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EAN : 9782020014779
219 pages
Seuil (01/03/1964)
4/5   9 notes
Résumé :

Première oeuvre romanesque d'Ingeborg Bachmann dans une nouvelle version de la traductrice. Les sept nouvelles qui composent ce recueil sont organiquement liées entre elles. La dernière, " Ondine s'en va", les résume et les regroupe. Malgré leurs turpitudes, leurs errements et leurs luttes, malgré la guerre dont les hommes ne sont pas encore libérés, Ondine choisit de chanter la gloire de ce monde. Car l'être h... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique

La Trentième année c'est, pour reprendre un terme tristement à la mode, un âge pivot, celui où l'on “n'a plus le droit de se dire jeune.”

“Il découvrit, au milieu de sa chevelure brune emmêlée, un quelque chose blanc et brillant. Il le toucha, se rapprocha de la glace : un cheveu blanc ! Son coeur se mis à battre dans sa gorge. Il regarda le cheveu bêtement et sans détourner les yeux. le jour suivant il reprit le miroir, craignit d'en découvrir d'autres, mais il ne vit que celui de la veille et ce fut tout.”

Avoir trente ans, c'est être “encore jeune”. Ce mot, “encore” nous dit tout du passage que constitue cette trentième année, l'insouciance est de plus en plus mal vue, il faut commencer à se tenir, à faire l'adulte, à épargner, faire son repassage. Les générations suivantes sautent aux yeux, elles poussent les vieux trentenaires vers la sortie.

Alors bien sûr, c'est “la force de l'âge”, mais la force pour quoi ? Bâtir une carrière, fonder une famille, travailler, on jette un pont vers le futur sans savoir comment les choses aboutiront, avec le peu d'années que nous pouvons mettre à profit, tous les espoirs sont permis, du moins le croit-on, à ceux qui sacrifient, qui suent, pour leurs succès à venir. C'est l'âge du “faire”. Martin du Gard, bourgeois de son état, avait une belle phrase sur la production : “ne vous illusionnez pas sur l'utilité de la production quand même. Est-ce qu'une belle vie ne vaut pas une belle oeuvre ? J'ai cru aussi qu'il fallait besogner. Peu à peu, j'ai changé d'avis…”

Et quand on regarde en arrière, sont-ce vraiment nos plus belles années (merci Pollack, Redford et Streisand… ) ? Marguerite Yourcenar considérait ces décennies, entre l'enfance et la vieillesse, comme “un tumulte vain, une agitation à vide, un chaos inutile par lequel on se demande pourquoi on a dû passer ”. La pression que vivent les trentenaires, tyrannique, vient du fait que l'on a encore l'illusion que l'on peut vivre plusieurs vies, qu'on peut même toutes les vivres et que tous nos choix sont cruciaux pour se faire un destin, comme le résumait Paul Valéry dans son Monsieur Teste “mon possible ne m'abandonne jamais”.

Bachmann me semble tout de même plus optimiste, il y a des moments de prise de conscience, comme si l'existence nécessitait ces petits deuils réguliers de tranches de vie, des moments massue, dont on se relève parfois mieux armés, plus conscients aussi de la finitude des choses, car c'est le privilège de la jeunesse que de pas concevoir aisément la vieillesse.

Au fil de cette longue nouvelle, sinueuse, extra-lucide, jamais nous n'oublions que l'écrivaine, qui partagea la vie de Paul Celan, est aussi poétesse, il y a quelque chose du songe, du rêve éveillé, particulièrement lorsque nous regardons la vie comme en dehors de soi, le personnage s'en fait écho, lui-meme est souvent dépersonnalisé ; on a l'impression qu'il vit les évènements de son existence comme extérieur à eux.

Une réelle attention aux sensations les plus personnelles, comme l'acte même de “penser” , que le personnage découvre au détour d'une librairie, et tout le vertige, l'ivresse que ces acrobaties mentales provoquent. Cela peut rattacher ce texte au courant du flux de conscience, bien que Bachmann donne aussi beaucoup sur le cadre extérieur : les voyages en Italie, dont l'inspiration est sans doute à aller chercher dans la biographie de l'écrivaine autrichienne, tout comme, rétroactivement, le récit glacial et prémonitoire d'un tragique accident de la route.

