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Critiques de Mikhaïl Boulgakov (576)
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Le roman de monsieur de Molière

JBoulgakov a écrit là un livre merveilleux, qui rend si vivant notre Molière, dont nous parlons la langue, dont nous connaissons la « Maison », toujours là au Palais Royal, et dont l'oeuvre, je trouve, s'est malheureusement, empoussiérée au passage dans les manuels scolaires.

D'ailleurs, j'émettrais bien un voeu, ça ne me coûte rien, c'est que ce livre soit au programme de français du Bac, car, bien qu'écrit par un auteur russe, né à Kiev, mort à Moscou, ce qui ne veut pas rien dire, pour parler comme Rimbaud, en ces horribles temps pour l'Ukraine, cette version romanesque est un magnifique hommage au théâtre français. Et en plus, venant d'un génie, qui encore plus que Molière, a connu les obstacles pour que ses pièces soient jouées, ou plutôt pas jouées en ce qui le concerne, car la censure de la dictature soviétique, c'est bien pire que ce qu'a subi Molière.



Dans ce roman, Boulgakov nous raconte, à sa façon pleine de verve et d'imagination, la vie de notre grand auteur, de sa naissance à sa mort.

Le fond est vrai, mais l'auteur y invente, y brode, il ne le cache pas, c'est un roman qu'il écrit. Il nous dit aussi sa perplexité sur certains faits, tel, par exemple, la question non résolue, sur le fait qu'Armande Béjart, sa femme, aurait pu être sa fille (reste il des ossements qui pourraient faire parler l’ADN? je ne crois pas).



Grâce à ce roman, j'ai appris pas mal de détails que je ne savais pas ou que j'avais oubliés, parmi lesquels, je ne peux les citer tous:

- que sa vocation viendrait de ce que son grand-père maternel l'emmenait voir des spectacles de rue et des représentations théâtrales à l'Hôtel de Bourgogne;

- que Jean-Baptiste avait fait des études de droit, mais l'affirmation qu'il avait obtenu la charge d'avocat, que Boulgakov nous présente comme vraie, n'est pas prouvée;

- qu'il a eu avant le succès et la gloire, un temps de « vaches maigres »: échec de l'Illustre Théâtre fondé à Paris grâce à une dot de sa mère, itinérance de sa troupe dans le Sud de la France pendant plus d'une dizaine d'années, avec un modeste succès, lié entre autres, à ce que Molière était un piètre acteur dramatique, du moins pour les goûts de l'époque (Boulgakov nous livre sa petite théorie sur la question, je vous laisse la découvrir);

- que le succès, qui restera constant, vient dès que Molière se met à écrire des comédies;

- que sa critique moqueuse des travers de ses contemporains dans ses pièces de théâtres, lui a valu des ennuis de toutes sortes, comme, lors des représentations, des vociférations des personnages s'étant trouvées raillés par l'auteur, aussi des menaces, des procès, etc…Le pire a été son « Tartuffe »; en effet, son portrait sans concession de ce dévot hypocrite a déclenché les foudres du clergé, la pièce étant considéré comme impie, anticléricale. La première représentation sera repoussée de nombreuses fois suite à des interdictions successives, la dernière étant celle de l'Archevêque de Paris. Finalement, il convaincra Louis XIV d'autoriser la représentation.

- que Molière avait une créativité débordante et travaillait à une vitesse incroyable. En quelques jours, certaines pièces ont été écrites, mises en scène, répétées, et représentées. En cela, il me fait penser à Shakespeare, l'autre Grand du théâtre, dont on se demande comment il a pu faire pour écrire en peu de temps tant de chefs-d'oeuvre.

- que le fait qu'il a eu pour protecteur d'abord le frère de Louis XIV, le prince d'Orléans, puis Sa Majesté, l'a amené à créer des pièces de circonstances, avec des ballets pour un Roi qui adorait la danse, et dansait lui-même très bien;

- que la parodie des Turcs dans le Bourgeois Gentilhomme, lui aurait été suggéré par le Grand Louis qui n'avait pas trop apprécié l'attitude méprisante du Sultan d'Istambul qu'il avait accueilli en grande pompe;

Et puis, et puis, …je m'arrête là.



Un des traits de caractère de Molière, que je connaissais pas, c'est qu'il était dit-on, neurasthénique, sujet à des accès de dépression, bref un clown triste, comme le sont souvent les grands humoristes, et en cela, j'ai tout de suite pensé à Chaplin, qui lui non plus n'était pas follement gai.



Par contre, il était quelqu'un de très agréable, attentif non seulement à ses comédiennes, ça on l'imagine bien, mais aussi à ses comédiens. le genre chef d'équipe, animateur bienveillant, pas hautain pour deux sous, harceleur encore moins.



Boulgakov nous fait vivre « en direct » les péripéties de la création des pièces, c'est vivant et jubilatoire.

Jusqu'à ce célèbre Malade Imaginaire, dans lequel il règle notamment ses comptes avec le corps médical de l'époque, lui qui était atteint de tuberculose, et mal en point lorsqu'il commença à jouer la pièce.

Et qu'il soit pris d'un malaise, doive rentrer chez lui, au 40, rue Richelieu, et y mourir, vraisemblablement d'une hémoptysie massive.

Et sa veuve qui devra supplier le Roi pour que le comédien, dont le métier est « impur » et donc n'a pas le droit aux obsèques religieuses, ni au cimetière des bons chrétiens, puisse avoir une sépulture, et notre Molière sera enterré dans le carré réservé aux suicidés et aux enfants non baptisés.



J'ai trouvé ce roman très réussi. On n'y trouve pas la beauté de construction et la profondeur philosophique du Maître et Marguerite. Mais, c'est, par delà l'hommage à l'immense auteur et comédien, un hommage vibrant, émouvant au théâtre. Et qui donne envie de relire toutes les pièces du grand homme de théatre.



