de page, on lit en transparence une critique du système qui sévissait à l'époque.



Alternant des situations quasi burlesques, des scènes de simili science-fiction kafkaïennes, des tableaux tragico-fantastiques, des moments pseudo-mystiques et de nombreux appels du pieds à la tradition démoniaque judéo-chrétienne, Boulgakov parvient à s'évader du réel pour embarquer le lecteur dans son univers à la fois déprimant et gorgé d'espoir (quand le présent est désespérant, l'imaginaire et l'espoir surnaturel sont le seul refuge de l'écrivain persécuté).



Vous aurez compris qu'il est difficile de lire ce roman sans rien connaître des éléments biographiques de l'auteur et des conditions de sa gestation et pourtant, pourtant, si l'on choisit de se laisser bercer par les seules forces de l'imaginaire, il y a moyen de trouver également beaucoup de plaisir à sa lecture sans forcément s'encombrer de trop de sens politique ou autobiographique.



L'ouvrage est d'une construction assez bizarre mais fort maîtrisée où rien n'est laissé au hasard et où les destins des différents protagonistes se croisent et s'enchevêtrent pour former une trame insolite où les méchants ne font pas peur et les gentils ne sont pas si gentils que cela. On y rencontre, dans une sorte de mascarade vénitienne, une foule de personnages dont fatalement, le maître, mais aussi un chat, un géant, des êtres avec ou sans tête, Ponce Pilate, — le Diable en personne — et, bien entendu, une certaine Marguerite...



Mais je m'en voudrais de vous en dire beaucoup plus. Laissez-vous embarqué dans ce " pays des merveilles " pour adulte et un tantinet cauchemardesque. Évidemment, comme tout écrit très typé, il ne peut pas plaire à tout le monde. Certains le trouveront génial, d'autres s'y ennuieront et certains encore trouveront que cela n'a ni queue ni tête. Personnellement, j'ai bien aimé sans toutefois adorer, mais, bien entendu, ce n'est là que mon petit diable d'avis, c'est-à-dire, pas grand-chose.



N. B. : Gros bémol concernant l'édition Pocket, que je qualifierais d'assez mauvaise pour trois raisons : 1°) nombreuses coquilles, 2°) notes souvent utiles mais qui dévoilent des pans à venir de l'histoire (notamment au début) en les déflorant fatalement un peu au moment où on les rencontre dans la lecture, 3°) reliure de très mauvaise qualité où les pages prennent rapidement la poudre d'escampette. Donc, si vous avez l'occasion, essayez une autre édition.
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Le Maître et Marguerite

Titre original : Мастер и Маргарита

Traduction : Claude Ligny



"Le Maître et Marguerite", que Mikhaïl Boulgakov commença à rédiger en 1928, sous le titre de "Le Sabot de l'Ingénieur", ne devait être publié pour la première fois qu'en 1966. Pourtant, cette oeuvre, achevée le 13 février 1940, un peu plus de trois semaines avant le décès de son auteur, est assurément l'un des "romans-phares" de la littérature russe du XXème siècle et c'est elle qui contient, entre autres phrases inoubliables, le fameux "Les manuscrits ne brûlent pas !" que l'on peut considérer comme un symbole de la victoire de la liberté de penser face à l'acharnement totalitaire.



Résumer l'intrigue de ce roman onirique et fiévreux, cynique autant que merveilleux, est chose trop réductrice pour que je m'y essaie. Disons essentiellement qu'il fait alterner deux actions, l'une moderne et qui se déroule dans le Moscou de l'ère stalinienne, l'autre "antique" et ayant pour cadre la Judée pré-chrétienne qu'Hadrien n'a pas encore rebaptisée Palestine.



La deuxième intrigue est la vision gnostique de la rencontre de Jésus de Nazareth, appelé Yeshoua Ha-Nozri par Boulgakov, avec Ponce Pilate, procurateur romain de la région, et aussi de son supplice - Boulgakov délaisse la crucifixion traditionnelle pour le pilori - sur le Mont Chauve - ou Mont du Crâne-Golgotha. Yeshoua y apparaît comme un illuminé mais au sens bouddhique du terme, un homme paisible et doux, capable de deceler la Bonté dans le coeur du plus cruel des centurions et suivi depuis le début de ses errances par un certain Matthieu Lévy qui, selon Yeshoua lui-même, déforme pour les recopier les propos qu'il tient[/b]. Juda de Kairoth et Caïphe, le Grand Prêtre du Sanhedrin, sont évidemment de la partie avec un Bar-rabbas qui ne fait que croiser bien fugitivement celui qui deviendra le Christ.



Comme Boulgakov aurait pu éviter d'accepter l'aide que lui fournit Staline pour survivre à l'interdiction de ses oeuvres au début des années 30 , Pilate aurait pu sauver Yeshoua. Mais si l'un n'eut pas le courage d'affronter le goulag ou le procès après tortures si chers au successeur de Lénine, le second, dans un instant de faiblesse, préféra préserver sa carrière en laissant supprimer la vie d'un innocent.



Pour Boulgakov, le prix à payer sera une existence désormais hantée par la conscience de sa veulerie et l'avortement systématique de tous ses essais de publication. En silence cependant, en cachette aussi, inlassablement, il reprend et remanie ce qu'il nomme son "manuscrit sur le Diable" - on ne comptera pas moins de cinq remaniements en douze ans. Tourmenté par ses angoisses, et aussi par un corps qui, peu à peu, l'abandonne, l'écrivain gribouille dès 1931, au bas d'un extrait que vous pourrez lire dans l'édition POCKET du "Maître et Marguerite", ces mots qui émeuvent encore singulièrement le lecteur par delà les années : "Seigneur, aide-moi à terminer mon roman."



Pour le Pilate qu'il recrée, Boulgakov façonne un châtiment qui perdure au-dela les siècles, une espèce de Purgatoire hors du temps où le puissant fonctionnaire romain, "qu'il fasse sombre ou que luise la lune", ne peut connaître la paix bien qu'il soit mort depuis près de deux mille ans. Invariablement, Pilate rêve qu'il annonce au peuple juif sa décision de laisser la vie sauve à Yeshoua. Invariablement, il se réveille et se rend compte que Yeshoua est mort et que lui, Pilate, n'a pas reçu son pardon.



Et, inlassablement, ce fantôme pose et repose cette question qui dut bien souvent torturer Boulgakov :"La Lâcheté n'est-elle pas le plus grand crime qui soit ?"



A la fin du roman, bien sûr, Pilate sera enfin libéré et, dans une très belle image onirique, rejoindra Yeshoua sur un rayon de lune et s'en ira avec lui vers l'Eternité.



Entretemps, l'intrigue moderne aura laissé le champ libre à un Satan là encore plus proche de l'interprétation gnostique que de l'interprétation traditionnelle, et à qui Boulgakov a donné le nom de Woland.



L'accompagnent et le servent trois démons familiers, l'inénarrable Koroviev, Azazello le courtaud aux vilains crocs jaunes qui nasille sur tous les tons, et le non moins extraordinaire Béhémoth, lequel se présente sous l'aspect d'un énorme chat noir capable de s'habiller comme un homme et de jouer aux échecs.



Les trois compères s'en donnent à coeur joie dans un Moscou diurne et surtout nocturne, règlent au passage les comptes de l'écrivain Boulgakov avec les critiques stalinistes, causent mille et un accidents, acculent plusieurs malheureux à l'asile psychiatrique, décapitent un homme, en poignardent un autre, tranchent, taillent, tourbillonnent ... démontent en un mot l'implacable machine totalitaire avec une vigueur en effet démoniaque et ce sens de l'humour propre à l'âme slave.



Au coeur du cyclone diabolique, le Maître, écrivain enfermé parmi les fous après la dénonciation d'un voisin désireux d'accaparer son appartement (les appartements, la convoitise qu'ils inspirent aux pauvres Moscovites obligés de se contenter des "maisons communautaires", les déboires que Boulgakov lui-même connut avec le sien occupent dans le livre une place bien révélatrice du mode de vie imposé à la majorité par le régime bolchevique) et son hégérie, Marguerite, qui quitte tout pour le rejoindre et le suivre au-delà la Mort. Un couple d'amoureux, par conséquent, où la femme prédomine - elle prend l'initiative de suivre les directives de Woland et d'assister au Grand Bal donné par Satan - mais où c'est elle également qui se montre la plus accessible à la pitié.



Ce livre fascinant, qui n'est pas sans rappeler parfois les meilleurs moments du nonsense d'un Lewis Carroll et qui mêle avec génie le fantastique, la poésie, la religion, l'histoire et la philosophie, est irracontable. Il faut donc le lire et ne pas hésiter à le placer bien haut dans votre Panthéon livresque car, né de la souffrance et de la révolte d'un homme qui désespérait d'écrire, il nous prouve avec panache que, quelque sombres que puissent être les tourmentes de l'Histoire, le Génie survit toujours à leurs ténèbres.



Lisez Boulgakov ! Jamais vous ne regretterez d'avoir fait sa connaissance ... ;o)
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Le Maître et Marguerite

"Mais cette nuit est une nuit de règlement de compte."

(p. 507)



On peut le dire comme ça...

Il est très tard quand je referme enfin "Le maître et Marguerite" de Boulgakov. La fenêtre est ouverte, et quelque part au fond du jardin un hibou hulule d'une voix plaintive qu'il était un mauvais poète, et qu'il n'écrira plus jamais de la poésie. Et même si la lune n'est pas pleine, le cercle brumeux qui l'entoure crée une sorte de magie étrange...

Je ne serais pas surprise de voir y passer une sorcière sur un balai. Ou sur un cochon, si vous préférez.



