Diderot ou le bonheur de penser

Ce livre situe parfaitement le contexte des années 50 du 18ème siècle et l'effervescence intellectuelle de cette époque. En 2019, à l'heure de Wikipédia, de l'opensource comment comprendre ce temps de l'encyclopédie ?

Cette époque cristalliserait l'importance stratégique d'un renouvellement de la connaissance. En particulier, les aristocrates, qui gouvernent, sont incités de plus en plus à fonder leurs décisions sur les connaissances contemporaines. Disposer d'une élite éclairée par des conseillers influents ayant à leur disposition un corpus de connaissances universelles partagées - l'encyclopédie - devient donc crucial.
Pour le peuple, par contre, il faudra attendre. Pour Diderot celui-ci n'existe pas encore. Aucune mention des personnages de la vie courante.

L'encyclopédie est-elle donc une ultime tentative pour préserver l'ordre du monde existant ?
Est-elle au contraire la mise en évidence d'un nouvel ordre de l'univers ?

Pourquoi ces questions ?

Voici des éléments de contexte :

- Galilée, en 1623, dans son Opus sur les comètes, postule que les mathématiques sont le langage d'écriture du livre de l'univers. Il démonte aussi la physique d'Aristote, par une expérience de pensée qui prouve que , contrairement aux apparences, la chute d'un corps sur terre ne dépend pas de sa masse;

- Newton, en 1627, dans ses Principes mathématiques de la philosophie naturelle montre que les objets ne tombent plus sur terre parce qu'elle est au centre de l'univers;

Ces deux coups de semonce ébranlent le monde fondé sur la philosophie d'Aristote qui dirigeait la vie depuis plus de 2000 ans. le monde était alors vu comme immuable selon une lecture spécifique de la bible par les églises qui monopolisaient la relation de l'homme à Dieu. Cette philosophie était à la fois recherche du savoir pour lui-même et interrogation sur le monde et science des sciences. Elle traitait de presque tous les domaines de connaissance de son temps : biologie, physique, métaphysique, logique, poétique, politique, rhétorique et économie.

L'encyclopédie de Diderot d'Alembert marquait alors une étape logique de plus dans le changement de paradigme vers l'universalité et la découverte d'un nouvel ordre du monde. Elle renouvelait tous les domaines de la connaissance Aristotélicienne par une nouvelle philosophie qui dirigerait la vie. L'encyclopédie visait donc à combler un vide, une perte de sens, dû à la déconstruction du monde immuable d'Aristote par l'avènement de la mathématisation du temps par Galilée puis surtout Newton et le calcul différentiel en Physique.

Plus, en consultant L Histoire des techniques de Bertrand Gille, dans la collection la pléïade, nous relevons que l'Encyclopédie accorde une place significative aux métiers. N'oublions pas que Galilée construisit des lunettes pour observer le ciel. Il les perfectionna d'ailleurs avec un micromètre et un hélioscope. Retenons aussi en particulier que Diderot est fils d'un coutelier réputé de Langres associé, par son épouse, à la maison Béligné, couteliers du Roi. Bien plus qu'une anecdote, l'importance des métiers jointe à l'avénement de Newton impliquerait à la fois que l'univers est écrit par les mathématiques et que la physique deviendrait utile aux ingénieurs. En effet, depuis l'antiquité, un ingénieur est un géomètre. Il n'est pas un physicien. L'encyclopédie marquerait donc un tournant, de ce point de vue aussi. Elle pourrait augurer le modèle de l'ingénieur généraliste français qui demeure très prisé au 21ème siècle.

Cette importance des savoirs coïnciderait ainsi avec la notion de progrès. Il ne s'agirait donc plus uniquement d'incarner un ordre des choses immuable et de s'y ajuster, mais de prendre en compte ce que connait l'humanité à l'instant présent en se renouvelant au fil des éditions successives. Par suite, petit à petit, la connaissance contribue à nous faire devenir autre, à nous faire évoluer, à changer notre regard, notre perspective. En conséquence, le monde immuable apparent devient dynamique et universel, la connaissance sert à dévoiler la vérité au-delà des apparence (l'écueil du référentiel de repos absolu devra ensuite attendre Einstein, au début du 20 ème siècle, pour être surmonté par l'établissement de la célérité de la lumière dans le vide comme constante universelle de mouvement absolu. NDLR)

En 2019, un nouveau changement de paradigme apparaît. Nous devons dépasser la Technique insensée de Heidegger pour construire un nouvel humaniste durable et retrouver des valeurs transcendantes qui donnent du sens à la vie.

