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EAN : 9782370551610
465 pages
Le Tripode (14/06/2018)
4.13/5   599 notes
Résumé :
C'est mon histoire. Moi, Itzig Finkelstein alias Max Schulz, fils bâtard mais aryen pure souche, génocidaire nazi reconverti. En Juif, plus précisément. Une métamorphose. Un SS devenu barbier, en Israël ! Et sioniste fanatique par-dessus le marché. Ouais, installé en Terre promise comme chez moi, combattant pour la liberté du peuple élu. Voilà l'affaire. Mais laissez-moi vous raconter en détail.Né en Allemagne en 1926, Edgar Hilsenrath a connu les ghettos durant la ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (90) Voir plus Ajouter une critique
4,13

sur 599 notes
Critique compliquée.
C'est un livre remarquable, à l'intention quasiment impossible : parler de l'holocauste, puis du sionisme, sur le ton de la satire. Ecrit et publié dans les années 60/70, d'abord aux Etats-Unis, où il fait beaucoup parler de lui, avant de finalement sortir dans son pays d'origine, l'Allemagne, engageant le débat soufré de la représentation historique…
Le genre de discussion qui équivaut en terme de difficulté à tenter de traverser un labyrinthe yeux-bandées-mains-liées, le point Goodwin comme Minotaure…

En langue française, l'oeuvre d'Hilsenrath, ce livre en premier, a connu plusieurs publications (Fayard, Albin Michel) espacées dans le temps, avant que la maison Attila (puis le Tripode), décide d'en éditer l'oeuvre complète, prenant le parti d'en confier la ligne graphique à un illustrateur bien en vue, Henning Wagenbreth, et son esthétique entre jeux-vidéos « vintage » (si je vous avais dit « 8-Bits », j'aurais jargonné…) et une forme d'expressionnisme inquiétante, déclinant son art numérique le long de dix couvertures particulièrement voyantes.
Je reste très partagé sur celles-ci : réussies quant à leur caractère ambigüe, leur esthétique semble s'adresser trop directement à une génération bien loin d'avoir connu la guerre, glissant vers le fossé contemporain de l'anecdote… Tout comme le reste du bouquin, je me sens écartelé…

Car employer la satire pour conter l'inénarrable me semble à la fois formidable, mais extrêmement risqué. Je ne reviendrais pas sur le médusant sketch télévisé du rabbin-nazi par cet humoriste banni, moi qui pensait alors qu'il nous tentait une farce kaufmannienne (d'après Andy Kaufman, immortalisé par Miloš Forman dans son film « Man on the Moon »), son plus grand tort, autre que de ne pas être juif (cela aurait malheureusement presque tout changé… Quel débat impossible…), est de ne pas avoir été bien drôle…
Me voilà embarqué dans d'impossibles controverses, sans avoir encore parlé d' « humour juif », à supposer qu'une telle chose existe précisément… Désolé, j'abandonne pour le moment…

Moi d'ordinaire si friand d'ambiguïté, j'en reste ici paralysé, l'enjeu restant beaucoup trop grand. Il y a surtout un souci de temps historiques. A sa première parution, il offrait une excellente rampe d'ouverture au dialogue; de nos jours, il pourrait participer d'une forme de relativisme historique, dangereux si mal interprété.
Résumant bien l'inopérante dichotomie Bien / Mal de toute lecture historique (alors qu'on ne fait que cela…), il passe pourtant à côté du débat en refusant au lecteur toute réponse… sûrement parce qu'elles n'existent pas d'ailleurs… mais rien n'empêcherait d'en circonscrire quelques jalons…

Non, Hilsenrath nous balade sans cesse, dans une forme picaresque, jusqu'au doute permanent quant à la personnalité de son « héros », tour à tour simple suiveur agitant le fantôme d'Eichmann, aliéné halluciné, ou bien le Diable en personne ? C'est tout cela à la fois… c'est sûrement ce qu'il veut nous dire… de cette banalité omniprésente de la violence…