Et mon souvenir va à mes potes russophiles de la fac, qui m'ont tellement assommée avec ce livre que j'avais des sueurs froides rien qu'à l'idée d'y jeter un coup d'oeil : d'abord je vais buter sur les niveaux narratifs qui superposent le Moscou des années 30 avec une histoire biblique, après je vais rencontrer des personnages au noms aussi fous que Woland, Azazello et Yeshoua Ha-Nozri; Ponce Pilate et le gros chat noir avec un samovar vont arriver dans la foulée, et à la fin je ne comprendrai rien du tout ! Qui peut trouver ça génial ? Les pensionnaires dans le sanatorium du Dr. Stravinski pendant ce sacré printemps moscovite ?

Ce n'est donc qu'après de longues années que j'ai décidé d'ouvrir prudemment cet ouvrage douteux.



Ha ! La rencontre avec Woland près de l'Etang du Patriarche m'a fait l'effet d'un seau d'eau glacée dans la figure, et je me suis enfin réveillée. Il est tout aussi possible que c'était le contraire et que je me suis laissée envoûter, mais avec Woland, on ne sait jamais... Il n'est pas étonnant que le livre a inspiré Mick Jagger pour écrire "Sympathy for the Devil". Mais c'est loin d'être la seule chose qu'il a inspiré, et réciproquement, les sources dans lesquelles puise Boulgakov sont innombrables. Rien n'est laissé au hasard, et le moindre nom, le moindre endroit fait une référence politique ou culturelle. Boulgakov s'amuse, montre, dénonce. La lecture est fluide, mais elle est loin d'être facile.



Peut-on définir objectivement le Bien et le Mal ?

Woland n'est pas un représentant du "mal" dans le sens biblique du terme, mais plutôt en élément qui dévoile la véritable nature humaine. D'où l'enchaînement d'épisodes burlesques lors de son passage à Moscou : il est comme une tornade qui sème la pagaille dans la bureaucratie communiste bien rodée. Les agissements de sa petite bande sont, certes, "diaboliques", mais ils ne font que pointer le doigt sur le rationalisme imposé par l'époque, et sur cette large âme russe qui reste pleine de mysticisme, fatalisme, et la foi naturelle en quelque chose qui dépasse les frontières du monde physique.

"Est-ce que la lâcheté est le pire défaut de l'humanité ?" se demande Ponce Pilate en condamnant malgré lui le prophète Ha-Nozri. Cette histoire contenue dans le livre du Maître est, paradoxalement, la plus réaliste de toutes, et elle a aussi une grande importance pour le dénouement de l'ensemble.

Le Maître est anéanti après le refus de son manuscrit, et c'est l'amour de Marguerite, qui n'hésite pas à faire n'importe quoi, même de signer un pacte avec le Diable et servir d'hôtesse à son bal, qui va le sauver.

Même Woland doit s'incliner - la dichotomie classique entre le Bien et le Mal disparaît, pour laisser la place à quelque chose en dehors de ces notions - l'Amour pur. Mais Woland est le Diable. Est-ce vraiment son rôle de veiller à ce que tout se finisse bien ? La réalité dans "Le Maître et Marguerite" est différente : Woland ne fait pas que "punir les méchants", il est aussi un exécuteur du Destin, et en quelque sorte, il est là pour maintenir l'équilibre sur la terre et récompenser ceux qui le méritent. Tous les niveaux du livre convergent vers cet état de grâce final.



Ce qui est étonnant, c'est que l'histoire fantastique de Boulgakov est écrite si posément que parfois je me demandais pourquoi, Diable, devrait-il me sembler bizarre que Marguerite s'élève dans les airs pour casser les fenêtres de l'appartement de l'homme qui est à l'origine des malheurs de son Maître. Elle prend tout simplement un marteau et... et alors ?! J'ai avalé l'histoire de la pommade magique, Pilate, Judas et Yeshoua sans hésiter, comme si Boulgakov avait été là pour consigner tout simplement sur papier ce qu'il a vu.



Il est très probable qu'il reste beaucoup de choses que je n'ai pas comprises, ou comprises de travers. La prochaine fois, je serai peut-être interpellée par quelque chose que je n'ai même pas remarqué, ou surprise que j'ai pu m'attarder sur des choses qui ne le valent pas vraiment. Qui sait ? Ca fait longtemps que je ne suis pas tombée sur un livre qui me laisse des impressions pareilles. C'est fou, ou c'est génial ? Ou les deux ? Est-il seulement possible que ce soit les deux ?



... j'ai presque fini de rêver, quand dans la nuit, au fond du jardin, un chat a affreusement hurlé.

Je me penche dehors, et d'une voix pas rassurée, je demande : "B..bb..Béhémoth ?

Et c'est la dernière goutte à la perfection du roman de Boulgakov.

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Le Maître et Marguerite

Editions Inculte - Traduction : André Markowicz / Françoise Morvan



La seule question qui vaille est :

À quel moment lirez-vous ce monument ? (si ce n'est pas déjà fait…)

(non, non, lâchez ce machin aux couleurs criardes et plongez vers votre destin… ou ne dîtes plus que vous aimez la littérature… mais la lecture…)



Mais alors : quelle traduction devrez-vous choisir ?

Cette dernière question se pose naturellement dès qu'il s'agit d'aborder l'une de ces pierres blanches que les éditeurs, à tort ou à raison, aiment à « dépoussiérer », surtout quand elles sont libres de droits ( * )… diluant dans la masse mercantile les exemples où une nouvelle traduction est en effet pertinente… Alors que des chefs-d'oeuvre comme « 1984 » ou « Abattoir 5 », parmi quelques autres, ont largement bénéficié d'une nouvelle mouture, leurs versions précédentes souffrant de certaines coquilles, on ne compte plus les exemples où elles ne font que semer la confusion.

Si Babelio n'était pas principalement un site à vocation commerciale ( ne leur jetons pas la pierre, leurs services seraient payant sinon…) il aurait tout intérêt à héberger des comparatifs entre versions ; c'est d'ailleurs à cette occasion — ne sachant quelle traduction choisir du classique de Laurence Sterne, « Tristram Shandy » — que j'ai adhéré : la critique que l'auteur Stéphane Malandrin en a faite ( tristement reléguée en seconde page, mécanisme des « like / copinage » oblige ) s'attache à mettre en parallèle quatre versions, concluant par l'exemple que celle de Léon de Wailly (1842) demeure la plus fidèle à l'original… disponible gratuitement, elle devrait envoyer à la poubelle toutes ses descendantes tarifées…



( * ) ( ce qui n'était pas le cas avec ce livre, ce qui a achevé de dévoiler le jeu d'Actes Sud, clamant à tout vent son intention de « dépoussiérer » la grande littérature russe, avec ces nombreuses nouvelles traductions d'André Markowicz : Dostoïevski, Gogol, Isaac Babel, Tchekhov… surtout quand ça ne leur coûte pas un rond en ayants-droits…

Le traducteur ayant été obligé de s'adresser à un « petit » éditeur pour cette publication non libre de droits… les risques financiers semblant dérisoires pour un tel livre, achevant l'incompréhension face à cette opportuniste, ventrue, et politiquement douteuse maison arlésienne… ) ( / * )



Tout ceci pour en arriver à notre chef-d'oeuvre, dont cette deuxième relecture m'a permis de passer d'une version à l'autre afin d'essayer de vous y faire voir un peu plus clair, vous chanceux qui n'avaient pas encore arpenté ce déchainement de superlatifs fait livre.

La traduction originale par Claude Ligny a été reprise de nombreuses fois ; version de référence, ici au « Livre de Poche - Biblio », du temps de leurs couvertures beiges-grises au graphisme inspiré, âge d'or esthétique de cette collection.

Trêve de bavardages, c'est cette version qui semble la plus indiquée pour apprécier ce mégalithe ; vous la trouverez également chez Robert Laffont ( avec un gros chat angora couronné… pas du meilleur effet ), ou bien encore, pour les masochistes, chez Pocket, et leurs habituelles maquettes et illustrations neurasthéniques ( et selon Nastasia-B, jamais avare d'euphémismes : « assez mauvaise » ).

Toutes ré-imprimées des millions de fois, toujours avec succès.



Car, avec cette traduction du stakhanoviste babélien Markowicz, on a surtout droit à une version faite pour ceux qui ont déjà lu ce roman, au moins deux fois !

En cause : les notes de bas de page ; nombreuses, souvent pertinentes, surtout pour saisir au plus juste la multitude de références à la littérature classique, de Pouchkine à Schiller, de Goethe à Shakespeare, mais beaucoup trop envahissantes pour une première lecture exaltée…

Pis, certaines bafouent carrément le rythme du texte, telle cette toute fin du premier chapitre qui, sous prétexte d'une petite précision se vautrant dans la pédanterie, anticipe en détruisant la transition menant le texte vers l'époque de Ponce Pilate, tout cela pour disserter sur la couleur de sa toge…



Concernant la langue en elle-même, adressez-vous à un russophone… bien que la comparaison entre de nombreux passages plaide pour celle de Ligny… l'autre est peut-être plus fidèle… reste qu'aucun élément d'importance ne marque leur différence ( contrairement à « 1984 » ou bien « Abattoir 5 », justement… ).



Entretemps, Mikhaïl Boulgakov est entré au Panthéon-Gallimard avec la parution de son oeuvre en deux volumes Pléiade, donnant lieu à une autre nouvelle traduction par Françoise Flamant, alors que la collection de Robert Laffont « Bouquins », également du type « oeuvre complète d'importance », s'était contenté d'une révision de l'originale.