Une lourde charge contre la mondanité, incarnée par le personnage de Moll, nous connaissons tous un Moll, on ne peut s'en défaire, c'est un “hydre” pour Bachmann, cette incarnation de la vacuité et la fatuité : “Moll plein de mépris pour les ratés et le plus raté de tous”. Une ironie salutaire vis à vis du conformisme comme lorsque le personnage principal rédige une lettre de motivation pour un emploi en terminant par “en espérant que…” et Bachmann d'ajouter : ‘Il n'espérait rien du tout.”

Néanmoins, il y a quelque chose d'hermétique parfois, de rebutant, peut-être pas tant dans l'écriture d'Ingeborg Bachmann que dans l'angle qu'elle choisit, malgré la beauté et la singularité de son angle d'approche littéraire.

“Fuir avec elle (…) vivre avec elle tout simplement, vivre avec son corps, sans contexte et loin de tout. Vivre dans sa chevelure, dans le coin de sa bouche, dans son sein.”

Autre récit saillant de ce recueil de sept nouvelles, paru au début des années soixante, “Du coté de Gomorrhe”, fragment d'une nuit de combat intérieur que se livre à elle-même une femme essayant d'oser échapper, dans les bras d'une autre, au mensonge d'une vie à l'abri de ses désirs lesbiens. de bons dialogues, une réelle tension, parfois brutale, et un soupçon de sensualité agrémentent ce morceau tranchant de vie. L'auteure fait montre d'une perspicacité audacieuse dans l'étude du personnage de Charlotte, dans le tourment et l'épuisement qu'une homosexualité contrariée peut causer à la psyché.

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Je l’ai déjà écrit et je me répète : je suis toujours embêté quand vient le temps de rédiger une critique sur un recueil de nouvelles. Ça finit souvent en un résumé chacune des histoires qui le composent, j’ai l’impression de ne pouvoir qu’en effleurer l’ensemble. Mais bon, je me suis imposé à nouveau cette tâche puisqu’il n’y avait aucune critique sur cette œuvre, « La trentième année », de la grande poétesse autrichienne Ingeborg Bachmann. Une situation qu’il fallait rectifier !

Souvent, dans tous le recueils de nouvelles, certaines histoires sont moins bien réussies. Mais, dans le cas de Bachmann, elles laissent toujours un souvenir évanescent. Il en reste un petit quelque chose, que ce soit une impression, un vague souvenir. Dans tous les cas, j’aime beaucoup cette oeuvre de Bachmann, comme toutes les autres, et cela pour différentes raisons.

Des intrigues puissantes et simples à la fois. L’auteure décrit des situations de la vie de tous les jours, auxquelles tout le monde peut s’identifier. Le temps qui passe, la trentaine (cette année charnière qui nous amène à réfléchir à nos accomplissements, à notre vie…), les relations parents/enfants, les relations amoureuses, l’amitié entre femmes, le deuil, etc. Bref, des situations qui ne devraient laisser personne indifférent.

Personnages forts, tant féminins que masculins. Je le précise car, selon moi – et s’il-vous-plait, ne me taxez pas de mysogyne ni de sexiste ! –, les écrivains femmes en général réussissent moins bien à rendre réellement justice aux personnages masculins. Certaines, plusieurs, beaucoup y parviennent, bien sur. Mais Bachmann est dans une catégorie toute spéciale. Les nouvelles « Tout » et « La trentième année » en sont la preuve. Mais les personnages féminins ne sont pas en reste, comme dans « Du côté de Gomorrhe », où les deux protagonistes Charlotte et Mara entretiennent une relation poignante toute en tendresse.

Émotions fortes. Mais attention, on ne tombe pas dans le mélo-dramatique ni dans le tragique. Et encore moins dans l’eau-de-rose ou le pathétique. Les personnages sont racontés alors qu’ils traversent des moments-clé de leur existence mais Bachmann réussit à nous transmettre leurs états d’âme sans fard ni mascarade. Sans trompette ni tambour. Des émotions brutes. Mais tellement criantes de vérité. Un peu comme dans la nouvelle « Ondine s’en va », dans laquelle la narratrice crie sa haine des Hans – en fait, des hommes en général – qui l’on trompée, abandonnée. Partout il y a cette intensité qui provient d’une folie subconsciente.