Et les dernières phrases du livre sont particulièrement touchantes: « …il quitta un jour le morceau de terre où restèrent les suicidés et les enfants non baptisés pour s'installer au dessus de la vasque d'une fontaine asséchée (N.B. La belle fontaine Molière, située devant son domicile, a été enfin rénovée en 2022). le voilà! Il est là, le comédien royal, avec des noeuds de bronze à ses souliers! Et moi, qui n'ai jamais eu l'occasion de le voir, je le salue et lui dis adieu. »



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Coeur de chien

Bonjour les ami(e)s babélio !

Me revoilà après une petite absence, durant laquelle j'ai découvert entre autre, un petit village que tout amoureux du livre devrait aller visiter une fois dans sa vie : Bécherel, en Ile-et-Vilaine. La caverne d'Ali-Baba du livre !



Après cette petite introduction, venons-en à Coeur de chien.



Vous voulez vous refaire une beauté ? Arranger quelques plis disgracieux ou mieux, les supprimer ? Rajeunir ? Ne cherchez plus, je vous ai trouvé un médecin : le professeur Préobrajenski, à Moscou. Le cabinet de cet éminent chirurgien ne désemplit pas malgré les temps troublés d'après la révolution de 1917.

Un jour, le professeur recueille un chien errant, affamé, dans un piteux état et le nomme Boule. Aidé du docteur Bormenthal et de Zina la gouvernante, le professeur tente, sur le chien, une opération que personne n'eut jamais tentée. Ni pensée d'ailleurs ! Tant elle est... comment dire... Ah, tant pis, vous n'avez qu'à lire le livre ! Tout ce que je peux vous dire est que cette opération aura un succès inespéré puisque Boule deviendra...

C'est délicieux, hilarant, grotesque, avec des scènes dignes des grands vaudevilles. Qu'est-ce que j'aimerais voir une pièce de théâtre issue de ce roman !



Derrière la joie de la lecture, l'auteur met l'accent sur l'absurdité du système bolchevique nouvellement mis en place, sur l'aberration de certaines situations et la stupidité des nouveaux "chefs" à tous les échelons.

Ce pourquoi, Coeur de chien, rédigé en 1925, fut immédiatement censuré et ne parut à Moscou, en une édition unique, qu'en 1990.



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Récits d'un jeune médecin

Découvrir Boulgakov avec ces nouvelles a été pour moi un grand plaisir.

Ces Récits composés dès 1919 pour n'être publiés qu'entre 1925 et 1926 dans des revues nous racontent les débuts d'un jeune médecin frais émoulu de l'université qui débarque dans un patelin perdu dans le gouvernement de Smolensk. On est en 1917, pas d'électricité, pas de médecin chef, seulement un feldscher( infirmier expérimenté) et deux sage-femmes.A lui du haut de ses 23 ans de se débrouiller!!!

Sur un ton sarcastique mais aussi très humain Boulgakov nous raconte ses propres débuts dans sa carrière de médecin, carrière qu'il a quittée en 1920 pour, de retour à Moscou, se consacrer à l'écriture et au théâtre.

Morphine nous raconte la spirale de la dépendance à la morphine vécue par Poliakof le médecin qui lui a succédé. Nous découvrons son calvaire à travers les pages d'un journal laissé à Bomgard , ce récit est époustouflant ! de là à dire que Boulgakov a vécu ces tourments ....

Quant aux aventures singulières d'un docteur, elles clôturent ce recueil et m'ont moins impressionnée que les deux premières nouvelles.

Une écriture dépourvue d'effet de manche ,une intemporalité liée à l'isolement fait qu'on ne sait pas exactement si on est encore sous le régime tsariste ou après la révolution.Une étude approfondie de la vie de ces petites gens de la campagne, de leur façon de vivre et de penser. Boulgakov est certes un auteur du début du XXème siècle mais il pourrait parfaitement faire partie des grands auteurs russes du XIXème .

Une très belle découverte pour moi et je compte bien continuer à explorer les pépites laissées par Boulgakov!
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Le Maître et Marguerite

Une originalité radicale, le fruit secret, railleur, du totalitarisme, peut-être faut-il avoir vécu sous Staline pour comprendre ce livre. À première vue, celle d’un parisien du 21e siècle, un paquet d’étrangetés. La première partie — 300 pages — se termine par une sortie du prestidigitateur : « Ce qui se passa encore d’étrange, cette nuit-là, à Moscou, nous ne le savons pas, et nous ne chercherons pas, on le comprend bien, à le savoir, d’autant que le temps est venu pour nous de passer à la deuxième partie de ce récit empreint de vérité. Suis-moi, lecteur ! » (p 304), et la seconde, par un épilogue qui rebat les cartes pour nous perdre un peu plus et se clôt somptueusement : « Alors, la lune entre en folie, elle déverse des torrents de lumière droit sur Yvan, elle fait jaillir sa lumière de toutes parts, c’est une crue de lune qui se répand dans toute la pièce, la lumière tangue, elle monte, elle monte encore, elle noie le lit. Et Ivan Nikolaïevitch dort, le visage heureux. Au matin, il s’éveille, silencieux, mais parfaitement tranquille et rétabli. Sa mémoire, percée par des dizaines d’aiguilles, s’apaise et plus personne ne troublera le professeur jusqu’à la pleine lune suivante : ni l’assassin sans nez de Hestas, ni le cinquième et cruel procurateur de Judée, le chevalier Ponce Pilate » (p 550). Précisons qu’Ivan est un personnage tout à fait accessoire, et plus encore Hestas et son assassin, ce qui n’est pas le cas de Ponce Pilate.



On ne raconte pas l’histoire, deux histoires à 2000 ans de distance : trois jours étouffants à Moscou, un peu moins à Jérusalem, dans la même touffeur, suivie du même orage. Il est question dans la seconde partie du Maître et de Marguerite qui meurent empoisonnés pour renaitre libres, d’un magicien, de littérateurs peureux et raisonneurs, de Satan et de Ha-Notzri Ieshoua, de la milice et des étrangers maléfiques, le tout dans un décor minutieux qui rappelle le réalisme fantastique de Flaubert dans Salammbô ou Hérodias.