Après avoir épluché pas mal de critiques ici et là, aucune trace de ces deux dernières versions ( il nous manque un Malandrin sur ce coup… ), le doute plaidant donc pour la première, de préférence en version non-annotée pour profiter au mieux de toute cette magie…

( en fin de critique, lien vers la couverture de la version à privilégier )



Voilà, contrairement au « 1984 » de Célia Izoard aux éditions Agone — dont on ne cessera de répéter, n'ayant jamais le niveau de décibel d'une grande maison d'édition, l'objective supériorité sur toutes les autres, faisant de cette récente sortie un réel événement — cet Inculte est à réserver aux amoureux de Marguerite et de gros chats farceurs… joli objet, évident cadeau… ne vous étonnez pas si l'on vient vous appeler « Maitre » par la suite…

( encore mieux si c'est « Marguerite », seule à même de donner de vraies leçons de vol sur balai… pas comme Mona, Isabelle ou autre Sandrine…)
Lien : https://www.babelio.com/couv..
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Le Maître et Marguerite

Voila mon second voyage avec la littérature russe, mon compagnon de route est Mikhaïl Boulgakov.

"Le petit père des peuples" alias Staline gouverne d'une poigne de fer sur l'union soviétique, quand on est écrivain à cette époque il vaut mieux surveiller son langage et ces écrits. Boulgakov le sait il fera même partie de ces écrivains censurés. Voila pour la petite histoire.

" Le maître et Marguerite" est un roman qui résume assez bien la folie des années trente; un savoureux mélange d'allégories à la façon de Murakami avec la folie douce de Brautigan.

Tout commence dans un parc de Moscou, Mikhaïl Berlioz est rédacteur en chef d'une revue littéraire et Ivan Ponyriev est poète.

Le premier demande au second de revoir son travail; le thème: l'existence

réelle ou imaginaire de Jésus Christ. Un troisième personnage prend part à la conversation, un certain Woland.

Il va résulter de cette rencontre un immense capharnaüm dans Moscou.

Des billets de 10 roubles vont tomber du ciel, des évènements étranges au n°302 rue Sadovaïa appartement 50. J'allais oublier un certain Ponce Pilate.

Enfin je vous invite grand au bal que donne Satan avec la belle Marguerite comme maitresse de maison.

Ce billet peut vous paraitre confus, ce sont peut-être les effets secondaires de la lecture.

Si jamais vous rencontrez un gros chat tenant un verre de Cognac passez votre chemin car Woland et ses suppôts ne sont pas loin.
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Le Maître et Marguerite

S'il existe des livres qui donnent l'impression de ressembler à beaucoup d'autres, il en existe aussi, plus rares, qui donnent celle de ne ressembler à aucun autre. De ce fait en découle naturellement un autre : les premiers ne laisseront guère de traces dans notre mémoire quand les seconds la marqueront durablement. Vous l'aurez compris, "Le Maître et Marguerite", le grande roman de Boulgakov, fait partie de ces derniers.



Depuis des années, ce grand classique du XXème siècle me faisait de l’œil sur l'étagère et le chat noir de la couverture m'intriguait. Désormais, je connais bien ce chat et je comprend pourquoi ce roman a toute sa place parmi les grands classiques de la littérature. Assez inclassable, le récit oscille entre fiction et satire, oeuvre fantastique et roman social ; très vite le lecteur comprend qu'il doit lire entre les lignes pour une meilleure compréhension et appréciation de l'oeuvre.



Avant toute chose, je conseille au lecteur de prendre connaissance du contexte politique et social qui fut celui de son auteur, un écrivain courageux et rebelle, chez qui on perçoit une invincible volonté de témoigner de son temps, le soviétisme.



Je ne dirai rien de la trame du roman ; d'abord cela me semble impossible, ensuite sans intérêt. Découvrir Boulgakov et son chef-d'oeuvre, c'est s'y plonger et le vivre, il fait partie de ces expériences qui ne s'expliquent pas mais se ressentent. La marque du grand art.



Pour ma part, j'ai été fascinée par ce livre et par la construction narrative faussement éparpillée et véritablement maîtrisée. Tous les personnages sont les maillons d'une chaîne qui se constitue au fil des pages, par un effet "écroulement de dominos" où chaque nouveau protagoniste chasse le précédent mais pour l'inscrire dans un tout cohérent. Une grande originalité ressort de l'écriture, ainsi qu'une forme de cynisme non dénué d'humour, même si le rire est jaune.



Une belle découverte sur une période que je connais moins bien que le XIXème siècle russe et qui lève un autre coin du voile couvrant l'immense et douloureux patrimoine de ce peuple.





Challenge XXème siècle

Challenge 2014-1968 2017

Challenge Petit Bac 2016 - 2017
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Morphine

L'écrivain (et médecin) russe Mikhaïl Boulgakov nous met sous perfusion avec cette nouvelle addictive.



“Il serait très bon que les médecins aient la possibilité d'essayer sur eux-mêmes de nombreux médicaments. Ils auraient une tout autre idée de leur mode d'agir”



Ce journal d'un morphinomane nous renseigne sur le fait que les cordonniers sont souvent les plus mal chaussés. Les soignants eux-mêmes cèdent à la drogue, si facilement accessible, de nos jours le soupçon pèse encore sur les narines de nos étudiants en médecine comme de nos éminents chirurgiens…



L'auteur met en exergue un des ressorts psychologiques les plus déroutants de l'addiction, c'est la facilité avec laquelle on préjuge de nos propres forces, n'avez vous jamais entendu quelqu'un vous dire à propos de la cigarette par exemple “ah mais MOUA j'arrête quand j'veux”… de la même manière, le morphinomane se ment, ment aux autres, toujours demain sera la fin, encore un instant monsieur le bourreau pourrait-on presque l'entendre implorer. Tantôt pris d'un espoir et d'une résolution ferme de pouvoir s'en sortir, tantôt se complaisant dans une situation qu'il ne voudrait quitter pour rien au monde, comme chantait Amy “They tried to make me go to Rehab But I said no, no, no…”



Le lecteur se retrouve pris dans la seringue glaciale d'un talent littéraire total, empreint d'ironie et de suspense, une atmosphère tout à fait séduisante et efficace concourent à l'intensité de cette expérience de lecture.



Qu'en pensez-vous ?
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Coeur de chien

Philippe Philippovitch Transfigouratov est un éminent chirurgien moscovite des années 1920. Un professeur admiré, une sommité mondiale dans le domaine du rajeunissement. Il multiplie les interventions réputées infaisables, et, pour l'essentiel, les réussit. Il se fait aider dans sa tâche par un jeune médecin qu'il a pris sous son aile il y a quelques années : le docteur Bormenthal.



En revanche, ce que l'on peut affirmer, c'est que Le Professeur n'est pas un franc partisan de la révolution de 1917 — voilà bien le moins que l'on puisse dire ! Il occupe un appartement très spacieux, situé rue Pretchistenka. Il est jugé trop luxueux par Schwonder, le représentant des bolcheviks dans son immeuble, qui rêverait de lui amputer de moitié pour pouvoir loger d'autres personnes à la place.



Toutefois, le professeur Transfigouratov a suffisamment de relations en haut lieu pour parvenir à faire ravaler sa langue et trépigner Schwonder et ses sbires… pour le moment. J'écris pour le moment parce qu'il se produit un petit événement qui risque fort de venir perturber le quotidien très actif mais toutefois plutôt tranquille du professeur.



Une expérience, figurez-vous. Oui, une simple expérience, comme il en a déjà réalisées des tas, mais qui, cette fois, concerne un patient un peu spécial. Le patient en question est un malheureux, un vagabond, rencontré quasi agonisant, à demi mort de froid et de faim, sous une porte cochère un soir d'automne.



Le malheureux a eu à subir, au surplus, une violente brûlure sur tout le flanc gauche qu'un mauvais coucheur a provoqué en lui balançant sciemment une pleine marmite d'eau bouillante.



N'entretenons pas le mystère plus longuement : ce vagabond n'est pas un homme mais un chien, appartenant à la catégorie grand bâtard, vivant de rapine et fortement sujet aux puces. N'ayant pas de propriétaire avéré, et, par conséquent, pas non plus de nom, le professeur le baptise Bouboul.



Pendant quelque temps, il le soigne convenablement et le remet en forme, faisant disparaître son grand état de maigreur et s'assurant que sa brûlure guérit convenablement. Bouboul, ex-chien pouilleux, loqueteux et quémandeur, vivra donc comme un coq en pâte dans le bel immeuble de la rue Pretchistenka, au grand dam de Schwonder qui juge d'un très mauvais œil cette introduction d'un animal aussi peu reluisant.



Mais il me semble vous avoir parlé d'une opération qui allait tout déclencher… Eh bien la voici. Un soir, le docteur Bormenthal arrive essoufflé et tout content, porteur d'un petit flacon contenant un matériel glandulaire fraîchement prélevé sur un humain fraîchement décédé. Il s'agit des testicules et de l'hypophyse du défunt, au demeurant, notoire alcoolique et volontiers fainéant des environs.



Le professeur Transfigouratov va donc s'employer à réaliser une première médicale qui va boubouleverser sa vie, si vous me pardonnez cette facilité langagière. Considérant, de surcroît, que j'en ai déjà dévoilé beaucoup pour un livre aussi petit, il me semble bienvenu d'arrêter ici ma présentation de l'histoire afin de vous en laisser jouir si le coeur vous en dit — Coeur de chien, cela va sans dire.



Voilà donc une farce à caractère corrosif, mais sans excès, une dénonciation douce tant d'un système naissant, le communisme, que d'une dérive médicale poussant à tenter n'importe quoi sur n'importe qui, tels des docteurs Frankenstein du XXème siècle.