Où sont les philosophes influents ? Devrait-on réconcilier humanisme et spiritualité ? En va-t-il de notre vie, de la vie de l'humanité comme le souligne la pensée de Malraux : « le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas. ».

[A noter au passage que la bible pose la dualité entre humaniste et religion (Matthieu 22:37-39):“Tu dois aimer Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de toute ta pensée". C'est le plus grand et le premier commandement. Et voici le deuxième, qui lui ressemble : “Tu dois aimer ton prochain comme toi-​même.”NDLR]

Denis Diderot était un homme remarquable.
Jacques Attali ne s'y est pas trompé, lui qui déclare, dès l'introduction, son plaisir à raconter "la vie d'un homme immensément intelligent, puits de science, totalement libre, follement amoureux, incroyablement créatif."
Très documenté, ce livre est un vrai régal : on y découvre son enfance à Langres, son passage en tant qu'abbé - son père l'imaginant succéder à son beau-frère - ses études à Paris ("lLa seule chose qu'il aime, en fait, depuis son enfance, c'est étudier, penser, pas nécessairement encore écrire"), et le fameux projet de l'Encyclopédie.
On y croisera de nombreuses femmes, que Diderot aimera et à qui il écrira de façon élégante, mais aussi ses contemporains : Rousseau, D Alembert, d'Holbach, Condillac ...
L'histoire de la naissance de la première encyclopédie n'est pas un long fleuve tranquille : entre censure du roi, difficultés économiques, problèmes de santé et fâcheries avec les contributeurs, Diderot y jettera toutes ses forces jusqu'à épuisement.
Mais le résultat est là, et il fut sans doute le dernier homme à maîtriser tout le savoir d'une époque, ce qui n'arrivera jamais plus après lui.
Jacques Attali parvient à nous restituer ce destin hors du commun qui se lit comme un roman d'aventure, et on referme la dernière page en réalisant en quoi la vie de l'initiateur de l'encyclopédie est aussi captivante: Denis Diderot n'a rien d'un philosophe poussiéreux, bien au contraire il est d'une actualité éblouissante.

Une biographie très agréable à lire et proche du quotidien de Denis Diderot depuis ses années de collège à Langres jusqu'à son dernier jour de sa mort. Sa vie commencera à la fin du règne de Louis XIV et traversera les décennies jusqu'au déclin de celui de Louis XVI, à la veille de la Révolution. Ses longues soirées en compagnie de philosophes et d'hommes de lettres contemporains tel que Jean de la Fontaine, puis le chantier de sa vie que sera l'Encyclopédie, avec une méthodologie de travail par thème très aboutie, accompagné de d'Alembert, co-auteur de cet ouvrage majeur du 18ème siècle, qui sera composé de 17 volumes d'écrits et de 11 volumes de planches, publié des années 1750 aux années 1770.
Il me parait important de prendre ce temps de découverte de sa vie et de son oeuvre, au delà de nos cours d'histoires scolaires, de l'idée à sa réalisation si l'on veut réellement appréhender ce travail titanesque d'écriture, de dessins, et de formalisation des idées maîtresses de ce siècle des lumières. Un très beau moment de lecture si l'on laisse son imagination nous transporter à cette époque de la naissance mouvementée d'une connaissance élargie et partagée.

Biographie plus axée sur la vie de l'homme que sur ces idées, mais très intéressante malgré tout. On se laisse emporter par l'enthousiasme de Jacques Attali, et une fois le livre refermé, nous n'avons qu'une envie, lire et relire Diderot !

Biographie, très, peut-être même trop , complète. Très agréables extraits des oeuvres, en particulier des correspondances.
J'ai regretté le minimalisme des critiques des idées de Diderot.
Il est intéressant de lire juste après Onfray, pour avoir une idée fort différente de l'homme et de ses idées.