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Morphine

Peut-être qu'en fin de compte Mikhaïl Boulgakov est mort de dégoût… Usé par les tracasseries du pouvoir en place tout au long de son existence d'écrivain, meurtri par la censure exercée sur ses écrits, blessé par la non reconnaissance de son pays, lui qui depuis est proclamé comme l'un des grands écrivains russes… Peut-être avait-il vis-à-vis de lui-même une amertume d'avoir, parfois, cédé et s'être auto-censuré. Quoi de plus douloureux dans le processus artistique. Plier, tellement parfois qu'on se demande si on pourra se tenir à nouveau droit. Boulgakov orphelin de sa patrie d'origine, l'Ukraine, nostalgique de sa ville aimée Kiev, traîne une mélancolie sourde. Sous sa plume alerte, acerbe, sarcastique pointe une douleur sensible à l'air et aux humains de son temps. Lui qui jeta son métier de médecin aux orties pour écrire, disséqua ses compatriotes, le pouvoir en place avec dextérité. Dans ce petit opuscule , un journal tenu par le docteur Poliakov , celui-ci raconte sa dépendance de plus en plus mortifère à la morphine. Addiction que Boulgakov lui-même aura pendant un certain temps. En quelques lignes, il narre les conditions d'un médecin de campagne perdu dans les plaines ukrainiennes, les combats opposants les nationalistes ukrainiens et les bolcheviks ; ces affrontements, cette descente aux enfers dans la guerre est son propre abîme de morphinomane. Ce petit journal sec et tendu est une défaite. L'impuissance d'un homme face à la violence, face à la chimère qu'exerce sur lui la morphine. Illusion de se perdre dans des contrées plus propices, de s'éloigner d'un monde cruel, de se détacher du monde des hommes et ne plus se sentir le complice muet de leur folie. S'évanouir dans la neige, devenir transparent, invisible, indicible. La Révolution est en marche et Boulgakov songe à fuir ; éreinté par ce qu'il voit, les exactions des troupes nationalistes, les pogroms, un monde qui s'affronte et s'effondre. Mikhaïl Boulgakov toute sa vie d'écrivain métamorphosera la réalité de son pays en écrits satiriques, fantasques, noirs, diaboliques, intimistes, profondément humains et souvent désenchantés. Sous cette mystification, la réalité abrupte est toujours en embuscade. Une drogue et un sevrage impossible.
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Le Maître et Marguerite

Quand il arrive en ville, mieux vaut changer de trottoir. N’essayez pas de le contredire, l’avenir il le connait, c’est lui qui le fait. Et gare à ceux qui oseraient nier son existence, ce sera l’exil ou l’asile. Qui ? un renégat ? un despote ? non, le diable, tout simplement. Dans le roman Le Maitre et Marguerite de Mikhaïl Boulgakov, , le diable débarque à Moscou pour régler quelques affaires courantes qui en disent long de la vanité et de l’orgueil humains.



En enfer il y aura de la place pour tous : est toujours le méchant de quelqu'un et il y a toujours plus méchant que soi. L’hôte des lieux ne négligeant personne, il accueille tous les déchus sans distinction : « il n’y a pas que les légendes, il y a aussi les faits divers ».



Réécrivant la mythologie manichéiste à l’aune du malin, l’enfer est punitif pour les uns, libérateur pour les autres, Boulgakov vient nous rappeler que les mythes et les légendes ont encore des choses à nous dire, à nous, adultes, à nous, hommes modernes.




Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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Le Maître et Marguerite

Boulgakov est issu d’une famille russe traditionnelle, attachée à la religion orthodoxe, à la monarchie et à l’empire russe. Il a mis une dizaine d’années pour écrire et finaliser ce roman, terminé juste avant sa mort en 1940. Avec ce roman fantastique, commencé au moment le plus dur du régime stalinien, il s’agissait pour lui de s’attaquer au régime soviétique et de le dépeindre mis à mal et désorganisé par une intervention surnaturelle. La figure du diable, personnage sulfureux par excellence, permet invention et audace littéraires : dans Le Maître et Marguerite, le diable devient le moyen de dénoncer implicitement le manque de liberté. Ce roman est l’œuvre d’un écrivain désespéré et muselé, qui n’a plus aucun espoir d’être publié.

Le Maître et Marguerite est un roman difficile à lire : les clefs de lecture sont multiples et imbriquées les unes dans les autres…





Traditionnellement, l’imaginaire diabolique tourne autour d’une mauvaise rencontre suivie d’un pacte avec acceptation de dons ou de présents et participation au sabbat. Boulgakov réunit tous ces ingrédients basiques dans son roman.

Son personnage diabolique, quoique d’apparence humaine, présente des détails étranges qui trahissent sa nature : difformité, bizarrerie, accent. Il peut sembler grotesque, joue souvent à détourner des sujets sérieux, la mort notamment, en les ridiculisant. Les démons secondaires, quant à eux, apparaissent toujours sous une apparence légèrement différente de la fois précédente. J’ai une préférence marquée pour le chat Béhémoth.

Le pacte devient une succession de contrats que l’on fait signer aux victimes de Wolland. Marguerite, même si elle hésite, accepte la crème magique. Le « grand bal chez Satan » du chapitre XXIII est un moment particulièrement savoureux… : ainsi, les éléments structuraux du sabbat (onction, vol nocturne et métamorphose) sont bien à l’honneur dans ce livre. L’état de possession de Marguerite est parfaitement bien rendu : modification de l’état psychologique, agitation, méchanceté, violence…





L’intrigue est, en fait, très complexe, entre histoire collective et histoire du couple formé par le Maître et Marguerite et mise en abyme d’une autre fiction romanesque dans le roman lui-même : le diable prend l’apparence de Wolland, un illusionniste, et bouleverse le milieu littéraire moscovite.