Voilà donc un bon gros paradoxe, un indispensable dont on se passerait bien, une possible pierre blanche de la littérature que les années auront recouvert de boue.
Il se peut également que cela soit juste un roman raté…
Sa forme initiale devait être épistolaire (l'éditeur en a ajouté des fragments en fin de livre)…
*Argl !*… j'abandonne, moi qui espère toujours que l'on puisse rire de tout…
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Le IIIe Reich vient de s'écrouler, le pays est sous l'occupation alliée. Un ancien SS, bourreau ayant participé à l'extermination de milliers de Juifs, Max Schulz, sait sa tête mise à prix, mais où se cacher ? Au coeur de ceux qu'il a persécuté. Il se fait couper le prépuce, pour être circoncis, et devient son ami d'enfance Itzig Finkelstein. Heureusement pour lui qu'il a le physique de l'emploi, qu'il l'avait accompagné à la synagogue quand il était petit et qu'il avait appris les rudiments du yiddish… Et tout cela sans vraiment démontrer du remords. Mais l'Allemagne n'est plus ce qu'elle était alors où aller ? Où vont les Juifs en 45-46 ? En Palestine ! Là, il épousera la cause de ses « semblables », le plus convaincu de tous, et se trouvera pris dans l'engrenage des conflits entre Juifs et Anglais, puis contre les Arabes. Jusqu'à la fin, sa vie n'aura été qu'un combat… Même contre lui-même, quand un chasseur de nazis commencera à tourner autour de lui. Je crois que ça résume assez bien le nazi et le barbier.