Bien évidemment, l'infortuné Mikhaïl Boulgakov n'imaginait pas encore que, dès la fin de ce même XXème siècle, on serait capable de dessiner plein de moutons à tous les petits princes de la Terre des hommes, en les clonant tout simplement et en les baptisant Dolly n° 1, n° 2, n° 3, etc. Et je ne vous parle même pas des apprentis Frankenstein ou Transfigouratov du XXIème siècle, dont on a cruellement l'impression qu'ils n'ont pas toujours tiré les enseignement des chimères du passé…



Un livre assez drôle, donc, sans être hilarant non plus, qui se lit vite sans appartenir, selon moi, à la catégorie des chefs-d'œuvre intemporels. Divertissant sans être niais, voilà tout. Bien entendu, ce que j'exprime ici n'est qu'un chien d'avis, c'est-à-dire, pas grand-chose. Waf !
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Récits d'un jeune médecin

"A qui n'a jamais parcouru en équipage les chemins de campagne perdus, je n'ai rien à raconter : de toute manière, il ne comprendrait pas."



Mikhaïl Boulgakov fut un grand écrivain.

"Le Maître et Marguerite" fait partie des meilleurs romans que je n'ai jamais lus ; il n'est en rien moins bien que "L'Idiot" de Dostoïevski, ou "Le Docteur Jivago" de Pasternak. Bref, Boulgakov avait un indiscutable talent littéraire, rehaussé encore par son sens enchanteur de la dérision et son doux cynisme. Ces "Carnets d'un jeune médecin" en sont une preuve supplémentaire. Peu importe qu'il s'agisse d'une oeuvre de jeunesse partiellement autobiographique (il exerça comme médecin au village de Nikolskoïe entre 1916 et 1917), peu importe notre propre expérience réduite sur les "chemins de campagne perdus"... on finit par "comprendre", car Boulgakov a le don d'installer l'atmosphère en deux phrases, saisir ses personnages en deux mots, et ce livre n'aurait pu que difficilement être meilleur qu'il ne l'est déjà.



Un brillant étudiant avec un diplôme encore frais en poche arrive à son premier poste. La gubernie de Smolensk n'est pas exactement un endroit qui regorge de confort à l'aube de la révolution bolchévique, surtout en hiver à -40°C. Aucune sensationnelle cabine de téléconsultation médicale à mille verstes à la ronde, et les babouchki et batiouchki du village sont encore obligés de consulter à l'ancienne, comme leurs pères et leurs grands-pères avant eux, en se rendant chez un médecin physique en chair et en os.

Le jeune docteur ne dispose pas d'électricité ni d'eau chaude, mais il trouve deux assistants fiables et une surprenante salle d'opération équipée de tous les instruments nécessaires... dont il n'a jamais vu la moitié. Ses patients ont davantage de confiance en un folklore pittoresque qu'en la science moderne, mais cela ne les empêche pas d'exiger des miracles de sa part. Il passe ses nuits à contempler des images des complications les plus fréquentes, en espérant s'en souvenir le moment donné, mais la réalité dépasse parfois ses pires cauchemars.

Et le lecteur se tient fidèlement à ses côtés : il sue pour trouver le bon diagnostic, ne croit pas ses yeux, tombe de fatigue, tremble de froid en se perdant dans une tempête de neige, feuillette fébrilement les livres de médecine en pleine opération... et ensuite admire son art et sa manière de procéder, et souvent aussi son grand coup de bol. On tente une intervention, dirigé inconsciemment par quelque sixième sens, et voilà que ça marche !

La tension montante de chaque récit (impossible de fermer le livre sans avoir fini le chapitre !) est en parfait équilibre avec les descriptions naturalistes, et l'humilité du jeune homme avec son sens de l'autodérision ; malgré la gravité de la situation, on est souvent obligé d'en rire.



Pour revenir au "doux cynisme" de ces histoires médicales, il suffit de regarder le titre de chaque chapitre. "La Serviette brodée d'un coq" fait référence au cadeau offert au médecin après une grave amputation, "Le Baptême de la version" parle d'un accouchement particulièrement coriace. "Le Gosier en acier" ne concerne nullement quelque infortuné avaleur de sabres, mais une trachéotomie, et, disons, dans "L'Éruption étoilée" on apprendra beaucoup de choses enrichissantes sur la syphilis. Une seule fois on a droit à un diagnostic erroné, car l'oeil de "L'oeil disparu" n'a pas vraiment disparu... mais je préfère ne plus y penser ! le contenu est joliment "naturaliste", et la scène est parfois décrite de façon plus tangible que vous ne le voudriez... c'est pour ces raisons que vous ressentirez sans arrêt des douleurs idoines. J'avais à tour de rôle mal au ventre (quand le docteur méditait sur l'hernie), au cou (quand le cou fut percé), aux yeux, aux dents... fichtre, ces dents, c'était vraiment quelque chose !

Et malgré tout, Boulgakov n'est certainement pas un "naturaliste". Il utilise un langage très sensible plein de belles métaphores et de fines tournures ; un portrait atmosphérique d'un petit hôpital dans le vent hurlant de la Russie glaciale. D'ailleurs, si vous le lisez, remarquez les motifs récurrents de la nuit, de l'obscurité, du froid... très intéressant !

Un récit de misère et de désespoir, mais aussi son contraire : de la foi optimiste en la valeur de l'homme et de la science, qui fait que le heureux hasard finit souvent par se tourner de notre côté.

Souvenirs très honnêtes des moments dont la plupart d'entre nous n'aimerait pas parler : panique, ignorance totale masquée par fanfaronnades, fierté démesurée ou abattement avec reproches. Si la dernière histoire ("Morphine") est basée sur l'expérience personnelle de l'addiction de Boulgakov, elle est d'autant plus captivante, même si je trouve qu'elle jure par son ton plus grave avec le reste du recueil.

Une sympathique lecture que je recommande à tous les futurs adeptes du serment d'Hippocrate, mais pas seulement. 5/5
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Le Maître et Marguerite

Un livre fascinant. Il se lit très agréablement, ce qui ne l’empêche pas d’être complexe et d’inciter à la réflexion. Après l’avoir terminé, j’ai été à plusieurs reprises amené à le rouvrir pour approfondir certains passages. Sa cohérence globale et ses messages sous-jacents sont en effet peu perceptibles à première lecture. Bien que reliés par des enchaînements de pure forme, les chapitres sont imbriqués sans logique apparente, tels « des éclats de soleil brisé », pour reprendre une image évoquée plusieurs fois par l’auteur.



Je vais donc essayer de mettre de l’ordre dans ce qui pourrait sembler ne pas en avoir, en répondant à la question de base « de quoi le roman Le Maître et Marguerite est-il l’histoire ? ».



A Moscou, vers 1930, un écrivain avait travaillé à un roman sur Ponce Pilate et ses rapports vécus ou rêvés, à Jérusalem, avec un vagabond philosophe du nom de Joshua. Le sujet avait fortement déplu aux autorités soviétiques, car il allait à l’encontre d’un dogme matérialiste niant l’existence de Jésus. L’écrivain s’était retrouvé au ban de la société. Laissant son livre inachevé, il avait disparu et échoué anonymement dans une clinique psychiatrique, abandonnant Marguerite, l’amour de sa vie, pour ne pas l’entraîner dans sa chute. Désespérée, Marguerite rêve de retrouver celui qu’elle appelle le Maître. Le Diable décide de lui venir en aide en contrepartie d’un service. Il débarque alors à Moscou sous l’apparence d’un professeur de magie noire, Woland, assisté de trois démons hauts en couleur. Ils vont se faire un malin plaisir à semer désordre et panique dans les milieux culturels de Moscou.



Les victimes de Woland, de ses assistants et de leur arsenal de sorcellerie fabuleuse sont des citoyens soi-disant exemplaires de l’Union soviétique, des bureaucrates à la mentalité étroite, des apparatchiks de la culture officielle. Les scènes sont proprement délirantes et leur cocasserie est irrésistible. On rit comme un enfant au théâtre de marionnettes, lorsque Guignol bastonne le gendarme. Mais derrière la magie burlesque des disparitions soudaines et des réapparitions en clinique psychiatrique, pointe une évocation du quotidien moscovite de purge politique.



L’auteur, Mikhaïl Boulgakov, reprend le mythe de Faust qui, chez Goethe, avait vendu son âme au Diable pour réussir sa vie. Là, c’est Marguerite qui s’y colle. Elle accepte de jouer le rôle de Reine du Bal de la Pleine Lune, au bras de Satan, dans l’espoir d’obtenir la réhabilitation du Maître et la reprise de leur liaison amoureuse. Débrouillarde, cette Marguerite ! En tout cas, plus que Boulgakov lui-même. Malgré son statut d’intellectuel dissident, il n’avait pas rechigné à quelques compromissions avec le diabolique Staline… sans jamais rien obtenir en échange dans son parcours d’écrivain. Le Maitre et Marguerite ne sera publié que dans les années soixante, vingt-cinq ans après sa mort.



Vendre son âme au Diable est une félonie. Mais céder son âme au Diable sans contrepartie est une félonie doublée d’une lâcheté. Dans le roman inachevé du Maître, c’est ce dont s’accuse Ponce Pilate qui, bien que convaincu de l’innocence de Jésus, l’avait laissé supplicier dans le seul but de ne pas compromettre sa carrière. L’Histoire n’a pourtant retenu que son acte de lâcheté. Dans l’univers fantasmagorique de Boulgakov, Pilate aura ruminé cette lâcheté pendant vingt siècles, avant que le Maître ne l’absolve en achevant son roman. Façon pour ce dernier – et pour Boulgakov lui-même – de profiter par procuration de cette absolution.