Parallèlement, Le Maître écrit un roman historique à scandale sur un épisode biblique et se retrouve interné dans un hôpital psychiatrique où il va se confier à Ivan Nikolaïevski devenu fou à cause des agissements de Wolland, en particulier la mort de Berlioz. C’est au niveau de ce lieu emblématique qu’est l’hôpital psychiatrique que le collectif et l’individuel se rejoignent : c’est là que seront enfermés toutes les victimes de Wolland.

De plus, Boulgakov s’amuse avec la temporalité car même si Wolland récite le roman du Maître dès le début du livre, le lecteur ne sait pas encore de quoi il s’agit exactement ; c’est seulement au chapitre XIII, intitulé « Apparition du héros » que l’on comprend (ou pas) que si Wolland connaît le sujet du roman, c’est parce qu’il a été contemporain des faits racontés … et qu’il connaît la vérité sur Pilate.

Enfin, il y a encore un niveau de lecture autour de Marguerite qui devient une sorcière dotée de pouvoirs surnaturels le temps du bal où elle sert de maîtresse de maison pour recevoir les invités du diable ; en échange, elle choisit de retrouver le Maître… Je ne dévoilerai pas la fin : lisez !

Dans ce pacte funeste avec le diable peut se lire une remise en question de la création littéraire puisque Wolland s’est approprié l’œuvre du Maître que ce dernier avait pourtant brûlée ; ainsi, Wolland l’illusionniste synthétise toutes les illusions humaines à travers la littérature, qu’elles soient politiques, idéologiques, philosophiques ou religieuses. La magie noire devient métaphorique des instincts mauvais et bassement matériels, de l’amoralité des grands principes de la société stalinienne et de sa propagande : les têtes coupées ou retournées renvoient symboliquement au lavage de cerveau. À la fin du roman, avec la tentative d’imposer une explication rationnelle et scientifique aux évènements surnaturels, Boulgakov montre bien que le communisme est une illusion aussi trompeuses que toutes les autres.





En ce qui concerne les personnages, on peut voir dans Wolland et dans le Maître des doubles intra-diégétiques de Boulgakov dans deux sortes de mise en scène. Avec l’illusionniste Wolland, il se fait metteur en scène de l’anarchie au sens théâtral du terme, transformant la ville de Moscou en grand cirque digne des films muets, des arts clownesques et même de l’opéra. L’association du fantastique avec la théâtralité souligne la manière dont le régime stalinien manipule les individus : le peuple se croit acteur alors qu’il est victime.

Avec le Maître, il se met lui-même en scène en tant qu’écrivain même si c’est, selon moi, encore plus compliqué puisque c’est Boulgakov qui fait l’unité stylistique de l’histoire biblique et la transfigure en une sorte de texte sacré malgré le trio énonciatif formé par Wolland qui récite, Bezdommy qui rêve et Le Maître qui écrit. Le vagabond philosophe mis en scène dans le roman du Maître est porteur lui aussi d’interrogations philosophiques, dans un univers religieux discrètement suggéré avec la problématique de la culpabilité et du pardon, une allusion à une forme de sainteté pour le Maître qui se voit proposé un repos éternel romantique et musical.





Dans Le Maître et Marguerite, Boulgakov réunit, grâce à l’immense liberté d’écriture permise par le caractère surnaturel de son roman, le propos satirique, les péripéties comiques voire grotesques, une forme de tragique et un questionnement moral, politique et esthétique. Ce roman relie les grandes problématiques chères à Boulgakov : le régime stalinien comme mal absolu et la position de l’écrivain rejeté et muselé dans une société liberticide. Le personnage du diable est là pour mettre à mal la société scientifique positiviste du régime soviétique et brouiller le jeu de la vraisemblance.

J’ai beaucoup apprécié l’intertextualité sous-jacente avec les références à Pouchkine, Dostoïevski ou Gogol, sans oublier le mythe faustien, naturellement

Je ressens une forme de sympathie pour le personnage de Wolland, certes incarnation du mal et du pouvoir arbitraire et illustration des dérives du régime communiste, mais aussi, selon moi, instigateur d’un désordre et d’une anarchie libératrice. Il possède cette ambiguïté du méchant qui attire et ensorcelle…

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La Garde blanche

Une belle et tragique image de la vieille Russie agonisante, attachée au tsar et à l'orthodoxie. J'en garde un souvenir ému, étant donné qu'il s'agissait de mon premier Boulgakov.





D'un point de vue strictement historique, je verrais ce roman comme un frère du Docteur Jivago: même contexte (Révolution et guerre civile russe), mais sur deux fronts différents: en Ukraine pour Boulgakov (le pauvre, il doit se retourner dans sa tombe en voyant ce qui s'y passe en ce moment même...) et en Sibérie pour Pasternak.





Le roman peut désarçonner quelque peu, puisque là où l'on pourrait s'attendre à des grandes batailles épiques, si bien dépeintes par Tolstoï ou Grossman, les protagonistes du roman, les frères Tourbine, n'auront jamais l'occasion de se battre pour le tsar, en dépit de leur enthousiasme, pris qu'ils ont été dans les faisceaux d'intrigues des différentes armées qui se partageaient alors l'Ukraine (l'hetman Skoropadsky, les Allemands, les communistes, les nationalistes ukrainiens de Petlioura...). Cela peut rendre la lecture du roman par moments difficile.





C'est précisément cette impuissance face aux forces décuplées de la grande Histoire qui n'en rend que plus tragique ce roman, qui est d'une certaine manière le récit d'une renonciation se voulant sereine à un passé à jamais perdu (Boulgakov penchait pour une monarchie parlementaire...En d'autres termes, réformes mais non révolution).





Cela étant dit, Boulgakov ne serait pas un grand écrivain s'il dressait une peinture idéalisée des derniers partisans du tsar...On y voit la lâcheté des uns (la fuite du beau-frère, Thalberg), côtoyer la cruauté des autres (une scène relate l'assassinat d'un Juif, commis par pur antisémitisme). Le Dieu rencontré dans les songes par Alexis Tourbine est par ailleurs, à bien y regarder...Fort peu orthodoxe, puisqu'il admet tout le monde, y compris les communistes, au paradis...Un humanisme bien éloigné du tsarisme pur et dur...