Edgar Hilsenrath présente ce moment triste et terrible de l'histoire humaine sous l'angle du bourreau. Audacieux et/ou ambitieux. Dans tous les cas, pari réussi. Max/Itzig a commis des gestes atroces et, pourtant, on ne le déteste pas. Certains diront qu'il n'a fait que suivre les ordres, il a cru à la propagande comme tant d'autres, qu'il n'en a jamais ressenti de plaisir à exterminer, etc. Mais cette indifférence… assez troublante. Ceci dit, la touche d'humour de l'auteur contre-balance assez bien. Même les pires actions, elles sont présentées de manière drôle, presque comme un burlesque. Je pense entre autres à cet officier anglais pendu au balcon du barbier. Et pour une fois que ce dernier n'était pas responsable… Pendant ma lecture, j'ai ri souvent (quand je n'étais pas assomé par l'épaisseur du bouquin). Mais je ne crois pas avoir beaucoup appris ni avoir été touché, transformé par ma lecture. Un moment de détente, c'est tout. Et parfois, c'est la seule chose dont on a besoin.
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Au bout de quelques pages, j'ai pensé arrêter : le narrateur, à peine expulsé du ventre de sa mère, est sodomisé par son beau-père, la parturiente ayant décliné les avances pressantes de son compagnon.
Oui mais bon, me suis-je demandé à moi-même, tu t'attendais à quoi? Pourquoi ouvrir un livre dont le titre comporte le mot honni de "nazi" si c'est pour jouer l'effarouchée à la première atrocité? Les nazis ont tué six millions de Juifs, tu le sais, alors pourquoi lire un énième roman sur la Shoah? Par besoin de consolation? Pour recevoir de la Sainte Littérature ta dose quotidienne d'art lénifiant, la solution finale c'est mal mais d'abord c'est fini ensuite le monde est rempli de fleurs et d"histoires pleines d'espérance pour voir le bon côté des choses?
Bref, j'ai poursuivi ma lecture en songeant que mon écoeurement naissait non seulement de l'horreur mais de ce qu'elle pouvait préfigurer comme culture de l'excuse: le narrateur est peut-être un monstre mais comment ne pas devenir nazi quand on a été soi-même une victime?
Alors, s'il est vrai que tenter de comprendre l'origine du mal est une de mes obsessions de lectrice, j'ai passé l'âge de m'intéresser à la pédagogie noire, aux théories de Marie Balmary et aux souffrances de Rudolf Hoss, le génocidaire mal aimé par son pôpa dans "La Mort est mon métier".
Justement, ça tombait bien, parce que la suite me prouva que le propos de Hilsenrath n'était absolument pas celui-là. Max Schulz a tué environ 10 000 Juifs, selon ses propres estimations, moins parce que les sévices reçus dans sa petite enfance l'auraient rendu psychopathe, que par conformité. Tel le Zelig de Woody Allen, Schulz se veut insignifiant parmi les insignifiants, mais uniquement ceux du genre vainqueur: nazi des années 30 à 1945, il devient juif quand il comprend que ce sont eux qui ont gagné la guerre puisque le monde entier est prêt à tout pour faire oublier son antisémitisme.
D'ailleurs, Schulz peut d'autant plus facilement devenir Finkelstein qu'il a tous les traits d'une caricature: lèvres molles, nez crochu, yeux protubérants, tel une quintessence du Juif fantasmé comme il n'en a jamais existé aucun. Et que fait un Juif majuscule après 1945? Il participe, bien sûr, à la création de l'Etat d'Israël.
Et c'est là que j'ai vraiment un problème avec ce livre: qu'est-ce qu'il fait qu'il tient debout? Ou, plus exactement, est-ce qu'il tient debout tout seul? Puis-je véritablement le lire sans rien savoir de son auteur? Si Hilsenrath n'était pas un Juif allemand échappé par miracle des ghettos ukrainiens, pourrais-je lire son livre comme la dénonciation d'un autre antisémitisme qui consiste à faire du Juif le parangon de la noble victime? Puis-je m'intéresser à une histoire qui raconte comment Israël existe grâce au génocide (sinon aux génocidaires) parce que cette histoire raconte à la fois la Shoah et l'épouvantable avantage qui en a résulté? Ou c'est uniquement parce que je sais qui est Hilsenrath que je peux la lire au lieu de porter plainte pour antisémitisme aggravé ?
Ben là, je cale. Je ne parviens pas à savoir ce que je pense de ce roman sans me référer à son auteur. Serais-je capable d'en goûter l'ambiguïté (l'ambiguïté, c'est quand même ce qu'on attend d'abord de la littérature, non?) ? Ou cette ambiguïté n'existe-t-elle que par l'identité de l'auteur alors que le livre, limité à lui-même, ne développerait qu'une thèse insupportable?
Bon, vous avez 4 heures. Pendant ce temps, je vais relire "Les Bienveillantes".
(Euh, non, en fait)
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J'ai commencé à lire le Nazi et le Barbier, un peu de biais – avec une méfiance de principe pour les livres autour de la seconde guerre mondiale et de la Shoah, dont la fascination et les polémiques m'apparaissent le plus souvent, au mieux, morbide. C'est, selon moi, un sujet délicat qui nécessite une approche prudente et humaniste, par respect pour ses victimes – comme en physique moderne, j'énoncerais une théorie de la relativité historique qui stipule que tout génocide (et ça ne manque pas dans la tragique histoire humaine) distord le continuum moral et interdit la référencialité directe, d'évènement à évènement – les modalités d'un génocide se déplacent plus vite que la lumière morale de notre esprit, ergo, nous ne pouvons pas l'atteindre. Je précise que la relativité, en physique, ne stipule pas que tous les évènements sont bêtement relatifs les uns aux autres, elle stipule que chaque évènement dispose de son propre référentiel.

Et puis, les quelques premières pages m'ont d'abord un peu rebutées – une écriture hâtive (ou, après réflexion, qui semble l'être), des phrases à l'emporte-pièce, un usage modérée mais régulier des majuscules que je tiens généralement pour embarrassant, ont failli me dissuader, l'espace de quelques poignées de seconde, peut-être une minute, ou deux…

Et puis je ne l'ai plus lâché.

