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(...) au lieu de hurler, j'écris des livres.
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La guerre, c'est la paix. Ces armées de tolérants, ces légions de libertaires, ces bataillons de démocrates, ces régiments d'ouverts d'esprit consacrent tout leur temps libre à interdire par tous les moyens l'expression de pensées divergentes. Nous sommes par essence intolérants. Nous n'admettrons jamais l'existence ni même la possibilité d'un individu qui ne pense pas comme nous. Il est un saboteur, un agent de l'ennemi, un malade. Il faut lui rompre en visière, le terroriser, l'exclure, le marquer, le punir, le traîner sur la claie, aux gémonies, en faire un infâme exemple, bref, lui faire subir tout ce qui dissuade, tout ce qu'on ne fait plus aux délinquants.
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Un truc de colons. Les Espagnols, ils ont vu ce qu'ils voulaient bien voir depuis leur bateau. Pourquoi ils ont appelé ça la Guadeloupe ? D'après ce que je sais, Guadeloupe, ça vient d'un mot arabe. Aucun rapport avec les Indiens qui vivaient là.

- Des Indiens, comme en Inde ?

- Non, comme en Amérique. Plutôt comme e, Amazonie. Mais il n'y en a plus.
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La vérité de ce monde qui vient est qu'il ne veut plus, physiquement, qu'on bouge.
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Mon père avait quitté ma mère peu après ma naissance (...).

Il n'est vraiment entré dans ma vie qu'après sa mort et d'une façon que je n'oublierai jamais. Je savais bien qu'il était mort pendant la guerre dans une chambre à gaz, exécuté comme Juif, avec sa femme et ses deux enfants, alors âgés, je crois, de quelque quinze et seize ans. Mais ce fut seulement en 1956 que j'appris un détail particulièrement révoltant sur sa fin tragique. Venant de Bolivie, où j'étais Chargé d'Affaires, je m'étais rendu à cette époque à Paris, afin de recevoir le Prix Goncourt, pour un roman que je venais de publier, Les Racines du Ciel. Parmi les lettres qui m'étaient parvenues à cette occasion, il y en avait une qui me donnait des détails sur la mort de celui que j'avais si peu connu.

Il n'était pas du tout mort dans la chambre à gaz, comme on me l'avait dit. Il était mort de peur, sur le chemin du supplice, à quelques pas de l'entrée.
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« Ma petite enfant, dit. Sir Herbert, vous m’avez dit que votre père vous avait élevée comme un soldat. Vous sentez-vous une âme de soldat ? Pouvez-vous porter l’honneur d’un soldat ?

— Mon père et mon grand-père se nommaient tous les deux Michel Strogoff, monsieur, répondit-elle simplement. Vous connaissez l’histoire de mon grand-père…

— C’est plus que de l’histoire, Sonia Mikhaïlevna, c’est de l’épopée. L’épopée du dévouement et de l’audace. Mais l’audace et le dévouement de votre père, plus obscurs, ont eu la même beauté. Noblesse oblige, Sonia, et la dernière-née de votre famille n’a pas pu dégénérer.

— Je ne saisis pas tout le sens de vos paroles. Mon père…

— Votre père est mort victime de son dévouement à ses anciens maîtres. Peut-être un jour les historiens pourront-ils écrire que, dans le désordre d’une révolution, il arracha au massacre la dernière fleur d’une tige auguste, la dernière descendante de Pierre le Grand et qu’il la garda cachée durant la tourmente. Présentement, il y a quatre personnes au monde à savoir cela. Nous trois qui sommes ici, et… le traître qui a pris auprès de la princesse Tatiana la place de votre père assassiné, après lui avoir dérobé son secret. Comprenez-vous maintenant ? »
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La puissance de l'État s'appuie sur les qualités nobles de chaque citoyen, comme la crédulité, la peur, l'envie, l'irresponsabilité, l'ignorance, la passivité, la négligence et le conformisme. À ce titre, on pourrait lui prédire un bel avenir.
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Un jour, on se réveille et on prend conscience d'être face à une énorme bouche qui hurle, comme la trappe arrière béante d'un avion, celle par laquelle on saute en parachute, pour s'amuser, sauf que ça n'a rien d'amusant, on ne peut pas voir le sol, on ne sait pas ce qu'on fait, mais on sait qu'il va falloir se jeter dans le vide sans savoir vraiment ce qu'il y a en dessous, on sait simplement que c'est ça, désormais, la vie.
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Hua’er a repris le fil de son histoire :

— Un jour, contrairement à son habitude, ma mère est rentrée très tard.