Il est de notoriété publique que Staline lui même appréciait passionnément ce roman (plus précisément l'adaptation théâtrale qui en a été faite), pourtant bien peu révolutionnaire...Sans doute existe t-il dans cette oeuvre une part d'universel, auquel l'un des pires tyrans du siècle dernier lui-même n'était pas insensible, dans le sens où elle dit la tragédie de ceux qui sont voués à être les perdants devant l'Histoire: la littérature seule leur redonne une place dans cette dernière, outre-tombe.





Ce que ce roman possède par ailleurs de si poignant, avec du recul, ce sont bel et bien ses dernières phrases, envoûtantes et apaisantes, mais cependant si cruellement démenties par les horreurs combinées à venir du stalinisme et de l'invasion nazie en Union Soviétique:

"Tout passe : les souffrances, le sang, la faim, les épidémies. L'épée disparaîtra, mais les étoiles, elles, subsisteront bien après que l'ombre de nos corps et de nos actes aura disparu de la surface de la terre. Il n'est personne qui ne le sache point. Alors, pourquoi ne voulons-nous donc pas lever les yeux vers elles ? Pourquoi ?"





Mais le stalinisme et l'invasion nazie, c'est une autre histoire...Celui de l'incomparable "le Maître et Marguerite" (pour le premier uniquement, Boulgakov étant mort quelques mois avant l'invasion allemande, en 1940), et plus tard encore celui de Vie et Destin, du tout aussi magnifique Vassili Grossman.

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Le Maître et Marguerite

Ce romancier était un génie et un visionnaire.

En parallèle avec l'histoire de la crucifixion de Jésus (le nouveau testament quelque peu modifié), il raconte l'apparition et les méfaits du diable et de ses sbires dans le Moscou post révolutionnaire.

Son but était de décrire par des sous-entendus un régime totalitaire et il a réussi.

Dans cette histoire, on navigue entre suspicion générale, tours de magie et folie générale là aussi.

J'ai apprécié le style et les descriptions réalistes dans leur fantasmagorie...
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Morphine

Parfois insérée dans les Carnets d'un jeune médecin, Morphine est une nouvelle quasiment autobiographique de Bougakov- à l'exception de la mort du héros, tragique et inéluctable, qui n'a heureusement pas été celle de l'écrivain.



Comme souvent quand Boulgakov souhaite relater quelque chose de compromettant et de personnel, il se sert du procédé littéraire de l'insertion du journal intime dans le récit. La "mise en abyme" de ce récit dans le récit se fait ici au propre et au figuré, car il s'agit aussi d'une vraie descente en enfer.Dans les abîmes trompeurs et dévorants de la morphine.



Le docteur Bomgard , en pleine guerre et troubles révolutionnaires , est transféré d'un district perdu au milieu des neiges et de sombres forêts nommé Gorielevo à un chef-lieu de canton, puis, enfin, à son grand soulagement, à Moscou!



En 1918, il est remplacé dans son trou perdu par un obscur docteur Poliakov, un ancien collègue de faculté, apparemment gravement malade, et qui sollicite de toute urgence, par lettre, son aide comme un dernier recours.



Tout à l' euphorie égoïste de sa nouvelle nomination, Bomgard diffère sa réponse à la confuse missive de son jeune collègue et est réveillé par l'annonce de son suicide. On lui fait parvenir le journal intime dudit Poliakov et il découvre la maladie de Poliakov: il est morphinomane, et a confié à son journal l'histoire rapide, brutale, terrible de son addiction.



Très vite, le lecteur est lui aussi "addict" à ce récit cru, intime, sans concession, tellement criant de vérité qu'on ne doute pas un seul instant que tous ces paravents, Bomgard, Poliakov, cachent un seul et même médecin: Boulgakov lui-même, qui" tue" en le racontant, le médecin malade qu'il a été avant de devenir l'écrivain génial, ironique, puissant et courageux, auteur de Coeur de Chien, la Garde Blanche et Le Maître et Marguerite.



Boulgakov a tenu à publier ce récit difficile, l'a remanié plusieurs fois: cet acte de mort- et de renaissance- sonne avec un tel accent de vérité qu'on en reste abasourdi.





"Bref, l'être humain n'existe plus," note Poliakov dans son journal. "Il est hors circuit. C'est un cadavre qui s'agite, languit, souffre. Qui ne veut rien, ne pense à rien, sauf à la morphine. De la morphine!"



On mesure l'incroyable effort qu'il lui a fallu pour s'arracher aux bras de Sister Morphine, pour mettre à distance ce personnage dévoré, hanté, blessé qui ne pouvait plus rien faire d'autre que penser à sa piqûre. Et pour enfin retrouver l'élan créatif, le désir vital à travers le miracle de l'écriture et la pratique de l'ironie.



Une longue nouvelle poignante et sidérante, qui m'a donné envie de relire tous les autres romans du maître, échappé par la force de sa volonté et celle de sa famille à cette "diablerie" d'un nouveau genre..





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Coeur de chien

Quand le transhumanisme se fait interespèce, on se retrouve avec Bouboul, le chien, qui devient Bouboulov, un homme, un vrai ?! Le Pr. Transfiguratov, découvre la manière de créer un homme nouveau alors qu'il cherche un procédé pour rajeunir ses patients, mais il se rend compte qu'il a généré une erreur de la nature ... qui n'évolue que pour régresser ...



En effet, Bouboul le chien, régresse en devenant ... communiste ...



Bouboul, on lui a greffé l'hypophyse et les testicules d'un ivrogne qui avait un petit casier judiciaire alors se comporte-t-il mal parce qu'il agit comme un ivrogne ou parce qu'il se comporte comme un chien ? Après tout, il a toujours un cœur, peut-être une âme, de chien ... Ce n'est donc pas si étonnant s'il ne pense qu'à la boustifaille, et s'il se trouve un travail qui consiste à débarrasser les rues de Moscou des chats errants ...