Je ne saurais dire comment ce livre m'a touché. Hilsenrath ne joue d'aucune corde primaire. Pas de pamphlet, de sentimentalisme, d'héroisme, de haine, ni même de violence ; pas d'atmosphère oppressante, de critique sociale ou politique, d'explications ou de rationalisation : juste une autobiographie, écrite très simplement, crûment, directe mais sans obscénité, avec un humour rageur, décalé, sombre et joyeux. L'histoire d'un jeune Allemand, un peu misérable, pas vraiment fêlé mais un peu abîmé, dont le meilleur ami est un voisin, lequel est Juif. Hitler passe par là. Enthousiasmé par la rhétorique et la propagande nazi qui cristallise ses frustations, cet Allemand va devenir SA, puis SS, affecté dans un camp de concentration. Pendant la débâcle allemande, son armée vaincue, recherché car génocidaire et parfaitement conscient de l'être (coupant ainsi court aux atermoiements : je ne savais pas, j'étais loin d'imaginer que …) , Max Schulz conçoit son salut en se faisant passer pour Juif – et l'incarne si bien qu'il devient, avec passion et obstination, un modèle pour ses pairs migrants.

Est-ce l'expression d'un talent pour le mimétisme, aiguillonné par les impératifs de sa survie, ou une véritable conversion ? L'auteur, comme pour beaucoup de questions qui peuvent surgir dans l'esprit du lecteur, ne donne pas de réponse. Il raconte son histoire. D'ailleurs, il est probable que chacun y puisera ses propres interrogations : comment pourrait-il, à l'avance, de son écriture agile et factuelle, répondre à toutes ?

Ce roman n'est pas un polar, qui utiliserait ce ressort pour créer une atmosphère d'espionnage tenant tenir le lecteur en haleine avec cette question : parviendra-t-on à démasquer le monstre ? Ce n'est pas tout à fait un roman historique non plus, même si l'auteur a bien connu cette période, pour avoir été lui-même prisonnier du ghetto roumain de Mogilev-Podolsk de 1941 à 1944, libéré par les troupe Russes, avant de gagner la Palestine. Ce n'est pas un roman d'édification, censé donner au lecteur des clés, des points de compréhension, afin de l'éduquer et éviter que l'Histoire ne se répète. C'est l'itinéraire complexe d'un homme simple pendant une période endommagée, qui s'étire des préludes de la seconde guerre mondiale à la naissance d'Israël. C'est une histoire de frustrations et d'opportunisme, aux accents surréalistes, relatée avec une distance et une forme d'humour, parfois grinçant, parfois décalé, souvent poétique, qui rend possible l'identification, a priori pourtant impossible, avec le personnage principal. C'est un véritable tour de force, dont je ne saurais tirer aucune morale, puisqu'il me semble qu'elle n'en comporte aucune. Pas de condamnation, pas d'appel ou de conclusion éclairante. Juste une histoire, plausible, dans l'Histoire, qui raconte que ce genre de choses, ça arrive. C'est comme ça.
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A l'heure où la mort vient frapper à sa porte, il est temps pour Itzig Finkelstein de rendre des comptes, de raconter comment ce rescapé des camps de la mort, ce sioniste de la première heure, ce bon mari et père, ce coiffeur bien établi, ce héros de la guerre civile de 1947, de la guerre israëlo-arabe de 1948, bref comment ce bon juif, bien sous tous rapports est né Max Schulz, un aryen pur souche qui a usé du plus machiavélique des stratagèmes pour sauver sa peau de nazi.

