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Anonyme (Éditeur scientifique)Jamel-Eddine Bencheikh (Éditeur scientifique)
EAN : 9782070114030
1312 pages
Gallimard (13/05/2005)
4.22/5   43 notes
Résumé :
Au fil des contes imaginés ici par la belle Schéhérazade (on Chahrazade), c'est la face cachée d'un monde qui se révèle à nous : où la respectabilité se laisse vite bousculer, où la passion parle haut et clair.

Le lieu et l'époque (le monde musulman au début du XIIIe siècle) sont il est vrai le théâtre de bien des crises : pouvoir contesté, menaces aux frontières, désordres dans la rue comme dans l'intimité des demeures...

La femme; mil... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Pouvait-il en être autrement ? Pouvais-je décemment passer à côté d'une occasion pareille sans la saisir ? Non ma bonne dame, certainement pas mon bon monsieur. Ma mille et unième critique ne pouvait convenir qu'à cette oeuvre, particulière parmi toutes.

Je tiens tout d'abord et avant tout, à saluer l'extraordinaire contribution du traducteur René R. Khawam pour le remarquable travail de recherche et d'intelligibilité qu'il donne à ce texte, le seul en français et l'un des tout premiers au monde à ne s'appuyer que sur les manuscrits originaux du moyen-âge (XIIè-XIIIè siècles) et non sur des versions plus récentes passablement remaniées et/ou édulcorées.

Je l'avais déjà mentionné pour sa traduction de Sindbad le Marin (texte plus ancien de presque quatre siècles par rapport à celui des Mille Et Une Nuits) mais c'est encore plus marquant ici. Les notes en bas de page sont parfaites ; elles n'interviennent que quand nécessaire et apportent une information claire et pertinente (sur un personnage historique, sur un lieu ou sur une coutume). Sa présentation (soit en édition pocket, soit désormais chez Phébus) vaut elle aussi le détour, car, tout bien pesé, l'histoire de ce texte est presque aussi fantastique et alambiquée que les contes qui s'y trouvent.

Je ne souhaite pas rentrer dans le détail ni paraphraser René Khawam qui le dit bien mieux que moi mais Les Mille Et Une Nuits ont été littéralement " inventées ", sorties de l'oubli, exhumée au tout début du XVIIIème après des siècles d'assoupissement, à la manière du génie de la lampe merveilleuse d'Aladin (qui, précision importante, ne fait pas partie des Mille Et Unes Nuits, car composé à une époque différente, mais y a été adjoint, tout comme Sindbad le Marin ou Ali Baba Et Les Quarante Voleurs dans certaines éditions peu scrupuleuses, y compris cette toute première) par un remarquable orientaliste français du temps de Louis XIV, Antoine Galland.

Je vous passe les vicissitudes mais sachez toutefois que le texte des manuscrits est parfois assez cru, notamment sur la question du sexe et que, préciosité du moment et des mécènes oblige, le texte fut largement édulcoré. (Je l'ai d'ailleurs constaté à mes dépens, voulant lire cette version des Mille Et Unes Nuits à ma fille de sept ans, j'ai vite fait machine arrière en abordant certaines scènes torrides et/ou violentes.)

Ces versions " soft " ont eu pour effet de cantonner ce texte à l'univers enfantin, ce qui est selon moi un tort. René Khawam signale au surplus que " mille et un " en arabe signifie " beaucoup de " et que certaines éditions, désireuses de coller absolument au nombre probablement pour faciliter une lecture du soir vis-à-vis de la jeunesse se sont attachées à tronçonner ces contes et ces histoires emboitées pour tomber pile sur 1001 à la fin. Or, c'est une absurdité.

L'ensemble des contes se présente sous forme de quinze sous-ensembles de taille très variable, totalement indépendants les uns des autres. Chacun de ces ensembles peut être perçu comme une poupée gigogne recelant en son sein une ou plusieurs histoire(s) emboitée(s).

Ce tome 1 de l'édition de R. Khawam propose quatre de ces sous-ensembles : La Tisserande Des Nuits (en gros l'histoire de Shéhérazade, qui en fait devrait être nommée Chahrazade si l'on s'en tient à la dénomination originale), le Marchand Et le Djinn, le Pêcheur Et le Djinn et enfin, le Portefaix Et Les Dames. le sous-ensemble le plus copieux des quatre est le dernier, lequel donne principalement son titre à ce tome.

