En lisant
Tourgueniev de
William Trevor j'ai rencontré
Marie Louise, une jeune fille protestante à la lisière du monde et de celle d'une communauté catholique provinciale. le cadre: l'Irlande encore figée du début des années 50 mais montrant des signes avant-coureurs de changement.
Mais qui est
Marie Louise? Qu'attend-elle au bord du gouffre et comment en est-elle arrivée là ?
Dans un récit alternant les temporalités, nous découvrons l'histoire de Marie Louise Dallon.
Marie Louise, adulte, recluse dans un asile dans les années 80 dont la fermeture est imminente, cohabitant avec une douzaine de femmes, une sororité en marge.
Marie Louise jeune femme en devenir dans la petite ferme familiale, rêvant de vivre en ville, à la recherche de l'époux idéal.
Un récit où la vie de l'héroïne, au-delà de ses propres souvenirs, est mise en lumière par le biais de ses proches, sa famille, Mrs Mullover l'institutrice à la retraite toujours soucieuse des ses anciens élèves, le révérend, mais aussi obscurcie par le regard de ses belles soeurs jalouses, malveillantes, de vielles filles frustrées, maniaques et acariâtres avec qui
Marie Louise doit partager son quotidien depuis qu'elle a épousé leur frère Elmer Quarry, un drapier protestant de la bourgade, et qu'elle s'est installée dans leur maison familiale rivée au commerce du rez de chaussée, outil de travail de toute la famille. Ainsi sous nos yeux peu à peu un tableau prend vie animé par autant de voix que de personnages.
Très vite l'émancipation de
Marie Louise tourne aux désillusions, au cauchemar et elle comprend que cette union avec un homme bien plus âgé qu'elle, un commerçant, est une erreur. Mariage de raison, mariage de convenance mais non mariage d'amour. Isolée,
Marie Louise se replie sur elle même alors qu' Elmer est aspiré dans une sombre spirale. Deux êtres noyés dans leur propre solitude, sans aucun confident, lui trouvant réconfort dans la boisson, elle dans un monde parallèle papier buvard de sa désespérance.
Alors que
Marie Louise attend dans un univers qu'elle a recréé loin des contingences du monde réel elle s'évade et s'accomplit dans une relation amoureuse esquissée dans sa jeunesse en ressassant et en lisant
Tourgueniev… Une ouverture rendue possible par le fruit du hasard, une retrouvaille inattendue avec Robert, un cousin perdu de vue qui ranime sa flamme... « le hasard à son mot à dire » se plaît à souligner
William Trevor.
William Trevor a su m'absorber et m'entraîner dans les tourments, les difficultés de vivre de deux êtres que tout oppose et le bonheur de deux êtres qui se complètent. L'écriture et la finesse des analyses psychologiques permettent une immersion entière et rendent les personnages intimes. En filigrane se dessine les changements d'une société en pleine transition qui relâche peu à peu ses brides comportementales où deviennent envisageables les mariages mixtes entre Protestants et Catholiques. Aliénation et frustration sont ici évoquées avec une grande humanité et sensibilité mais une certaine tristesse se dégage à deviner ses vies sous clés, écartées de la société, de leur famille pour leurs comportements incompréhensibles ou dérangeants, les « timbrées », les mélancoliques. A travers
Marie Louise,
William Trevor nous suggère que lorsque le monde réel devient cruel et insupportable, le rêve peut devenir refuge et l'imagination consolation. “Je m'intéresse aux ‘désaxés temporaires‘, parce qu'ils sont un miroir possible pour chacun de nous” une confidence de
William Trevor qui prend du sens dans En lisant
Tourgueniev.
En lisant
Tourgueniev j'ai découvert l'univers de
William Trevor (1928-2016) et j'ai été heureuse de partager les chemins de vie d'êtres en souffrance, des vies bouleversées et, parcourir la campagne irlandaise avec ses lieux cachés et oubliés lors des escapades en vélo de
Marie Louise.
En lisant
Tourgueniev forme un diptyque avec
Ma maison en Ombrie, l'ensemble ayant été publié en anglais sous le titre générique Two Lives. Un titre déniché en papillonnant dans les rayons de la librairie d'une recyclerie. Un hasard heureux. Un univers à redécouvrir.