Peut-on rire de tout ? Oui ! répond Edgar Hilsenrath.
Oui, on peut rire de la Shoah. Rire pour ne pas pleurer. Rire pour prouver qu'on a survécu, qu'on est toujours debout, qu'on est plus fort que la haine.
Alors pour raconter Hitler, le nazisme, les camps, pour évoquer la naissance d'Israël, les kibboutz, la cohabitation difficiles avec les voisins arabes, Hilsenrath a choisi le cynisme, l'humour noir, l'absurde, et un ‘'héros'' débrouillard, tour à tour nazi et juif.
Max Schulz est un Allemand pure souche. Son foyer n'est pas des plus aimants, sa mère se prostitue, il voit défiler les beaux-pères. Pour fuir cette ambiance malsaine, il se réfugie chez son ami Itzig Finkelstein qui grandit dans une famille juive traditionnelle.
Entraîné par la folie du national-socialisme, Max commet le pire pendant la seconde guerre mondiale et, quand le vent tourne, il va se servir de cette amitié reniée depuis belle lurette. Max a suffisamment fréquenté la famille Finkelstein pour connaître les rites, la langue, les habitudes des juifs. Alors qu'Itzig était blond comme les blés, Max souffrait d'un physique sémite qui l'a longtemps desservi. Désormais, il va mettre en avant ses cheveux noirs et son nez crochu pour se faire passer pour juif, fuir l'Europe et trouver refuge en Palestine. Là-bas, il devient un fanatique sioniste et nul ne conteste sa judaïté.
C'est là tout l'art de l'auteur qui montre le grotesque des préjugés raciaux et se joue de la victimisation des juifs. Son esprit critique et son cynisme frappe les Allemands aussi bien que les sionistes, disséquant les mauvais penchants de chacun des deux camps.
Le nazi est le barbier est une oeuvre riche et originale qui offre bien des perspectives de réflexion. Elle étonne, elle secoue, elle dérange, elle choque, elle fait rire jaune et, surtout, elle est une mine de renseignements sur la création de l'Etat d'Israël. En ces temps troublés, c'est une piqure de rappels des erreurs du passé et de décisions prises dans l'urgence dont les conséquences sont encore présentes aujourd'hui. A découvrir absolument.
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critiques presse (1)
Telerama
13 mars 2019
Difficile de nier que ce roman, parmi les huit traduits en français, est sinon le plus insolent et le plus audacieux, du moins celui qui donne le ton d’une œuvre.
Lire la critique sur le site : Telerama
Citations et extraits (65) Voir plus Ajouter une citation
Là-bas il y avait une salle de tribunal. Où se tenait un procès. Le procès de Max Schulz.

Debout devant mon juge. Debout devant Lui, l'Unique et L’Éternel.
Et l'Unique et L’Éternel demande : "Es-tu le génocidaire Max Schulz ?"
Et je dis : "Oui je suis le génocidaire Max Schulz."
- Es-tu circoncis ?
- Non je ne suis pas circoncis. Le petit bout de peau a repoussé. En chemin. En venant ici.
- As-tu le cœur d'un rabbin ?
- Non. Il est tombé. En chemin. En venant ici. J'ai retrouvé mon propre cœur.
- Où est ton faux tatouage d'Auschwitz ?
- Disparu.
- Ton tatouage SS ?
- Revenu. Là ou il y avait la cicatrice.
- Es-tu réellement le génocidaire Max Schulz ?
- Je suis réellement le génocidaire Max Schulz.

Et l'Unique et L’Éternel demande : "Coupable ? "
Et je dis : "J'ai suivi le courant. J'ai juste suivi le courant. Comme d'autres. A l'époque c'était légal.
- C'est là ta seule excuse ?
- Ma seule excuse.
- Et ton plafond fêlé ?
- Pas de plafond fêlé.
- Coupable ?
- Coupable.
- Veux-tu que justice soit faite ?
- Oui. Que justice soit faite. Moi, Max Schulz, j’attends la juste sentence d'un juste."
Et l'Unique et L’Éternel proclame d'une voix de stentor : " Ainsi je te condamne !"
Mais moi, je dis : "Minute! Faut d'abord que je te demande un truc.
Et l'Unique et Éternel dit : "Demande. Mais fais vite."