Mais il se met à l'alcool, aussi Bouboulov prend-t-il de plus en plus les mauvaises habitudes de l'homme, en plus d'avoir celles du chien ...



En tout cas, avant l'opération, c'était un chien très intelligent qui a appris à lire (les mots saucisson et poissonnerie), comme quoi, c'est une brave bête qu'on ramènerait volontiers chez soi et facilement en plus, en l’appâtant avec un bout de saucisson. Par contre, on préférera tous Bouboul à Bouboulov, le chien à l'homme, car c'est le chien le meilleur ami de l'homme, pas l'homme.
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Le Maître et Marguerite

Comment critiquer le régime stalinien sans tomber sous le joug des autorités ? Ce roman, c' est la réponse qu'imagine Mikhaïl Boulgakov.

Le récit commence dans un parc de Moscou, le rédacteur en chef d'une revue littéraire demande à un auteur de revoir son travail sur le thème de l'existence

réelle ou imaginaire de Jésus Christ. Un troisième personnage s'insinue dans la conversation, un certain Woland. A partir de cette rencontre une immense pagaille va régner dans Moscou. Nous nous retrouvons dans un «pays des Merveilles» cauchemardesque avec en alternance deux scènes d'action, l'une dans le Moscou des années trente, l'autre dans la Judée de l'époque du Christ.

A Moscou Woland (Satan moderne) s'en donne à coeur joie avec les interventions de trois diables loufoques qui permettent au passage une critique du système. 

Des situations surréalistes, kafkaïennes s'enchaînent dans un univers onirique, bouffée d'évasion du réel. Plus on avance dans le roman, Un pur délice.

Quand l'action se passe dans l'antiquité, elle est centrée sur la rencontre entre Ponce Pilate et Yeshoua Ha-Nozri (Jésus). Yeshoua est un homme paisible et doux, qui décèle dans la moindre parcelle de bonté dans le coeur de chacun, et qui est suivi par Matthieu Levy qui recopie ses propos en les déformant.

Pilate est condamné à rêver nuit après nuit, année après année, qu'il a laissé la vie sauve à Yeshoua pour réaliser tous les matins réalise que celui-ci est mort

Il pense avoir vendu son âme au Diable en sacrifiant un innocent à la réussite de sa carrière. Pilate, bien sûr, c'est Boulgakov. de même que Pilate aurait pu gracier Yeshoua, Boulgakov aurait pu refuser l'aide de Staline pour survivre malgré l'interdiction de ses oeuvres, l'un a préféré préserver sa carrière en laissant condamner un innocent, l'autre n'a pas eu le courage d'affronter le goulag ou un procès après tortures.

Je m'arrête là car une critique n'est pas un résumé...

Le style est poétique et léger, aérien, teinté de cynisme et d'humour. La construction narrative semble sans logique apparente, mais tout s'enchaîne avec aisance. En bref, c'est un des meilleurs roman russe du XXème siècle.

A lire absolument.

J'oubliai, c'est aussi un livre qui a inspiré beaucoup de monde dans des registres divers : plusieurs groupes de rock («Sympathy for the Devil», ...), Salman Rushdie pour « les versets sataniques » qui sont dans la même verve,...

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Le Maître et Marguerite

– Où l’on découvre que le livre-culte de l’un ne l’est pas forcément pour l’autre... –



Qu’est-ce qu’un livre-culte ?

C’est celui que vous n’oublierez jamais ?

C’est celui que vous avez le plus conseillé, vanté, offert ?

C’est celui qui vous chamboule, qui vous fait voir le monde autrement, qui vous livre le sens de la vie ?

Le maître et Marguerite ne sera pas ce livre-là pour moi.

J’aurais bien aimé, pourtant : tous ces avis émerveillés, parfois quasi-ésotériques, m’avaient bien appâtée. Je repoussais à plus tard la découverte magnifique, la révélation terrible et inoubliable… Je m’attendais à une œuvre choc, au podium de l’île déserte, au livre d’une vie.

Le maître et Marguerite ne sera pas celui-là.

J’ai aimé le début : l’irruption du diable dans le Moscou de la fin des années 20, et la pagaille que lui et ses acolytes sèment dans la bureaucratie stalinienne, c’était plutôt réjouissant.

La distorsion entre leurs aventures fantastiques et les pesanteurs de la vie quotidienne, j’ai trouvé ça réellement bien vu.

(En fait, ça m’a rappelé une œuvre beaucoup moins connue, qui introduit elle aussi le merveilleux dans le carcan d’une société corsetée, celle de l’Irlande catholique dans Swim-Two-Birds de Flann O'Brien ; beaucoup plus drôle, de fait.)

Mais après ce début alléchant, Le maître et Marguerite part un peu en vrille à mes yeux.

Une fois que tous ces bureaucrates se retrouvent déboussolés et/ou en asile psychiatrique, c’est Marguerite qui devient l’héroïne de l’histoire et qui va vendre son âme au diable pour retrouver son amant écrivain, auteur d’une œuvre sur Ponce-Pilate dont des extraits nous sont fournis. (Victime sacrificielle, elle devra présider un genre de Bal des vampires qui traîne en longueur. L’amant en question n’apparaît vraiment pas assez captivant pour qu’elle accepte de s’emmerder autant.)

Je n’ai certainement pas saisi toute la symbolique, toutes les métaphores dont use Boulgakov, et je le regrette bien.

D’une certaine façon, je le termine en me disant qu’en un autre temps, ce livre-culte de tant de lecteurs me révèlera peut-être un jour son secret…?



Traduction sans reproche de Claude Ligny.