Seule ma sœur était encore debout. Somnolant à demi, j’ai entendu ma mère

lui dire : « Ils ont emprisonné papa. Où, je ne sais pas. A partir de

maintenant, je dois assister à des cours spéciaux tous les jours, et je risque

de rentrer très tard. J’emmènerai Shi avec moi, mais tu vas devoir t’occuper

de Shan et de Hua. Shu, tu es grande maintenant, fais-moi confiance : papa

et moi, nous ne sommes pas mauvais. Tu dois croire en nous, quoi qu’il

arrive. Nous sommes venus ici en Chine parce que nous voulions faire

connaître aux gens la culture japonaise et les aider à apprendre le japonais,

pas pour faire du mal… Aide-moi à m’occuper de ton frère et de ta sœur.

Ramasse des plantes sauvages sur le chemin quand tu rentres de l’école et

ajoute-les à la nourriture quand tu fais la cuisine. Persuade ton frère et ta

sœur de manger plus ; vous grandissez tous, il faut que vous mangiez à

votre faim. Fais bien attention à mettre le couvercle sur le poêle avant de

vous coucher pour ne pas être intoxiqués par les émanations de charbon.

Ferme les fenêtres et les portes soigneusement avant de partir et surtout

n’ouvre à personne. Si les gardes rouges viennent fouiller la maison, fais

sortir ton frère et ta sœur pour qu’ils n’aient pas peur. A partir de

maintenant, va te coucher en même temps que les petits. Ne m’attends pas.

Si tu as besoin de quelque chose, laisse-moi un mot, et je te laisserai la

réponse le lendemain matin avant de partir. Continue d’étudier le japonais

et la culture japonaise. Un jour, ça te sera utile. Etudie en secret, mais n’aie

pas peur. Les choses finiront par s’arranger. »

« Le visage de ma sœur était calme, mais les larmes dégoulinaient

silencieusement le long de ses joues en traçant deux sillons. Je me suis

pelotonnée sous l’édredon et j’ai pleuré sans bruit. Je ne voulais pas que ma

mère me voie.

Au souvenir des pleurs que poussait mon frère en réclamant notre mère, je

n’ai pu retenir mes propres larmes en entendant la scène décrite par Hua’er.

Elle était triste, mais elle ne pleurait pas.
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Décrire exactement le bouclier d'Achille, énumérer les armes et les ornements qu'il portait pour aller au combat, je ne le pourrais guère ; tout ce dont je me souviens vaguement, ce sont les brassards et les cuissards.

Mais ce que je veux décrire, c'est l'aspect de Franz retournant au combat. Il porte ses vieux vêtements poussiéreux et crottés, une casquette de marin ornée d'une ancre cabossée ; jaquette et pantalon sont en méchant tissu marron bien usé.
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Selebi est particulièrement sensible à la beauté du Haram al-Sharif et à l’atmosphère mystique qui y règne : Le noble sanctuaire ressemble aux jardins du Paradis. Partout des roses, des jacinthes, des buissons de myrte. Le pépiement enivrant des rossignols ! huit cents employés travaillent ici, rémunérés directement par le sultan. Sous les portiques vivent des centaines de derviches, soufis venus d’Inde, du Pakistan, des Balkans, du Maghreb, du Kurdistan, de Perse, de Mongolie. Toute la nuit, sous les lampes à huile, ils lisent le Coran et récitent des incantations. À l’aube, leurs prières sont scandées de telle manière qu’elles étourdissent les amoureux de l’oraison, et les plus mystiques d’entre nous.
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Pourquoi, me demandais-je, n'avais-je pas songé à assassiner le Prieur AVANT d'envisager l'incendie du Pavillon d'Or ? A vrai dire, l'idée du meurtre n'avait pas été absolument sans rôder dans ma tête ; mais son inefficacité m'était apparue sur l'heure. Car - je m'en rendais bien compte - même si le coup réussissait, d'autres, avec le même crâne tondu de prêtre, la même pitoyable impuissance, continueraient de surgir sans fin de l'horizon ténébreux.
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- Si j'ai pu supporter L'état, je pourrais supporter ça, comment a-t-elle en marchant avec assurance qui pouvait être factice. Je commence à me rendre compte que ce n'est pas leur souffrance qui me freine. C'est mon envie de les aider.