- T'étais où ? A l'époque ?
- Comment ça .. à l'époque ?
- A l'époque .. pendant la mise à mort.
- De quoi parles-tu ?
- La mise à mort des sans-défense.
- Quand ça ?
- A l'époque ! "
Je demande : "Tu dormais ? "
Et l'Unique et L’Éternel dit : " Je ne dors jamais !

- T'étais où ?
- Quand ça ?
- A l'époque.
- A l'époque ?
- Si tu ne dormais pas, t'étais où alors ?
- Ici !
- Ici ?
- Ici !


- Et tu faisais quoi si tu ne dormais pas ?
- A l'époque ?
- Oui. A l'époque."


Et l'Unique et L’Éternel dit : " J'ai été spectateur."
- Spectateur ? C'est tout ?
- Oui, spectateur, c'est tout.

- Alors ta faute est plus grande que la mienne, je dis.Et si il en est ainsi, tu ne peux pas être mon juge.
- Très juste, dit l'Unique et L’Éternel. Je ne peux pas être ton juge.
- Très juste ! "
L'Unique et L’Éternel dit : "Très juste.".
Je demande : " On fait quoi maintenant ?
- On fait quoi ?
- On a un problème ! "
L'Unique et L’Éternel dit : "Oui. On a un problème."

Et L'Unique et L’Éternel descendit de sa chaise de juge et se plaça à mes côtés.