Dois-je vraiment vous dire que cette oeuvre est majeure et qu'elle a influencé à peu près tous les pans de l'art occidental moderne ? Je vais me limiter à trois exemples seulement, tous pris dans cet unique volume, pour vous montrer que je n'ai pas besoin de creuser très profondément pour vous en trouver.

Tout d'abord, souvenez-vous de votre jeunesse ou de la jeunesse de vos enfants (en fonction des générations) avec le fameux film de Walt Disney : Merlin L'Enchanteur. Eh bien sachez que la scène probablement la plus intéressante et la plus excitante du film, celle de la bataille de magie entre Merlin et la sorcière Madame Mim provient de l'Histoire du Deuxième Derviche Qalandar dans le sous-ensemble le Portefaix Et Les Dames.

Alors vous allez me dire que si l'oeuvre n'a influencé que Walt Disney, cela ne va pas bien loin, certes, mais écoutez plutôt ; le Nom de la Rose d'Umberto Eco, grande oeuvre de littérature pour adulte s'il en est et admirable film de Jean-Jacques Annaud, et bien ce Nom de la Rose a pour noeud de l'intrigue, pour clef de l'énigme (je ne vous précise pas laquelle au cas où vous n'auriez ni vu le film ni lu le roman) l'Histoire du Roi Des Grecs Et du Médecin Doubane dans le troisième sous-ensemble, le Pêcheur Et le Djinn. Umberto Eco n'a fait que prélever textuellement cet épisode lui qui écrit si bien dans ce roman : « Les livres parlent aux livres. »

Enfin, si vous êtes plus adepte de grande musique (qu'est-ce que ça veut dire grande musique ?), à tout le moins de musique classique, sachez encore que le poème symphonique de Rimsky-Korsakov intitulé Shéhérazade puise abondamment dans ce tome, bien évidemment le thème même de Shéhérazade (Chahrazade) mais aussi et surtout celui du Prince Kalender qui provient quant à lui de l'Histoire du Troisième Derviche Qalandar dans le sous-ensemble le Portefaix Et Les Dames. (Au passage notez la déformation de Kalender, qui devient ici un nom alors que la désignation de qalandar, adjectif associé au mot derviche donne normalement une précision sur le type de derviche ; ici, il s'agit de derviches qui se rasaient entièrement le visage, cheveux et barbes évidemment, mais aussi sourcils, ce qui les différenciait grandement de l'homme de la rue qui était forcément barbu.)

Donc, vous l'aurez compris, une mine quasi inépuisable d'inspiration pour les auteurs modernes, tant le texte est foisonnant, tant il est féerique et tant il recourt au fantastique et au surnaturel. Il y est très souvent question d'amour, assez souvent question d'adultère. Il y est aussi beaucoup question de destin, notamment l'ascension ou la dégringolade sociale de roi à esclave ou inversement ou encore de l'état de richesse à celui de pauvreté ou inversement, comme c'est le cas aussi dans Sindbad le Marin.

J'en terminerai en spécifiant que dans ce tome, la femme occupe une place prépondérante et, bien qu'il y soit constamment question d'Allah et du Coran (orthographié Qoran), j'ai le sentiment que la vision de la femme est beaucoup plus libre, épanouie et importante socialement en ce XIIème-XIIIème siècle que ce que certains " traditionalistes " voudraient nous faire accroire de nos jours. Par exemple, Chahrazade est éminemment lettrée et cultivée et elle s'oppose à son père, qui est pourtant vizir et elle finit même par obtenir gain de cause.

Dans le Portefaix Et Les Dames, les femmes peuvent avoir un commerce à elles et y prospérer sans qu'il y soit question d'homme et sans être sous l'autorité d'aucun d'eux, elles peuvent commander à des hommes ou faire venir des hommes inconnus chez elles sans être suspectées de mauvaise vie ni ennuyées d'aucune façon. Elles ont la possibilité, si elles le souhaitent, d'être lascives et aguichantes, bref, une vision à des années lumières de la burqa et de l'enfermement dans lesquels certains prétendent que l'Islam les oblige… à méditer et, ce faisant, à méditer aussi le fait que même les éditions arabes des Mille Et Une Nuits sont, le plus souvent, non conformes aux manuscrits originaux…