Page 405 (Pocket - janvier 2023)
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Mate se rend dans le centre du bourg. Il va à l’église, mais elle est fermée. Il fait le tour des cafés. C’est dimanche, il fait chaud, et tous les habitants sont assis aux terrasses. Les marins en congé, les étudiants en vacances, les gars du coin derrière leurs Ray-ban, les employés et les chômeurs, tout le monde est là, à se prélasser comme des lézards dans la chaleur, tout en discutant politique et en dégustant un café serré. Elle seule n’est pas là. Silva n’est nulle part.

Finalement, Mate se dirige vers le seul endroit où il pourrait encore la trouver : la boulangerie du père d’Adrijan. C’est l’après-midi et la boulangerie est fermée. Il passe par la cour et trouve le vieux Lekaj à la poursuite d’un rêve sous le figuier après sa nuit de labeur. Il le salue depuis la porte et le vieux Lekaj lui répond par un marmonnement ensommeillé. Il traverse la cour et entre dans la maison.

À peine aperçoit-il Adrijan, Mate sait que Silva n’est pas avec lui. Il le trouve affalé sur le canapé. Il est nu jusqu’à la taille, vêtu d’un simple short Adidas. Il regarde un match de la ligue italienne de football à la télévision. Quand Mate entre dans la pièce, Adrijan le regarde avec étonnement.

Mate demande à Adrijan où est Silva, et une expression de gêne se dessine sur le visage du garçon.

Il ne sait pas où elle est. C’est vrai, dit-il, ils étaient ensemble hier soir. Oui, ils ont dansé jusqu’à onze heures. Et Silva a proposé, aux alentours de onze heures, qu’ils aillent faire un tour à l’écart. C’est comme ça qu’il a dit, faire un tour à l’écart, et il est visiblement très embarrassé. Oui, dit-il, ils sont restés ensemble jusque vers une heure. Ils ont été au cap de la Croix. Là-haut, sur la butte, au-dessus de la citerne.

Ils étaient sur le belvédère, au niveau de la grande croix. À l’endroit – l’un et l’autre le savent – fréquenté par des générations de Mistaniens pour leurs ébats sexuels de contrebande. Mate – il se souvient de cela – s’est aussitôt senti submergé de honte. Parfois il ne comprend pas sa sœur.

– Quand vous êtes-vous quittés ? demande-t-il en essayant de rester détaché.

– Autour de minuit et demie, une heure. Silva a dit qu’elle devait rentrer, qu’il fallait qu’elle se dépêche.

– Qu’elle se dépêche de rentrer à la maison ?

– Elle a dit qu’elle devait se lever tôt, car elle partait en voyage.

– Elle partait en voyage ? Où ça ? demande Mate.

– Je n’en sais rien, répond Adrijan. C’est plutôt tes parents et toi qui devriez le savoir.

Mate à cet instant pressent pour la première fois que quelque chose ne tourne pas rond. Alors qu’à la télévision, baissée à mi-volume, un journaliste sportif salue un but de la Fiorentina contre l’Inter, ou bien de l’Inter contre la Lazio, il éprouve pour la première fois une sensation de plomb dans son estomac. Le sentiment d’un malheur imminent.

Il quitte précipitamment la maison des Lekaj. Passe près de l’église et grimpe la rue qui mène chez eux. Entre en courant dans la maison. Trouve ses parents attablés dans la cuisine, qui attendent. Il ne leur dit pas un mot et file dans la chambre de Silva. Ouvre le tiroir de son bureau.

Dans le tiroir, il n’y a rien. Ni son porte-monnaie, ni son répertoire téléphonique, ni son passeport.

Il sait que Silva a une cachette. Il sait aussi qu’elle garde planqué l’argent qu’elle économise. Il se penche sous l’armoire et attrape une boîte en bois dans le double fond d’un tiroir. Il l’ouvre.

La boîte est vide. Il n’y a dedans ni argent ni rien d’autre.

Il retourne dans la cuisine. Il s’assoit à la table. Et il dit une phrase. Il la dit le plus calmement possible, pour ne pas susciter plus de panique. Il dit à ses parents qu’il pense qu’il faudrait appeler la police.
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Ce matin-là, ils n’ont pas été particulièrement inquiets. Aujourd’hui, ça paraît horrible aux yeux de Mate, mais il sait que c’est la vérité vraie. Ni sa mère, ni son père, ni lui ne se sont inquiétés.

Silva n’est pas là – elle a dormi ailleurs, ou bien elle est sortie tôt, ou bien elle est restée plantée quelque part hier soir. Mais elle va rentrer. Rien de mal n’a pu arriver. Car on n’est pas dans une métropole américaine , il n’y a pas de kidnappeur ici, pas de braqueur, pas de tueur en série. On est à Misto, et à Misto il n’est jamais rien arrivé à personne.