Je ne connaissais pas beaucoup Ingeborg Bachmann. Alors récemment j’ai lu de ses œuvres comme « Franza », puis « Malina ». J’ai voulu poursuivre et je me suis lancé dans le recueil « La trentième année » que j’ai beaucoup aimé. Décidément, une auteure à découvrir.
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Dans ce recueil de nouvelles rédigé dans les années 60, l'une d'elle "Du côté de Gomorrhe" évoque l'amour d'une jeune fille Mara pour Charlotte, femme d'âge mûr qui vient de donner une réception en l'absence de son mari. Alors que tout le monde est partie, Mara fait sa déclaration …
On retrouve ici deux femmes placés dans des rôles "genrés" que je trouve assez marqué : la jeune fille est inconstante, d'une sentimentalité à fleur de peau. On s'attend à ce qu'elle se « pâme » à chaque coin de phrase. Tandis que Charlotte endosse le rôle de la femme masculine qui voit en sa cadette le moyen d'exister dans une relation en tant que dominant et non plus comme éternelle mineur tout ça indépendamment de tout sentiment amoureux puisque Mara ne réveille chez elle ni amour ni désir.
L'image de ce « couple de femmes » calquée sur le modèle hétéro bien qu'existant forcément est à mon goût trop souvent la seule manière dont on perçoit un couple homosexuel… Comme s'il ne pouvait y avoir qu'une manière d'être en couple.
Que dire aussi du titre, biblique, qui place cette relation sous le sceau de la luxure, des « mauvaises moeurs » pour au final une nouvelle où il ne se passe pas grand-chose et absolument rien de répréhensible.
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Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
"Dans le ménage moral de l'humanité, tenu tantôt economiquement, tantôt avec prodigalité, ce sont toujours piété et anarchie qui mènent la danse en même temps. On trouve là pêle-mêle tabous et démystifications.
Comment se fait-il que quelques systèmes seulement aient prévalu? C'est que nous nous cramponnons fermement à des habitudes par crainte d'une pensée libérée des tables de la loi ou des interdits, par crainte de la liberté. Les hommes n'aiment pas la liberté. Où qu'elle ait surgi, ils se sont brouillés avec elle."
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“Il découvrit, au milieu de sa chevelure brune emmêlée, un quelque chose blanc et brillant. Il le toucha, se rapprocha de la glace : un cheveu blanc ! Son cœur se mis à battre dans sa gorge. Il regarda le cheveu bêtement et sans détourner les yeux. Le jour suivant il reprit le miroir, craignit d’en découvrir d’autres, mais il ne vit que celui de la veille et ce fut tout.”
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L'amour se venge de tout ce qui est supportable sur terre. L'amour était insupportable, n'attendant rien, n'accordant rien. Impossible de le mettre sous cloche, d'en faire la culture, d'y planter des sentiments : il violait toutes les frontières et détruisait toute émotion.
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Un homme va sur ses trente ans, on n'en continue pas moins à le trouver jeune. Mais, sans arriver pourtant à découvrir en lui le changement, lui-même n'en est plus très sûr ; à croire qu'il n'a plus le droit de se dire jeune.
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Les enfants sont amoureux, ils aiment sans savoir qui. Ils bégaient, ils se retranchent, subtils, dans une pâleur indéfinissable, et quand ils sont au bout de leur rouleau, ils inventent une langue qui les rend fous. "Mon poisson. Ma ligne. Mon renard. Mon piège. Ma flamme. Toi mon onde. Toi ma vague. Toi mon sol intime. Toi mon si. Et toi mon mais. Ou bien. Ou bien. Ou alors. Mon tout.... Mon tout..."
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Les livres de cette anthologie sont réunis dans une sélection spéciale poétesses sur notre site Librest (https://www.librest.com/livres/selection-thematique-poetesses,1303.html?ctx=81551c627cc90eb2e85d6f7d5f4bcdfb) : https://www.librest.com/livres/selection-thematiq ue-poetesses,1303.html?ctx=81551c627cc90eb2e85d6f7d5f4bcdfb
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