Où est le bien, où est le mal ? En exergue, Boulgakov reprend une phrase prononcée par Méphistophélès, dans le Faust de Goethe : « Je suis une partie de cette force qui, éternellement, veut le mal, et qui, éternellement, accomplit le bien ». Woland / Satan est-il, comme Staline, un autocrate tout-puissant qui impose sa volonté maléfique dans un univers centré sur sa personne ? Ou est-il au contraire l’elfe facétieux qui vient défier l’ordre établi perverti, en mettant les rieurs de son côté ?



Ce roman, à la fois joyeux et désespéré, paraissant déjanté et pourtant méticuleusement construit, est le chef d’œuvre d’un écrivain maudit qui lui consacra dix ans de sa vie, avant de mourir en 1940 à l’âge de quarante-neuf ans.



Sa prose légère et poétique – remarquablement traduite – m’a entraîné mine de rien dans son univers onirique, enfer ou paradis, illuminé de lune pour l’éternité. Un univers que j’ai quitté avec regret une fois le livre achevé. Je me console en conservant Le Maître et Marguerite à portée de main, persuadé qu’une relecture prochaine sera l’occasion de nouveaux émerveillements.


Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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Le Maître et Marguerite

J'ai failli "zapper" la critique car il n'est pas aisé d'écrire sur une telle oeuvre. cependant je m'y risque et vous livre mes réflexions.



Pas d’unité de temps pour ce roman qui se déroule à Moscou mais aussi en Judée sous Ponce Pilate par le biais d’un écrit du Maître.

Dans ce récit Boulgakov nous entraine dans une ambiance surréaliste, loufoque et diablement rocambolesque, la lecture est facile, vivante, fluide, le ton est enjoué, plaisantin et farceur. Boulgakov nous bouscule et sait nous accrocher, nous intéresser dans ce fatras farfelu, il nous divertit avec son humour décalé, mais pas seulement, Boulgakov nous happe dans sa diabolique aventure, on est fascinée et éblouit, car, dans ces récits déjantés, il fait passer mille messages, religieux, politiques littéraires… L’action se passe à Moscou sous les terribles années Staliniennes, c’est sans nulle doute une satire de la toute puissance de l’état despotique et tyrannique qu’il dénonce. Il dénonce aussi, les bassesses, les mesquineries, la lâcheté, la cupidité par le truchement de scènes extravagantes mais toujours cohérentes. Ce récit fantaisiste, tous ces « amusements sadiques » cachent une cruelle réalité. Boulgakov éveille les consciences et assène des vérités : il hait lâcheté, la cupidité et les faux-semblants.

Le personnage de Marguerite est étonnant, sa conduite crédule parfois naïve est dominée par son amour passion pour le Maître. Le récit devient alors touchant et émouvant : l’amante veut sauver l’écrivain et son œuvre ! Etonnant « ce diable » qui nous assène cette belle phrase : « Les manuscrits ne brulent pas » ! Dans ce récit rocambolesque Dieu et Satan se croisent et interagissent, seraient-ils si proches ?

Au final le feu de l’enfer se déchaine, c’est la rage de l’impuissance qui entraine Boulgakov à une destruction « de tout ce qui doit l’être », la maison du critique, la maison de l’écrivain, et par l’orage toute la ville de Moscou, les palais, les ponts… si jamais une telle ville a existé !

Cependant Marguerite et le Maître seront sauvés par Yeshoua qui envoie Matthieu Levi en messager vers Woland « l’esprit du mal, le seigneur des ombres ». La scène est ici magnifique, Levi demande à Woland de prendre le Maître et Marguerite avec lui et de leur accorder le repos car ils n’ont pas mérité la lumière ? Marguerite et le Maître sont réunis et bien sûr, dit le Maître « quand des gens, comme toi et moi, sont dépouillés de tout, quand on leur a tout pris, ils cherchent leur salut auprès des forces de l’au-delà ! » Ainsi donc le bien triomphe du mal ou alors peut-on sauver avec les forces du mal ?

Dans ce fou récit Boulgakov nous fait souvent festoyer, au menu, esturgeon, caviar, saumon, les plats défilent succulents ! Nous buvons du vin de l’ancienne Rome, le « Cécube » et le « falerne », nous sirotons du Cognac qui « fait bourdonner les oreilles ». Des chœurs chantent, des voix alto, baryton, graves, aigus scandent ce récit hallucinant. On est entrainé dans une lecture criblée de références littéraires et musicales (les notes aident) le tout est assez gouleyant !

Un autre élément, la lune a une présence obsédante, élément de poésie ainsi « Les rennes de rayon de lune tressés en chaînes » elle participe aussi à la beauté des paysages, au décor de mise en scène qu’elle révèle et met en valeur. Pleine, la lune devient inquiétante, elle orchestre le bal de Satan, où rodent des fantômes coupables. Mais aussi elle est ce chemin qui mène à Ha-Nozri, ce symbole du passage des ténèbres à la lumière. Ce chemin que Ponce Pilate emprunte libéré par le Maître qui lui crie : « Tu es libre ! Libre ! Il t’attend ! »

N’en doutons pas, cette œuvre est un monument, non seulement par le temps qu’il a fallu à Boulgakov pour l’écrire mais aussi par le foisonnement d’images, de symboles, de références d’interrogations qu’elle nous livre et l’effervescence intellectuelle qu’elle fait jaillir en nous.









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Coeur de chien

Le professeur Philippe Philippovitch, chirurgien moscovite renommé qui exerce son activité dans un vaste et luxueux appartement, voit un jour se présenter à sa porte le comité d'immeuble qui prétend réquisitionner une pièce pour un nouveau locataire. Philippovitch se débarrasse promptement des opportuns en faisant intervenir une de ses relations. Il est pressé de commencer une intervention sur le chien Bouboul, ramassé dans la rue. Son idée est de greffer sur l'animal testicules et hypophyse humains en vue de tester leur rôle dans le rajeunissement. Mais opéré, bientôt le chien se transforme en un homme sans-gêne, grossier, et incontrôlable.



La créature chien-homme née des manipulations du docteur Philippe Philippovitch, sorte de docteur Frankenstein, est on le comprend ensuite l'incarnation de l'homo sovieticus, un être qui par son indifférence au bien commun, entre autres, oppose une résistance à l'endoctrinement. Bien qu'écrite en 1925, avant la nuit noire du stalinisme, cette remarquable satire de la société soviétique des années 20 ne fut publiée en URSS qu'en 1987, jugée contre-révolutionnaire — comme d'ailleurs son auteur qui pu néanmoins toute sa vie travailler dans son pays, mais muselé.



« Supposez que nous ayons une guerre contre les rapaces impérialistes ?

— Moi, je ne vais pas aller faire la guerre où que ce soit ! jappa soudain Bouboulov ...»



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Le Maître et Marguerite

"Cet engouement débauché pour la force maligne, cette parenté avec Gogol par tant de traits et de parti pris du talent : ça venait d'où ? Ça s'expliquait comment ? Et quel étonnant traitement du récit évangélique avec cet abaissement du Christ, les yeux de Satan ! A quelle fin ? Comment le comprendre ?"

Alexandre Soljénitsyne



Cet engouement débauché pour le diable, cette parenté avec Gogol et aussi avec Molière que Boulgakov admirait passionnément et auquel il consacra un roman autobiographique, ça vient d’où, en effet ? De son goût immodéré pour le comique? Lui-même sorte de réflexe d’auto-défense face à l’absurdité totale dans laquelle plongea son existence à compter de 1917, date à laquelle sa ville natale, Kiev, devint le théâtre de sanglants combats pour finalement tomber, trois ans plus tard, entre les mains des soviétiques? Obligeant Boulgakov, non seulement à quitter Kiev, mais à tourner définitivement le dos à la médecine ainsi qu’à un passé hautement suspicieux de « blanc »? Le fait est qu’il s’installa à Moscou où il devint journaliste satirique, puis dramaturge, tout en se mettant à écrire des nouvelles qui, très vite, lui valurent une pluie d’injures de la part des critiques inféodés au régime, maille à partir avec la censure et bien entendu, de graves ennuis avec les autorités.



Quand, exactement, prit forme dans l’esprit de Boulgakov l’idée d’un « roman sur le diable »? Nul ne le sait vraiment. Ce qu’on sait en revanche, c’est qu’il commença à l’écrire à la toute fin des années vingt, et qu’au terme de dix années d’écriture et de remaniements, considérablement affaibli, malade et alité, il expira peu de temps après avoir écrit le mot Fin. Il avait quarante-huit ans. Ce qu’on sait également, c’est qu’à l’instar de tous les grands artistes de son temps et de tous les libre-penseurs, il fut harcelé, vilipendé, maltraité, espionné, menacé, empêché de travailler et d’écrire, et nul doute que dans un tel monde, les forces conjuguées de l’esprit malin et du rire lui furent d’une grande aide.



Son chef-d’oeuvre Le Maître et Marguerite est au moins aussi fou que le régime, démoniaque et pervers, sous lequel Boulgakov eut la malchance de vivre, mais c’est une folie hautement cocasse et divertissante, et c’est là ce qui la différencie profondément du cauchemar bureaucratique au milieu duquel se débattaient les citoyens de l’Union soviétique.



Qu’est-ce au juste que ce livre? Difficile à dire tant il foisonne d’intrigues toutes plus extravagantes les unes que les autres dissimulant plusieurs niveaux de lecture, tant il recèle de références innombrables à la littérature, à la musique, au théâtre et au mythe (l’Évangile de Matthieu, Faust, la reine Margot…). Un roman inclassable dans lequel toutes les formes de comique, du burlesque à l’autodérision, côtoient le tragique, dans lequel le fantastique le plus débridé prend toujours appui sur une observation précise et rigoureuse du réel. Un roman allègre, jubilatoire qui procure un indicible plaisir à son lecteur, et aussi un roman profondément bouleversant qui lui broie le coeur. Satire politique et roman d’amour fou, méditation sur la création et sur l’Histoire, mise en abyme avec le roman dans le roman écrit par le Maître mettant en scène le dernier jour du Christ vu par les yeux de Ponce Pilate, c’est un livre qui manifeste une liberté absolue de la part d’un homme pourtant contraint de toutes parts et cerné par la mort.