Mais retenez enfin que ceci n'est qu'un avis adultérin (exactement comme le fils de Billie Jean dans la chanson de Micheal Jackson, laquelle Billie Jean devrait d'ailleurs s'orthographier Billie Djinn si l'on se réfère aux manuscrits originaux) qui, convenons-en, ne signifie pas grand-chose.
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Comment critiquer les Mille et une Nuits ? J'ai mis un peu moins de deux mois pour lire ce premier tome qui regroupe les 327eme premières nuits. Je devrais donc mettre un peu moins des trois ans annoncés pour lire les deux autres à moins que je ne laisse d'autres gros pavés de ma PAL s'intercaller... en ce monde rien n'est jamais impossible !
Enfin, il est bien difficile de fournir un avis sur ce recueil d'histoires, car celles-ci sont très variées, probablement d'auteurs et d'époques très divers, orales, écrites après coup, islamisées pour cadrer avec la doxa de l'époque (mais pas trop), jointées plus ou moins habilement.
Etant aussi lecteur de Victor Bérard et de son Introduction à l'Odyssée, je ne peut m'empêcher de faire le lien avec ce qu'il décrit dans les différentes aventures collées ensembles pour former un tout plus ou moins cohérent.
Ici, il semble que la même analyse puisse s'appliquer, et à une plus grande échelle encore !
Les contes assez courts s'enchâssent dans de plus vastes, qui eux même se recoupent parfois entre eux ; de petites historiettes d'animaux offrent une respiration agréable et de long voyages succèdent aux histoires plus citadines.
Le tout offre un panorama vivant, saisissant de la civilisation arabo-musulmane de la grande époque, avec de nombreuses insertions poétiques qui doivent être un régal en arabe, mais le sont aussi traduites...
Sans aucun doute un chef d'oeuvre littéraire dont j'ai hâte de parcourir la suite !
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”Tu ne sais ma présence qu'au seul son de ma voix”.
Le roi à qui Shahrâzâd présente un miroir des rois reste suspendu, à ses lèvres attaché. Shahrâzâd tient la vie du roi en sursis comme il tient la sienne en sa volonté. Shahrâzâd, l'héroïne des Mille et une nuits, éclipse l'histoire du roi qui précède la sienne, par les siennes, d'histoires, qu'elle narre nuit après nuit. Mille et une nuits d'amour en compagnie de Shahrâzâd et de sa soeur Dunyâzâd, tel est le compte échu au roi Shâhriyâr, l'insomniaque, bienheureux toutefois de passer ses nuits à écouter les contes de Shahrâzâd, elle qui “ avait dévoré bien des livres [...] On dit qu'elle avait réuni mille livres”.
La conteuse entretient la curiosité du roi et des lecteurs,s'interrompant, et les mêmes formules reviennent, mille fois, parfois à la fin d'une histoire, après avoir promis une histoire bien meilleure encore, parfois en plein milieu d'une histoire, au moment d'un retournement de situation :
“Mais l'aube venait reprendre Shahrâzâd, parler n'était plus permis : elle se tut.”
Mais elle reprend à la nuit tombée :
“On raconte encore, Sire, ô roi bienheureux, que …”
Ainsi survit-elle, nuit après nuit, par son éloquence, par la durée qu'elle entretient, pour faire durer le plaisir.