(Par contre, reproche au chat couronné de la couverture : la personne qui l’a choisi n’a visiblement pas lu le livre. Il est NOIR, le chat et il ne porte pas une couronne mais un réchaud à pétrole. Non, pas sur la tête.)
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Morphine

Morphine est un journal dans un récit écrit en 1927. Boulgakov relate des événements fictifs de 1917-1918 qu'il mêle à sa propre expérience de la médecine de campagne et de la morphine. Ce procédé lui a permis d'être publié dans une revue médicale. Cependant des pages du vrai-faux journal ont été arrachées par la censure.

Ce livre est hyper réaliste. le style est sobre, dépouillé. Au début le narrateur, le Dr Bomgard , nous raconte sa propre expérience de jeune médecin dans un coin perdu de la Russie alors en guerre ( les médecins titulaires expérimentés sont au front). Les conditions d'exercice sont extrêmement rudimentaires, les responsabilités énormes. Aussi est-il ravi d'être muté l'hiver 17, en pleine Révolution, d'un secteur perdu au chef lieu de district. Il peut enfin dormir et lire Fenimore Cooper ( L'auteur du Dernier des Mohicans qui relate les guerres entre les ( peaux) Rouges et les Blancs ). Mais son bonheur est de courte durée. En février 1918 il reçoit une lettre d'un confrère qui l'appelle à l'aide. Bomgard diffère sa réponse et quand enfin il arrive dans ce coin perdu, son jeune confrère, le Dr Poliakov s'est suicidé. Il a laissé son journal intime à son attention. Le journal est brut, sans fioritures, sans compromission, difficile à lire. Il expose l'engrenage de l'addiction, le manque, l'espérance, le mensonge, la déchéance. Le Dr Poliakof est enfermé dans les toilettes de la gare de Moscou. Il vient de voler un flacon à la clinique. Il se pique. Les gens impatients tambourinent à la porte. Dehors les combats font rage entre les Rouges et les Blancs.
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Le Maître et Marguerite

Ceci n’est pas une critique, ni un billet pour parler babeliote. Ce serait plutôt une constatation à l’envers. A l’endroit, un livre, un peu comme un amant, m’attend et me promet d’avance de me faire passer par des sentiments divers bien entendu, du plaisir, de la tristesse, des interrogations, et pour cela, pour que cette promesse soit tenue, il doit assurer. Comme un petit chat, il se love sur mon ventre, me demande de le prendre et de le caresser. Comme un chiot, il me regarde jusqu’à ce que j’en passe par ses désirs à lui. Un livre, ça m’attend, et c’est un bonheur de le retrouver encore et encore. D’ailleurs, un bon livre, je n’ai juste pas envie de le finir, j’économise les dernières pages, et boum, c’est comme la fin d’une histoire d’amour, et hop, heureusement, un autre se présente. Un peu comme l’image d’une vie, non ? Je plaisante.



Bref, je me suis aperçue que « le Maitre et Marguerite, » au bout de la page 286, ne m’avait donné ni promesse, ni plaisir, et surtout pas ce bonheur de le retrouver. Comme c’était plutôt une tâche morale (on doit finir un livre) j’ai quand même sauté une centaine de pages – je sais , c’est honteux, que le diable m’emporte- tellement ça me courait de continuer cette lecture sur un diable qui intervient dans Moscou. Couverture violette, je déteste cette couleur, en plus.

Alors, de ce chef d’œuvre reconnu par beaucoup comme tel, je vais quand même, malgré l’ennui profond qu’il m’a procuré, citer quelques passages, celui où Marguerite entre chez un ennemi de son Maitre, abat son marteau sur le piano à queue, complètement innocent pourtant dans cette affaire, « l’instrument gronda, hurla, résonna, râla. », vide des seaux d’eau dans les tiroirs du bureau et jette de l’encre sur les draps, casse tous les verres et les potiches : vengeance jouissive pour elle comme pour moi lectrice. D’ailleurs, cela m’a bien donné une petite idée, je n’en dirai pas plus.



Faisons attention à notre vocabulaire, aussi. Boulgakov se charge de nous rappeler que certains mots, devenus vides de sens, peuvent reprendre du poil de la bête, et que le diable m’emporte si je me trompe, car le diable seul sait, le diable sait d’où est sorti ce roman, et Marguerite donnerait son âme au diable pour retrouver l’homme de sa vie. A tous les diables, un livre qui n’appelle pas à être repris en main, j’avoue, je l’abandonne.

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Le Maître et Marguerite

Boulgakov réadapte magistralement le mythe de Faust dans ce roman foisonnant de références culturelles et littéraires en donnant comme cadre au déroulement de l'action, la Russie stalinienne vertement critiquée dans ses aspects le plus sombres.

Tout commence par une rencontre singulière, un soir d'été, au bord d'un étang...Alors que le poète Ivan et le Président d'une association littéraire, Berlioz, dissertent savamment sur l'existence de Jésus de Nazareth et échangent des considérations sur le fait religieux, ils sont abordés par un homme étrange qui se mêle à leur conversation et va faire vaciller leurs certitudes , puis les entrainera dans un engrenage diabolique ...

Quand Satan et ses savoureux acolytes décident de bouleverser la vie des moscovites, ils ne manquent décidément pas d'imagination et tous ceux qui croisent leur chemin connaitront les aventures les plus extraordinaires.

Le récit est d'une drôlerie irrésistible et les victimes des maléfices diaboliques sont confrontées à leurs propres turpitudes dans une série de catastrophes qui s'enchaînent avec une inventivité constamment renouvelée.

Le roman fantastique devient toutefois grave quand il met en scène le couple qui lui a donné son titre, le Maitre qui écrit le livre maudit revisitant l'histoire tragique de Jésus et la belle Marguerite, prototype de la femme amoureuse prête à tout pour l'être aimé.

J'ai adoré l'humour noir de certaines scènes avec un préférence pour celles mettant en scène un énorme matou malicieux, le chat Behémot (clin d'oeil à son homologue félin du Chestshire ?).