C’est, à mon avis, cette liberté explosive qui, en se communiquant au lecteur, fait de cette lecture un moment extraordinaire et mémorable. Extraordinaire pour moi en tout cas, qui plaçai ce roman au sommet de mon Panthéon personnel, en compagnie des Mandarins de Simone de Beauvoir et de Quatre soeurs de Tanizaki. J’avais alors une vingtaine d’années et quand je rencontrai quelques années plus tard celui avec lequel j’allais partager le reste de ma vie, ce fut le livre que je lui remis entre les mains. Lui, en échange, m’offrit Hyperion de Dan Simmons, et je crois pouvoir dire que notre amour avait toutes les chances de s’épanouir joyeusement avec de pareils personnages comme parrains : le diable d’un côté, le Gritch de l’autre. Bien entendu, je mentirais en vous disant que, vingt-cinq ans plus tard, je me souvenais du Maître et Marguerite. Des flashes m’étaient restés : la belle Marguerite entièrement nue survolant Moscou sur son balai brosse, la séance inénarrable de magie noire au Théâtre des Variétés, le bal de Satan, dont l’iconographie semble emprunter à la fois à la légende de Dracula et à la reine Margot… Mais par-dessus tout, ce qui m’était resté en mémoire, c’est cette liberté incroyable, exubérante, dont j’ai parlé plus haut, et qui m’a de nouveau frappée lors de ma relecture.



Liberté exubérante, donc. Rien de très étonnant au fond quand le personnage principal est le diable en personne, à peine déguisé sous les traits d’un étranger nommé Woland « professeur de magie noire », quand un tel personnage ne se déplace pas sans sa suite, un aréopage baroque et fantasque comprenant un ancien chef de choeur à carreaux portant lorgnon, un chat noir énorme « aussi gros qu’un pourceau », un individu « petit mais de carrure athlétique, aux cheveux rouges comme le feu, une taie sur un œil, une canine saillante », enfin une servante perpétuellement nue répondant au doux nom d’Ella, provoquant toutes sortes de prodiges plus ou moins néfastes, bousculant la morne existence des moscovites et mettant la milice sur les dents.

Car « il suffit, comme on le sait, que la sorcellerie commence pour que plus rien ne l’arrête. »

Les prodiges de Woland/Satan et de sa suite, pour drôles et cocasses qu’ils soient, sont surchargés de sens. Cela dit, il n’est pas nécessaire d’en comprendre tous les sens cachés pour se régaler à la lecture d’un livre qui reste avant tout terriblement divertissant et incroyablement drôle.

Ces prodiges, donc, peuvent être vus comme l’instrument de vengeance poétique de l’auteur, puisqu’ils s’exercent en premier lieu sur ses persécuteurs dans la vraie vie, les critiques vouant aux gémonies ses écrits (ces « tâcherons de l’écriture » comme les désignait Proust), et autres apparatchiks de la culture vendus au régime. Mais ils peuvent être également perçus comme une parodie des agissements du pouvoir stalinien, les disparitions inexplicables se succédant à un train d’enfer dans le roman.

Et pour complexifier encore les choses, Boulgakov fait de Satan l’intercesseur suprême dans l’amour qui lie le Maître à Marguerite, un amour passionné directement inspiré de celui qu’il voua jusqu’à sa mort à sa troisième épouse Elena Sergueïevna.

Mais cela n’est pas encore suffisant, et c’est comme si l’auteur avait voulu soustraire Satan à toute tentative d’interprétation, inévitablement réductrice, en faisant de Lui le protecteur ultime du roman dans le roman qu’il ressuscite de ses cendres devant les yeux ébahis du Maître en prononçant ces paroles inoubliables : « les manuscrits ne brûlent pas. » Du reste, il en fait plus qu’un protecteur du roman écrit par le Maître, il en fait le garant de l’histoire qu’il contient, sorte d’évangile apocryphe centré sur le personnage de Ponce Pilate et sur les tourments de celui-ci après qu’il a, par lâcheté, ordonné l’exécution du philosophe vagabond Yeshua Ha-Nozri. C’est donc le diable qui certifie que l’histoire du dernier jour du Christ telle qu’elle figure dans le manuscrit du Maître est bien conforme à la réalité historique, car lui y était.



À l’interrogation de Soljénitsyne citée en préambule (« Et quel étonnant traitement du récit évangélique avec cet abaissement du Christ, les yeux de Satan ! A quelle fin ? Comment le comprendre ? »), je risquerais une explication : en rapprochant le créateur, l’artiste, du Christ qu’il désacralise au passage, Boulgakov en fait à la fois le sauveur du monde et la victime de la lâcheté ordinaire des hommes. Car si Boulgakov croit jusqu’à son dernier souffle au pouvoir rédempteur de l’Art, il sait aussi que l’artiste, le véritable artiste, sera toujours persécuté, maltraité, assassiné. Et s’il a insufflé une énergie galvanisante dans son roman, celui-ci est également empreint d’une immense fatigue, d’une lassitude personnelle et historique qui font doucement pencher le livre du côté de la tragédie. Le Christ en son dernier jour est décrit comme un personnage au bord de l’épuisement, qui, du reste, ne tente rien, même pas d’attraper la main que lui tend Pilate pour inverser le cours de son destin. Pilate lui-même, en proie à une migraine atroce, abruti par la chaleur écrasante et par l’impitoyable soleil de Judée, est tellement las qu’il doit prodiguer des efforts surhumains pour articuler une parole audible. Si la suite de Woland, en particulier les deux infatigables compères Koroviev (l’ancien chef de choeur) et Béhémoth (le chat) regorgent de trouvailles pour semer la panique dans Moscou, le diable, lui, exhale le plus souvent un air d’ennui tenace. Quant au Maître, il est, à l’instar de son créateur, au bout du rouleau : persécuté, épuisé, au bord de la folie, bien que passionnément épris de Marguerite qui tente absolument tout pour ranimer en lui la flamme, il n’aspire qu’à une chose : le repos.



« Celui qui a erré dans ces brouillards, celui qui a beaucoup souffert avant de mourir, celui qui a volé au-dessus de cette terre en portant un fardeau trop lourd, celui-là sait ! Celui-là sait, qui est fatigué. Et c’est sans regret, alors, qu’il quitte les brumes de cette terre, ses rivières et ses étangs, qu’il s’abandonne d’un cœur léger entre les mains de la mort, sachant qu’elle — et elle seule — lui apportera la paix. »

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Endiablade ou comment des jumeaux causèrent l..

Korotkov est chef de bureau titulaire au premier Dépôt central d'allumettes. L'homme est persuadé d'être indéboulonnable, mais bientôt son assurance subit un démenti cinglant. Après avoir reçu en guise de salaire des paquets d'allumettes, invendables de surcroît (ce qu'il découvre en manquant de perdre un oeil pour en avoir imprudemment gratté une) il est licencié sous un prétexte futile.



À partir de là K. qui poursuit son chef pour avoir une explication va se heurter à un monde fou. Sur sa route des secrétaires blondes qui courent de cage en cage, un type couché sur une table qui téléphone, une vieille femme qui pèse un poisson séché et malodorant. Jusqu'à son chef qui s'est dédoublé...



K. veut comprendre, mais il est en but avec un système — peuplé de gens bizarres — qui le dépasse et le rend fou. Alors, assuré de son bon droit mais aspirant à la tranquillité, il décide d'abandonner : « Je me trouverai une autre place, une bonne place où j'aurai un travail paisible et sans histoire. Moi, je n'embête personne, et personne ne m'embête. Et je ne porterai pas plainte ...». Seulement ce n'est pas si simple...



Parue à Moscou en juillet 1925, cette nouvelle fantastique pleine d'humour est vite confisquée et retirée des librairies. À l'évidence les censeurs ont vu là une satire de la bureaucratie soviétique, dont l'absurdité et la diablerie poussent l'homo sovieticus, au mieux, à renoncer à ses droits. Comme Boulgakov qui accepte un poste subalterne dans un théâtre, après que Staline lui a refusé l'exil, alors même qu'il lui est interdit de vivre de son métier d'écrivain.



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Morphine

Dans les Récits d'un jeune médecin, on découvrait un jeune praticien envoyé en 1917 dans un petit hôpital de campagne de la Croix-Rouge, à Mourievo, province de Smolensk, où il pratiquait, sans expérience et livré à lui-même, toute la médecine, se déplaçant dans la boue et le froid pour consulter ses malades au plus profond d'une Russie arriérée, superstitieuse et fataliste. Ce médecin dans Morphine s'est épanoui car il a quitté son hôpital reculé pour un autre en ville. Mais bientôt une lettre de son successeur, devenu toxicomane, le ramène à son point de départ.



Comme toujours avec Boulgakov, dans ces pages largement autobiographiques, sa vision d'une Russie souvent grotesque et pathétique est passionnante et… dérangeante.



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Morphine

Russie, 1918. Un médecin se fait réveiller pendant sa garde à l’hôpital, pour tenter de sauver l’un de ses collègues qui vient de se faire sauter la cervelle… Mais pourquoi donc ? Quel mal incurable le rongeait ? Avec son dernier soupir, celui-ci lui lègue un cahier qu’il a tenu, une anamnèse, dans lequel notre narrateur trouvera les réponses à ses questions.