Et Shahrâzâd raconte l'amour et la mort, elle chante les retrouvailles, les victuailles, les épousailles. La conteuse mêle savamment les registres puisqu'elle s'illustre dans le genre épique ( voir le conte du roi guerrier Sharr Kân, mon préféré), le genre lyrique, le genre satyrique (surtout aux dépens des chrétiens), le genre didactique : des genres nobles dédiés aux personnages illustres. Règnent alors dans l'esprit du roi, Dieu - le Coran est intégré aux Mille et une Nuits - son prophète, et des rois anciens aux trésors incommensurables, vivant en des châteaux d'Ispahan, de Bagdad, de Damas, de Chine, d'Inde ou d'ailleurs, d'or et d'argent, en lapis-lazuli telle la porte d'Ishtar. S'anime un monde merveilleux où s'amusent les démons, les génies, où survit la magie comme l'art de la géomancie et les reines lisent la vérité en traçant des signes sur le sable lorsqu'il ne s'agit pas de tourner une gemme dans un sens ou dans l'autre pour faire intervenir les génies qui proposent non pas des tapis volants mais des lits volants (sans doute la version luxe de leur catalogue). S'aiment les hommes et les femmes à la beauté de lune, amants (mal)heureux enlacés ou séparés. Les Mille et une Nuits, ce recueil infini de contes, nous offre comme un coffret de joyaux des morceaux de poésie élégiaque (les amants pleurent leur malheur) ; des extraits de littérature érotique où la femme est le coffret et l'homme la clé. Shahrâzâd donne son corps, son âme, sa vie à Shâhriyâr, lui procurant du plaisir, tout en l'éduquant en lui donnant subrepticement des indications sur l'art de gouverner sa vie et sur l'art de gouverner un royaume. Nuzhâ, l'un des personnages de la conteuse, dans le conte le plus long de mon édition, découvre d'ailleurs l'étendue de sa sagesse lors d'un entretien avec le roi en commençant par cet art qui surclasse les autres : l'art de gouverner. Les histoires qu'on raconte aux rois de légende sont consignées en lettres d'or et il est souvent dit qu'il s'agit d'”écrire d'une fine aiguille sur le coin de l'oeil”. En effet, tout lecteur se doit de déchiffrer les signes par l'oeil et les personnages sont censés, s'ils ne veulent pas tomber dans les embûches que leur réserve le sort, respecter les signes. Shahrâzâd rappelle aussi, qu' "Il n'y a de force et de puissance qu'en Dieu” et la parole sacrée par excellence, résout souvent comme par magie les problèmes dans les contes de Shahrâzâd. L'histoire et la morale sont fabuleuses.
On retiendra que tout était écrit. Mektoub.
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Il fallait bien les lire une fois. Mon challenge… Mille et une nuits en mille et une nuits. Commencé le 1e janvier 2021, la lecture de ce premier volume de la Pléiade qui contient les nuits de 1 à 327 se termine donc le 23 novembre de cette même année. Difficile de faire une critique d'ensemble de ces 32 premiers contes, dont certains sont de vraies poupées russes avec des contes dans les contes. Des thèmes communs toutefois : amour, sexe, trahison, revanche, mort, parfois de l'humour, beaucoup de Dieu. La femme est très présente dans tous ces récits mais y tient rarement le beau rôle. de même pour les esclaves noirs. Un récit donc passablement sexiste et raciste. À noter que cette version de la Pléiade est semble-t-il la version la plus complète, les traducteurs ayant repris l'ensemble des poèmes dont certains avaient été exclus jusqu'à présent. Parfois un peu lassant et répétitif parfois mais un classique qu'il fallait lire.
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Tout le monde connaît l'histoire de Chahrazade et de ses Mille et Une Nuits mais qu'en est-il des autres contes qui les composent ?
Ce premier volume rassemble quatre contes principaux : La Tisserande des Nuits (l'histoire de Chahrazade), le Marchand et le Djinn, le Pêcheur et le Djinn et le Portefaix et les Dames. Chacun de ces contes comporte des récits enchâssés tels des poupées russes ce qui peut avoir tendance à rendre les histoires un peu longuettes par moment.

Les femmes occupent une place centrale dans ce tome mais celles-ci ont rarement le beau rôle. Elles sont rusées, perfides, infidèles et s'adonnent à la luxure et à la magie noire et sont toujours la cause du malheur des protagonistes (des hommes) mais paradoxalement, ce sont des femmes, magiciennes certes, mais vertueuses qui les délivrent de leurs tourments. C'est véritablement une relation amour-haine envers les femmes que traduisent les différents récits. Les femmes y apparaissent comme des créatures séduisantes mais aussi dangereuses à bien des égards.