Mate se lève, prend sa douche, puis sa mère lui demande – à peine un soupçon de préoccupation dans la voix – s’il sait où est sa sœur. Mate lui dit ce qu’il sait. Elle est allée à la fête des pêcheurs hier soir, tout comme lui. Il y avait un groupe qui a joué, puis DJ Robi a passé de la musique après le concert. Silva a dansé. C’est à ce moment qu’il l’a vue pour la dernière fois : elle dansait, il était autour de onze heures.

Voilà ce que Mate a dit à sa mère. Mais il ne lui dit pas tout. Il ne lui dit pas qu’il a quitté la fête à onze heures avec une petite bande car ils avaient des bouteilles de Stock 84 et de la bonne herbe. Il ne lui dit pas qu’il a passé le reste de la nuit sur le rivage, en bas de la crique de Travna, à essayer de séduire une fille de Novi Sad qui parlait avec l’accent traînant et charmant de par chez elle. Il ne lui dit pas qu’outre quelques joints il s’est enfilé presque un litre de Stock et que le cognac italien lui cause maintenant un mal de crâne mortel.

Il ne dit pas non plus à sa mère qu’à onze heures, quand il a quitté la fête, il a vu Silva qui dansait avec Adrijan Lekaj, le fils du boulanger. Ni que Silva a demandé à DJ Robi de passer Red Red Wine de UB 40, une fois, puis deux fois, et qu’au moment où lui est parti, elle se trémoussait entre les bras d’Adrijan au rythme lent du reggae. Silva n’aurait pas rapporté à ses vieux les exploits de son frère. De même pour lui, il n’est pas question qu’il aille raconter ceux de sa sœur.

Sa mère l’écoute, secoue la tête d’un air désapprobateur, puis elle retourne dans la cuisine et commence à éplucher les pommes de terre. « Elle doit être chez Brane. Elle va arriver », dit Jakov. Après quoi il redescend dans son atelier, parfaitement insouciant, parfaitement détendu.

Les cent dix minutes suivantes, Jakov les passe dans son atelier, affairé à ses activités de radioamateur. Vesna met au four un poulet avec les pommes de terre puis s’assoit à la table de la cuisine et entreprend de lire le journal dominical. Mate avale discrètement un cachet contre le mal de crâne et se retire dans sa chambre – les volets maintenant tirés – en attendant que la douleur disparaisse. Quand il se réveille, la migraine n’est plus là. Il regarde sa montre : il est une heure et quart.

À une heure et demie, il retourne dans la cuisine. Le déjeuner est servi. Les assiettes, la salade, la bouteille de vin blanc sont disposées sur la table et le poulet embaume dans le four. Mais Silva n’est pas là. Mate se souvient de ce moment : pour la première fois il est inquiet, rien qu’un tout petit peu.

À deux heures et quart, Silva n’est toujours pas là. Vesna se tient contre le frigidaire, la répréhension et l’exaspération se lisent sur son visage. Le père est debout à côté de la table où sont disposés les verres et les assiettes et il jette des coups d’œil à la pendule au mur avec sa grande aiguille qui s’approche du quatre. Finalement, à deux heures vingt, il dit : « Mate, va faire un tour au village. Va voir où elle est passée. »

« Mate, va la chercher », dit le père, à deux heures vingt, le 24 septembre 1989.

Mate ne le savait pas. Maintenant il le sait : ce jour-là, à cette heure-là, c’est dans sa vie le commencement des recherches.
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Ce qui va suivre, Vesna s’en souvient comme un film qu’elle va dérouler dans sa tête un millier de fois. Elle se souvient d’elle-même en train de faire la vaisselle dans l’évier. De Mate qui secoue la nappe, balaie les miettes sur le sol. De Jakov assis à table, absorbé dans les mots fléchés du Slobodna Dalmacija. Pendant que Jakov résout sa grille, Silva s’en va dans sa chambre. Elle revient, habillée pour sortir. Vesna se souvient exactement comment elle est vêtue. Elle la voit encore aujourd’hui, comme si Silva était là devant elle : une robe très courte avec un motif à fleurs, des baskets montantes rouges, un large sac en bandoulière. Sous le bras, un imper rouge. Car c’est l’été indien et les nuits en bord de mer peuvent être frisquettes.