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Le titre nous dit déjà tout de l’addiction dont il sera question, mais seule la lecture du cahier restitué par le narrateur nous décrira par quelles épreuves le morphinomane est passé : d’une simple injection pour soigner une douleur ponctuelle, il trouve agréable l’apaisement physique qui en découle mais aussi mental, qui lui permet d’oublier une rupture récente, ainsi encore que l’efficacité de son cerveau débarrassé de toute douleur physique et mentale.

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Ne pouvant plus se passer de cette sensation, il devient vite accro : désagréable avec son infirmière qui s’en rend compte et le met en garde, roublard avec les pharmacies qu’il dévalise pour s’injecter sa dose quotidienne de plus en plus importante, inconscient avec sa propre santé physique (des infections apparaissent aux endroits des piqûres) et mentale (des hallucinations pourraient le mettre en danger ou ses patients). Mais il n’en a cure et refuse de se faire interner, car déjà il ne peut plus s’en passer.

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En seulement 40 pages, on a un bon aperçu de la rapidité de la descente aux enfers alors même qu’il s’agissait d’une personne avertie. En seulement 40 pages, l’ensemble reste pourtant assez léger finalement, trop pour que je me sente réellement à la place du personnage, à trembler avec lui. Surtout lorsqu’on sait que l’expérience était autobiographique, ce que je n’aurais jamais deviné si je ne l’avais lu dans la biographie de l’auteur.

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J’espérais, en l’ouvrant, que le sujet pouvait donner matière à divers effet de plume qui permettrait de vivre ce qui était décrit (comme l’a fait par exemple Benjamin DIERSTEN avec son personnage de flic sous médicament dans La Cour des mirages entre autre, ou dans un autre style Tom Wolfe décrivant les parties d’Acid test de Ken Kesey, etc…), ce qui n’a pas été mon cas.

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Peut-être le plus intéressant aurait été ces fameuses « pages arrachées » du cahier, sans doute les plus accablantes. Celles qui restent et qu’on nous livre sont cependant révélatrices des stades, paliers et ravages de la dépendance. Un témoignage somme toute assez factuel.

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« Mais il suffit d’un instant et la cocaïne dans mon sang, en vertu de quelque loi mystérieuse dont aucune pharmacologie ne donne de description, devient quelque chose d’autre. Je sais bien quoi : c’est le diable qui se mêle à mon sang. »
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Le Maître et Marguerite

Avec sa tignasse flamboyante, sous sa très large casquette aux énormes carreaux, il était probablement le plus grand. Oleg Popov, surnommé le clown soleil, s'est éclipsé ce jeudi à 86 ans en cette nuit du 3 novembre,



Une fois le spectacle achevé

Finalement arrêté

Le tic-tac de son coeur

A Rostov-sur-le-Don

Et toi mon cher Raymond *

Tu ne chanteras plus le clown se meurt

Popov et son imaginaire

N'ont pas passé l'hiver

Ces clowns qui par leur poésie

Transmutaient la vie

En scintillante comédie



C'est quoi ce cirque ? Une 96ème critique ? Totalement absurde [96^^] !!! ;)



Viens, viens voir sous le manteau, le grand chapiteau qu'a monté Mikhaïl Boulgakov. Le spectacle est permanent, véritable piste aux étoiles. Cinq au moins. Difficile de tout suivre en même temps. Là de la magie, là de la bonimenterie, ici du tir de précision, et là des numéros aériens, des voltigeurs, au centre toute une ménagerie des tigres, des perroquets, des ... et bien sûr en Russie ...des ours ^^ ! Attention de ne pas perdre la tête !!! C'est si vite arrivé. Pouf ! le temps et l'espace prennent une autre dimension. Merveilleux. Magique. Fantasmagorique. [Une vraie jouissance^^] Et puis que de ripailles, que de festins dans cette société où l'on trouve de tout, [sauf des avocats par définition pour un vrai régime... totalitaire]



Boulgakov écrivit surtout du théâtre et de l'opéra, je l'ai bien ressenti dans ce roman. Claquements de porte, paires de claques, cours et jardins, rebondissements en tout genre, qui pro quos et ... en avant la musique dans la grande scène du bal. Mais sous le nez rouge, sous le maquillage, bref sous le manteau ah, ah, ah que se déroule t-il sous le tapis... rouge en Russie ???

Boulgakov c'est un imaginaire foisonnant qui pique dans la vie quotidienne des petits riens, des situations pour en faire apparaître par magie, tout le burlesque. Boulgakov, c'est un grand esprit : la preuve il a fait un séjour dans un hôpital psychiatrique ! Déclarons fou tout esprit bien plus grand que le nôtre.



Et d'abord ce titre sur lequel un bel esprit joueur attira mon attention. le Maître et Marguerite. [Evocation d'un univers de soumission et domination ? Est-ce dont cela qui ravi tant toutes ces coquines ? Chuuut, elles n'en parlent pas. Et pourtant il y a des passages d'une suggestion. Mon Dieu ! Oui mais justement, c'est peut-être ce dont on parle le plus qu'on pratique le moins et inversement ou vice-versa^^] Cependant comme tout bon belge à qui l'on lisait Tintin en donnant le sein ou le biberon, il n'y a pour moi qu'une Marguerite : celle que chante la Castafiore



Ah ! je ris me voir

si belle en ce miroir,

Ah! je ris de me voir

si belle en ce miroir,

Est-ce toi, Marguerite, est-ce toi?

Réponds-moi, réponds-moi,

Réponds, réponds, réponds vite!

Non! Non! ce n'est plus toi!

Non...non, ce n'est plus ton visage;



Faust^^ de Charles Gounod 3ème acte : l'air des bijoux (**)



Il n'est donc pas si étonnant que face à la sainte trinité de l'église catholique, Boulgakov invente, lui, en surenchère, le satanique quartet ! Et dans la foulée revisite entièrement la scène de la crucifixion pour donner une autre version basée sur le point de vue du procurateur Ponce Pilate. Est-ce absurde pour autant ? [Pas plus, à mon avis, que quand l'on me répond qu'on a entendu une trop grande queue pour aller voir Hergé au grand palais. Ce à quoi je rétorque : ça m'étonnerait tu vois pourtant bien que Tintin a un petit nez ! Et placer une citation "Natacha ! Vous n'avez pas honte ? Vous, une jeune fille instruite et intelligente... dans les queues, les gens inventent le diable sait quelles sottises, et vous allez le répéter !" p.308 Je voudrais tant m'étendre sur le sujet...^^]



J'aurais aimé souligner le fait pas anodin que Satan sauve le roman (dans le roman) que brûla son auteur sous les pressions de la censure. Il y a tant dans ce roman d'initiation et d'affranchissement ; mais comme il est écrit : "Moins on en raconte, mieux cela vaut !" p.150 Ce serait donc pure mauvaise langue que reprocher quelques longueurs. LOL



(*) Raymond Devos

(**) Voir ma citation si vous aviez encore un doute
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Le Maître et Marguerite

Dans un jardin public de Moscou, un écrivain et un poète discutent religion: Jésus a-t-il réellement existé? Alors que l'écrivain tente d'imposer sa vision des choses au poète, un troisième personnage apparaît subitement, comme issu d'un mouvement de l'air. Il se mêle à la conversation des deux hommes, dit être un professeur de magie noire en visite à Moscou pour une série de consultations et commence à raconter une étrange histoire sur Ponce Pilate.



Cet inconnu, c'est en fait le Diable. Il prédit la mort de l'écrivain et le séjour en hôpital psychiatrique du poète. Or, en sortant du jardin public, Berlioz, l'écrivain, meurt justement de la manière qu'a décrite le Diable...





Commencé en 1928 par Boulgakov, "Le Maître et Marguerite" ne fût terminé qu'en 1940, peu de temps avant la mort de l'auteur. Et il faudra encore attendre 1966 pour qu'il soit enfin publié en URSS, amputé de près de 80 pages par la censure...



Ce magnifique roman n'a donc pas été tout de suite reconnu à sa juste valeur. Et pourtant, quel chef d'oeuvre! Une profusion de décors et de personnages, des intrigues différentes d'un chapitre à l'autre, mais toujours mêlées les unes aux autres en font une magnifique fresque à la fois haute en couleurs et toujours en mouvement, un peu comme un carrousel en folie, lancé dans des tours sans fin et de plus en plus rapides.



Autour du personnage du Diable, qui, chez Boulgakov, se nomme Woland, s'organisent en réalité trois récits distincts. Tout d'abord, on assiste au drame dans lequel l'arrivée du Diable et de sa troupe plonge Moscou. Et quel drame! La milice moscovite donne l'impression de courir dans tous les sens afin de lutter contre les étranges événements qui se manifestent aux quatre coins de la ville: disparitions étranges, vol de certains morceaux de cadavres, détournement de fonds, femmes se baladant toutes nues (alors que Woland vient de leur offrir des robes de grands couturiers), fausse monnaie... Peu à peu, la ville entière est plongée dans la perplexité devant les phénomènes quasiment surnaturels qui se produisent à Moscou, habituellement si tranquille.



Ensuite, nous faisons la connaissance du Maître et de son histoire, qui forme le second récit à l'intérieur du "Maître et Marguerite". C'est par le biais du malheureux Ivan, le poète devenu fou et enfermé dans un établissement psychiatrique, que nous rencontrons ce fameux Maître. Lui aussi est pensionnaire de cet hôpital et raconte à Ivan les événements qui l'ont rendu fou. Ce Maître est, bien entendu, amoureux de Marguerite, une belle jeune femme qui l'a encouragé à poursuivre le roman qu'il écrivait lorsqu'ils se sont rencontrés (car le Maître est écrivain) et qui traite de Ponce Pilate.