Il est à noter que cette édition se base sur les manuscrits originaux et non pas sur les versions arabes qui ont été censurées ce qui nous livre toute l'authenticité des Mille et Une Nuits dont certains passages sont étonnamment érotiques pour de la littérature du monde musulman du début du XIIIe siècle.
Lien : http://unmondedelivres.xooit..
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Citations et extraits (20) Voir plus Ajouter une citation
— En ce cas, reçois ce qui te revient…
Et ayant prononcé ces mots, le fauve leva sa patte griffue et en frappa la jeune fille. Mais celle-ci, lui arrachant l'un des poils de sa crinière, transforma ce dernier en sabre effilé à l'aide d'une incantation de sa façon, et en frappa de toutes ses forces l'animal qu'elle trancha par le milieu en deux moitiés qui s'envolèrent chacune de son côté. La tête du monstre retomba alors sur le sol et devint scorpion, tandis que la donzelle, de son côté, se métamorphosait en un serpent gigantesque. Après une heure de combat, le scorpion se changea en vautour et s'enfuit du palais par la voie des airs, bientôt poursuivi par le serpent transformé pour l'occasion en orfraie. Tous deux disparurent un long moment à nos yeux, puis reparurent, surgis de la terre qui venait de s'ouvrir brusquement devant nous, sous l'aspect d'un chat à robe bigarrée qui miaulait, râlait et crachait à faire peur, talonné de près par un loup qui lui donna la chasse une bonne heure de temps d'une salle à l'autre du palais. Le loup vainquit le chat qui poussa un long miaulement et devint ver de terre, lequel rampa jusqu'au bord du bassin où se trouvait une grenade à l'intérieur de laquelle il se glissa. La grenade se mit aussitôt à grossir et grossir jusqu'à atteindre la taille d'un melon aux tranches bien renflées, mais le loup, ayant pris cette fois la forme d'un coq, fondait déjà sur elle. On vit alors le fruit s'élever dans les airs et tourner tout autour de la salle, pour retomber à la fin sur le dallage de marbre en laissant échapper une multitude de graines qui s'éparpillèrent sur le sol.
Le coq se précipita sur les graines et se mit à les picorer l'une après l'autre, mais il ne put avaler la dernière qui avait chu dans le bassin. On le vit alors crier jusqu'à s'égosiller, tout en battant des ailes et en nous faisant force signes de son bec, voulant nous signifier par là que nous eussions à chercher avec lui le pépin de grenade qu'il n'avait pas réussi à trouver. Comme nous ne comprenions pas son langage, il poussa un cri si terrible qu'il nous sembla un instant que le palais allait s'écrouler sur nos têtes ; puis, regardant plus attentivement autour de lui, il aperçut le pépin qui s'était réfugié contre la paroi de la pièce d'eau. Il se précipita dessus tout joyeux et allait s'en emparer quand ledit pépin se laissa glisser dans le courant, se changea en poisson et s'enfonça dans la profondeur des eaux. Ce que voyant, le coq à son tour devint poisson, mais de plus grande taille que son compère, et plongea à sa suite…

4. LE PORTEFAIX ET LES DAMES, Histoire du deuxième derviche qalandar.
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Chahrazade avait lu des livres et des écrits de toutes sortes, allant jusqu'à étudier les ouvrages des Sages et les traités de médecine. Elle avait retenu en sa mémoire quantité de poèmes et de récits, elle avait appris les proverbes populaires, les sentences des philosophes, les maximes des rois. Elle ne se contentait pas en effet d'être intelligente et sage ; il lui fallait encore être instruite et formée aux belles-lettres. Quant aux livres qu'elle avait lus, il ne lui avait pas suffi de les parcourir : elle les avait tous étudiés avec soin.
Un jour, elle dit à son père :
— Ô père, je voudrais te faire part de mes pensées secrètes.
— Quelles sont-elles ? demanda le vizir.
— Je désire que tu arranges mon mariage avec le roi Chahriyâr : ou bien je grandirai dans l'estime de mes semblables en les délivrant du péril qui les menace, ou bien je mourrai et périrai sans espoir de salut, partageant le sort de celles qui sont mortes et ont péri avant moi.
Lorsque le vizir entendit les paroles de sa fille, il s'écria d'une voix courroucée :
— Sotte que tu es, ne sais-tu pas que le roi Chahriyâr a juré de ne dormir qu'une seule nuit avec chacune de ses épouses pour la tuer le lendemain matin ? Tu veux que je te donne à lui ! Ignores-tu qu'après avoir passé une nuit avec toi, il m'ordonnera dès le jour suivant de te faire périr ? Et tu sais bien que je serai obligé de te tuer sans pouvoir m'opposer à ses ordres !
— Ô mon père, il faut absolument que tu me donnes à lui, répondit-elle. Laisse-le me tuer.
— Peux-tu me dire ce qui te pousse à pareille conduite, ce qui te presse de t'exposer à un tel danger ?
— Mon père, il faut absolument que tu me donnes à lui. Ma décision est irrévocable, mon choix est définitif.