Nous attendons. Tout les deux. La juste sentence. Mais qui pourrait la prononcer ?
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À cette époque-là, je n'étais encore qu'un petit poisson. Je m'étais vendu au diable. Avec mes bottes et mon uniforme, je m'étais accroché à la roue de l'Histoire, mais je ne pesais pas lourd. Qu'est-ce qu'un petit poisson ? Qu'est-ce qu'un uniforme ? Et qu'est-ce qu'une paire de bottes ? Mais les millions de petits poissons, avec ou sans uniforme, avec ou sans bottes, tous ces petits poissons qui à l'époque ont dit OUI et qui comme moi se sont accrochés à la roue de la fortune... Ce sont eux qui l'ont mise en mouvement.
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Mon sergent a vidé sa bière, repoussé sa casquette à tête de mort et lissé ses cheveux trempés de sueur. « Vous ne trouvez pas, Max Schulz, il a dit d’un air finaud, qu’il est grand temps de virer les commerces juifs des rues Goethe et Schiller – je veux dire par là : d’aryaniser le commerce ?
— Grand temps, sergent, j’ai dit.
— C’est pas pour dire, mais ces rues portent les noms de poètes et de penseurs allemands, a dit Franz Revêche.
— Ça s’arrose, sergent », j’ai dit.
Franz Revêche a hoché la tête, vidé sa bière, en a repris une autre et l’a vidée aussitôt. Pendant un moment on s’est regardés en silence. Franz Revêche a recommandé des bières. Et puis encore des bières. Sa soif semblait inextinguible. À un moment il s’est levé et il est sorti en titubant. Quand il est revenu, il m’a gueulé dessus, complètement bourré : « Dites-moi, elles sont comment déjà les maisons rue Goethe et Schiller ?
— Infestées de punaises, j’ai dit.
— Rien à foutre, a dit Franz Revêche en se rasseyant. Cul aryen, punaise ne craint.
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Madame Holle voulut continuer son chemin, mais le garçon ajouta :
«vous savez, ils reviennent des camps.
- Tu veux dire... ceux qui... il en reste ?
- Oui, dit le garçon. Vous avez lu les journaux ?
- Je ne lis pas les journaux, dit Madame Holle. C'est rien que des bobards.
- Six millions de Juifs assassinés, dit le garçon.
- Des bobards, Willy», dit Madame Holle.
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— Y a juste ton nom qui cloche, a dit ma mère. Tu devrais le changer.
— On s'en fout du nom, a dit Slavitzki. Ce qui compte, c'est le sang et la foi. Je suis pas un Polack.
— T'es quoi, alors ? a demandé ma mère.
— Un vrai Allemand, aryen pur et dur, a dit Slavitzki. Mes ancêtres étaient des Allemands de l'étranger, d'où le nom polonisé.
— Ah bon, je savais pas, a dit ma mère. Pourquoi tu m'en a jamais parlé ?
— Parce que je suis pas un vantard, moi.
— Et t'as des preuves… pour tes ancêtres, tout ça ? a demandé ma mère. T'as un arbre généalogique certifié conforme ?
— Rien du tout, a dit Slavitzki, mais je suis prêt à prouver ma mauvaise foi, et la mauvaise foi d'un Allemand, c'est du costaud.
— Oui, a dit ma mère, bien dit !
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Videos de Edgar Hilsenrath (7) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Edgar Hilsenrath
Edgar Hilsenrath : Entretien avec Antoine Spire (1994 - Mémoires du siècle / France Culture). Par Antoine Spire. Réalisation : Isabelle Mezil. Diffusion sur France Culture le 1er septembre 1994. Edgar Hilsenrath, né le 2 avril 1926 à Leipzig (Saxe, Allemagne) et mort le 30 décembre 2018 à Wittlich (Rhénanie-Palatinat, Allemagne), est un écrivain allemand, connu avant tout pour ses romans "Nuit" ("Nacht", 1964), "Le Nazi et le Barbier" ("Der Nazi & der Friseur", 1977) et "Le Conte de la pensée dernière" ("Das Märchen vom letzten Gedanken", 1989). Depuis son premier roman "Nuit", dans lequel Edgar Hilsenrath relate avec un réalisme cruel son expérience en tant que survivant du ghetto, il prend l'Holocauste comme thème central sans jamais porter une seule accusation directe ni dépeindre les criminels et les victimes en noir et blanc, le but de son œuvre entière étant d'écrire contre l'oubli. En revanche, dans le reste de son œuvre, il est passé à des formes d'expression plus vigoureuses, qui tiennent le lecteur à distance, comme la satire, le grotesque ou le conte. À propos de son roman "Le Nazi et le Barbier", le magazine "Der Spiegel" écrit: « ... une satire sur les juifs et les SS. Un roman picaresque, grotesque, étrange et parfois d'une cruelle sobriété qui évoque avec humour noir une sombre époque. » L'histoire met en scène un Allemand dénommé Max Schulz qui participe allègrement à la furie meurtrière de ses compatriotes après avoir rejoint la SS puis, après la défaite, usurpe l'identité de son ami d'enfance, Itzig Filkenstein, se rend en Israël et devient un sioniste fanatique... Le livre, écrit en 1968-1969, n'est publié en Allemagne qu'après avoir été publié en 1971 avec succès aux États-Unis dans la traduction anglaise sous le titre "The Nazi and the Barber. A Tale of Vengeance". Après que le manuscrit a été refusé par plus de 60 maisons d'édition allemandes, il paraît enfin dans les derniers jours d'août 1977 chez un petit éditeur de Cologne, Helmut Braun. La première édition (10 000 exemplaires) est vite épuisée, deux autres suivirent rapidement. Dans le roman "Le Conte de la dernière pensée", paru en 1989 et pour lequel Hilsenrath reçoit le Prix Alfred Döblin, l'auteur s'attaque au problème du souvenir et du récit historique. En décrivant le génocide arménien et en le comparant à la Shoah, il s'élève contre toute forme de violence faite à un peuple et met en garde contre l'oubli. La forme du conte, choisie par l'auteur pour s'attaquer au mensonge, signifie également que l'histoire racontée n'a plus de témoins. Dans beaucoup de livres d'Hilsenrath, émergent nettement des traits autobiographiques, qui sont cependant habituellement repris sous forme de fiction. Son ouvrage autobiographique le moins romancé est paru en 1997 sous le titre "Les Aventures de Ruben Jablonski" ("Die Abenteuer des Ruben Jablonski").
Sources : France Culture et Wikipédia
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