Et ce célèbre personnage historique, procurateur de Judée au temps de la crucifixion de Jésus forme le troisième récit du roman. Nous suivons ainsi les pas de Pilate depuis le moment où il rencontre Jésus, tout d'abord grâce au récit de Woland, qui parle de ce moment historique à Berlioz et Ivan, et ensuite grâce au manuscrit du Maître.



Ces trois romans en un sont remplis de références et d'anecdotes en lien avec l'URSS de l'époque de Boulgakov. Et l'auteur n'est pas vraiment tendre avec son pays: il se lance plus d'une fois dans des scènes très cocasses qui donnent l'impression qu'il tente de ridiculiser l'ordre établi. Et heureusement pour nous, puisque c'est justement cet humour assez cruel de Boulgakov qui, mêlé aux nombreux tours et détours du récit, font du Maître et Marguerite un véritable délice!
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Le Maître et Marguerite

Le Maître et Marguerite, c'est un livre d'une folie incroyable, le livre de toute une vie pour son auteur, Mikhaïl Boulgakov, dont l'écriture l'a accompagné presque jusqu'à la mort. Ne comptez pas sur moi pour tenter de vous en résumer l'histoire ou esquisser l'intrigue ; je suis ressorti de ce texte lessivé, essoré, comme démembré, revenant d'une autre planète, d'un ailleurs sidéral, d'un endroit invisible pour le regard du commun des mortels, quelque chose qui vous échappe, vous dépasse complètement, et cela presque à chaque page.

Si je commence à vous raconter, ne serait-ce que le début du récit, vous aurez du mal à me croire et je risque de subir le même sort que l'un des personnages du roman, un certain Ivan Nikolaïevitch Ponerief qui finit à l'hôpital psychiatrique, pour la simple raison que ce qu'il vient de vivre en cette fin de journée printanière des années trente à Moscou, relève de la pure folie et qu'il a le malheur de vouloir le raconter autour de lui tel qu'il vient de le vivre.

Imaginez un récit où brusquement viennent se mêler comme dans un capharnaüm insensé : un étranger capable de lire l'avenir, un personnage maléfique qui se transforme en chat amateur de Cognac et de thé et qui, plus tard, arrachera la tête d'un animateur de spectacles, des femmes rousses qui s'envolent nues dans la nuit étoilée chevauchant un balai, des roubles qui se transforment en dollars et qu'on dissimule aussitôt dans des gaines d'aération de toilettes, un homme transformé en pourceau... De temps en temps, un autre texte surgit, d'un temps ancien se situant à Jérusalem, le procès d'un certain Yeshoua mené par le procurateur Ponce Pilate, homme lâche, soucieux de sa carrière plutôt que de l'équité de la justice. L'ombre de Jules César plane au loin, pour un peu on lui devinerait une sorte de moustache à la Groucho Marx et on le surnommerait le Petit Père des peuples... Les deux récits vont se faire écho, finir par s'entremêler, donnant sens peu à peu à l'ensemble du roman...

Et puis, brusquement, comme un tournant du récit, tournant les pages du récit comme les ailes d'un moulin à vent, il y a ce bal éperdu, échevelé, enivré par le trouble de la pleine lune...

Ce n'est pourtant pas ce genre de littérature qui m'attire habituellement...

Si le récit est enlevé, il n'en demeure pas moins complexe comme un puzzle où il nous faut rassembler quelques morceaux éparpillés pour tenter de reconstituer une tentative de compréhension, convoquant l'étonnement et l'imaginaire du lecteur que je suis, me transformant peut-être à mon tour dans l'effervescence des mots.

Au début de ma lecture, j'ai avancé à tâtons dans ce texte multiple, un peu comme Alice au Pays des Merveilles, sauf qu'ici le pays que j'ai découvert était semé de figures démoniaques. C'est un texte fait de chausse-trappes, se jouant du temps et le façonnant à sa manière, les chapitres se succèdent dans un tourbillon vertigineux, sans logique apparente, chaque personnage entre en scène et tire sa révérence pour laisser d'autres apparaître ; un fil semble pourtant se tisser entre eux, à peine perceptible au regard du lecteur. Le Maître tarde à venir, comme un héros attendu, guetté par le lecteur, j'y ai vu ici comme une sorte de double de Boulgakov, le Maître, celui-ci n'étant plus nommé que de cette manière, écrivain ayant perdu son nom, peut-être son identité, mais pas son âme, son nom est effacé, comme figurant déjà les prémices d'une violente répression à l'égard de l'art, des artistes, de la culture, celle qui existait avant...

Dans cette étrange féérie macabre et gothique, se dégage un texte dont la fluidité de la lecture peut surprendre, il n'en demeure pas moins que l'architecture du récit est complexe, vertigineuse, abyssale, déroutante. Mais au final, contre toute attente, je suis parvenu à retomber sur mes pieds, à avec nettement moins de désagréments que certains des personnages du livre. Au final, tournant les dernières pages du roman, se dessinait dans mes yeux comme le soupçon d'une harmonie.

Au coeur du récit, il y a aussi une passion amoureuse, celle de Marguerite et du Maître, Marguerite convoque le mythe de Faust, invitée à vendre son âme au diable en devenant reine du fameux bal, pour retrouver le Maître et son amour.

Et si tout ceci était bien réel finalement... En effet, il y a quelque chose qui ressemble à une farce pitoyable et ubuesque, comme le fut le régime stalinien, aussi cruel fut-il. Ce livre est une sorte de parodie grotesque de tout cela, un pamphlet politique, une satire diluée dans un conte fantastique et cauchemardesque. Les gardiens de la censure n'y aurait-il alors vu que du feu ? Auraient-ils été nigauds à ce point ? Sans doute que oui, mais des nigauds cruels à la botte d'un dictateur fou qui tirait les marionnettes, sorte de réincarnation diabolique...

Et c'est là que nous sommes invités à lire d'une tout autre manière ce roman qui a subi la censure sous le régime soviétique et la dictature stalinienne. Des notes de bas de page invitent à décrypter le texte, à en dévoiler les zones souterraines, la façon dont certaines phrases censurées jusque-là, furent réhabilitées au récit, en 1966.

J'ai rencontré Mikhaïl Boulgakov, si je peux m'exprimer ainsi, en découvrant sa statue à l'allure fière et austère, tout près de sa maison natale devenue le musée qui lui est dédié, à Kiev, dans la fameuse et très belle descente de Saint-André. La veille, je venais de faire connaissance avec celle qui allait devenir mon épouse. Nous étions en fin décembre 2014, quelques mois après les événements de la place Maïdan, la capitale commençait à respirer tout en se souvenant des cent neuf manifestants abattus dix mois plus tôt sous les balles des snipers pro-russes embusqués sur les toits et dans les chambres des deux grands hôtels qui dominaient la place. Le lendemain, je découvrais une horreur dans l'histoire de l'Ukraine, en visitant le mémorial consacré à cet événement, cette gigantesque famine des années trente appelée Holodomor, restée presque inconnue des manuels d'histoire très longtemps, voulue par Staline, un véritable génocide pour faire plier la paysannerie ukrainienne sous le joug du régime soviétique. Le roman, le Maître et Marguerite se situe précisément à cette période où des millions d'ukrainiens ont péri. J'ai pensé que Mikhaïl Boulgakov avait sans doute aussi le dessein de vouloir dénoncer le mal fait à son pays d'origine. Au moment où j'achève l'écriture de cette chronique, je découvre cette mise en abyme et qui fait écho aussi à l'Ukraine que j'ai appris à découvrir il y a cinq ans maintenant...

Le Maître et Marguerite est un texte difficile, mais magnifique à plus d'un titre, qui mérite le détour.
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Le Maître et Marguerite

Avec le Maître et Marguerite, je replonge avec délice dans la littérature classique.

Publié pour la première fois en 1966, ce récit a pourtant été entamé en 1928 par son auteur, Mikhaïl Boulgakov, et terminé seulement en 1940, peu de temps avant sa mort.

La plus grande partie de son oeuvre ayant été victime de la censure, l'écrivain incompris et souffrant de ne pouvoir écrire, se venge en quelque sorte à travers cette satire de la société russe dans laquelle le diable et sa suite font des ravages en s'en prenant à l'intelligetsia moscovite.

Un conte fantastique , onirique, cynique, dans lequel prend forme un deuxième récit qui se déroule en Judée, sous l'hégémonie de Ponce Pilate et qui relate, de façon gnostique, la comparution de Yeshoua, ainsi que son exécution.

Boulgakov met l'accent sur la lâcheté du procurateur romain qui préfère exécuter un innocent plutôt que ruiner sa carrière, et par la même occasion, fait un parrallèle avec ce qu'il considère comme sa propre lâcheté intellectuelle.

Marguerite n'apparaît que dans la deuxième partie du roman et semble être celle qui, par son amour, soutient l'écrivain dans son entreprise et va jusqu'à pactiser avec le diable pour que l'homme qu'elle aime puisse retrouver sa liberté d'écriture.

Une très belle plume, riche et complexe, qui interpelle régulièrement le lecteur, le bousculant dans sa lecture ou le prenant à témoin.

Une histoire qu'il est difficile de résumer tant elle est empreinte d'imaginaire, de situations surnaturelles et cocasses et sous l'humour desquelles pointe la révolte, la dénonciation de tout un régime et de sa milice pervertie.

Je ne peux m'empêcher d'admirer ces auteurs qui s'obstinent, dans d'énormes souffrances, à faire passer leurs idées à tout prix au risque de se voir sanctionner et dont le talent consiste à "ruser" avec le pouvoir, fabulant pour mieux critiquer.

Difficile mais superbe...un peu long quand même.
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