1. LA TISSERANDE DES NUITS.
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— Je ne pus trouver la patience nécessaire pour m'empêcher d'aller à la porte prohibée. Je me livrai au diable et ouvris le battant couvert de plaques d'or. À peine étais-je entré dans la pièce que je respirai une odeur extraordinaire, qui me fit tomber à terre de tout mon long et me tint évanoui une heure. Puis j'arrachai mon âme du fond de mes entrailles, fortifiai mon cœur et, me relevant, je pénétrai jusqu'au fond de la chambre. Elle était tapissée de fleurs de safran ; des bougies l'éclairaient, ainsi que des lampes en or et en argent, alimentées par une huile précieuse qui dégageait en brûlant un parfum pénétrant ; quant à la cire des bougies, elle était piquée d'aloès et d'ambre. Je vis d'énormes encensoirs, chacun de la grosseur d'un chamelon, remplis de braise ardente, qui laissaient échapper des volutes d'ambre gris mêlé d'encens, de musc, de cire parfumée et de safran. J'aperçus pour finir, ô dame, un cheval de belle race, noir comme une nuit aveugle, qui avait devant lui une mangeoire de cristal blanc, remplie d'un côté de sésame décortiqué, de l'autre d'eau de rose parfumée au musc. Ses rênes et sa selle étaient d'or rouge.
Tout ce spectacle ne laissait pas de m'étonner et je me dis que cette bête devait posséder une puissance peu commune. Alors Satan m'inspira l'idée funeste de tirer le cheval, de l'amener jusqu'à la porte du palais et de le monter. Je mis ce plan à exécution. Mais quand je fus installé sur le dos de l'animal, il ne bougea pas et resta fièrement campé à sa place. Je le piquai au talon : en vain. Plein de colère, je pris un fouet, dont je lui cinglai les flancs. Sentant le coup, il fit retentir un hennissement aussi puissant que le tonnerre. Il ouvrit alors deux larges ailes, et m'emporta dans les airs, si haut que je ne distinguai plus les objets au-dessous de moi, sur la surface du sol. Après un parcours d'une heure environ, il s'abattit sur la terrasse d'un autre palais et se débarrassa de moi d'une ruade. Puis il me fouetta de sa queue et m'atteignit au visage si cruellement qu'il me creva l'œil, le fit couler sur ma joue, et m'affligea de cette infirmité où vous me voyez maintenant.

4. LE PORTEFAIX ET LES DAMES.
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Le soleil parut, déversant sa lumière sur toutes choses. Les deux frères guettaient la porte secrète qui ne tarda pas à s'ouvrir, et l'épouse du roi Chahriyâr en franchit le seuil, selon son habitude, escortée par ses vingt servantes. Elles se promenèrent un instant sous les arbres et furent bientôt rendues sous les murs du palais où se trouvaient les deux rois. Dans l'instant les dix esclaves noirs enlevèrent leurs vêtements féminins et furent aussitôt sur les dix dames qu'ils se mirent en devoir de conjoindre. Quant à la reine, elle criait déjà :
— Mas'oud ! Ô Mas'oud !
Sur-le-champ l'esclave noir sauta de son arbre, retomba lestement sur ses pieds et la rejoignit en disant :
— Qu'as-tu donc, ô mon trou ? Vois comme je vole à ton secours, moi, Sa'd-al-Dine, surnommé Mas'oud, le " Fortuné " !
Ces mots la firent rire aux éclats. Sans plus attendre, elle s'étendit sur le dos et l'esclave entra en elle, s'employant à lui faire son affaire à l'exemple des dix autres. Après quoi tous procédèrent à leurs ablutions.

1. LA TISSERANDE DES NUITS.
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Garde ton secret,
ne le confie à personne,
car celui qui confie son secret
l'a déjà perdu.

Si ta poitrine à toi s'avère incapable
de le contenir, comment pourra le garder
la poitrine de celui
qui l'a reçu en dépôt ?
[…]
Seul l'homme digne de confiance
sait tenir un secret ;
hors le cœur du meilleur des hommes,
aucun secret n'est en lieu sûr.

Veut-on m'en confier un,
je l'enferme aussitôt chez moi
et referme sur lui ma porte
que commande une bonne serrure.

La clé de cette porte ?
Je l'ai perdue.
Ainsi est-elle aussi bien close
que si je l'avais fait sceller.

4. LE PORTEFAIX ET LES DAMES.
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