Et voilà l’instant. Silva est près de la porte, dans sa robe à fleurs, ses baskets aux pieds. Elle se tient debout, comme si elle attendait qu’on l’applaudisse, et prononce trois mots brefs. Elle dit : « J’y vais. »

– Tu sors avec qui ? demande Jakov. Avec Brane ?

– Non, répond Silva, pas aujourd’hui. Il n’est pas là, il est à Rijeka, pour s’inscrire à la fac nautique. Il rentre demain.

– Et tu vas où ? demande son père.

– En bas, dans la baie, je vais à la fête, répond-elle. Ne m’attendez pas, je rentrerai tard.

– Fais attention à toi, lui dit Jakov.

Il a dit à sa fille de faire attention à elle, et aujourd’hui encore Vesna se demande pourquoi il lui a dit ça.

Silva rajuste une bretelle, relève son sac, puis dit très vite et négligemment : « Allez, salut. » Puis elle franchit la porte, rapide et silencieuse comme le zéphyr.

Elle sort et Jakov n’y prête aucune attention. Pendant que sa fille s’en va, il est assis à table, plongé dans ses mots fléchés, il ne lève pas la tête. Pendant que sa fille s’en va, Vesna s’emploie à essuyer les assiettes avec un torchon. Même aujourd’hui elle ne sait pas si elle lui a adressé un regard. Elle est presque sûre qu’elle n’a pas répondu à son salut.

Parce que, alors, elle ne pouvait pas savoir. Maintenant, elle sait. Cet instant où Silva a dit Allez, salut et fait virevolter sa robe vers la sortie, c’est la dernière fois qu’ils l’ont vue.
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Docteure, vous savez, il était une fois un mille-pattes dont le physique fascinait tout le monde. Une démarche chaloupée, séduisante, il dansait très bien. Un jour ils lui demandèrent: comment vous vous y prenez pour obtenir ce joli déhanché ? Vous levez d'abord la septième patte de droite, puis la quatorzième de gauche ? Ensuite la sixième à droite, puis vous posez la trente-sixième de la rangée de gauche? Or le mille-pattes ne s'était jamais posé la question. Quand il se remit en marche ce jour-là, poussé par la curiosité, il chercha à comprendre quelle patte il levait à quel moment. Il se mit à les remuer de concert, et hop, à sa propre stupéfaction, fini la danse, il marchait désormais tout droit devant lui.
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Dans l'histoire de l'humanité, disait-il, il y a en tout et pour tout trois grandes inventions. La première, c'est l'horloge. Grâce à elle, nous avons découvert l'instant présent, aux dépens des deux termes que sont la naissance et la mort. L'horloge n'a ni passé ni futur. Or, ce sont les deux obstacles qui nous empêchent de ressentir pleinement la vie. Et, pourtant, bien que l'horloge nous l'enseigne, nous avons du mal à nous y habituer, nos âmes encore ne sont pas faites pour le tour des heures. C'est ce que m'a dit mon grand-père le jour où il m'a offert ma première montre, avec ordre de ne jamais oublier ceci : apprends la valeur de l'instant présent, le reste ne t'appartient pas, ne gâche pas ta vie pour ce sur quoi tu n'as aucune prise. Mais, ce jour-là, je n'avais d'yeux que pour ma nouvelle montre, la première, et je n'ai pas prêté beaucoup d'attention aux paroles du grand-père. C'était une montre ordinaire, mais belle comme un bijou. Ensuite, disait mon grand-père, la deuxième grande invention, c'est le miroir. Car il y a un monde à l'extérieur du miroir, et un autre à l'intérieur.

Et lorsqu'ils se rencontrent, les deux ne font plus qu'un.

Au premier regard, le miroir semble un verrou; au second, il devient la clef. Il est la source de toutes nos peurs et de toutes nos hardiesses. L'être humain doit vivre en ayant toujours à l'esprit que un et deux ne font qu'un, quoique n'étant pas une seule et même chose ; et ne pas oublier que cela, l'identité dans la différence, c'est le miroir qui nous l'enseigne. Enfin bon, si mon grand-père élevait le miroir, cet objet ordinaire, au rang d'une invention presque aussi miraculeuse que l'horloge, je crois surtout que c'est parce qu'il était tombé amoureux de ma grand-mère dans la miroiterie où elle était employée.
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Chaque chiffre passe dans le câble du téléphone, traverse le mur et s'enfonce dans les souterrains humides de la ville pour se frayer un chemin parmi des milliers d'autres numéros avant d'atteindre l'autre appareil. Ça sonne.
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Afin d'évaluer un homme,

compare ses paroles avec ses actes.

Liu Xiang
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