J'ai apprécié à sa juste valeur le courage de Boulgakov qui n'a pas hésité à livrer dans ce roman, une critique sans concession du stalinisme avec son lot d'arrestations arbitraires, de dénonciations sordides, de présence policière et d'atteintes de tous ordres aux libertés.

Mais c'est peut-être le questionnement spirituel du Maître qui touche le plus au coeur le lecteur en apportant une fois de plus la preuve que l'âme russe, toute empreinte d'orthodoxie ,est bien loin d'avoir chassé de ses préoccupations le fait religieux qualifié comme chacun le sait d'"opium du peuple" par le pouvoir en place.

Ce beau roman présente des strates de lecture différentes et c'est là toute sa richesse . Le tragique à la Karamazov n'exclut pas le fantastique, la critique sociétale se dissimule derrière l'effet comique.

Un roman majeur pour le 20ème siècle qui promet en outre un plaisir de lecture incomparable.
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Le Maître et Marguerite

Un livre qui vaut ses douze années d'écriture! L'ayant écrit entre 1928 et 1940, je dirais pas que l'écriture soit aussi excellente que ça ou encore fluide que c'en a l'air mais Boulgakov a eu toute la prépondérance de nous concocter une histoire complexe d'une façon à être accessible au point que aimer ou pas aimer le livre, on est certain d'avoir parcouru un chef-d'œuvre. Comme un diable qui se déplume à chaque poussée de ses ailes (s'il en a bien sûr) ou comme un dieu qui doit éteindre un feu déployé dans le paradis par l'excès de sa propre lumière, l'auteur s'est attelé à dépeindre l'arrivée d'un demi-dieu qui s'est offert une seule mission détruire la pensée en Russie...on assiste dans Le Maître et Marguerite à la descente d'un diable qui sème de la zizanie dans le monde littéraire et dans celui des artistes...c'est bien dans ce monde où sommeille la pensée...alors il faut l'éteindre cette matière de la philosophie! Ca se fait d'une manière aussi scandaleuse que toute la Russie se retrouve aux abois.

Boulgakov nous transpose dans le fantastique, sur ce, il ouvre la grande porte, c'est le diable lui-même qui fait sa descente à Moscou. Accompagné de ses acolytes, il fait d'Ivan Nikolaïevitch sa première victime, un célèbre poète qui, une fois qu'il ait vu son ami Mikhaïl Alexandrovitch, un journaliste, se faire décapiter par un train, va perdre la raison et va sombrer dans la folie. Puis on assiste à un enchainement de victimes de même genre jusqu'à ce qu'intervienne Marguerite, une femme quelque peu spéciale qui sera transformé en sorcière...

Je suis loin de dire que ce livre est une merveille mais c'est un grand livre! Et ça se lit avec beaucoup d'interrogations!



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Le Maître et Marguerite

J'ai pris un plaisir immense à lire ce roman délicieusement loufoque car il est magnifiquement bien écrit. J'ai rarement éprouvé le sentiment lors de mes lectures d'être à ce point immergé dans le récit que j'en oublie tout le reste. C'est ce qui s'est produit et je souhaite à tout lecteur de ce chef d'œuvre de vivre la même sensation. Il est fort probable que je relise ce livre plusieurs fois tellement il m'a plu. L'histoire mêle le réel et le paranormal, mais reste toujours imprégnée d'un souci de cohérence pour le lecteur, ce qui la rend particulièrement intéressante.
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Le Maître et Marguerite

Pour avoir déjà lu deux adaptations du roman de Mikhaïl Boulgakov "Le Maître et Marguerite", l'une en bande dessinée et l'autre en pièce de théâtre, je connaissais l'histoire assez complexe de cette diablerie moscovite. Cette complexité est accentuée avec le roman qui donne plus de détails mais c'est peut-être ce qui en fait le charme.

Mikhaïl Boulgakov peint un monde irréel et pourtant ancré dans des lieux qui existent bien. Il nous emmène à Moscou où il propose une sorte de grand opéra dont le chef d'orchestre serait le diable.

Dans la capitale russe des années trente, deux écrivains, Ivan et Berlioz, discutent sur un banc et s'interrogent sur l'existence de Dieu. Ils n'y croient pas. Tout à coup, un personnage apparaît, le professeur Woland accompagné d'un chat qui parle. C'est le diable qui débarque sur terre sans prévenir et va mener Berlioz à la mort et Ivan à l'hôpital psychiatrique. C'est là qu'il rencontre le Maître, écrivain raté et dépressif, auteur d'un livre sur Ponce Pilate et devenu fou suite à l'échec de son roman.

Pendant ce temps, Marguerite, son grand amour, déterminée à le retrouver, se transformera le temps d'une nuit en princesse-sorcière pour se rendre au Bal de Satan.

Ce qui est le plus complexe ce sont les retours à Jérusalem comme une mise en abyme du roman du Maître où sévit Ponce Pilate procurateur de Judée. Comme j'ai peu de connaissances religieuses, je n'ai pas tout compris.

Mais ce qui compte, c'est le texte critique, l'appel à l'imagination comme dissidence face à l'ordre imposé au cœur d'une épopée endiablée.

C'est Patti Smith qui m'a fait connaître Mikhaïl Boulgakov. Dans son livre "M train" elle évoque "Le Maître et Marguerite" qu'elle considère comme un chef d'œuvre. J’y ai vu une merveilleuse histoire d'amour ainsi qu’une satire politique et un manifeste pour la liberté de penser. Il est certain qu’il s’agit d’un roman-culte de la littérature russe du 20ème siècle qui entraine le lecteur dans une fantastique sarabande méphistophélique.





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Récits d'un jeune médecin

Autobiographie parcellaire du grand Mikhaïl Boulgakov; écrivain et médecin de guerre (la grande), mort à 48 ans aux portes de la seconde guerre mondiale, il nous laisse quelques unes des pages les plus terribles mais aussi les plus polémiques des années post révolution russe

Un récit sur son engagement en tant que médecin mais aussi comme "libre penseur", ce qui lui vaudra d'être maltraité et censuré par le pouvoir en place.

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